LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, sous le n° 2025-881 DC, le 10 avril 2025, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, MM. Rodrigo ARENAS, Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Pierre-Yves CADALEN, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Jean-François COULOMME, Sébastien DELOGU, Aly DIOUARA, Mmes Alma DUFOUR, Karen ERODI, Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Zahia HAMDANE, Mathilde HIGNET, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Abdelkader LAHMAR, Maxime LAISNEY, Aurélien LE COQ, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Claire LEJEUNE, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Marie MESMEUR, Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mmes Sandrine NOSBÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Jean-Hugues RATENON, Arnaud SAINT-MARTIN, Aurélien SAINTOUL, Mmes Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ et M. Paul VANNIER, députés.
Il a également été saisi, le 14 avril 2025, par M. Boris VALLAUD, Mme Marie-José ALLEMAND, MM. Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, MM. Karim BENBRAHIM, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, MM. Paul CHRISTOPHLE, Pierrick COURBON, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Mmes Dieynaba DIOP, Fanny DOMBRE COSTE, MM. Peio DUFAU, Inaki ECHANIZ, Romain ESKENAZI, Olivier FAURE, Denis FÉGNÉ, Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, MM. Emmanuel GRÉGOIRE, Jérôme GUEDJ, Stéphane HABLOT, Mmes Ayda HADIZADEH, Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Céline HERVIEU, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, MM. Gérard LESEUL, Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, MM. Philippe NAILLET, Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mmes Anna PIC, Christine PIRÈS-BEAUNE, M. Dominique POTIER, Pierre PRIBETICH, Christophe PROENÇA, Mmes Marie RÉCALDE, Valérie ROSSI, Claudia ROUAUX, MM. Aurélien ROUSSEAU, Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, MM. Hervé SOLIGNAC, Arnaud SIMION, Thierry SOTHER, Mmes Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mélanie THOMIN, MM. Roger VICOT, Jiovanny WILLIAM, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mmes Christine ARRIGHI, Clémentine AUTAIN, Léa BALAGE EL MARIKY, Lisa BELLUCO, MM. Karim BEN CHEIKH, Benoît BITEAU, Arnaud BONNET, Nicolas BONNET, Alexis CORBIÈRE, Hendrik DAVI, Emmanuel DUPLESSY, Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, MM. Damien GIRARD, Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, MM. Tristan LAHAIS, Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mmes Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mmes Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Danielle SIMONNET, Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Boris TAVERNIER, Nicolas THIERRY et Mme Dominique VOYNET, députés.
Il a en outre été saisi, le 16 avril 2025, par M. Patrick KANNER, Mmes Viviane ARTIGALAS, Audrey BÉLIM, Florence BLATRIX-CONTAT, Nicole BONNEFOY, MM. Denis BOUAD, Hussein BOURGI, Mmes Isabelle BRIQUET, Colombe BROSSEL, Marion CANALÈS, M. Rémi CARDON, Mme Marie-Arlette CARLOTTI, MM. Christophe CHAILLOU, Yan CHANTREL, Thierry COZIC, Mme Karine DANIEL, M. Jérôme DARRAS, Mme Marie-Pierre de LA GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Mme Frédérique ESPAGNAC, MM. Sébastien FAGNEN, Rémi FERRAUD, Mme Corinne FERET, MM. Jean-Luc FICHET, Hervé GILLET, Mme Laurence HARRIBEY, MM. Olivier JACQUIN, Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mmes Gisèle JOURDA, Annie LE HOUEROU, Audrey LINKENHELD, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Jean-Jacques MICHAU, Mme Marie-Pierre MONIER, M. Franck MONTAUGÉ, Mme Corinne NARASSIGUIN, MM. Saïd OMAR OILI, Sébastien PLA, Mme Émilienne POUMIROL, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, MM. Pierre-Alain ROIRON, David ROS, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Lucien STANZIONE, Jean-Claude TISSOT, Simon UZENAT, Mickaël VALLET, Jean-Marc VAYSSOUZE-FAURE, Michaël WEBER et Adel ZIANE, par Mmes Cécile CUKIERMAN, Cathy APOURCEAU-POLY, MM. Jérémy BACCHI, Pierre BARROS, Alexandre BASQUIN, Ian BROSSAT, Mmes Céline BRULIN, Evelyne CORBIÈRE NAMINZO, MM. Jean-Pierre CORBISEZ, Fabien GAY, Mme Michelle GRÉAUME, M. Gérard LAHELLEC, Mme Marianne MARGATÉ, MM. Pierre OUZOULIAS, Pascal SAVOLDELLI, Mmes Silvana SILVANI, Marie-Claude VARAILLAS et M. Robert Wienie XOWIE, ainsi que par MM. Guillaume GONTARD, Guy BENARROCHE, Grégory BLANC, Ronan DANTEC, Mme Monique de MARCO, MM. Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Mme Antoinette GUHL, MM. Yannick JADOT, Akli MELLOULI, Mmes Mathilde OLLIVIER, Raymonde PONCET MONGE, M. Daniel SALMON, Mmes Ghislaine SENÉE, Anne SOUYRIS et Mélanie VOGEL, sénateurs.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité ;
- la loi du 10 août 1927 sur la nationalité ;
- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 30 avril 2025 ;
Après avoir entendu les députés représentant les auteurs de la première saisine ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte. Ils contestent la conformité à la Constitution de son article unique.
