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30/07/2025 | FRANCE | N°2025-1153

France | France, Conseil constitutionnel, 30 juillet 2025, 2025-1153


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juin 2025 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 914 du 3 juin 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Grégory T. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1153 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 696-119 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n°Â

 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice pénale envi...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juin 2025 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 914 du 3 juin 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Grégory T. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1153 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 696-119 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice pénale environnementale et à la justice pénale spécialisée.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 juin 2025 ;
- les observations présentées pour le requérant par Me Pierre de Combles de Nayves, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 1er juillet 2025 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Stéphane P. par Mes François Saint-Pierre et Clémentine Vergnais, avocats au barreau de Lyon, ainsi que Me Christophe Boog, avocat au barreau de Nantes, enregistrées le 2 juillet 2025 ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par Me de Combles de Nayves, enregistrées le 13 juillet 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me de Combles de Nayves, pour le requérant, Me Vergnais, pour la partie intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 22 juillet 2025 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 23 juillet 2025 ;
- la note en délibéré présentée pour le requérant par Me de Combles de Nayves, enregistrée le 25 juillet 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 696-119 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les décisions en matière de placement, de maintien et de modification du contrôle judiciaire sont prises par le procureur européen délégué. Ces décisions peuvent être prises tant dans le cadre de la procédure prévue à l’article 696-114 que dans le cadre des procédures de convocation par procès-verbal ou de comparution à délai différé prévues aux articles 394 et 397-1-1.
« La personne placée sous contrôle judiciaire par le procureur européen délégué peut immédiatement contester cette décision devant le juge des libertés et de la détention, qui statue dans un délai maximal de soixante-douze heures sur cette contestation lors d’un débat contradictoire. Si le juge confirme le placement sous contrôle judiciaire, la personne peut faire appel de cette décision devant la chambre de l’instruction ».
 
