LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, sous le n° 2025-895 DC, le 18 juillet 2025, par M. Boris VALLAUD, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, MM. Christian BAPTISTE, Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, MM. Karim BENBRAHIM, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, MM. Paul CHRISTOPHLE, Pierrick COURBON, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Mmes Dieynaba DIOP, Fanny DOMBRE COSTE, MM. Peio DUFAU, Inaki ECHANIZ, Romain ESKENAZI, Olivier FAURE, Denis FÉGNÉ, Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, MM. Emmanuel GRÉGOIRE, Jérôme GUEDJ, Stéphane HABLOT, Mmes Ayda HADIZADEH, Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Céline HERVIEU, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, MM. Gérard LESEUL, Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, MM. Philippe NAILLET, Jacques OBERTI, Marc PENA, Mmes Anna PIC, Christine PIRÈS BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Pierre PRIBETICH, Christophe PROENÇA, Mmes Marie RÉCALDE, Valérie ROSSI, Claudia ROUAUX, MM. Aurélien ROUSSEAU, Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, MM. Hervé SAULIGNAC, Arnaud SIMION, Thierry SOTHER, Mmes Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mélanie THOMIN, MM. Roger VICOT, Jiovanny WILLIAM et par Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mmes Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Léa BALAGE EL MARIKY, Lisa BELLUCO, MM. Karim BEN CHEIKH, Benoît BITEAU, Arnaud BONNET, Nicolas BONNET, Alexis CORBIÈRE, Hendrik DAVI, Emmanuel DUPLESSY, Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, MM. Damien GIRARD, Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, MM. Tristan LAHAIS, Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mmes Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mmes Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Boris TAVERNIER, Nicolas THIERRY et Mme Dominique VOYNET, députés.
Il a également été saisi, le même jour, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, MM. Rodrigo ARENAS, Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Pierre-Yves CADALEN, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Jean-François COULOMME, Sébastien DELOGU, Aly DIOUARA, Mmes Alma DUFOUR, Karen ERODI, Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Zahia HAMDANE, Mathilde HIGNET, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Abdelkader LAHMAR, Maxime LAISNEY, Aurélien LE COQ, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Claire LEJEUNE, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Marie MESMEUR, Manon MEUNIER, M. Jean Philippe NILOR, Mmes Sandrine NOSBÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Jean-Hugues RATENON, Arnaud SAINT-MARTIN, Aurélien SAINTOUL, Mmes Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER et par MM. Stéphane PEU, Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, Mmes Elsa FAUCILLON, Émeline K BIDI, MM. Jean-Paul LECOQ et Marcellin NADEAU, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2025-1140 QPC du 23 mai 2025 ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 24 juillet 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive. Ils contestent la procédure d’adoption de ses articles 3 et 5. Ils contestent en outre la conformité à la Constitution des articles 1er, 2, 3 et 4 ainsi que de certaines dispositions de l’article 5.
- Sur l’article 1er :
2. L’article 1er modifie l’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’étendre les cas dans lesquels la durée maximale de la rétention administrative des étrangers en situation irrégulière peut, par dérogation, être portée à cent quatre-vingt jours voire, dans certains cas, deux cent dix jours.
3. Les députés requérants font valoir qu’en permettant de porter à deux cent dix jours la rétention administrative d’un étranger, sans que la gravité de son comportement ne justifie une telle durée ni que cette dernière soit de nature à favoriser son éloignement, ces dispositions méconnaîtraient la liberté individuelle ainsi que, selon les députés auteurs de la seconde saisine, le « principe de sûreté » garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
4. Le placement en rétention d’un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe, résultant de l’article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire. Il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figure la liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autorité judiciaire. Les atteintes portées à l’exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
5. En application de l’article L. 741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’autorité administrative peut placer en rétention l’étranger en situation irrégulière qui a fait l’objet d’une mesure d’éloignement ne pouvant être immédiatement exécutée lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à cette exécution et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à la garantir efficacement. Cette mesure, d’une durée initiale de quatre jours, peut, en application de l’article L. 742-3 du même code, être prolongée par le magistrat du siège du tribunal judiciaire, une première fois, pour une nouvelle période de vingt-six jours. Ce magistrat peut ensuite la prolonger, en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public, ou lorsque la décision d’éloignement n’a pu être exécutée pour certains motifs, dans la limite d’une durée maximale de quatre-vingt-dix jours.
