LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité, sous le n° 2025-883 DC, le 15 avril 2025, par le Premier ministre.
Il a également été saisi, le même jour, par Mme Marine LE PEN, MM. Alexandre ALLEGRET-PILOT, Franck ALLISIO, Charles ALLONCLE, Maxime AMBLARD, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, Mme Anchya BAMANA, MM. Christophe BARTHÈS, Christophe BENTZ, Théo BERNHARDT, Mme Sophie BLANC, MM. Matthieu BLOCH, Frédéric BOCCALETTI, Anthony BOULOGNE, Mme Manon BOUQUIN, MM. Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Bernard CHAIX, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Éric CIOTTI, Mmes Caroline COLOMBIER, Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, MM. Marc de FLEURIAN, Hervé de LÉPINAU, Mmes Sandra DELANNOY, Sandrine DOGOR-SUCH, MM. Nicolas DRAGON, Gaëtan DUSSAUSAYE, Aurélien DUTREMBLE, Auguste EVRARD, Frédéric FALCON, Olivier FAYSSAT, Guillaume FLORQUIN, Emmanuel FOUQUART, Thierry FRAPPÉ, Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, MM. Jonathan GERY, Yoann GILLET, Christian GIRARD, Antoine GOLLIOT, Mmes Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, MM. Julien GUIBERT, Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, M. Alexis JOLLY, Mmes Tiffany JONCOUR, Sylvie JOSSERAND, M. Robert LE BOURGEOIS, Mmes Julie LECHANTEUX, Nadine LECHON, Gisèle LELOUIS, MM. Bartolomé LENOIR, Julien LIMONGI, René LIORET, Mmes Christine LOIR, Marie-France LORHO, MM. Philippe LOTTIAUX, David MAGNIER, Mme Claire MARAIS-BEUIL, MM. Pascal MARKOWSKY, Patrice MARTIN, Mmes Michèle MARTINEZ, Alexandra MASSON, MM. Bryan MASSON, Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, MM. Thomas MÉNAGÉ, Maxime MICHELET, Thibaut MONNIER, Serge MULLER, Julien ODOUL, Thierry PEREZ, Mmes Lisette POLLET, Angélique RANC, MM. Julien RANCOULE, Matthias RENAULT, Mmes Catherine RIMBERT, Laurence ROBERT-DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Sophie-Laurence ROY, Anaïs SABATINI, MM. Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Mme Anne SICARD, MM. Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean-Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE, Thierry TESSON, Lionel TIVOLI, Mme Sophie RICOURT VAGINAY, MM. Gérault VERNY, Antoine VILLEDIEU, Frédéric WEBER et Frédéric-Pierre VOS, députés.
Il a en outre été saisi, le 2 mai 2025, par MM. Jean-François LONGEOT, Mathieu DARNAUD, Mmes Cécile CUKIERMAN, Dominique ESTROSI SASSONE, M. Cédric CHEVALIER et par M. Pascal ALLIZARD, Mmes Cathy APOURCEAU-POLY, Marie-Jeanne BELLAMY, Catherine BELRHITI, Martine BERTHET, MM. Olivier BITZ, Étienne BLANC, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, M. Jean-Luc BRAULT, Mme Céline BRULIN, MM. Christian BRUYEN, Laurent BURGOA, Alain CADEC, Guislain CAMBIER, Patrick CHAIZE, Daniel CHASSEING, Patrick CHAUVET, Olivier CIGOLOTTI, Mme Marta de CIDRAC, MM. Jean-Pierre CORBISEZ, Édouard COURTIAL, Pierre CUYPERS, Mmes Laure DARCOS, Patricia DEMAS, Chantal DESEYNE, M. Alain DUFFOURG, Mmes Françoise DUMONT, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, Frédérique GERBAUD, Béatrice GOSSELIN, Nathalie GOULET, Sylvie GOY-CHAVENT, M. Jean-Pierre GRAND, Mme Michelle GRÉAUME, M. Daniel GREMILLET, Mme Pascale GRUNY, M. Daniel GUERET, Mme Christine HERZOG, M. Alain HOUPERT, Mmes Corinne IMBERT, Annick JACQUEMET, Else JOSEPH, MM. Gérard LAHELLEC, Marc LAMÉNIE, Antoine LEFÈVRE, Vincent LOUAULT, David MARGUERITTE, Mme Pauline MARTIN, MM. Pierre MÉDEVIELLE, Franck MENONVILLE, Mme Brigitte MICOULEAU, M. Albéric de MONTGOLFIER, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Philippe MOUILLER, Georges NATUREL, Mmes Anne-Marie NÉDÉLEC, Sylviane NOËL, MM. Pierre OUZOULIAS, Olivier PACCAUD, Jean-Jacques PANUNZI, Mme Vanina PAOLI-GAGIN, MM. Jean-Gérard PAUMIER, Clément PERNOT, Cédric PERRIN, Mmes Kristina PLUCHET, Frédérique PUISSAT, MM. Jean-François RAPIN, André REICHARDT, Olivier RIETMANN, Pierre-Jean ROCHETTE, Bruno ROJOUAN, Mmes Anne-Sophie ROMAGNY, Elsa SCHALCK, MM. Bruno SIDO, Laurent SOMON, Mmes Sylvie VALENTE LE HIR, Marie-Claude VARAILLAS, Sylvie VERMEILLET, MM. Pierre-Jean VERZELEN, Cédric VIAL et Paul VIDAL, sénateurs.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code électoral ;