2. Le requérant et la partie intervenante reprochent à ces dispositions de donner au procureur européen délégué le pouvoir de décider du maintien ou de la modification du contrôle judiciaire de la personne poursuivie et, à ce titre, de lui interdire de s’absenter de son domicile ou de la résidence qu’il fixe. Or, selon eux, en l’absence de limitation légale de l’amplitude horaire de cette interdiction, une telle mesure pourrait être constitutive d’une privation de liberté nécessitant l’intervention d’un juge. Il en résulterait une méconnaissance des exigences de l’article 66 de la Constitution.
3. Ils font également valoir qu’en confiant un tel pouvoir au procureur européen délégué, alors qu’il est l’autorité de poursuite, ces dispositions méconnaîtraient le principe d’impartialité des juridictions. Le requérant soutient par ailleurs que, pour les mêmes motifs, elles porteraient atteinte à la présomption d’innocence et au droit à un recours juridictionnel effectif.
4. Selon le requérant, les dispositions renvoyées instaureraient en outre une différence de traitement injustifiée selon que la décision de maintien ou de modification du contrôle judiciaire est prise par le procureur européen délégué ou, suivant la procédure de droit commun, par un juge. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ainsi que, selon la partie intervenante, du principe d’égalité devant la justice.
5. Ces griefs sont ainsi dirigés contre le pouvoir du procureur européen délégué de décider du maintien ou de la modification du contrôle judiciaire. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « de maintien et de modification » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article 696-119 du code de procédure pénale.
6. En premier lieu, aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il en résulte un principe d’impartialité, indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles.
7. En vertu de l’article 696-108 du code de procédure pénale, le procureur européen délégué est compétent, sur l’ensemble du territoire national, pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne mentionnées aux articles 4, 22, 23 et 25 du règlement européen du 12 octobre 2017 précité.
8. À ce titre, l’article 696-119 du même code donne compétence au procureur européen délégué pour placer sous contrôle judiciaire la personne mise en examen dans le cadre de la procédure d’instruction prévue à l’article 696-114 ou poursuivie suivant les procédures de convocation par procès-verbal ou de comparution à délai différé prévues aux articles 394 et 397-1-1.
9. En application des dispositions contestées, il est également compétent pour décider du maintien et de la modification du contrôle judiciaire.
10. En donnant compétence au procureur européen délégué pour décider du maintien ou d’une modification du contrôle judiciaire dans le cadre d’une procédure d’instruction, de convocation par procès-verbal ou de comparution à délai différé, les dispositions contestées confèrent à ce magistrat, par ailleurs titulaire d’attributions relevant des magistrats du parquet dans le cadre d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire, des attributions qui, hors du titre X bis du livre IV du code de procédure pénale relatif au parquet européen, relèvent du juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire. Elles n’ont toutefois ni pour objet ni pour effet de confier à ce magistrat en charge de l’action publique des fonctions de jugement. À cet égard, il ne peut être amené à statuer sur une contestation de ses décisions, laquelle relève, en vertu de l’article 186 du code de procédure pénale, de la compétence de la chambre de l’instruction.
11. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions ne peut qu’être écarté.
12. En second lieu, aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Dans l’exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d’intervention de l’autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu’il entend édicter. La liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible.
13. L’article 16 de la Déclaration de 1789 garantit le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
14. D’une part, il résulte de l’article 138 du code de procédure pénale que la personne placée sous contrôle judiciaire peut être soumise à différentes mesures restrictives de droits ou mesures de contrôle spécifiques.
15. En particulier, en application du 2° de cet article, le magistrat peut lui imposer de ne s’absenter de son domicile ou de la résidence fixée qu’aux conditions et pour les motifs qu’il détermine. Cette mesure constitue une privation de liberté lorsque l’intéressé se voit obligé de demeurer à son domicile ou dans son lieu de résidence pendant plus de douze heures par jour.
16. Si l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet, l’intervention d’un magistrat du siège est requise pour autoriser la prolongation d’une telle privation de liberté au-delà d’une certaine durée. Dès lors, sauf à méconnaître les exigences de l’article 66 de la Constitution, les dispositions contestées ne sauraient permettre au procureur européen délégué d’interdire à la personne poursuivie, par une décision de maintien ou de modification de son contrôle judiciaire, de s’absenter de son domicile ou de son lieu de résidence pendant plus de douze heures par jour sans l’autorisation du juge des libertés et de la détention.
17. D’autre part, il résulte du second alinéa de l’article 696-119 du code de procédure pénale que la personne placée sous contrôle judiciaire par le procureur européen délégué peut immédiatement contester cette décision devant le juge des libertés et de la détention, qui statue dans un délai maximal de soixante-douze heures sur cette contestation lors d’un débat contradictoire. Sauf à méconnaître l’article 16 de la Déclaration de 1789, ces dispositions doivent être interprétées comme ouvrant également le droit à la personne dont le contrôle judiciaire est maintenu ou modifié par une décision du procureur européen délégué de contester cette décision devant le juge des libertés et de la détention dans les mêmes conditions qu’une décision de placement sous contrôle judiciaire. En outre, si ce juge confirme la décision du procureur européen délégué, la personne peut faire appel de l’ordonnance du juge devant la chambre de l’instruction.
18. Il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 16 et 17, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l’article 66 de la Constitution et du droit à un recours juridictionnel effectif doivent être écartés.
19. Par conséquent, sous les réserves énoncées aux paragraphes 16 et 17, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la présomption d’innocence, ni les principes d’égalité devant la loi et devant la justice, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Sous les réserves énoncées aux paragraphes 16 et 17, les mots « de maintien et de modification » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article 696-119 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 juillet 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
 
Rendu public le 30 juillet 2025.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2025-1153
Date de la décision : 30/07/2025
M. Grégory T. [Compétence du procureur européen délégué pour décider du maintien et de la modification du contrôle judiciaire]
Sens de l'arrêt : Conformité - réserve
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 30 juillet 2025 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 30 juillet 2025 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2025-1153 QPC du 30 juillet 2025
Origine de la décision
Date de l'import : 22/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2025:2025.1153.QPC
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