6. Par dérogation, en application de l’article L. 742-6, la prolongation de la rétention au-delà de cette durée peut intervenir par périodes de trente jours renouvelables dans la limite maximale de cent quatre-vingt jours lorsque l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou fait l’objet d’une décision d’expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées. L’article L. 742-7 permet, à titre exceptionnel, de porter cette durée à deux cent dix jours.
7. Les dispositions contestées étendent à de nouvelles hypothèses l’application de ces dérogations.
8. En adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif.
9. Toutefois, d’une part, les dispositions contestées permettent de maintenir un étranger en rétention pour une durée particulièrement longue sans prévoir qu’une telle mesure n’est possible qu’à titre exceptionnel.
10. D’autre part, elles s’appliquent à l’étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire, alors même que cette dernière peut être prononcée pour des infractions qui ne sont pas d’une particulière gravité, et que cette condamnation peut ne pas avoir un caractère définitif et ne pas être assortie de l’exécution provisoire.
11. En outre, ces dispositions s’appliquent à l’étranger qui fait l’objet d’une condamnation définitive pour certains crimes et délits qu’elles énumèrent, sans même que l’administration ait à établir que le comportement de ce dernier, qui a exécuté sa peine, constitue une menace actuelle et d’une particulière gravité pour l’ordre public.
12. Elles sont, au demeurant, susceptibles de s’appliquer à des étrangers à l’encontre desquels la juridiction n’aurait pas estimé nécessaire de prononcer une peine d’interdiction du territoire.
13. Ainsi, en permettant de porter jusqu’à six mois, voire sept mois, la durée de la rétention administrative d’un étranger dans l’ensemble de ces hypothèses, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.
14. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, l’article 1er de la loi déférée est contraire à la Constitution.
15. Il en va de même, par voie de conséquence, du 3° de l’article 4 de la loi déférée, qui en est inséparable.
- Sur l’article 2 :
16. L’article 2 modifie l’article L. 743-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’instituer de nouveaux cas dans lesquels l’appel contre une décision mettant fin à la rétention administrative d’un étranger est suspensif et l’intéressé maintenu à la disposition de la justice jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond.
17. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochent à ces dispositions d’étendre à des situations très diverses, ne relevant pas de raisons impérieuses, l’effet suspensif de l’appel formé contre la décision du juge mettant fin à une mesure de rétention administrative, sans possibilité pour la personne d’obtenir du juge qu’il se prononce sur cet effet suspensif. En privant ainsi l’étranger d’une garantie procédurale essentielle en matière de privation de liberté, elles porteraient une atteinte qui n’est ni nécessaire ni proportionnée à la liberté individuelle. Il en résulterait en outre, pour les mêmes motifs, une méconnaissance du droit à un procès équitable et du droit à un recours juridictionnel effectif.
18. Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». En principe, il résulte de cette disposition que, lorsqu’un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère son rôle de gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu’une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l’attente, le cas échéant, de celle du juge d’appel.
19. Selon l’article L. 743-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’une part, l’appel formé contre une ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire mettant fin à la rétention d’un étranger n’est pas suspensif.
20. D’autre part, le ministère public peut demander au premier président de la cour d’appel ou à son délégué de déclarer son recours suspensif lorsqu’il lui apparaît que l’intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l’ordre public. Ce magistrat décide alors, sans délai, s’il y a lieu de donner à l’appel un effet suspensif par une ordonnance motivée rendue contradictoirement. L’intéressé est maintenu à la disposition de la justice jusqu’à ce que l’ordonnance soit rendue et, si elle donne un effet suspensif à l’appel du ministère public, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond.
21. Par dérogation, les dispositions contestées prévoient que l’appel suspend l’exécution de la décision du juge mettant fin à la rétention lorsque l’étranger fait l’objet d’une peine d’interdiction du territoire, d’une condamnation définitive pour l’un des crimes ou délits mentionnés à l’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou d’une décision d’expulsion ou d’interdiction administrative du territoire. Il est également suspensif si le comportement de l’intéressé constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
22. Toutefois, d’une part, ces dispositions s’appliquent à tout appel formé contre la décision du juge, qu’il émane du ministère public ou de l’autorité administrative en application de l’article L. 743-21 du même code.
