LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi de programmation pour la refondation de Mayotte, sous le n° 2025-894 DC, le 16 juillet 2025, par le Premier ministre.
Il a également été saisi, le même jour, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, MM. Rodrigo ARENAS, Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Pierre-Yves CADALEN, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIRIKOU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Jean-François COULOMME, Sébastien DELOGU, Aly DIOUARA, Mmes Alma DUFOUR, Karen ERODI, Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Zahia HAMDANE, Mathilde HIGNET, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Abdelkader LAHMAR, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Aurélien LE COQ, Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Claire LEJEUNE, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Marie MESMEUR, Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mmes Sandrine NOSBÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Jean-Hugues RATENON, Arnaud SAINT-MARTIN, Aurélien SAINTOUL, Mmes Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, par Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mmes Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Léa BALAGE EL MARIKY, Delphine BATHO, Lisa BELLUCO, MM. Karim BEN CHEIKH, Benoît BITEAU, Arnaud BONNET, Nicolas BONNET, Alexis CORBIÈRE, Hendrik DAVI, Emmanuel DUPLESSY, Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, MM. Damien GIRARD, Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, MM. Tristan LAHAIS, Benjamin LUCAS, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mmes Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Boris TAVERNIER, Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET ainsi que par M. Édouard BÉNARD, Mmes Soumya BOUROUAHA, Elsa FAUCILLON, Émeline K BIDI, Karine LEBON, M. Davy RIMANE, députés.
Il a en outre été saisi, le 18 juillet 2025, par M. Boris VALLAUD, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, MM. Christian BAPTISTE, Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, MM. Karim BENBRAHIM, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, MM. Paul CHRISTOPHLE, Pierrick COURBON, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Mmes Dieynaba DIOP, Fanny DOMBRE COSTE, MM. Peio DUFAU, Inaki ECHANIZ, Romain ESKENAZI, Olivier FAURE, Denis FÉGNÉ, Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, MM. Emmanuel GRÉGOIRE, Jérôme GUEDJ, Stéphane HABLOT, Mmes Ayda HADIZADEH, Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Céline HERVIEU, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, MM. Gérard LESEUL, Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, MM. Philippe NAILLET, Jacques OBERTI, Marc PENA, Mmes Anna PIC, Christine PIRÈS BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Pierre PRIBETICH, Christophe PROENÇA, Mmes Marie RÉCALDE, Valérie ROSSI, Claudia ROUAUX, MM. Aurélien ROUSSEAU, Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, MM. Hervé SAULIGNAC, Arnaud SIMION, Thierry SOTHER, Mmes Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mélanie THOMIN, MM. Roger VICOT et Jiovanny WILLIAM, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code électoral ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- le code monétaire et financier ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code du travail ;
- la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ;
- la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2025-881 DC du 7 mai 2025 ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations produites par M. Olivier BITZ et Mme Agnès CANAYER, sénateurs, enregistrées le 23 juillet 2025 ;
- les observations du Gouvernement, enregistrées le 4 août 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le Premier ministre et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de son article 49. Les députés contestent la procédure d’adoption de son article 8. Ils contestent en outre la conformité à la Constitution des articles 8, 10 et 25 ainsi que de certaines dispositions des articles 5, 9, 11, 14, 15, 17, 18, 19, 21 et 23.
- Sur certaines dispositions de l’article 5 :
2. L’article 5 modifie l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif au régime spécifique à Mayotte concernant le séjour des étrangers afin de restreindre les conditions applicables aux étrangers qui sont parents d’un enfant français résidant en France ou ont des liens personnels ou familiaux en France.
3. Les députés requérants reprochent à ces dispositions d’instituer, ce faisant, une différence de traitement injustifiée entre les étrangers vivant à Mayotte et ceux présents sur le reste du territoire. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination.
4. Ils soutiennent par ailleurs qu’en privant de droit au séjour des parents d’enfants français résidant en France, ces dispositions auraient pour effet de fragiliser la situation de certaines familles et des enfants concernés. En outre, elles pourraient conduire à priver de titre de séjour et de toute possibilité de régularisation des personnes ayant des attaches personnelles ou familiales en France. Il en résulterait une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale, à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit au respect de la vie privée.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale :
5. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés, figurent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. À cet égard, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques.
6. L’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée d’un an l’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis une certaine durée. En application de l’article L. 423-8 du même code, lorsque la filiation est établie par reconnaissance, l’étranger doit, pour obtenir une telle carte de séjour, justifier non seulement de sa contribution effective mais également de celle de l’autre parent auteur de la reconnaissance. À défaut, le droit au séjour de l’intéressé s’apprécie, selon le second alinéa de cet article, au regard du respect de sa vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
7. Par ailleurs, en vertu de l’article L. 423-23, se voit également délivrer une carte de séjour temporaire d’un an l’étranger qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus.
8. La condition prévue à l’article L. 412-1, qui subordonne la première délivrance d’un titre de séjour à la production par l’étranger d’un visa de long séjour, n’est pas opposable aux étrangers sollicitant une carte de séjour temporaire en application des articles L. 423-7 et L. 423-23.
9. Enfin, selon l’article L. 423-10, a droit à une carte de résident d’une durée de dix ans l’étranger qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » ou d’une carte de séjour pluriannuelle, sous réserve qu’il continue de remplir les conditions prévues pour l’obtention de cette carte de séjour.
10. L’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile instaure des conditions spécifiques à Mayotte pour la délivrance de ces titres de séjour à l’étranger parent d’enfant mineur français résidant en France et à l’étranger qui dispose de liens personnels et familiaux en France.
11. Les dispositions contestées ajoutent de nouvelles conditions à celles prévues à cet article. D’une part, la première délivrance d’une carte de séjour temporaire sur le fondement des articles L. 423-7 et L. 423-23 est désormais subordonnée à la production d’un visa de long séjour. D’autre part, pour l’application de l’article L. 423-8, la preuve de la contribution effective de l’autre parent ne peut, à Mayotte, être apportée que par des justificatifs nominatifs et les dispositions permettant, à défaut d’une telle preuve, d’apprécier le droit au séjour de l’intéressé au regard du respect de sa vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant ne sont pas applicables. Enfin, la durée de résidence requise pour l’obtention d’une carte de résident en qualité de parent d’enfant français est portée à cinq ans et une condition nouvelle de sept ans de résidence habituelle à Mayotte est instituée pour la délivrance d’une carte de séjour temporaire fondée sur les liens personnels et familiaux de l’étranger en France.
12. En premier lieu, d’une part, en subordonnant à de telles conditions la délivrance de titres de séjour à Mayotte, le législateur a poursuivi l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière qui participe de la sauvegarde de l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle.
13. D’autre part, la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé d’enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est ainsi soumise à des flux migratoires très importants.
14. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne modifient pas, pour la première délivrance d’une carte de séjour temporaire en application des articles L. 423-7 et L. 423-23, les conditions tenant soit au lien de filiation avec un enfant français résidant en France et à la contribution à son entretien et son éducation, soit à l’existence de liens personnels et familiaux en France.
15. Toutefois, si elles imposent désormais d’établir la régularité de l’entrée sur le territoire de l’intéressé par la production d’un visa de long séjour, ces dispositions doivent être interprétées, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, comme imposant à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de délivrer un tel visa de long séjour à caractère familial lorsque l’étranger qui le sollicite satisfait aux conditions prévues à l’article L. 423-7 ou à l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers.
16. En dernier lieu, les dispositions contestées, qui ont pour seul objet de définir les conditions dans lesquelles l’étranger a droit à la délivrance d’un titre, ne font pas obstacle à l’exercice, par l’autorité administrative, du pouvoir discrétionnaire qui lui appartient, dès lors qu’aucune disposition ne le lui interdit, de régulariser la situation d’un étranger compte tenu de l’ensemble des éléments dont il justifie.
17. Par ailleurs, si ces dispositions imposent au parent d’un enfant français qui sollicite à ce titre une carte de séjour temporaire de prouver la contribution effective à l’entretien et à l’éducation de l’enfant par des justificatifs nominatifs, elles ne sauraient être interprétées, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, comme faisant obstacle à l’exercice par l’autorité administrative de son pouvoir discrétionnaire afin de régulariser la situation d’un étranger au regard des éléments, même non nominatifs, qu’il a produits.
