LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, sous le n° 2025-892 DC, le 15 juillet 2025, par MM. Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, MM. Karim BENBRAHIM, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, MM. Paul CHRISTOPHLE, Pierrick COURBON, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Mmes Dieynaba DIOP, Fanny DOMBRE COSTE, MM. Inaki ECHANIZ, Romain ESKENAZI, Olivier FAURE, Denis FÉGNÉ, Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, MM. Emmanuel GRÉGOIRE, Jérôme GUEDJ, Stéphane HABLOT, Mmes Ayda HADIZADEH, Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Céline HERVIEU, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, Mme Estelle MERCIER, MM. Philippe NAILLET, Jacques OBERTI, Mmes Sophie PANTEL, Anna PIC, Christine PIRÈS BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Christophe PROENÇA, Mmes Marie RÉCALDE, Claudia ROUAUX, MM. Aurélien ROUSSEAU, Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, MM. Hervé SAULIGNAC, Arnaud SIMION, Thierry SOTHER, Mmes Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mélanie THOMIN, MM. Roger VICOT et Jiovanny WILLIAM, par Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mmes Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Léa BALAGE EL MARIKY, Delphine BATHO, Lisa BELLUCO, MM. Karim BEN CHEIKH, Benoît BITEAU, Arnaud BONNET, Nicolas BONNET, Alexis CORBIÈRE, Hendrik DAVI, Emmanuel DUPLESSY, Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, MM. Damien GIRARD, Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, MM. Tristan LAHAIS, Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mmes Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Boris TAVERNIER, Nicolas THIERRY et Mme Dominique VOYNET, ainsi que par MM. Stéphane PEU, Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Julien BRUGEROLLES, Mme Émeline K BIDI, M. Marcellin NADEAU et Mme Mereana REID-ARBELOT, députés.
Il a également été saisi, le 16 juillet 2025, par MM. Mathieu DARNAUD, Jean-Claude ANGLARS, Jean BACCI, Mmes Marie-Jeanne BELLAMY, Catherine BELRHITI, Martine BERTHET, MM. Etienne BLANC, Jean-Baptiste BLANC, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, MM. François BONHOMME, Jean-Marc BOYER, Mme Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, Christian BRUYEN, Laurent BURGOA, Alain CADEC, Mmes Agnès CANAYER, Marie-Claire CARRÈRE-GÉE, Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Guillaume CHEVROLLIER, Mmes Marta de CIDRAC, Marie-Carole CIUNTU, MM. Pierre CUYPERS, Jean-Marc DELIA, Mmes Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, Sabine DREXLER, Catherine DUMAS, MM. Éric DUMOULIN, Laurent DUPLOMB, Mmes Dominique ESTROSI SASSONE, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, Agnès EVREN, MM. Gilbert FAVREAU, Christophe-André FRASSA, Fabien GENET, Mme Béatrice GOSSELIN, MM. Daniel GREMILLET, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Daniel GUERET, Jean-Raymond HUGONET, Jean-François HUSSON, Mmes Brigitte HYBERT, Corinne IMBERT, Lauriane JOSENDE, Muriel JOURDA, MM. Roger KAROUTCHI, Khalifé KHALIFÉ, Christian KLINGER, Antoine LEFÈVRE, Ronan LE GLEUT, Stéphane LE RUDULIER, Mmes Vivette LOPEZ, Viviane MALET, MM. Didier MANDELLI, David MARGUERITTE, Mmes Pauline MARTIN, Marie MERCIER, MM. Damien MICHALLET, Alain MILON, Philippe MOUILLER, Mme Anne-Marie NÉDÉLEC, MM. Louis-Jean de NICOLAY, Claude NOUGEIN, Olivier PACCAUD, Philippe PAUL, Jean-Gérard PAUMIER, Mme Annick PETRUS, M. Stéphane PIEDNOIR, Mme Frédérique PUISSAT, M. Hervé REYNAUD, Mme Marie-Pierre RICHER, MM. Bruno ROJOUAN, Stéphane SAUTAREL, Michel SAVIN, Mme Elsa SCHALCK, MM. Bruno SIDO, Jean SOL, Laurent SOMON, Francis SZPINER, Mmes Sylvie VALENTE LE HIR, Anne VENTALON, MM. Cédric VIAL et Paul VIDAL, sénateurs.