- le règlement de l’Assemblée nationale ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations produites par Mme Nadine BELLUROT et M. Éric KERROUCHE, sénateurs, enregistrées le 9 mai 2025 ;
- les observations du Gouvernement, enregistrées le 13 mai 2025 ;
Après avoir entendu les sénateurs représentant les auteurs de la troisième saisine ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le Premier ministre, les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité. Le Premier ministre n’invoque aucun grief particulier à l’encontre de la loi déférée. Les députés et sénateurs requérants contestent la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 1er. Les sénateurs requérants contestent également la procédure d’adoption de la loi, ainsi que la procédure d’adoption de son article 7. Ils contestent en outre la conformité à la Constitution des articles 2 et 7 ainsi que de certaines dispositions de l’article 4.
- Sur la procédure d’adoption de la loi :
2. Les sénateurs requérants font valoir que les exigences constitutionnelles et organiques qui prescrivent la consultation préalable des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie auraient été méconnues dès lors que la loi déférée n’a pas été précédée de ces consultations, alors même qu’elle s’applique sur tout le territoire de la République.
3. Ils soutiennent en outre que le recours à une proposition de loi serait constitutif d’un « détournement de procédure » destiné à éluder les règles propres au dépôt d’un projet de loi et que la modification des règles applicables au scrutin municipal à moins d’une année des élections constituerait un « détournement de pouvoir ».
4. En premier lieu, il résulte des dispositions du sixième alinéa de l’article 74 de la Constitution et de l’article 90 de la loi organique du 19 mars 1999 mentionnée ci-dessus que les consultations qu’elles prescrivent préalablement au dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi ne s’imposent que pour autant que ce projet ou cette proposition comporte des dispositions particulières applicables, respectivement, aux collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et à la Nouvelle Calédonie.
5. D’une part, les dispositions de la proposition de loi déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, à l’origine de la loi déférée, ne trouvaient pas à s’appliquer dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et des îles Wallis et Futuna. D’autre part, elles n’étaient pas applicables, en l’absence de mention expresse à cette fin, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. En outre, elles ne comportaient pas de dispositions particulières applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon.
6. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des règles de procédure découlant du sixième alinéa de l’article 74 de la Constitution et de l’article 90 de la loi organique du 19 mars 1999 ne peut qu’être écarté.
7. En second lieu, d’une part, aux termes du premier alinéa de l’article 39 de la Constitution : « L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ». En l’espèce, aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n’interdisait que la loi déférée soit issue d’une proposition de loi. D’autre part, il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
8. Dès lors, les griefs tirés de ce que le dépôt et l’adoption de la proposition de loi seraient constitutifs d’un « détournement de procédure » et d’un « détournement de pouvoir » doivent, en tout état de cause, être écartés.
9. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 1er :
10. L’article 1er réécrit notamment les articles L. 252 et L. 255-2 du code électoral afin d’étendre aux communes de moins de 1 000 habitants le mode de scrutin proportionnel à prime majoritaire.