18. Dès lors, sous les réserves énoncées aux paragraphes 15 et 17, les dispositions contestées ne procèdent pas à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du grief tiré de la méconnaissance de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
19. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
20. Aux termes du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
21. Les dispositions contestées prévoient de nouvelles conditions d’accès au séjour applicables spécifiquement à Mayotte. Elles instituent ainsi une différence de traitement entre les étrangers, au regard du droit au séjour, selon qu’ils résident à Mayotte ou sur le reste du territoire de la République.
22. En premier lieu, les circonstances décrites au paragraphe 13 constituent, comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 6 septembre 2018 et du 7 mai 2025 mentionnées ci-dessus, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l’immigration irrégulière à Mayotte, d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers.
23. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte de ce que l’immigration irrégulière à Mayotte pouvait être favorisée par la perspective d’une régularisation pour motif familial.
24. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne remettent pas en cause le droit au séjour découlant de la situation de parent d’enfant français résidant en France ou de l’existence de liens personnels et familiaux en France.
25. Dès lors, en soumettant à des conditions plus restrictives, sur le territoire de Mayotte, le droit au séjour des étrangers concernés, ces dispositions instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi.
26. En dernier lieu, les dispositions contestées sont applicables à l’ensemble des étrangers vivant à Mayotte, quelle que soit leur nationalité ou leur origine géographique. Elles n’instituent donc aucune discrimination contraire à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution.
27. Il résulte de ce qui précède que le législateur n’a méconnu ni le principe d’égalité devant la loi, ni les exigences découlant de l’article 1er de la Constitution. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.
28. Par conséquent, sous les réserves énoncées aux paragraphes 15 et 17, le 1° AA, les mots « et, à la fin, les mots : “, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1” sont supprimés » figurant au 8° bis, ainsi que les 8° ter, 8° quater et 10° bis de l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur l’article 8 :
29. L’article 8 insère un nouveau 13° bis au sein de l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’adapter, à Mayotte, la condition prévoyant que l’étranger doit disposer d’un logement normal pour bénéficier du droit au regroupement familial.
30. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent tout d’abord que l’article 8 n’aurait pas sa place dans la loi au motif qu’il aurait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.
31. Rejoints par les députés auteurs de la troisième saisine, ils reprochent en outre à ces dispositions de ne pas suffisamment tenir compte des conditions de logement à Mayotte et de priver ainsi du droit au regroupement familial une grande partie des étrangers qui devraient pouvoir en bénéficier. Il en résulterait une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale.
32. Les députés auteurs de la troisième saisine font par ailleurs valoir que, pour les mêmes motifs, ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi ainsi que l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
. En ce qui concerne la place de l’article 8 dans la loi déférée :
33. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions qui sont introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Selon une jurisprudence constante, il s’assure dans ce cadre de l’existence d’un lien entre l’objet de l’amendement et celui de l’une au moins des dispositions du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Il ne déclare des dispositions contraires à l’article 45 de la Constitution que si un tel lien, même indirect, ne peut être identifié. Il apprécie l’existence de ce lien après avoir décrit le texte initial puis, pour chacune des dispositions déclarées inconstitutionnelles, les raisons pour lesquelles elle doit être regardée comme dépourvue de lien même indirect avec celui-ci. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.
34. La loi déférée, qui comporte 54 articles répartis en six titres, a pour origine le projet de loi déposé le 22 avril 2025 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie. Ce projet comportait 34 articles répartis en six titres.
35. Son titre Ier exposait, au moyen d’un rapport figurant en annexe du projet de loi, les moyens mis en œuvre pour la refondation de Mayotte.
36. Son titre II comprenait des dispositions subordonnant la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à la condition d’une entrée régulière et d’une durée de résidence habituelle à Mayotte et modifiant les délais de résidence permettant l’obtention de certaines cartes de séjour ou de résident. Il comportait en outre des dispositions visant à centraliser l’établissement des actes de reconnaissance de paternité et de maternité dans la commune de Mamoudzou, à allonger les durées des sursis à enregistrement prononcés par le procureur de la République en cas de suspicion de reconnaissance frauduleuse d’un enfant, à aggraver la peine d’amende encourue en cas de reconnaissance frauduleuse de paternité ou de maternité, à limiter le bénéfice de l’aide au retour volontaire et à la réinsertion, à permettre le placement d’un étranger accompagné d’un mineur dans une unité familiale pour la rétention des mineurs, à autoriser le retrait d’un document de séjour à l’étranger majeur exerçant l’autorité parentale sur un étranger mineur lorsque le comportement de ce dernier constitue une menace pour l’ordre public, à prévoir une mesure de vigilance relative à la vérification de la régularité du séjour sur le territoire national d’un étranger avant de procéder à une opération de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces, et à élargir la liste des agents assermentés habilités à constater l’édification d’un local ou d’une installation sans droit ni titre.
37. Son titre III comprenait des dispositions créant un régime de visite domiciliaire aux fins de recherche d’armes, encadrant la remise d’armes à l’autorité administrative, et autorisant les officiers de police judiciaire à traverser un lieu privé constituant un habitat informel et affecté à un usage d’habitation.
38. Son titre IV comportait des dispositions visant à adapter celles relatives au recensement de la population à Mayotte, à organiser les modalités de convergence du droit applicable en matière de droits sociaux à Mayotte avec le droit applicable sur le reste du territoire national, à prévoir la mise en place d’un régime complémentaire de retraite à Mayotte, à modifier la référence retenue pour l’autorisation d’ouverture d’une pharmacie d’officine à Mayotte, à prévoir la représentation de professionnels mahorais au sein de l’union régionale des professionnels de santé de l’océan indien, à autoriser le recours à la procédure de prise de possession anticipée pour la construction d’infrastructures essentielles à Mayotte, à y adapter les règles de la prescription acquisitive, à assouplir les procédures en matière de construction scolaire, à créer une zone franche globale à Mayotte, à prévoir le zonage de tout le territoire mahorais en quartiers prioritaires de la politique de la ville, à autoriser la chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture à Mayotte à déléguer ses compétences en matière de pêche et de conchyliculture, à conférer au Département-Région de Mayotte les mêmes compétences en matière de développement des sports de nature que les autres départements, à prévoir la prise en charge à titre dérogatoire d’élèves de l’enseignement technique ou professionnel, à créer un fonds de soutien au développement des activités périscolaires à Mayotte, à permettre aux fonctionnaires de l’État affectés à Mayotte de bénéficier d’une priorité de mutation au retour et à proposer une bonification d’ancienneté pour l’avancement d’échelon des fonctionnaires de l’État et hospitaliers affectés à Mayotte.
39. Son titre V comprenait des dispositions habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour moderniser le fonctionnement institutionnel de la collectivité, instituant un scrutin de liste dans une circonscription électorale unique pour l’élection de 52 conseillers à l’assemblée de Mayotte et modifiant le nom de la collectivité de Mayotte.
40. Son titre VI prévoyait les dispositions transitoires et d’entrée en vigueur du texte.
41. Introduites en première lecture, les dispositions de l’article 8 ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles de l’article 2 du projet de loi initial subordonnant notamment la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à la condition d’une entrée régulière et d’une durée de résidence habituelle à Mayotte.
42. Le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution doit donc être écarté.
43. Il en résulte que l’article 8 a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale :
44. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. À cet égard, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national.
45. L’article L. 434-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fixe les conditions auxquelles un étranger, qui en fait la demande, peut être autorisé à être rejoint par les membres de sa famille au titre du regroupement familial. Le demandeur doit notamment justifier qu’il dispose d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique.
46. Les dispositions contestées prévoient que, pour l’application à Mayotte de cet article, ne peut être considéré comme normal un logement édifié ou occupé sans droit ni titre ou relevant de l’habitat informel.
47. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu notamment éviter l’expansion à Mayotte de l’habitat informel, qui présente des risques graves d’hygiène, de salubrité, de santé publique et d’ordre public. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
48. En deuxième lieu, le législateur peut subordonner le regroupement familial à la capacité du demandeur d’assurer aux membres de sa famille des conditions de logement normales, qui sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil.