Il a en outre été saisi, le 18 juillet 2025, par Mmes Cécile CUKIERMAN, Cathy APOURCEAU-POLY, MM. Jérémy BACCHI, Pierre BARROS, Alexandre BASQUIN, Ian BROSSAT, Mmes Céline BRULIN, Evelyne CORBIÈRE NAMINZO, MM. Jean-Pierre CORBISEZ, Fabien GAY, Mme Michelle GRÉAUME, M. Gérard LAHELLEC, Mme Marianne MARGATÉ, MM. Pierre OUZOULIAS, Pascal SAVOLDELLI, Mmes Silvana SILVANI, Marie-Claude VARAILLAS et M. Robert Wienie XOWIE, par MM. Guillaume GONTARD, Guy BENARROCHE, Grégory BLANC, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Mme Antoinette GUHL, M. Yannick JADOT, Mme Monique de MARCO, M. Akli MELLOULI, Mmes Mathilde OLLIVIER, Raymonde PONCET MONGE, M. Daniel SALMON, Mmes Ghislaine SENÉE, Anne SOUYRIS et Mélanie VOGEL, ainsi que par M. Patrick KANNER, Mmes Viviane ARTIGALAS, Audrey BÉLIM, Florence BLATRIX-CONTAT, Nicole BONNEFOY, Isabelle BRIQUET, Colombe BROSSEL, Marion CANALÈS, MM. Rémi CARDON, Christophe CHAILLOU, Yan CHANTREL, Mmes Hélène CONWAY-MOURET, Karine DANIEL, MM. Jérôme DARRAS, Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Mme Frédérique ESPAGNAC, MM. Sébastien FAGNEN, Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, MM. Hervé GILLÉ, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, M. Éric KERROUCHE, Mmes Marie-Pierre de LA GONTRIE, Annie LE HOUEROU, Audrey LINKENHELD, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Jean-Jacques MICHAU, Franck MONTAUGÉ, Mme Corinne NARASSIGUIN, MM. Saïd OMAR OILI, Alexandre OUIZILLE, Mme Émilienne POUMIROL, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, MM. Pierre-Alain ROIRON, David ROS, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Simon UZENAT, Mickaël VALLET, Michel WEBER et Adel ZIANE, sénateurs.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code électoral ;
- le règlement de l’Assemblée nationale ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations produites par M. Boris VALLAUD et plusieurs députés, enregistrées le 25 juillet 2025 ;
- les observations présentées à la demande du Conseil constitutionnel par la présidente de l’Assemblée nationale, enregistrées le 28 juillet 2025 ;
- les observations du Gouvernement, enregistrées le 30 juillet 2025 ;
- les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la première saisine, enregistrées le 6 août 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, dont ils contestent la procédure d’adoption. Ils contestent en outre la conformité à la Constitution de ses articles 6 et 8, ainsi que de certaines dispositions de son article 1er.
- Sur la procédure d’adoption de la loi :
2. Les députés requérants, rejoints par les sénateurs auteurs de la deuxième saisine, soutiennent que la proposition de loi à l’origine du texte déféré était irrecevable en raison de ses effets sur les charges publiques et que ce dernier aurait été adopté selon une procédure contraire à l’article 40 de la Constitution.
3. Aux termes de l’article 40 de la Constitution : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
4. Selon l’article 89, alinéa 4, du règlement de l’Assemblée nationale, « Les dispositions de l’article 40 de la Constitution peuvent être opposées à tout moment aux propositions de loi et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies, par le Gouvernement ou par tout député. L’irrecevabilité est appréciée par le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet ».
5. Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de la question de savoir si une proposition ou un amendement formulé par un membre du Parlement a été adopté en méconnaissance de l’article 40 de la Constitution que si la question de la recevabilité de cette proposition ou de cet amendement a été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie.
6. Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, saisi par un député en application de l’article 89, alinéa 4, du règlement de l’Assemblée nationale, a considéré le 7 mars 2025 que la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille était recevable au regard de l’article 40 de la Constitution.
7. La question de la recevabilité de la proposition de loi ayant été soulevée en l’espèce devant la première chambre qui en a été saisie, il y a lieu, dès lors, d’examiner le grief.
8. Les députés requérants, rejoints par les sénateurs auteurs de la deuxième saisine, font valoir qu’en instituant deux scrutins distincts pour l’élection des membres du conseil de Paris ou du conseil municipal de Lyon ou de Marseille, d’une part, et des membres des conseils d’arrondissement de ces villes, d’autre part, la proposition de loi à l’origine du texte déféré créait ou aggravait une charge pour l’État et les collectivités territoriales.