23. D’autre part, elles ne prévoient ni que le magistrat du siège saisi de l’appel décide s’il y a lieu de donner à ce recours un effet suspensif, ni même qu’il puisse être saisi à cet effet par l’intéressé.
24. Dès lors, en conférant un tel effet suspensif au recours formé contre une décision de justice mettant fin à une mesure privative de liberté y compris lorsqu’il n’émane pas du procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire, et sans qu’un magistrat du siège, dans la plénitude des pouvoirs que lui reconnaît l’article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, doive se prononcer dans les plus brefs délais sur le bien-fondé de cette suspension de la décision, les dispositions contestées portent une atteinte excessive à la liberté individuelle. Elles méconnaissent ainsi les exigences de l’article 66 de la Constitution.
25. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 2 est contraire à la Constitution.
- Sur l’article 3 :
26. L’article 3 complète l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’autoriser le relevé des empreintes digitales et la prise de photographies d’un étranger, sans son consentement, lors de son placement en rétention administrative.
27. Les députés requérants soutiennent que l’article 3 n’aurait pas sa place dans la loi au motif qu’il aurait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.
28. Les députés auteurs de la première saisine font en outre valoir que ces dispositions ne seraient pas entourées de garanties suffisantes, faute de limiter le recours à la contrainte à la démonstration qu’il constitue l’unique moyen d’identification de la personne placée en rétention et, pour les mineurs concernés, de prévoir la présence d’un représentant légal ou d’un adulte approprié. Les députés auteurs de la seconde saisine reprochent par ailleurs à ces dispositions de ne pas être subordonnées à la suspicion de commission d’une infraction. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance de la liberté personnelle.
29. Les députés auteurs de la seconde saisine soutiennent en outre que le recueil de données biométriques sans l’accord de l’intéressé méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée.
. En ce qui concerne la place de l’article 3 dans la loi déférée :
30. En premier lieu, aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions qui sont introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Selon une jurisprudence constante, il s’assure dans ce cadre de l’existence d’un lien entre l’objet de l’amendement et celui de l’une au moins des dispositions du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Il ne déclare des dispositions contraires à l’article 45 de la Constitution que si un tel lien, même indirect, ne peut être identifié. Il apprécie l’existence de ce lien après avoir décrit le texte initial puis, pour chacune des dispositions déclarées inconstitutionnelles, les raisons pour lesquelles elle doit être regardée comme dépourvue de lien même indirect avec celui-ci. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.
31. La loi déférée, qui comporte neuf articles, a pour origine la proposition de loi déposée le 3 février 2025 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie. Cette proposition comportait deux articles.
32. Son article 1er étendait le régime dérogatoire de rétention administrative aux étrangers faisant l’objet d’une condamnation pénale au titre de certaines infractions graves. Son article 2 conférait un caractère suspensif à l’appel interjeté contre la décision mettant fin à la rétention administrative de ces mêmes étrangers.
33. L’article 3 de la loi déférée autorise, lors d’une décision de placement en rétention administrative d’un étranger, le relevé, sans son consentement, de ses empreintes digitales et la prise de photographies.
34. Introduites en première lecture, ces dispositions ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles de l’article 1er de la proposition de loi initiale visant à étendre le régime dérogatoire de rétention administrative aux étrangers faisant l’objet d’une condamnation pénale au titre de certaines infractions graves.
35. Le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution doit donc être écarté.
36. Il en résulte que l’article 3 a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté personnelle :
37. Il résulte des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration de 1789 le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.
38. Aux termes de l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la décision de placement en rétention est prise par l’autorité administrative, après l’interpellation de l’étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l’expiration de sa garde à vue, ou à l’issue de sa période d’incarcération en cas de détention.
39. En application des dispositions contestées, lorsqu’un étranger faisant l’objet d’une décision de placement en rétention administrative refuse qu’il soit procédé au relevé de ses empreintes digitales et à la prise de photographies, ces opérations peuvent, sous certaines conditions, être effectuées sans son consentement.
40. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu faciliter l’identification des étrangers faisant l’objet d’une décision de placement en rétention administrative. Il a ainsi poursuivi l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de la sauvegarde de l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle.
41. En deuxième lieu, il ne peut être procédé au relevé d’empreintes et à la prise de photographies sans le consentement de l’intéressé que sur autorisation du procureur de la République, qui doit être saisi d’une demande motivée par l’officier de police judiciaire. Cette autorisation, qui doit figurer dans le procès-verbal, ne peut être délivrée par ce magistrat que si ces opérations constituent l’unique moyen d’identifier avec certitude un étranger faisant l’objet d’une décision de placement en rétention.