49. Or, d’une part, les dispositions contestées se bornent à faire obstacle à ce qu’il soit fait droit aux demandes de regroupement familial présentées par des étrangers qui ne sont pas en mesure de justifier d’un titre juridique leur permettant de disposer d’un logement. Elles s’opposent également à ce que les demandeurs puissent se prévaloir d’un logement, qui, répondant à la définition du logement informel prévue par l’article 1-1 de la loi du 31 mai 1990 mentionnée ci-dessus, est dénué d’alimentation en eau potable ou de réseaux de collecte des eaux usées et des eaux pluviales, ou de voiries ou d’équipements collectifs propres à en assurer la desserte, la salubrité et la sécurité dans des conditions satisfaisantes.
50. D’autre part, l’article L. 434-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui est applicable à Mayotte, prévoit que, lorsqu’un étranger ne dispose pas encore du logement nécessaire au moment de sa demande, le regroupement familial peut néanmoins être autorisé si les autres conditions sont remplies et après que le maire a vérifié les caractéristiques du logement et la date à laquelle le demandeur en aura la disposition.
51. Dès lors, les dispositions contestées ne procèdent pas à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit de mener une vie familiale normale. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence doit donc être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
52. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
53. Selon l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
54. Il résulte de l’article L. 434-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tel qu’interprété par une jurisprudence constante du Conseil d’État, que l’étranger qui demande à être rejoint par sa famille au titre du regroupement familial doit être en mesure de justifier d’un titre juridique à disposer d’un logement. En outre, pour l’application de ces dispositions, ce logement doit répondre à des normes minimales de salubrité et de sécurité.
55. Ainsi, en adoptant les dispositions contestées, le législateur n’a fait que préciser, pour leur application à Mayotte et sans prévoir d’exigence supplémentaire, les règles de droit commun applicables sur le reste du territoire national, selon lesquelles l’étranger doit disposer d’un logement normal pour bénéficier du regroupement familial.
56. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ne peut qu’être écarté.
57. Il résulte de ce qui précède que le 13° bis de l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaît pas non plus l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 9 :
58. L’article 9 de la loi déférée rétablit, dans une nouvelle rédaction, l’article 2496 du code civil afin notamment de prévoir que les reconnaissances de paternité ou de maternité des enfants nés à Mayotte sont reçues par l’officier de l’état civil de la commune de Mamoudzou.
59. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent qu’en imposant à Mayotte que les reconnaissances de paternité et de maternité soient effectuées à Mamoudzou, ces dispositions instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les habitants de Mayotte et ceux du reste du territoire national, dès lors que, en dehors de Mayotte, de tels actes peuvent être reçus par tout officier de l’état civil. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
60. Ils font en outre valoir que ces dispositions seraient susceptibles d’empêcher ou de retarder l’établissement d’une filiation, en méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale ainsi que de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
61. En premier lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
62. Selon l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
63. En application de l’article 316 du code civil, une reconnaissance de paternité ou de maternité pour établir la filiation d’un enfant peut être faite, avant ou après la naissance de celui-ci, par un acte reçu par tout officier de l’état civil.
64. Par dérogation, les dispositions contestées prévoient que, lorsqu’elle est faite à Mayotte, une telle reconnaissance doit être reçue par l’officier de l’état civil de la commune de Mamoudzou.
65. En premier lieu, d’une part, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 13, la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé d’enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est soumise à des flux migratoires très importants. Ces circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives à l’établissement de la filiation.
66. D’une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte de la forte hausse des naissances d’enfants nés de deux parents étrangers et des reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité à Mayotte.
67. D’autre part, l’adaptation prévue par les dispositions contestées porte sur les seules règles d’établissement de la filiation par reconnaissance, lorsque cette filiation n’a pas été établie simultanément à la déclaration de la naissance de l’enfant prévue à l’article 55 du code civil auprès l’officier de l’état civil du lieu de naissance.
68. Dès lors, en exigeant que les reconnaissances de paternité ou de maternité avant ou après la naissance de l’enfant soient reçues par l’officier de l’état civil de la commune de Mamoudzou, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi.
69. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
70. En second lieu, le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
71. Les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de priver les parents de la possibilité d’établir leur lien de filiation à l’égard d’un enfant, mais simplement d’encadrer certaines modalités selon lesquelles cette filiation est établie, au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi et de la situation particulière à Mayotte.
72. Au demeurant, la commune de Mamoudzou est, en temps normal, aisément accessible depuis les différentes parties du territoire mahorais. En outre, l’établissement d’un acte de reconnaissance de paternité ou de maternité en application de l’article 316 du code civil peut être effectué à tout moment, sans être encadré par un délai déterminé.
73. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale ne peut qu’être écarté.
74. Par conséquent, le premier alinéa de l’article 2496 du code civil, qui ne méconnaît pas non plus l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur l’article 10 :
75. L’article 10 de la loi déférée rétablit, dans une nouvelle rédaction, l’article 2497 du code civil afin d’allonger, à Mayotte, la durée du sursis à l’enregistrement qui peut être décidée par le procureur de la République en cas de suspicion de reconnaissance frauduleuse d’un enfant.
76. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que ces dispositions seraient susceptibles d’empêcher ou de retarder l’établissement de la filiation d’enfants nés à Mayotte. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale ainsi que de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
77. Le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
78. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit de mener une vie familiale normale.
79. L’article 316-1 du code civil prévoit que l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que la reconnaissance d’un enfant est frauduleuse. Si le procureur de la République décide qu’il est sursis à l’enregistrement de la reconnaissance de l’enfant dans l’attente des résultats d’une enquête, la durée de ce sursis ne peut excéder un mois renouvelable une fois ou, lorsque l’enquête est menée en totalité ou en partie à l’étranger, deux mois, renouvelable une fois.
80. Dans cette hypothèse, les dispositions contestées prévoient, par dérogation, que le sursis à l’enregistrement de la reconnaissance peut être décidé pour des durées plus longues par le procureur de la République, lorsque l’enfant est né à Mayotte.
81. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu lutter contre les reconnaissances frauduleuses d’enfants nés à Mayotte afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a ainsi poursuivi un objectif de valeur constitutionnelle.
82. En second lieu, d’une part, si les dispositions contestées dérogent aux durées prévues par l’article 316-1 du code civil, le sursis à l’enregistrement de la reconnaissance d’un enfant décidé par le procureur de la République ne peut excéder une durée de deux mois, renouvelable une fois, ou, lorsque l’enquête est menée, en totalité ou en partie, à l’étranger par l’autorité diplomatique ou consulaire, une durée de trois mois, renouvelable une fois.
83. D’autre part, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 72, l’établissement d’un acte de reconnaissance de paternité ou de maternité en application de l’article 316 du code civil peut être effectué à tout moment sans être encadré par un délai déterminé.
84. En outre, le sursis à l’enregistrement de la reconnaissance d’un enfant est, en tout état de cause, sans incidence sur l’établissement du lien de filiation dans la mesure où, en vertu de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, les droits découlant de la reconnaissance remontent au jour de la naissance de l’enfant.
85. Dès lors, en allongeant les délais de sursis pouvant être prononcés par le procureur de la République en cas de suspicion de reconnaissance frauduleuse, les dispositions contestées opèrent entre, d’une part, l’objectif poursuivi par le législateur et, d’autre part, le droit de mener une vie familiale normale, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence doit donc être écarté.
86. Par conséquent, l’article 2497 du code civil, qui ne méconnaît pas non plus l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 11 :
87. L’article 11 modifie notamment l’article L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’augmenter le montant de l’amende encourue en cas de mariage frauduleux ou de reconnaissance frauduleuse d’un enfant.
88. Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent à ces dispositions de méconnaître les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
89. L’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires… ». L’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.
90. L’article L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile punit de peines d’emprisonnement et d’amende le fait, pour toute personne, de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française. Les mêmes peines sont encourues lorsque l’étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. Elles sont également applicables en cas d’organisation ou de tentative d’organisation d’un mariage ou d’une reconnaissance d’enfant aux mêmes fins.
91. En application des dispositions contestées, la peine d’amende encourue pour ces délits est portée à 75 000 euros.
92. Au regard de la nature des comportements réprimés, le législateur n’a pas institué des peines manifestement disproportionnées. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.
93. Par conséquent, les mots « 75 000 euros » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de nécessité des peines, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 14 :
94. Le paragraphe I de l’article 14 de la loi déférée insère notamment un 5° bis au sein de l’article L. 761-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’autoriser, à Mayotte, le placement en rétention dans des lieux adaptés aux familles d’un étranger accompagné d’un mineur.