9. Ils soutiennent en particulier que cette initiative parlementaire conduisait à dédoubler l’organisation actuelle des opérations de vote pour les élections municipales à Paris, Lyon et Marseille, à y augmenter le nombre d’élus locaux et à accroître le remboursement des dépenses électorales versé aux candidats.
10. En premier lieu, dans la mesure où, par rapport à l’état antérieur du droit, les deux scrutins se tiennent le même jour, dans les mêmes locaux, avec le concours du même personnel, l’augmentation des dépenses pouvant résulter, pour les services compétents, des tâches de gestion liées à l’organisation matérielle de ces scrutins est incertaine et n’est pas, en tout état de cause, de nature à excéder la charge de gestion.
11. En deuxième lieu, la proposition de loi déposée, qui visait uniquement à modifier le mode de scrutin applicable pour les élections municipales à Paris, Lyon et Marseille, n’avait par elle-même ni pour objet ni pour effet de modifier les règles de financement des campagnes électorales. L’augmentation des charges publiques pouvant résulter du remboursement de dépenses électorales en application de ces règles, dont le montant dépend du nombre de candidats, de leurs choix pour le financement de la campagne et du nombre de suffrages obtenu par chacun d’eux, n’était dès lors ni directe, ni certaine.
12. En dernier lieu, d’une part, la proposition de loi déposée était sans incidence sur le nombre total de membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille. D’autre part, elle ne modifiait ni les conditions de cumul de fonctions qui leur sont applicables, ni leur régime indemnitaire. Dès lors, l’augmentation des charges publiques susceptible de résulter de nouvelles possibilités de cumul de fonctions avec celles de conseiller d’arrondissement n’était ni directe, ni certaine.
13. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 1er :
14. L’article 1er modifie plusieurs dispositions du code électoral relatives au régime électoral particulier applicable aux villes de Paris, Lyon et Marseille afin, notamment, de prévoir désormais deux scrutins distincts et concomitants pour, d’une part, l’élection du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille et, d’autre part, celle des conseils d’arrondissement de ces villes.
15. En premier lieu, les sénateurs, auteurs de la troisième saisine, font valoir qu’en prévoyant l’élection des conseils d’arrondissement par un scrutin distinct de celui prévu pour le conseil de Paris ou les conseils municipaux de Lyon et de Marseille, ces dispositions auraient pour effet d’instituer une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, sans que cette création ne résulte expressément des termes de la loi. Ils reprochent en outre à ces dispositions d’avoir placé les arrondissements sous la tutelle de la commune dont ils relèvent, sans les doter d’attributions effectives, d’une liberté d’organisation ainsi que d’une autonomie financière. Les députés requérants reprochent, pour leur part, à ces dispositions d’instituer au sein d’une même collectivité territoriale deux assemblées élues de manière distincte au suffrage universel. Rejoints par les sénateurs auteurs de la deuxième saisine, ils soutiennent en outre que ces dispositions priveraient le conseil élu de la collectivité territoriale de sa capacité d’exercer l’ensemble de ses attributions effectives, en instituant au sein de la même collectivité, une concurrence entre ce conseil et des assemblées locales distinctes. Il en résulterait une méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales ainsi que du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution qui réserve au législateur la création des collectivités territoriales, et du cinquième alinéa du même article, interdisant la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre.
16. En deuxième lieu, les députés et sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant le suffrage. Ils soutiennent d’abord qu’en prévoyant une prime majoritaire dérogatoire de 25 % pour l’élection des organes délibérants des plus grandes villes de France, ces dispositions instaureraient une différence de traitement injustifiée entre communes. L’application d’une prime majoritaire différenciée aboutirait en outre, selon eux, à une élection des conseillers communautaires des métropoles du Grand-Paris et d’Aix-Marseille-Provence selon des modalités différentes, sans que cette différence de traitement soit justifiée. Les sénateurs requérants reprochent en particulier à ces dispositions de ne pas étendre le même mode d’organisation par arrondissement et le même mode d’élection à la ville de Toulouse, alors que la population de cette commune est désormais très proche de celle de la ville de Lyon.