42. En troisième lieu, l’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l’agent de police judiciaire ne peut recourir à la contrainte que de manière strictement proportionnée, en tenant compte, le cas échéant, de la vulnérabilité de la personne. En outre, ces opérations ne peuvent avoir lieu qu’en présence de son avocat.
43. En dernier lieu, aux termes de l’article L. 741-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention. Dès lors, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre le recours à la contrainte pour effectuer le relevé des empreintes digitales et la prise de photographies d’un étranger mineur, y compris si celui-ci accompagne un majeur placé en rétention.
44. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté personnelle. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
45. Par conséquent, le dernier alinéa de l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaît pas non plus le droit au respect de la vie privée, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur le reste des dispositions de l’article 4 :
46. Les 1° et 2° de l’article 4 modifient l’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et abrogent l’article L. 742-5 du même code afin d’assouplir les conditions permettant au magistrat du siège du tribunal judiciaire de porter la durée de la rétention administrative d’un étranger à quatre-vingt-dix jours.
47. Les députés auteurs de la seconde saisine font valoir que ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au « principe de sûreté » et à la liberté individuelle.
48. Il en résulterait, en outre, une méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
49. Le placement en rétention d’un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe, résultant de l’article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire. Il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes à valeur constitutionnelle et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figure la liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autorité judiciaire. Les atteintes portées à l’exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
50. Le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.
51. L’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’après une première prolongation de la rétention administrative ayant porté sa durée à trente jours, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention, en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public ou lorsque la décision d’éloignement n’a pu être exécutée pour certains motifs. Dans ce cas, la durée de cette prolongation ne peut excéder trente jours, ce qui porte à soixante jours la durée maximale de la rétention.
52. L’article L. 742-5 du même code prévoit qu’à titre exceptionnel, au terme de la période de soixante jours, ce magistrat peut ordonner la prolongation de la rétention pour une nouvelle période de quinze jours, renouvelable une fois, lorsque l’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement, lorsqu’il a présenté une demande de protection contre l’éloignement ou une demande d’asile dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement ou lorsque celle-ci n’a pas pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé. Une telle prolongation peut également être prononcée en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. En application de ces dispositions, la durée maximale de la rétention peut ainsi être portée, à titre exceptionnel, à quatre-vingt-dix jours.
53. Les dispositions contestées prévoient que le magistrat peut, au terme d’une période de soixante jours de rétention, procéder à une nouvelle prolongation de la rétention pour une durée maximale de trente jours, dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 742-4, portant ainsi la durée maximale de la rétention à quatre-vingt-dix jours. Cette nouvelle prolongation de trente jours se substitue à celle de quinze jours, renouvelable une fois, prévue par l’article L. 742-5.
54. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif.
55. En deuxième lieu, d’une part, en vertu de l’article L. 741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l’administration devant exercer toute diligence à cet effet.
56. D’autre part, l’allongement de la durée de rétention au-delà de soixante jours prévue par les dispositions contestées ne peut être prononcé qu’en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public, ou lorsque la décision d’éloignement n’a pu être exécutée pour certains motifs tenant notamment à la perte ou à la destruction des documents de voyage de l’intéressé, à la dissimulation par celui-ci de son identité ou à l’obstruction volontaire faite à son éloignement.
57. En troisième lieu, la nouvelle prolongation de la rétention au-delà de soixante jours ne peut être ordonnée que par le juge judiciaire, dans les conditions définies par la loi.
58. En dernier lieu, sauf à méconnaître les exigences découlant de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient.
59. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, l’atteinte à la liberté individuelle résultant de la prolongation de trente jours au-delà d’une période de soixante jours de rétention administrative est adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public poursuivi par le législateur. Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté individuelle doit donc être écarté.
60. Il résulte de ce qui précède que le 2° de l’article 4 de la loi déférée ainsi que, sous la réserve énoncée au paragraphe 58, le dernier alinéa de l’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur l’article 5 :
61. L’article 5 modifie notamment l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de permettre à l’autorité administrative, sous certaines conditions, de placer en rétention un étranger demandeur d’asile en cas de menace à l’ordre public ou de risque de fuite.