2. L’article unique de la loi déférée modifie l’article 2493 du code civil afin, d’une part, d’étendre aux deux parents d’un enfant né à Mayotte la condition de résidence régulière en France à la date de naissance de l’enfant et, d’autre part, de porter la durée de cette résidence de trois mois à un an. Il modifie en outre l’article 2495 du code civil afin de prévoir que le parent demandant à ce que soit apposée la mention de sa résidence régulière en France sur l’acte de naissance de l’enfant doit présenter un titre de séjour accompagné d’un passeport biométrique.
3. Selon les députés requérants, en subordonnant l’acquisition de la nationalité française pour un enfant né à Mayotte à la condition que ses deux parents y résident régulièrement à sa naissance depuis plus d’un an, ces dispositions porteraient atteinte à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu’ils demandent au Conseil de reconnaître, en vertu duquel toute personne née sur le territoire français a le droit d’accéder à la nationalité française.
4. Les députés et sénateurs requérants reprochent également à ces dispositions de créer une rupture d’égalité, d’une part, entre les enfants nés à Mayotte et les enfants nés sur le reste du territoire, d’autre part, entre les enfants nés à Mayotte de deux parents en situation régulière et ceux dont un seul parent est dans une telle situation. Ils font par ailleurs valoir qu’elles ne seraient pas justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte et qu’elles dépasseraient la mesure des adaptations permises par l’article 73 de la Constitution. Elles méconnaîtraient ainsi les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi.
5. Selon eux, ces dispositions introduiraient en outre une discrimination en fonction de l’origine ou de la nationalité prohibée par l’article 1er de la Constitution. Au soutien de ce grief, ils font valoir que l’obligation de présentation d’un passeport biométrique entraînerait une rupture d’égalité entre les ressortissants de pays délivrant de tels passeports et ceux de pays n’en délivrant pas.
6. Les députés requérants soutiennent par ailleurs que l’extension aux deux parents de la condition de régularité du séjour pourrait inciter un parent en situation irrégulière à ne pas établir sa filiation avec l’enfant. Il en résulterait une méconnaissance de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que, selon les députés auteurs de la première saisine, du droit de mener une vie familiale normale.
7. Enfin, les députés auteurs de la première saisine reprochent à ces dispositions de ne pas prévoir de mesures transitoires pour les enfants nés après l’entrée en vigueur de la loi du 10 septembre 2018 mentionnée ci-dessus et avant celle de la loi déférée, ce qui créerait une incertitude sur le régime qui leur est applicable. Il en résulterait une méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République :
8. Une tradition républicaine peut être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution lorsqu’elle a donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
9. Si la loi du 26 juin 1889 puis celle du 10 août 1927 mentionnées ci-dessus ont institué des règles selon lesquelles est française à sa majorité sous certaines conditions de résidence toute personne née en France d’un étranger, de telles règles ont été adoptées, à l’époque, pour répondre notamment aux exigences de la conscription. Ainsi, ces lois ne sauraient avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République en vertu duquel toute personne née sur le territoire français a le droit d’accéder à la nationalité française sans restriction.
10. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance d’un tel principe doit être écarté.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi :
11. Aux termes du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion… Son organisation est décentralisée ».
12. Le principe d’indivisibilité de la République s’oppose à ce que des dispositions fixant les conditions d’acquisition de la nationalité puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire, sous la seule réserve des dispositions particulières prévues par la Constitution, notamment celles applicables à certaines collectivités territoriales.
13. Selon l’article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
14. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
15. Selon les articles 21-7 et 21-11 du code civil, tout enfant né en France de parents étrangers peut acquérir la nationalité française, soit de plein droit à partir de ses dix-huit ans, soit sur réclamation à partir de treize ou seize ans, à condition d’avoir sa résidence en France et d’y avoir eu sa résidence habituelle pendant une période d’au moins cinq ans depuis, selon le cas, l’âge de huit ou onze ans.