11. Les députés requérants reprochent tout d’abord à ces dispositions de supprimer la possibilité pour les candidats aux élections municipales de présenter dans ces communes des candidatures isolées, en leur imposant de déposer une liste comportant un nombre minimal de candidats. Ils soulignent également que l’exigence de parité des listes électorales ferait obstacle à la présentation d’une candidature d’un citoyen de même sexe que la moitié des personnes inscrites sur une même liste. Ils considèrent en outre que la suppression de la possibilité de panachage des listes priverait les électeurs de leur liberté de choix. Il en résulterait une méconnaissance du droit d’éligibilité des citoyens et du principe de préservation de la liberté de l’électeur garantis par l’article 3 de la Constitution et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
12. Ils soutiennent par ailleurs, rejoints par les sénateurs requérants, que, compte tenu de l’exigence de parité et du nombre de candidats requis pour constituer une liste électorale, le mode de scrutin imposé aux communes de moins de 1 000 habitants serait susceptible de priver certaines d’entre elles d’un conseil élu. Il en résulterait une méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales.
13. Selon eux, ces dispositions seraient en outre susceptibles de conduire à la constitution d’une liste unique et, ce faisant, à la mise à disposition des électeurs d’un seul bulletin de vote. Il en résulterait une méconnaissance du secret du suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution.
14. Ils soutiennent enfin qu’en ne permettant plus aux électeurs de supprimer des noms sur les listes de candidats, ces dispositions favoriseraient la réélection d’élus sortants, ce qui priverait les électeurs de toute possibilité de contrôle de leur action, en méconnaissance de l’article 15 de la Déclaration de 1789.
15. Les sénateurs requérants font, quant à eux, valoir que ces dispositions seraient en outre contraires à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu’ils demandent au Conseil de reconnaître, en vertu duquel les « petites communes » devraient être régies par des règles électorales particulières.
16. Ils soutiennent également que ces dispositions méconnaîtraient un « principe de représentation pour l’élection des conseillers municipaux » qui découlerait, selon eux, des articles 3 et 72 de la Constitution ainsi que de l’article 6 de la Déclaration de 1789, en « déformant » la représentation des citoyens au profit de l’un ou de l’autre des sexes dans des proportions de nature à nuire à l’égalité devant le suffrage.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du droit d’éligibilité et de la liberté de l’électeur ainsi que du pluralisme des courants d’idées et d’opinions :
17. D’une part, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Le législateur est compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales. Il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de l’article 6 de la Déclaration de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur.
18. Aux termes du troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions est un fondement de la démocratie.
19. D’autre part, aux termes du second alinéa de l’article 1er de la Constitution : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives... ». Il ressort de ces dispositions que le constituant a entendu permettre au législateur d’instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. À cette fin, il est loisible au législateur d’adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant. Il lui appartient toutefois d’assurer la conciliation entre cet objectif et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n’a pas entendu déroger.
20. L’article L. 252 du code électoral, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée, prévoit que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, les conseillers municipaux sont désormais élus, sous réserve de dispositions spéciales, au scrutin de liste à deux tours selon les modalités prévues pour les communes d’au moins 1 000 habitants, et non plus au scrutin majoritaire.
21. Il résulte de l’article L. 255-2 du même code, dans sa rédaction résultant du même article 1er, que les listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe.
22. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu favoriser, dans les communes de moins de 1 000 habitants, l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives afin de mettre en œuvre l’objectif de parité institué au second alinéa de l’article 1er de la Constitution.
23. Il a en outre entendu favoriser, par la généralisation du scrutin de liste, la cohésion de l’équipe municipale autour d’un projet politique défini collectivement et remédier à certains effets de seuil observés entre les communes dont la population se situe autour de 1 000 habitants. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.
24. En deuxième lieu, pour tenir compte des difficultés à composer des listes répondant à l’exigence de parité qu’il a étendue aux communes de moins de 1 000 habitants, le législateur a assorti ces dispositions de différentes mesures d’adaptation.