62. Les députés auteurs de la première saisine soutiennent que l’article 5 n’aurait pas sa place dans la loi au motif qu’il aurait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.
63. Les députés requérants reprochent en outre à ces dispositions d’autoriser le placement en rétention d’un demandeur d’asile en dehors de toute mesure d’éloignement et de ne pas suffisamment définir les critères permettant à l’administration de recourir à un tel placement motivé par une menace à l’ordre public ou par un risque de fuite. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance des exigences de l’article 66 de la Constitution.
. En ce qui concerne la place de l’article 5 dans la loi déférée :
64. Introduites en première lecture, les dispositions de l’article 5 ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles de l’article 1er de la proposition de loi initiale visant à étendre le régime dérogatoire de rétention administrative aux étrangers faisant l’objet d’une condamnation pénale au titre de certaines infractions graves.
65. Le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution doit donc être écarté.
66. Il en résulte que l’article 5 a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution :
67. Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure la liberté individuelle, protégée par l’article 66 de la Constitution, qui ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
68. Selon l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’autorité administrative peut placer sous assignation à résidence le demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public. Elle peut également assigner à résidence, en cas de risque de fuite et afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande d’asile, l’étranger en situation irrégulière qui présente une demande d’asile à une autorité autre que celle mentionnée à l’article L. 521-1 du même code.
69. En application des dispositions contestées, l’autorité administrative peut également, dans ces deux cas, sous certaines conditions, placer la personne en rétention.
70. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en rétablissant une telle possibilité de placer en rétention un demandeur d’asile, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 23 mai 2025 mentionnée ci-dessus, le législateur a entendu notamment éviter que des étrangers en situation irrégulière se prévalent du droit d’asile dans le seul but de faire obstacle à leur éloignement du territoire national. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et celui de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif.
71. En deuxième lieu, d’une part, le placement en rétention d’un demandeur d’asile qui n’est titulaire d’aucun document de séjour en cours de validité et dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ne peut être décidé, sur le fondement des dispositions contestées, qu’au regard de la gravité et de l’actualité de la menace et sur la base d’une appréciation au cas par cas. Sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, ces dispositions doivent être interprétées comme imposant à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de caractériser une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’ordre public pour justifier une privation de liberté.
72. D’autre part, le placement en rétention, lorsqu’il est motivé par un risque de fuite du demandeur d’asile, ne peut intervenir qu’en cas de risque établi de fuite et afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande d’asile. Si l’article L. 523-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que ce risque peut être regardé comme établi dans certaines situations, il appartient à l’administration, en vertu des dispositions contestées, de caractériser un tel risque, sous le contrôle du juge, sur la base d’une appréciation au cas par cas. À ce titre, elle doit prendre en compte le comportement de l’intéressé, sa situation personnelle et familiale ainsi que ses garanties de représentation.
73. En dernier lieu, d’une part, le placement en rétention ne peut intervenir qu’en dernier ressort, si une mesure d’assignation à résidence n’est pas suffisante, et doit être proportionné à la menace ou au risque qui le justifie.
74. D’autre part, l’étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à l’examen de sa demande d’asile, qui est en principe examinée selon la procédure accélérée. En tout état de cause, la mesure de rétention, qui ne peut être prolongée au-delà de quarante-huit heures qu’avec l’accord du juge judiciaire, ne peut dépasser une durée de trente jours, prolongée, en cas de rejet ou d’irrecevabilité de la demande d’asile, de vingt-quatre heures pour l’examen du droit de séjour de la personne et, le cas échéant, le prononcé, la notification et l’exécution d’une décision d’éloignement.
75. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 71, l’atteinte portée à la liberté individuelle doit être regardée comme nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur.
76. Par conséquent, sous cette même réserve, la deuxième phrase du premier alinéa et la seconde phrase du second alinéa de l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
77. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive :
- l’article 1er ;
- l’article 2 ;
- le 3° de l’article 4.
Article 2. - Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- au paragraphe 58, le dernier alinéa de l’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 4 de la loi déférée ;
- au paragraphe 71, la deuxième phrase du premier alinéa et la seconde phrase du second alinéa de l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 5 de la loi déférée.
Article 3. - Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- le dernier alinéa de l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la loi déférée ;
- le 2° de l’article 4 de la loi déférée.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 août 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 7 août 2025.