16. L’article 2493 du code civil instaure une condition supplémentaire, spécifique à Mayotte, pour l’acquisition de la nationalité par un enfant né de parents étrangers, à raison de sa naissance et de sa résidence en France.
17. En exigeant désormais que, au moment de la naissance, les deux parents résident en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus d’un an, sous réserve que la filiation de l’enfant soit établie à leur égard, les dispositions contestées de cet article instituent une différence de traitement, pour l’acquisition de la nationalité française, entre les enfants nés à Mayotte et les enfants nés sur le reste du territoire de la République.
18. En premier lieu, comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 septembre 2018 mentionnée ci-dessus, la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé d’enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est soumise à des flux migratoires très importants. Ces circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur d’y adapter, dans une certaine mesure, les règles relatives à l’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France.
19. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi entendu tenir compte de ce que l’immigration irrégulière à Mayotte pouvait être favorisée par la perspective d’obtention de la nationalité française par un enfant né en France et par les conséquences qui en découlent sur le droit au séjour de sa famille.
20. En deuxième lieu, d’une part, l’adaptation prévue par les dispositions contestées porte sur les seules règles d’acquisition de la nationalité française par un enfant né à Mayotte de parents étrangers et sans que l’un d’eux ne soit lui-même né en France. Tout en maintenant inchangés les critères d’âge et de résidence applicables à l’enfant, ces dispositions imposent désormais également d’établir la régularité du séjour des deux parents au moment de sa naissance, pendant une période minimale limitée à un an. D’autre part, lorsque la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent, cette condition s’applique uniquement à ce dernier.
21. Enfin, afin de faciliter la justification de cette condition, l’article 2495 du code civil permet aux parents, par une mention sur l’acte de naissance par l’officier de l’état civil ou en marge de cet acte sur ordre du procureur de la République, de constituer, dès la naissance de l’enfant, une preuve de la régularité et de la durée de leur résidence en France.
22. Si les dispositions contestées de cet article imposent au parent qui le demande de présenter un titre de séjour accompagné d’un passeport biométrique en cours de validité et comportant une photographie permettant l’identification de son titulaire, elles ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, conduire à exiger la production d’un tel document pour les ressortissants de pays ne délivrant pas de passeport biométrique. Dans ce cas, ces dispositions doivent être interprétées comme ne faisant pas obstacle à la production par l’intéressé d’un autre document d’identité.
23. Dès lors, en soumettant à des conditions plus restrictives, sur le territoire de Mayotte, l’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi. Elles ne portent pas non plus atteinte au caractère indivisible de la République.
24. Par ailleurs, la différence de traitement résultant de ces dispositions, selon que la filiation de l’enfant est établie à l’égard de ses deux parents ou d’un seul d’entre eux, est justifiée par une différence de situation et est en rapport avec l’objet de la loi.
25. En dernier lieu, les dispositions contestées sont applicables à l’ensemble des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, quelle que soit la nationalité de ces derniers ou leur origine géographique. Elles n’instituent donc aucune discrimination contraire à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution.
26. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 22, le législateur n’a méconnu ni le principe d’égalité devant la loi, ni les exigences découlant de l’article 1er de la Constitution. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.
- Sur les autres griefs :
27. L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.
28. D’une part, en vertu du premier alinéa de l’article 17-2 du code civil, l’acquisition de la nationalité française est régie par la loi en vigueur au temps de l’acte ou du fait auquel la loi attache cet effet.
29. D’autre part, le second alinéa de l’article 2494 du même code prévoit que les articles 21-7 et 21-11 sont applicables à l’enfant né à Mayotte de parents étrangers avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 septembre 2018 si l’un des parents justifie avoir résidé en France de manière régulière pendant la période de cinq ans mentionnée aux mêmes articles 21-7 et 21-11.
30. En l’absence dans la loi déférée de dispositions relatives aux conditions de son entrée en vigueur, le législateur n’a pas entendu déroger, pour les enfants qui sont nés après l’entrée en vigueur de la loi du 10 septembre 2018 précitée, aux dispositions de droit commun de l’article 17-2 du code civil auquel renvoie le premier alinéa de l’article 2494.
31. Le grief tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi doit donc être écarté.
32. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 22, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni le droit de mener une vie familiale normale, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 22, la loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 mai 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, MM. Alain JUPPÉ, Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 7 mai 2025.