95. Les députés requérants estiment que la rétention administrative d’un mineur prévue par ces dispositions méconnaîtrait, tant par elle-même qu’au regard de l’insuffisance des garanties prévues, l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et les stipulations de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
96. Ils font en outre valoir que, faute de permettre un contrôle systématique et suffisamment rapide de la mesure par l’autorité judiciaire, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif et le « droit à la sûreté ». Les députés auteurs de la troisième saisine soutiennent en outre que la notion de « lieux spécialement adaptés » serait insuffisamment déterminée. Il en résulterait une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle.
97. Enfin, selon les députés auteurs de la deuxième saisine, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les mineurs selon qu’il se trouvent sur le territoire de Mayotte ou sur le reste du territoire national.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
98. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
99. Aux termes du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
100. Selon l’article L. 741-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention.
101. Les dispositions contestées prévoient, par dérogation, la possibilité à Mayotte de placer en rétention administrative, sous certaines conditions, un étranger accompagné d’un mineur.
102. En premier lieu, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 13, la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière. En outre, un grand nombre d’entre eux est accompagné de mineurs. Cette collectivité est soumise à des flux migratoires très importants. Ces circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives à l’éloignement des étrangers du territoire et à leur rétention administrative, notamment lorsqu’ils sont accompagnés de mineurs.
103. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi entendu tenir compte de l’ampleur particulière que revêt à Mayotte l’immigration irrégulière impliquant la présence de mineurs et assurer l’exécution effective des mesures d’éloignement prises à l’encontre des personnes étrangères accompagnées de mineurs.
104. En second lieu, la possibilité de placer un étranger accompagné d’un mineur en rétention administrative est limitée au cas dans lequel l’étranger ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et lorsqu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir l’exécution de cette décision.
105. Dès lors, en prévoyant qu’un étranger accompagné d’un mineur peut, dans certains cas déterminés, être placé en rétention administrative à Mayotte, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
. En ce qui concerne les autres griefs :
106. Le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
107. Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
108. En premier lieu, le placement en rétention du mineur n’est possible que lorsque l’administration estime nécessaire de placer en rétention le majeur qu’il accompagne, dans les cas mentionnés au paragraphe 104. Il est ainsi justifié par la volonté de ne pas séparer le mineur de la personne qu’il accompagne, lorsque cette dernière est visée par une mesure d’éloignement.
109. En deuxième lieu, d’une part, ce placement ne peut intervenir que pour le temps strictement nécessaire à l’organisation de l’éloignement, qui ne peut excéder quarante‑huit heures, prolongeable une fois pour vingt-quatre heures en cas d’impossibilité matérielle de procéder à l’éloignement pour une raison étrangère à l’administration.
110. D’autre part, le mineur doit être hébergé, dans des conditions qui tiennent compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, « dans des lieux spécialement adaptés à la prise en charge des besoins de l’unité familiale » qui sont indépendants des lieux de rétention et garantissent aux membres de la famille une intimité adéquate. Ces notions ne sont ni imprécises, ni équivoques.
111. En dernier lieu, la décision de placement en rétention de l’étranger accompagné d’un mineur peut être contestée devant le magistrat du siège du tribunal judiciaire dans un délai de quarante‑huit heures. Ce magistrat statue alors, par ordonnance, dans les quarante‑huit heures suivant sa saisine.
112. Par ailleurs, sous réserve de ces adaptations, demeurent applicables les dispositions prévues aux chapitres Ier à IV du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives, notamment, au contrôle de la rétention administrative par l’autorité judiciaire.
113. Il résulte de ce qui précède que la conciliation ainsi opérée par le législateur entre, d’une part, l’intérêt qui s’attache, pour le mineur, à ne pas être placé en rétention et, d’autre part, l’inconvénient d’être séparé de celui qu’il accompagne ou les exigences de la sauvegarde de l’ordre public n’est pas contraire aux exigences constitutionnelles précitées.
114. Par conséquent, le 5° bis de l’article L. 761-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaît pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 15 :
115. L’article 15 de la loi déférée insère un nouvel article L. 441-10 au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de permettre, à Mayotte, le retrait du document de séjour de tout étranger majeur exerçant l’autorité parentale sur un étranger mineur dont le comportement constitue, dans certaines circonstances, une menace pour l’ordre public.
116. Les députés requérants soutiennent que ces dispositions permettraient de sanctionner un ressortissant étranger sur le seul fondement d’un comportement imputable à un tiers, sans que soit établie sa participation aux faits reprochés au mineur ni même sa connaissance des faits, et sans que le trouble à l’ordre public atteigne un niveau de gravité suffisant pour justifier une telle mesure. Il en résulterait une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
117. Ils font également valoir que le retrait du titre de séjour d’un parent prévu par ces dispositions aurait des conséquences excessives sur l’ensemble de la famille du mineur. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant, du droit de mener une vie familiale normale et du droit au respect de la vie privée.
118. Enfin, les députés auteurs de la troisième saisine soutiennent que, en ce qu’elles ne sont applicables qu’à Mayotte, ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi.
119. En premier lieu, l’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Selon son article 9, tout homme est « présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». Il résulte de ces articles que nul n’est punissable que de son propre fait. Ce principe s’applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
120. Les dispositions contestées permettent, à Mayotte, le retrait du document de séjour de tout étranger majeur exerçant l’autorité parentale sur un étranger mineur capable de discernement dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public, lorsque la soustraction, par l’étranger majeur, à ses obligations légales compromet la santé, la sécurité, la moralité et l’éducation de l’étranger mineur et contribue directement à ce que le comportement de celui-ci constitue une telle menace.
121. D’une part, une telle mesure, qui vise à réprimer les manquements de l’étranger majeur, constitue une sanction ayant le caractère d’une punition. D’autre part, la décision de retrait du titre de séjour de l’étranger majeur est prise en raison de la soustraction de ce dernier à certaines de ses obligations légales envers le mineur sur lequel il exerce l’autorité parentale. Ainsi, les dispositions contestées n’ont pas pour objet de sanctionner l’étranger majeur du seul fait du comportement du mineur.
122. Le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait doit donc être écarté.
123. En deuxième lieu, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, le législateur ou, dans son domaine de compétence, le pouvoir réglementaire, doivent fixer les sanctions ayant le caractère d’une punition en des termes suffisamment clairs et précis.
124. D’une part, il ressort des travaux préparatoires qu’en retenant comme condition au prononcé de cette sanction le fait pour l’étranger majeur de s’être soustrait à ses obligations légales à l’égard du mineur et de compromettre la santé, la sécurité, la moralité et l’éducation ce dernier, le législateur a entendu donner à ces dispositions la même portée que celles de l’article 227-17 du code pénal.
125. D’autre part, le retrait du document de séjour ne peut être décidé que lorsque le comportement du mineur, capable de discernement et sur lequel l’étranger majeur exerce l’autorité parentale, constitue une menace pour l’ordre public.
126. Enfin, la soustraction du majeur à ses obligations doit contribuer directement à ce que le comportement du mineur constitue une telle menace à l’ordre public. Il revient dès lors à l’autorité administrative d’établir un lien de causalité entre les agissements de l’étranger majeur détenteur de l’autorité parentale et le comportement du mineur.
127. Ainsi, ces dispositions, qui ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d’arbitraire, ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines.
128. En troisième lieu, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.
129. D’une part, le législateur a pu estimer qu’une sanction de cette nature permettait de responsabiliser les parents d’un mineur provoquant des troubles à l’ordre public et de faire cesser ces troubles. D’autre part, au regard de la nature des comportements réprimés, le législateur n’a pas institué des peines manifestement disproportionnées.
130. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines doit donc être écarté.
131. En quatrième lieu, aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le droit de mener une vie familiale normale résulte de ce même dixième alinéa.
132. D’une part, en instituant la sanction prévue par les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
133. D’autre part, une telle mesure, qui doit être motivée, ne peut être prononcée, au terme d’une procédure contradictoire, au plus tôt un mois et au plus tard six mois après que l’intéressé a reçu un avertissement préalable, et si les conditions auxquelles est subordonné le retrait du document de séjour sont toujours réunies.