25. D’une part, par dérogation à la règle prévue à l’article L. 260 du code électoral selon laquelle chaque liste doit comporter au moins autant de candidats que de sièges à pourvoir, l’article L. 252 du même code prévoit que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, la liste est réputée complète si elle compte jusqu’à deux candidats de moins que l’effectif prévu à l’article L. 2121‑2 du code général des collectivités territoriales. Il s’ensuit que la déclaration de candidature d’une liste pourra être enregistrée dès lors qu’elle comportera cinq candidats au moins dans les communes de moins de 100 habitants, neuf candidats au moins dans les communes de 100 à 499 habitants et treize candidats au moins dans les communes de 500 à 999 habitants.
26. D’autre part, l’article L. 2121‑2-1 du même code, dans sa rédaction résultant de l’article 5 de la loi déférée, prévoit que, par dérogation à l’article L. 2121‑2, le conseil municipal est réputé complet dès lors qu’il compte, à l’issue du renouvellement général du conseil municipal ou d’une élection complémentaire, au moins cinq conseillers municipaux dans les communes de moins de 100 habitants, neuf conseillers dans les communes de 100 à 499 habitants et treize conseillers dans les communes de 500 à 999 habitants.
27. En dernier lieu, le législateur a étendu aux communes de moins de 1 000 habitants la règle, prévue à l’article L. 260 du code électoral, selon laquelle les listes peuvent comporter jusqu’à deux candidats supplémentaires par rapport au nombre de sièges à pourvoir, de manière à permettre le remplacement d’un conseiller municipal élu sur cette liste en cas de vacance. Il a par ailleurs maintenu le dispositif d’élections complémentaires prévu à l’article L. 258 du même code afin d’éviter à ces communes d’avoir à organiser des élections partielles intégrales.
28. Dans ces conditions, et en dépit des difficultés que pourraient rencontrer les candidats à composer des listes dans certaines communes en raison de leur faible population, le législateur a procédé à une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et le droit d’éligibilité et, d’autre part, l’objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives institué au second alinéa de l’article 1er de la Constitution. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales :
29. En vertu du troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus, dans les conditions prévues par la loi.
30. Les dispositions contestées, qui se bornent à étendre et adapter aux communes de moins de 1 000 habitants le scrutin de liste des conseillers municipaux prévu pour les communes d’au moins 1 000 habitants, n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la constitution des conseils municipaux.
31. Au demeurant, ainsi qu’il a été dit aux paragraphes 25 à 27, le législateur a prévu différentes mesures d’adaptation pour tenir compte des difficultés de constitution du conseil municipal dans ces communes de moins de 1 000 habitants.
32. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut qu’être écarté.
. En ce qui concerne les autres griefs :
33. En premier lieu, une tradition républicaine peut être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution lorsqu’elle a donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
34. Aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n’a fixé de principe selon lequel les « petites communes » devraient être régies par des règles électorales particulières.
35. Dès lors, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient un tel principe ne peut qu’être écarté.
36. En second lieu, selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».
37. Les dispositions contestées, qui se bornent à modifier le mode de scrutin des conseillers municipaux, n’ont ni pour objet ni pour effet de remettre en cause les règles organisant le déroulement des opérations de vote. Il ne saurait dès lors leur être reproché de favoriser des atteintes au secret du vote.
38. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 3 de la Constitution ne peut donc qu’être écarté.
39. Par conséquent, les articles L. 252 et L. 255-2 du code électoral, qui ne méconnaissent pas non plus, en tout état de cause, l’article 15 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur l’article 2 :
40. L’article 2 autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toutes mesures relevant du domaine de la loi afin d’étendre l’application de la loi déférée, avec les adaptations nécessaires, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Cette habilitation est donnée pour une durée de six mois.
41. Les sénateurs requérants font valoir que ces dispositions n’auraient pas été prises pour l’exécution du « programme » du Gouvernement. Selon eux, le délai d’habilitation de six mois accordé au Gouvernement permettrait la modification des règles applicables au régime électoral dans un délai trop bref avant la tenue des opérations électorales dans les collectivités concernées. Il en résulterait une méconnaissance des exigences de l’article 38 de la Constitution.
42. Aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Cette disposition fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention. Toutefois, elle n’impose pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation.
43. En premier lieu, si le premier alinéa de l’article 38 de la Constitution dispose que c’est pour l’exécution de « son programme » que le Gouvernement peut demander l’autorisation de légiférer par ordonnances, la notion de programme ne saurait s’entendre, pour la mise en œuvre de ces dispositions, comme ayant la même acception que le même terme figurant à l’article 49 de la Constitution.