17. En troisième lieu, les députés et les sénateurs requérants critiquent la complexité selon eux excessive des nouvelles règles électorales et des modalités de vote applicables à Paris, Lyon et Marseille. Ils soutiennent qu’en prévoyant l’organisation concomitante de plusieurs scrutins aux enjeux très différents au sein d’un même bureau de vote, ces dispositions pourraient être source d’erreur ou de confusion dans l’esprit des électeurs, notamment à Lyon où doivent en outre être élus des conseillers métropolitains. Certains d’entre eux contestent, en particulier, la possibilité que figurent sur les bulletins de vote pour l’élection des conseillers d’arrondissement le nom et la photographie d’un candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant de la commune. Il en résulterait une méconnaissance des principes de sincérité, de clarté et de loyauté du scrutin.
18. En dernier lieu, d’une part, les députés auteurs de la première saisine reprochent à ces dispositions de ne pas avoir précisé les obligations incombant aux candidats en matière de financement et de plafonnement des dépenses électorales, en particulier lorsqu’ils sont simultanément candidats aux scrutins municipal et d’arrondissement. Selon eux, le législateur aurait ainsi méconnu l’étendue de sa compétence.
19. D’autre part, les députés requérants soutiennent que, faute pour le législateur organique d’avoir procédé aux coordinations nécessaires, ces dispositions auraient pour effet de priver les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne résidant en France de la possibilité de participer, à Paris, Lyon et Marseille, au scrutin en vue de l’élection des conseillers d’arrondissement. Il en résulterait une méconnaissance des exigences de l’article 88-3 de la Constitution.
20. En outre, les sénateurs auteurs de la deuxième saisine font valoir que ces dispositions porteraient atteinte au pluralisme des courants d’idées et d’opinions, dès lors que les candidats ne disposeraient pas de la même visibilité et des mêmes moyens financiers, selon qu’ils se présentent aux élections municipales de Paris, Lyon et Marseille, ou qu’ils se présentent aux élections d’arrondissement ou aux élections d’autres communes.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l’article 72 de la Constitution :
21. Selon le premier alinéa de l’article 72 de la Constitution : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi ». Le troisième alinéa du même article dispose que ces collectivités « s’administrent librement par des conseils élus » dans les conditions prévues par la loi. Aux termes du cinquième alinéa de cet article : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».
22. En application du deuxième alinéa de l’article L. 261 et de l’article L. 271 du code électoral, dans leur rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée, à Paris, à Lyon et à Marseille, des conseillers d’arrondissement sont élus par secteur, en même temps que les membres du conseil de Paris ou du conseil municipal, par deux scrutins distincts.
23. En premier lieu, ni les dispositions de l’article 72 de la Constitution, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à la création de conseils d’arrondissement élus et de maires d’arrondissement élus dans leur sein par ces conseils.
24. Il était ainsi loisible au législateur de prévoir qu’à Paris, Lyon et Marseille, le scrutin organisé pour l’élection au suffrage universel direct des membres du conseil de Paris ou de ceux du conseil municipal de Lyon et de Marseille soit distinct de celui organisé pour l’élection des conseillers d’arrondissement.
25. En second lieu, d’une part, les arrondissements, créés par le législateur à Paris, Lyon et Marseille, qui ne possèdent ni personnalité morale, ni patrimoine propre, ne constituent pas des collectivités territoriales au sens de l’article 72 de la Constitution.
26. D’autre part, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir de nouvelles modalités de scrutin pour l’élection des conseillers de Paris et des conseillers municipaux de Lyon et Marseille, n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier la répartition des compétences dévolues, en application de l’article L. 2511-2 du code général des collectivités territoriales, respectivement, au conseil de Paris et aux conseils municipaux de Marseille et Lyon ou aux conseils d'arrondissements, pour régler les affaires de ces trois collectivités territoriales. Elles n’autorisent pas les conseils d’arrondissement à exercer des compétences dont ils ne disposeraient pas, ni à empiéter sur celles du conseil de Paris ou celles des conseils municipaux de Lyon ou de Marseille.
27. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l’article 72 de la Constitution ne peuvent qu’être écartés.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant le suffrage :
28. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
29. Il résulte de cette disposition et du troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution le principe de l’égalité devant le suffrage.
30. Le législateur compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales peut, sous réserve du respect des dispositions et principes de valeur constitutionnelle, librement modifier ces règles. La Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si les objectifs que s’est assigné le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à ces objectifs.
31. En application de l’article L. 262 du code électoral, relatif au mode de scrutin applicable à l’élection des conseillers municipaux des communes d’au moins 1 000 habitants, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir. Si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir.