134. En outre, en application des dispositions contestées, une carte de résident ou une carte de résident permanent ne peut être retirée que lorsque le comportement de l’étranger mineur constitue une menace grave pour l’ordre public, et l’étranger majeur ne peut alors faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. En cas de retrait de la carte de résident d’un étranger qui ne peut pas faire l’objet d’une décision d’expulsion, une autorisation provisoire de séjour lui est délivrée de droit et, en cas de retrait d’une carte de résident permanent, une carte de séjour temporaire lui est délivrée de droit. Un tel retrait est interdit s’agissant des cartes de résident portant la mention « résident de longue durée-UE », des cartes de résident d’une durée de dix ans délivrées aux étrangers auxquels la qualité de réfugié a été reconnue, des cartes de séjour pluriannuelles portant la mention « bénéficiaire de la protection subsidiaire » ainsi que des cartes de résident d’une durée de dix ans délivrées aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille.
135. Ce faisant, le législateur a interdit ou limité la possibilité de prononcer le retrait de certains titres de séjour en raison notamment de la durée du séjour de l’étranger en France ou de sa qualité de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire.
136. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas aux exigences précitées une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.
137. En dernier lieu, selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
138. Aux termes du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
139. D’une part, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 13, la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé d’enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est soumise à des flux migratoires très importants affectant son équilibre social et se traduisant notamment par une forte hausse de la délinquance des mineurs. Ces circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l’immigration irrégulière à Mayotte, d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives au séjour des étrangers.
140. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte de la forte proportion, à Mayotte, de mineurs étrangers auteurs d’infractions ou constituant une menace pour l’ordre public.
141. D’autre part, elles ne permettent le retrait que de certains titres de séjour et lorsque sont remplies plusieurs conditions tenant aux manquements d’un étranger majeur et au comportement du mineur.
142. Dès lors, ces dispositions instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
143. Par conséquent, l’article L. 441-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 17 :
144. Le paragraphe I de l’article 17 de la loi déférée insère un nouvel article L. 561-10-5 au sein du code monétaire et financier afin d’imposer aux prestataires de service de paiement, à Mayotte, de vérifier la régularité du séjour de certains clients étrangers réalisant une opération de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces. Il insère également un article L. 574-7 au sein du même code visant à réprimer le fait de faire procéder ou de participer à une telle opération pour le compte d’un étranger en situation irrégulière.
145. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent qu’en imposant un tel contrôle de la régularité du séjour à toute personne étrangère souhaitant procéder à une transmission de fonds à partir d’espèces, ces dispositions porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit de propriété ainsi qu’au droit au respect de la vie privée.
146. Ils font également valoir que l’infraction créée à l’article L. 574-7 du code monétaire et financier méconnaîtrait les exigences de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines, en l’absence d’exigence d’élément intentionnel suffisant et au regard de la gravité des peines encourues. Selon eux, la peine d’interdiction du territoire français instituée par les dispositions contestées porterait en outre une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.
147. Ils soutiennent enfin que ces dispositions institueraient une discrimination injustifiée dans l’accès aux services financiers et dans la répression pénale, dès lors qu’elles ne sont applicables qu’à Mayotte. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ainsi qu’une atteinte au principe d’unité de la République.
. En ce qui concerne l’article L. 561-105 du code monétaire et financier :
148. En premier lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
149. Selon l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
150. L’article L. 561-5 du code monétaire et financier prévoit notamment qu’avant d’entrer en relation d’affaires avec leur client ou de l’assister dans la préparation ou la réalisation d’une transaction, les organismes financiers procèdent à son identification ainsi que, le cas échéant, à celle du bénéficiaire effectif de l’opération, et vérifient leur identité sur présentation de tout document écrit à caractère probant.
151. Les dispositions contestées imposent à certains prestataires de services de paiement une mesure de vigilance complémentaire, à Mayotte, consistant à vérifier la régularité du séjour de leur client, s’il n’est pas ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, avant de procéder à une opération de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces. À défaut de justification de la régularité du séjour par la présentation de l’original de tout document de séjour, il est fait obstacle à cette opération.
152. En exigeant que certains clients étrangers d’établissements bancaires ou de crédit à Mayotte justifient de la régularité de leur séjour avant qu’il soit procédé à une opération de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces, les dispositions contestées instituent une différence de traitement, pour la réalisation de telles opérations, entre les ressortissants étrangers se trouvant à Mayotte et ceux se trouvant sur le reste du territoire national.
153. D’une part, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 13, la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière. Cette collectivité est soumise à des flux migratoires très importants. En outre, y sont réalisées des transactions effectuées en espèces dans une proportion plus élevée que sur le reste du territoire national. Ces circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives aux obligations de vigilance concernant les opérations de transmission de fonds.
154. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi entendu lutter contre le blanchiment de capitaux et tenir compte de ce que les transmissions de fonds en espèces peuvent servir au financement d’activités illicites, notamment celles associées à l’immigration irrégulière. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et celui de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif.
155. D’autre part, en se bornant à imposer aux établissements de paiement, de crédit et de monnaie électronique une mesure de vigilance complémentaire pour empêcher les opérations de transmission de fonds réalisées à partir d’un versement d’espèces lorsque les personnes concernées sont en situation irrégulière, les dispositions contestées ne font pas obstacle à la transmission de fonds selon d’autres modalités, y compris lorsque ces opérations ont lieu au sein des mêmes établissements.
156. Dès lors, la différence de traitement résultant de ces dispositions, qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à Mayotte, est en rapport avec l’objet de la loi.
157. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
158. En second lieu, la propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». En l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
159. Par ailleurs, la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée.
160. D’une part, les dispositions contestées se bornent à imposer à un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne la présentation de l’original d’un document de séjour avant qu’il soit procédé à une opération de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces. Ainsi, elles n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789.
161. D’autre part, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 155, ces dispositions ne font, en tout état de cause, pas obstacle à la transmission de fonds selon d’autres modalités. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété ne peut qu’être écarté.
162. Par conséquent, l’article L. 561-10-5 du code monétaire et financier, qui ne méconnaît pas non plus le droit au respect de la vie privée, est conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne l’article L. 574-7 du code monétaire et financier :
163. L’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires… ». L’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.
164. En application des dispositions contestées, est puni de six mois d’emprisonnement et d’une peine de 7 500 euros d’amende le fait de faire procéder ou de procéder, pour le compte d’un étranger en situation irrégulière, à une opération de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces aux fins de faire obstacle à l’exécution de la mesure de vigilance prévue à l’article L. 561-10-5 du code monétaire et financier. En outre, l’étranger condamné pour de tels faits encourt une peine d’interdiction du territoire français pour une durée maximale de dix ans.
165. Il ressort des travaux préparatoires qu’en instituant de telles peines, le législateur a entendu prévenir et réprimer le fait de faire obstacle à l’exécution de la mesure de vigilance incombant à certains prestataires de services financiers, qui est justifiée par les motifs mentionnés au paragraphe 154. Au regard de la nature des comportements réprimés, le législateur n’a pas institué de peines manifestement disproportionnées. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.
166. Par conséquent, l’article L. 574-7 du code monétaire et financier, qui ne méconnaît pas non plus le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale, le principe d’égalité devant la loi, le principe de nécessité des peines, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 18 :
167. L’article 18 insère notamment un article 11-2 au sein de la loi du 23 juin 2011 mentionnée ci-dessus afin d’instituer une nouvelle procédure spécifique applicable à Mayotte d’évacuation et de démolition, sur décision du représentant de l’État dans le département, des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituant un habitat informel. Il permet par ailleurs au préfet, jusqu’au 13 décembre 2034, de déroger, sous certaines conditions, à l’obligation de proposer un relogement ou un hébergement d’urgence en cas d’expulsion sur ce fondement.
168. Les députés requérants soutiennent qu’en réduisant le délai d’exécution volontaire pour les occupants de ce type d’habitat, en permettant de déroger à l’obligation de proposer un relogement et en élargissant la liste des agents habilités pour constater ces constructions sans droit ni titre, ces dispositions seraient de nature à priver de logement des personnes se trouvant en grande précarité. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du principe de l’inviolabilité du domicile.