44. En second lieu, aucune règle constitutionnelle ou organique n’interdit au législateur de modifier les règles électorales, y compris par voie d’ordonnance, avant la tenue d’un scrutin.
45. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 38 de la Constitution doit être écarté.
46. Par conséquent, l’article 2, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 4 :
47. Le 1° de l’article 4 modifie l’article L. 2112-3 du code général des collectivités territoriales afin de prévoir que les membres de la commission saisie pour avis sur certains projets de modification des limites territoriales d’une commune sont élus au scrutin majoritaire plurinominal, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
48. Les sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative au motif qu’elles renvoient la détermination de leurs conditions d’application à un décret en Conseil d’État.
49. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « le régime électoral … des assemblées locales » et détermine les principes fondamentaux « de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ».
50. En renvoyant à un décret en Conseil d’État la fixation des conditions dans lesquelles sont élus au scrutin majoritaire plurinominal les membres de la commission prévue par l’article L. 2112-3 du code général des collectivités territoriales, le législateur n’a, en tout état de cause, pas méconnu l’étendue de sa compétence.
51. Par conséquent, les mots « dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État » figurant au troisième alinéa de l’article L. 2112-3 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur l’article 7 :
52. L’article 7 détermine les conditions d’entrée en vigueur de la loi.
53. Les sénateurs requérants mettent en cause le déroulement de la seconde délibération de cet article lors de son examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, au motif que les débats se seraient déroulés dans la « confusion », que la demande de seconde délibération serait intervenue après l’annonce du vote sur l’ensemble du texte, et que l’amendement discuté dans le cadre de la seconde délibération n’aurait pas fait l’objet d’un rapport de la commission saisie au fond. Il en résulterait une méconnaissance de l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale et des exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires.
54. Sur le fond, ils soutiennent qu’en permettant l’entrée en vigueur de la loi à moins d’un an du prochain renouvellement général des conseils municipaux, ces dispositions seraient contraires au principe de « sécurité juridique ». Pour les mêmes motifs, ces dispositions méconnaîtraient des lignes directrices adoptées par la Commission européenne pour la démocratie par le droit et les stipulations de l’article 3 du protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
. En ce qui concerne la procédure d’adoption de l’article 7 :
55. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
56. Selon le premier alinéa de l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale, avant le commencement des explications de vote sur l’ensemble d’un projet ou d’une proposition de loi, l’Assemblée peut décider, sur la demande du Gouvernement ou d’un député, qu’il sera procédé à une seconde délibération de tout ou partie du texte. En vertu de son troisième alinéa, les textes qui font l’objet de la seconde délibération sont renvoyés à la commission, qui doit présenter, par écrit ou verbalement, un nouveau rapport.
57. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que la seconde délibération de l’article 7 a eu lieu avant le commencement des explications de vote sur l’ensemble de la proposition de loi, conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale, dans des conditions ne méconnaissant pas les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
58. En second lieu, les règlements des assemblées parlementaires n’ont pas par eux-mêmes une valeur constitutionnelle. Ainsi, la méconnaissance, à la supposer établie, des dispositions du troisième alinéa de l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale ne saurait avoir pour effet, à elle seule, de rendre la procédure législative contraire à la Constitution.
59. Par conséquent, l’article 7 a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne le fond :
60. En premier lieu, les dispositions contestées prévoient que la loi déférée s’applique à compter du premier renouvellement général des conseils municipaux suivant sa promulgation, à l’exception de son article 6 qui entre en vigueur le lendemain de sa publication.
61. Ni les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ni aucune autre exigence constitutionnelle n’interdisent au législateur de procéder à une modification du régime électoral des membres des conseils municipaux dans l’année qui précède la date de leur renouvellement général.
62. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
63. En second lieu, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international.
64. Par conséquent, l’article 7, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
65. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité :
- les articles L. 252 et L. 255-2 du code électoral, dans leur rédaction résultant de l’article 1er de la loi déférée ;
- l’article 2 de la loi déférée ;
- les mots « dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État » figurant au troisième alinéa de l’article L. 2112-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l’article 4 de la loi déférée ;
- l’article 7 de la loi déférée.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 mai 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 15 mai 2025.