32. Par dérogation, l’article L. 272-4-1 du code électoral, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi déférée, prévoit que, pour l’application de l’article L. 262 à l’élection du conseil de Paris ou du conseil municipal de Lyon ou de Marseille, le nombre de sièges attribués à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour ou à la liste qui a obtenu le plus de voix au second tour est égal au quart du nombre des sièges à pourvoir.
33. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a cherché à améliorer la représentation des diverses sensibilités politiques au sein des assemblées délibérantes de ces villes. Ce faisant, il a entendu favoriser le pluralisme des courants de pensées et d’opinions, qui est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle.
34. Or, d’une part, les villes de Paris, Lyon et Marseille se distinguent des autres communes par le nombre de leurs habitants et les règles dérogatoires de l’organisation communale auxquelles elles sont soumises. D’autre part, en application des articles L. 2512-3 et L. 2513-1 du code général des collectivités territoriales, le conseil de Paris et les conseils municipaux de Marseille et de Lyon comptent un nombre plus important de membres que les conseils municipaux des autres communes, de nature à favoriser, au sein de ces assemblées, la constitution de groupes politiques et la formation d’alliances.
35. Le législateur pouvait dès lors prévoir, pour la désignation des membres des assemblées délibérantes de ces trois villes, des règles dérogatoires du droit commun, sans avoir à les étendre à d’autres communes. La différence de traitement instituée par les dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.
36. En second lieu, aucun principe constitutionnel n’impose que les conseillers communautaires d’une même intercommunalité, qui au demeurant ne constitue pas une collectivité territoriale au sens de l’article 72 de la Constitution, soient élus selon les mêmes modalités. Dès lors, la circonstance que les conseillers communautaires des métropoles du Grand Paris et d’Aix-Marseille-Provence soient élus par des conseils eux-mêmes élus selon des règles différentes ne méconnaît pas les principes d’égalité devant la loi et devant le suffrage.
37. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent être écartés.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du principe de sincérité du scrutin :
38. Selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». Il en résulte le principe de sincérité du scrutin.
39. En premier lieu, les dispositions contestées se bornent à prévoir deux scrutins de listes concomitants en vue de la désignation, d’une part, des conseillers d’arrondissement et, d’autre part, des conseillers de Paris et des conseillers municipaux de Lyon et de Marseille. Elles n’instituent pas de règles électorales d’une particulière complexité et sont, au demeurant, justifiées par l’objectif d’intérêt général visant à permettre aux électeurs de voter directement pour les membres du conseil de Paris et du conseil municipal de Lyon et de Marseille.
40. En second lieu, ni la circonstance qu’un même candidat puisse figurer sur une liste d’arrondissement et sur la liste municipale, ni celle que le nom et la photographie du candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant de cette même commune puissent figurer sur l’ensemble des bulletins de vote, possibilité au demeurant déjà prévue par les dispositions en vigueur de l’article L. 52-3 du code électoral, ne sont, en elles-mêmes, de nature à entraîner un risque de confusion dans l’esprit des électeurs.
41. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de sincérité du scrutin doit donc être écarté.
. En ce qui concerne les autres griefs :
42. En premier lieu, en vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées locales.
43. En l’absence de disposition particulière dans la loi, le législateur a entendu renvoyer aux règles de droit commun relatives au financement et au plafonnement des dépenses de campagne prévues par le code électoral. Ces règles sont dès lors applicables, en particulier, dans le cas d’un candidat qui se présenterait à plusieurs scrutins concomitants.
44. Le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence doit donc être écarté.
45. En deuxième lieu, aux termes de l’article L.O. 271-1 du code électoral : « Lorsqu’ils sont inscrits sur la liste électorale complémentaire de la commune établie en application de l’article L.O. 227-2, les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France participent à l’élection des conseillers d’arrondissement dans les mêmes conditions que les électeurs français ».
46. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent certains requérants, les ressortissants d’un État membre de l’Union aux scrutins peuvent participer, à Paris, Lyon et Marseille, aux scrutins organisés en vue de l’élection des conseillers d’arrondissement.
47. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 88-3 de la Constitution ne peut donc qu’être être écarté.
48. En dernier lieu, aux termes du troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions est un fondement de la démocratie.