169. En outre, selon eux, en permettant au préfet de déroger à l’obligation de proposer un relogement jusqu’en 2034, sans exiger de justification particulière ni définir précisément les « circonstances locales » auxquelles la dérogation est subordonnée, ces dispositions laisseraient une marge d’appréciation trop importante à l’administration. Il en résulterait une méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ainsi que de l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.
170. Enfin, pour les mêmes motifs, les dispositions contestées seraient, selon eux, contraires au droit de propriété.
171. En vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Dans le cadre de cette mission, il appartient au législateur d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré.
172. Par ailleurs, les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent l’inviolabilité du domicile et le respect de la vie privée protégés par l’article 2 de la Déclaration de 1789, doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnées à cet objectif.
173. Selon le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Le onzième alinéa de ce Préambule dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle.
. En ce qui concerne le paragraphe I de l’article 11-2 de la loi du 23 juin 2011 et le paragraphe II de l’article 18 de la loi déférée :
174. Les dispositions contestées prévoient qu’à Mayotte, le représentant de l’État dans le département peut, par arrêté, ordonner aux occupants de certaines constructions constituant un habitat informel d’évacuer les lieux et, aux propriétaires, de procéder à leur démolition à l’issue de l’évacuation.
175. En outre, jusqu’au 13 décembre 2034, le préfet peut, sous certaines conditions, déroger à l’obligation d’annexer à cet arrêté une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence.
176. En premier lieu, il résulte des travaux préparatoires qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, compte tenu du phénomène massif d’habitat informel illicite à Mayotte, renforcer les pouvoirs de police administrative du préfet afin de mieux répondre aux risques qui en découlent d’atteintes à la propriété, de troubles à l’ordre public, ainsi que de menaces pour la santé et la salubrité publiques. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
177. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne concernent que des locaux ou installations qui, relevant de l’habitat informel au sens du deuxième alinéa de l’article 1-1 de la loi du 31 mai 1990, sont dénués d’alimentation en eau potable ou de réseaux de collecte des eaux usées et des eaux pluviales, ou de voiries ou d’équipements collectifs propres à en assurer la desserte, la salubrité et la sécurité dans des conditions satisfaisantes.
178. Par ailleurs, en visant de tels locaux ou installations qui forment un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d’assiette, le législateur a limité l’application de ces dispositions aux regroupements dans un même périmètre de constructions occupées sans droit ni titre constituant un secteur d’habitat informel.
179. En troisième lieu, d’une part, l’évacuation et la destruction de ces constructions ne peuvent être ordonnées par le représentant de l’État dans le département que lorsqu’elles présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
180. D’autre part, le représentant de l’État dans le département ne peut prescrire une telle mesure qu’après un rapport motivé établi par les services chargés de l’hygiène et de la sécurité.
181. En outre, une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence doit être annexée à l’arrêté préfectoral. Si les dispositions contestées permettent au préfet, jusqu’au 13 décembre 2034, correspondant au dixième anniversaire du passage du cyclone Chido à Mayotte, de déroger à cette obligation, de manière motivée, compte tenu des circonstances locales, elles ne sauraient toutefois, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, autoriser une telle dérogation qu’en cas d’impossibilité matérielle établie par l’administration et résultant des conséquences de cet événement climatique.
182. En dernier lieu, d’une part, l’arrêté du préfet est notifié à l’occupant, ainsi qu’au propriétaire, le cas échéant par voie d’affichage en mairie et sur la façade des lieux concernés lorsque celui-ci n’a pas pu être identifié.
183. Par ailleurs, d’autre part, les obligations d’évacuer et de démolir les locaux et installations concernés ne peuvent faire l’objet d’une exécution d’office avant l’expiration du délai d’au moins quinze jours accordé aux occupants et aux propriétaires pour y procéder volontairement.
184. Enfin, la procédure peut être contestée, dans ce même délai, par un recours suspensif devant le tribunal administratif.
185. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 181, le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du principe de l’inviolabilité du domicile, ainsi que de l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent, doivent donc être écartés.
186. Par conséquent, le paragraphe I de l’article 11-2 de la loi du 23 juin 2011 ainsi que, sous la réserve énoncée au paragraphe 181, le paragraphe II de l’article 18 de la loi déférée, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne le paragraphe II de l’article 11-2 de la loi du 23 juin 2011 :
187. En application des dispositions contestées, lorsqu’il est constaté, par procès-verbal, qu’une construction a été édifiée depuis moins de sept jours sans droit ni titre dans un secteur d’habitat informel, le représentant de l’État dans le département peut, par arrêté, ordonner au propriétaire de procéder à sa démolition dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l’acte.
188. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre au préfet de mettre fin en urgence à un habitat informel illicite de construction récente. Ce faisant, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 176, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
189. En second lieu, d’une part, une telle mesure est soumise aux mêmes conditions que celles énoncées aux paragraphes 177 à 179 et les occupants et propriétaires bénéficient des mêmes garanties que celles mentionnées aux paragraphes 182 et 184.
190. D’autre part, cette mesure ne peut être ordonnée que lorsque la construction sans droit ni titre édifiée depuis moins de sept jours dans un secteur d’habitat informel a été constatée par procès-verbal par un agent public assermenté et habilité.
191. En outre, en présence d’un occupant, un délai d’au moins quinze jours est accordé à celui-ci pour évacuer spontanément les lieux. L’arrêté du préfet ne peut faire l’objet d’une exécution d’office avant l’expiration de ce délai.
192. Dès lors, le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les exigences constitutionnelles précitées. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du principe de l’inviolabilité du domicile doivent ainsi être écartés.
193. Par conséquent, le paragraphe II de l’article 11-2 de la loi du 23 juin 2011, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 19 :
194. L’article 19 insère, au sein du chapitre II du titre IV du livre III du code de la sécurité intérieure relatif aux dispositions particulières à Mayotte, une nouvelle section intitulée « Visites et saisies » et comprenant les articles L. 342-2 à L. 342-8. Ces dispositions prévoient un régime spécifique à Mayotte de visite aux fins de saisie des armes et objets dangereux dans le but de prévenir des troubles graves à l’ordre public.
195. Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent à ces dispositions d’instituer un dispositif dérogatoire de visite domiciliaire qui ne serait ni nécessaire, compte tenu du régime de droit commun de la perquisition, ni proportionné, eu égard tant à son champ d’application qu’à l’absence, à Mayotte, de risque particulier d’atteinte à l’ordre public lié à la présence d’armes. Il en résulterait une atteinte disproportionnée au principe de l’inviolabilité du domicile ainsi que, pour les mêmes motifs, au principe d’égalité devant la loi.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de l’inviolabilité du domicile :
196. La liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile.
197. Il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice de ces droits et libertés constitutionnellement garantis.
198. Les articles L. 342-2 à L. 342-8 du code de la sécurité intérieure instituent un régime de visite aux fins de saisie d’armes et objets dangereux à des fins de prévention de troubles graves à l’ordre public résultant de violences commises sous la menace ou avec usage d’une arme. En particulier, l’article L. 342-2 définit les conditions dans lesquelles ces visites et saisies peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention. L’article L. 342-3 détermine les modalités de mise en œuvre de ces visites domiciliaires. L’article L. 342-4 prévoit les conditions dans lesquelles la décision du juge autorisant ces visites et saisies peut être contestée.
199. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en créant un régime propre à Mayotte de visite domiciliaire aux fins de saisie d’armes, le législateur a entendu permettre d’y prévenir des troubles graves à l’ordre public face à une recrudescence de groupements violents dans les secteurs d’habitat informel. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public.
200. En deuxième lieu, d’une part, en vertu des dispositions contestées de l’article L. 342-2 du code de la sécurité intérieure, les visites et les saisies concernées ne peuvent être autorisées que si les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public résultant de violences commises sous la menace ou avec usage d’une arme.
201. D’autre part, elles sont applicables à tout lieu lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il est fréquenté par une personne susceptible de participer à ces troubles. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, permettre une visite d’un lieu qu’à la condition qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne qui s’y trouve constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.
202. En outre, la visite ne peut être autorisée qu’aux seules fins de saisie, en vue de leur destruction, d’armes, de munitions ou de leurs éléments relevant des catégories A à D ainsi que des objets susceptibles de constituer une arme dangereuse pour la sécurité publique.
203. En troisième lieu, le législateur a soumis ces visites et saisies à l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, qui doit être saisi par une requête motivée du préfet et statuer par une ordonnance écrite et motivée, après avis du procureur de la République. Cette ordonnance précise notamment les lieux visés ainsi que les agents habilités à cette fin et prévoit la faculté pour l’occupant ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix.
204. Dans ce cadre, d’une part, ces visites et saisies ne peuvent concerner ni les lieux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, ni les domiciles des personnes concernées.
205. D’autre part, lorsque le lieu visé par la visite est enclavé et inaccessible depuis la voie publique du fait de la présence de locaux constituant un habitat informel, ces derniers ne peuvent être traversés que sur autorisation du juge et aux seules fins de rejoindre le lieu de la visite.
206. En outre, la visite est effectuée en présence de l’occupant ou de son représentant, qui peut se faire assister d’un conseil de son choix. En son absence, les agents ne peuvent procéder à la visite qu’en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous leur autorité. Cette visite ne peut par ailleurs être commencée avant 6 heures ni après 21 heures, sauf autorisation expresse du juge fondée sur l’urgence ou les nécessités de l’opération.
207. En dernier lieu, la personne intéressée peut former appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le président de la chambre de l’instruction.
208. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 201, le législateur a ainsi assuré une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
209. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
210. Aux termes du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
211. En prévoyant un régime de visite domiciliaire aux fins de saisie d’armes qui lui est spécifique, les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les personnes vivant à Mayotte et celles qui résident sur le reste du territoire de la République.
212. En premier lieu, les circonstances décrites au paragraphe 199 constituent des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre les groupements armés à Mayotte, d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives aux visites et saisies.
213. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte de ce que la présence et la circulation d’armes, et notamment d’armes blanches, pouvaient être facilitées à Mayotte par l’importance des secteurs d’habitat informel rendant les lieux concernés plus difficiles d’accès.
214. En second lieu, en application de ces dispositions, les visites et saisies concernées demeurent soumises à l’autorisation de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et le déroulement des mesures autorisées est assorti de garanties procédurales appropriées.
215. Ainsi, en instituant à Mayotte un régime dérogatoire de visite aux fins de saisie d’armes ou objets dangereux, ces dispositions instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi.
216. Dès lors, le législateur n’a pas méconnu le principe d’égalité devant la loi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté.
217. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 201, le premier alinéa de l’article L. 342-2 du code de la sécurité intérieure est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 21 :
218. L’article 21 insère un nouvel article 900-2 au sein du code de procédure pénale afin de permettre, à Mayotte, à la police judiciaire d’accéder, sous certaines conditions, aux locaux à usage professionnel situés dans un secteur d’habitat informel en vue d’y mener des opérations dans le cadre de la lutte contre le travail illégal.
219. Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent à ces dispositions de permettre à la police judiciaire de s’introduire dans des locaux qui constituent des domiciles. En autorisant un tel accès pour une période de quinze jours sans condition tenant aux nécessités de l’enquête ou à un trouble à l’ordre public et par une décision du juge qui n’est pas susceptible d’un recours suspensif, elles porteraient, selon eux, une atteinte disproportionnée au principe de l’inviolabilité du domicile.
220. Il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figurent le droit au respect de la vie privée et le principe de l’inviolabilité du domicile garantis par l’article 2 de la Déclaration de 1789.
221. L’article 78-2-1 du code de procédure pénale habilite, sous certaines conditions, la police judiciaire à entrer dans les lieux à usage professionnel ainsi que dans leurs annexes et dépendances, sauf s’ils constituent un domicile, en vue de s’assurer que les activités qui y sont exercées ont donné lieu à immatriculation ainsi qu’aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et l’administration fiscale.
222. Par dérogation, à Mayotte, les dispositions contestées permettent à la police judiciaire, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, d’accéder à des locaux constituant un habitat informel aux fins de mener de telles opérations dans des lieux à usage professionnel.
223. Eu égard à la nécessité de lutter contre le travail illégal et aux spécificités tenant au développement à Mayotte d’activités informelles favorisées par l’immigration irrégulière, le législateur a pu étendre la possibilité d’opérer de telles visites à des lieux à usage professionnel se trouvant dans un secteur d’habitat informel, dès lors que le déroulement des mesures autorisées est assorti de garanties procédurales appropriées.
224. En premier lieu, le législateur a limité l’application des dispositions contestées aux seuls lieux à usage professionnel situés dans un périmètre qui comporte des locaux et des installations édifiés sans droit ni titre constituant un habitat informel et formant un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d’assiette.
225. En deuxième lieu, en application de ces dispositions, d’une part, les officiers de police judiciaire et, sur leur ordre ou sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints ne peuvent être autorisés qu’à traverser les locaux qui enclavent des lieux à usage professionnel, puis à entrer dans ces lieux y compris lorsqu’ils constituent un habitat informel. D’autre part, un tel accès est autorisé aux seules fins de procéder aux opérations mentionnées ci-dessus et pour la seule recherche des infractions visées aux articles L. 5221-8, L. 5221-11, L. 8221-1, L. 8221-2 et L. 8251-1 du code du travail. Par ailleurs, la même autorisation ne peut être donnée qu’à des fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent des pouvoirs de police judiciaire en matière de lutte contre le travail illégal.
226. En troisième lieu, d’une part, cet accès, qui doit être requis par le procureur de la République, est soumis à l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, lequel indique, dans son ordonnance, les lieux et locaux autorisés, les agents habilités à cette fin, les heures auxquelles les opérations peuvent avoir lieu, ainsi que la faculté pour l’occupant ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix.
227. D’autre part, la visite se déroule en présence de l’occupant ou, à défaut, en présence de deux témoins. Ces témoins ne sauraient être placés sous l’autorité des agents en charge de la visite.
228. En dernier lieu, la personne intéressée peut former appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le président de la chambre de l’instruction.
229. Dès lors, eu égard aux garanties procédurales instituées, le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.
230. Par conséquent, le paragraphe I de l’article 900-2 du code de procédure pénale, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 23 :
231. Le paragraphe I de l’article 23 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances certaines mesures relevant du domaine de la loi visant à rendre applicable à Mayotte, sous réserve d’adaptations, la législation en vigueur en matière sociale.
232. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que, faute de contraindre le Gouvernement à prendre ces ordonnances et, en particulier, de préciser la date de convergence envisagée pour permettre l’alignement du droit en vigueur à Mayotte avec celui applicable dans le reste du territoire, cette habilitation ne satisferait pas aux exigences de précision découlant de l’article 38 de la Constitution. Elle méconnaîtrait ainsi, selon eux, les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi.
233. Ils font en outre valoir qu’en excluant l’aide médicale de l’État du champ de l’habilitation, ces dispositions méconnaîtraient le droit à la protection de la santé.
234. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Cette disposition fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention. Toutefois, elle n’impose pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation.
235. Les dispositions d’une loi d’habilitation ne sauraient, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, méconnaître une règle ou un principe de valeur constitutionnelle. En outre, elles ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle.
236. D’une part, en habilitant le Gouvernement à adopter certaines mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour rendre applicables à Mayotte la législation en matière de prestations de sécurité sociale, d’aide sociale, de prise en charge des frais de santé, de cotisations, contributions et impositions affectées au financement des régimes de sécurité sociale, d’organisation et de gestion des régimes de sécurité sociale, d’offre de soins, de contrôles et de lutte contre la fraude, de contentieux relatifs à la sécurité sociale et à l’aide sociale, ainsi que les modalités d’intégration des contributions dues par l’employeur au titre de l’assurance chômage et les conditions d’application de certaines exonérations de cotisations et contributions patronales, le législateur, qui n’était pas tenu de définir la date d’entrée en vigueur de chacune des mesures envisagées, a suffisamment précisé les finalités des mesures susceptibles d’être prises par voie d’ordonnance ainsi que leur domaine d’intervention.
237. D’autre part, si l’article 38 de la Constitution autorise le Parlement à déléguer au Gouvernement toute matière relevant de la loi, il ne l’autorise pas à prendre des mesures dans les domaines réservés par la Constitution à la loi organique, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Dès lors, l’habilitation prévue par les dispositions contestées ne saurait autoriser le Gouvernement à prendre des mesures relevant du domaine exclusif de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale.