49. S’il est loisible au législateur, lorsqu’il fixe les règles électorales, d’arrêter des modalités tendant à favoriser la constitution de majorités stables et cohérentes, toute règle qui, au regard de cet objectif, affecterait l’égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée, méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions.
50. D’une part, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de conférer aux candidats figurant sur la liste municipale une visibilité ou des moyens financiers plus importants que ceux sur les listes d’arrondissement. D’autre part, l’ensemble des candidats, selon qu’ils se présentent aux élections du conseil de Paris, des conseils municipaux de Lyon et Marseille, ou aux élections des conseillers d’arrondissements, ou aux élections municipales d’autres communes, demeurent soumis aux mêmes règles encadrant le déroulement de la campagne.
51. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées.
52. Par conséquent, les mots « pour l’élection des conseillers d’arrondissement de la Ville de Paris et des communes de Lyon et de Marseille, d’un candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant de cette même commune » figurant au 1° de l’article L. 52-3 du code électoral et les mots « pour l’élection des conseillers d’arrondissement de la Ville de Paris et des communes de Lyon et de Marseille, de la photographie ou de la représentation d’un candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant de cette même commune » figurant au 2° du même article, la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 261 du même code, les mots « par deux scrutins distincts » figurant à l’article L. 271 et l’article L. 272-4-1 de ce code, qui ne méconnaissent, aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur l’article 6 :
53. L’article 6 de la loi déférée fixe les modalités d’entrée en vigueur de certaines de ses dispositions.
54. Les sénateurs auteurs de la troisième saisine reprochent à ces dispositions de prévoir une application de la réforme à trop brève échéance, sans permettre aux électeurs de s’approprier les règles relatives au scrutin, ni aux candidats de respecter celles relatives au financement de la campagne. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance du principe de sincérité, de clarté et de loyauté du scrutin.
55. Les dispositions contestées prévoient notamment que l’article 1er de la loi s’applique à compter du premier renouvellement général des conseils municipaux qui suit la promulgation de la loi.
56. Il en résulte que les nouvelles règles de scrutin pour Paris, Lyon et Marseille issues de l’article 1er de la loi s’appliqueront dès le renouvellement organisé en mars 2026.
57. Toutefois, d’une part, aucune exigence constitutionnelle n’interdit au législateur de procéder à une modification du régime électoral des membres des conseils municipaux dans l’année qui précède la date de leur renouvellement général.
58. D’autre part, le délai ainsi prévu jusqu’au déroulement des scrutins organisés selon les nouvelles règles définies à l’article 1er, qui sera supérieur à six mois, ne porte pas, par lui-même, atteinte au principe de sincérité du scrutin. Le grief tiré de sa méconnaissance doit donc être écarté.
59. Par conséquent, l’article 6 de la loi déférée, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur l’article 8 :
60. L’article 8 insère un nouvel article L. 2511-32-1 au sein du code général des collectivités territoriales, afin d’instituer, respectivement à Paris, Lyon et Marseille, une « conférence des maires » présidée par le maire de la ville, comprenant les maires d’arrondissement, et qui peut débattre de tout sujet d’intérêt municipal.
61. Les sénateurs auteurs de la deuxième saisine estiment que ces dispositions méconnaissent l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, ainsi que le principe de sincérité du scrutin.
62. Ces dispositions, qui précisent, en des termes non équivoques, l’objet, les attributions, le mode de fonctionnement et la composition de cette instance consultative ne méconnaissent pas l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
63. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté.
64. Par conséquent, l’article L. 2511-32-1 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaît pas, en tout état de cause, le principe de sincérité du scrutin, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
65. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille :
- les mots « pour l’élection des conseillers d’arrondissement de la Ville de Paris et des communes de Lyon et de Marseille, d’un candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant de cette même commune » figurant au 1° de l’article L. 52-3 du code électoral, ainsi que les mots « pour l’élection des conseillers d’arrondissement de la Ville de Paris et des communes de Lyon et de Marseille, de la photographie ou de la représentation d’un candidat désigné comme devant présider l’organe délibérant de cette même commune » figurant au 2° du même article, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée ;
- la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 261 du code électoral, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée ;
- les mots « par deux scrutins distincts » figurant à l’article L. 271 du code électoral, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée ;
- l’article L. 272-4-1 du code électoral, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi déférée ;
- l’article 6 de la loi déférée ;
- l’article L. 2511-32-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l’article 8 de la loi déférée.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 août 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 7 août 2025.