238. En second lieu, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé... ».
239. Selon l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles, l’aide médicale de l’État bénéficie aux personnes étrangères en situation irrégulière qui résident en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois et dont les ressources ne dépassent pas un plafond fixé par décret. En application de l’article L. 542-5 du même code, cette aide n’est pas applicable à Mayotte.
240. La seule circonstance de ne pas inclure dans le champ de l’habilitation, au nombre des prestations sociales dont la convergence est envisagée, l’aide médicale de l’État, ne constitue pas, par elle-même, une atteinte au droit à la protection de la santé résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Par suite, les dispositions contestées ne sont, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires à ce droit. Elles ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 38 de la Constitution, de respecter ce même droit. Le grief tiré de sa méconnaissance doit donc être écarté.
241. Par conséquent, le paragraphe I de l’article 23 de la loi déférée, qui ne méconnaît pas non plus le principe d’égalité devant la loi, ni le principe d’indivisibilité de la République, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur l’article 25 :
242. L’article 25 prévoit le relèvement du montant du salaire minimum de croissance net à Mayotte.
243. Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent à ces dispositions de méconnaître les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi.
244. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
245. Selon l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
246. Selon l’article L. 3423-2 du code du travail, le salaire minimum de croissance de Mayotte est fixé chaque année compte tenu de la situation économique locale. En application de ces dispositions, le montant du salaire minimum de croissance net à Mayotte s’établissait, au 1er novembre 2024, à 85 % du montant fixé sur le reste du territoire national.
247. Les dispositions contestées prévoient que le montant du salaire minimum de croissance net à Mayotte est relevé, à compter du 1er janvier 2026, pour atteindre 87,5 % de sa valeur applicable en métropole, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
248. Il ressort des travaux préparatoires qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer une convergence à moyen terme du montant du salaire minimum de croissance net à Mayotte avec celui applicable sur le reste du territoire national, sans mettre en difficulté les entreprises mahoraises.
249. Compte tenu des spécificités de la situation économique à Mayotte, il a pu maintenir, pour cette collectivité, un montant distinct, dans une certaine mesure, de celui applicable sur le reste du territoire national.
250. Ainsi, en fixant le montant du salaire minimum de croissance net à Mayotte à 87,5 % de sa valeur applicable en métropole, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui tient compte des caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité, et qui est en rapport avec l’objet de la loi. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
251. Par conséquent, l’article 25 de la loi déférée, qui ne méconnaît pas non plus le principe d’indivisibilité de la République, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 49 :
252. L’article 49 insère notamment les articles L. 558-9-2 à L. 558-9-4 au sein du code électoral afin de prévoir que l’assemblée de Mayotte, qui remplace le conseil départemental, est composée de cinquante-deux conseillers élus selon un scrutin de liste dans une circonscription électorale unique constituée de treize sections.
253. Le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de ces dispositions au regard du principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions.
. En ce qui concerne le principe de l’égalité devant le suffrage :
254. Il résulte des articles 1er, 24 et 72 de la Constitution que l’organe délibérant d’une collectivité territoriale doit être élu sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l’égalité devant le suffrage. S’il ne s’ensuit pas que la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque circonscription ou section électorale ni qu’il ne puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général, ces considérations ne peuvent toutefois intervenir que dans une mesure limitée.
255. Selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». L’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
256. Les dispositions contestées de l’article 49 insèrent un nouveau titre II bis au sein du livre VI bis du code électoral relatif à l’élection des conseillers à l’assemblée de Mayotte. Selon le nouvel article L. 558-9-2, cette assemblée est composée de cinquante-deux membres. Le nouvel article L. 558-9-3 prévoit par ailleurs que Mayotte forme une circonscription électorale unique, composée de treize sections.
257. D’une part, le nombre de sièges est réparti entre les sections, par le représentant de l’État, au plus tard le 15 janvier de l’année du renouvellement de l’assemblée de Mayotte, en fonction du dernier chiffre authentifié de la population de chaque section, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
258. D’autre part, en fixant la représentation minimale de chaque section à deux sièges, le législateur a entendu assurer une représentation équilibrée des différentes parties du territoire de Mayotte au sein de l’assemblée.
259. En outre, le rapport du nombre de sièges de chaque section à leur population ne s’écarte pas de la moyenne dans une mesure qui serait manifestement disproportionnée.
260. Dès lors, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant le suffrage.
. En ce qui concerne le pluralisme des courants d’idées et d’opinions :
261. Aux termes du troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions est un fondement de la démocratie.
262. S’il est loisible au législateur, lorsqu’il fixe les règles électorales, d’arrêter des modalités tendant à favoriser la constitution d’une majorité stable et cohérente, toute règle qui, au regard de cet objectif, affecterait l’égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée, méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, qui est un fondement de la démocratie.
263. Le nouvel article L. 558-9-4 du code électoral prévoit que l’élection des conseillers à l’assemblée de Mayotte a lieu au scrutin de liste à deux tours. Chaque liste est constituée de treize sections et comprend un nombre égal au nombre de sièges dans chaque section, augmenté de deux par section. En outre, treize sièges, répartis à raison d’un siège pour chaque section, sont attribués à la liste ayant recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour ou, si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, à celle ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés au second tour. Les autres sièges sont répartis, au sein de chaque section, entre toutes les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sur l’ensemble de la circonscription, au prorata des voix obtenues par chaque liste dans la section, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne.
264. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi un double objectif. D’une part, en remplaçant le scrutin binominal majoritaire par un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, il a entendu favoriser la représentation, au sein de l’assemblée de Mayotte, des principaux courants d’idées et d’opinions exprimés sur ce territoire. D’autre part, en prévoyant que Mayotte forme une circonscription électorale unique, composée de treize sections, il a en outre entendu assurer une représentation équilibrée des différentes parties du territoire du département au sein de l’assemblée. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.
265. En second lieu, eu égard au nombre de sections prévu par le nouvel article L. 558-9-3 du code électoral, l’attribution d’un siège par section à la liste arrivée en tête au sein de la circonscription peut avoir pour incidence, dans les sections comportant un nombre réduit de sièges, de favoriser l’attribution de l’ensemble des sièges de la section à une même liste.
266. Toutefois, un tel effet n’est susceptible de concerner qu’un nombre limité de sections, compte tenu du nombre total de conseillers de l’assemblée de Mayotte et de la répartition des sièges entre les différentes sections en fonction de la population.
267. Par ailleurs, l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si l’objectif que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi.
268. Il résulte de ce qui précède qu’en instituant un scrutin de liste pour l’élection des conseillers de l’assemblée de Mayotte et en prévoyant une circonscription unique, composée de treize sections, le législateur a retenu des modalités qui ne portent pas au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif recherché. Dès lors, ces dispositions ne méconnaissent pas cette exigence constitutionnelle.
269. Par conséquent, les articles L. 558-9-2 à L. 558-9-4 du code électoral, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
270. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- aux paragraphes 15 et 17, le 1° AA, les mots « et, à la fin, les mots : “, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1” sont supprimés » figurant au 8° bis, ainsi que les 8° ter, 8° quater et 10° bis de l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 5 de la loi déférée ;
- au paragraphe 181, le paragraphe II de l’article 18 de la loi déférée ;
- au paragraphe 201, le premier alinéa de l’article L. 342-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l’article 19 de la loi déférée.
Article 2. - Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- le 13° bis de l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’article 8 de la loi déférée ;
- le premier alinéa de l’article 2496 du code civil, dans sa rédaction issue de l’article 9 de la loi déférée ;
- l’article 2497 du code civil, dans sa rédaction issue de l’article 10 de la loi déférée ;
- les mots « 75 000 euros » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 11 de la loi déférée ;
- le 5° bis de l’article L. 761-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 14 de la loi déférée ;
- l’article L. 441-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’article 15 de la loi déférée ;
- les articles L. 561-10-5 et L. 574-7 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l’article 17 de la loi déférée ;
- les paragraphes I et II de l’article 11-2 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, dans sa rédaction issue de l’article 18 de la loi déférée ;
- le paragraphe I de l’article 900-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l’article 21 de la loi déférée ;
- le paragraphe I de l’article 23 de la loi déférée ;
- l’article 25 de la loi déférée ;
- les articles L. 558-9-2 à L. 558-9-4 du code électoral, dans leur rédaction issue de l’article 49 de la loi déférée.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 août 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 7 août 2025.