LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, le 10 avril 2025, par le Président du Sénat, sous le n° 2025-880 DC, conformément au premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, d’une résolution adoptée le 8 avril 2025 tendant à renforcer les moyens de contrôle des sénateurs, conforter les droits des groupes politiques, et portant diverses mesures de clarification et de simplification.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;
- l’avis du comité de déontologie parlementaire du Sénat n° CDP/2018-3, adopté le 3 avril 2018 ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations produites par Mme Marie-Pierre de LA GONTRIE, sénatrice, enregistrées le 22 avril 2025 ;
- les observations présentées à la demande du Conseil constitutionnel par le Président du Sénat, enregistrées le 2 mai 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La résolution soumise à l’examen du Conseil constitutionnel a pour objet de renforcer les moyens de contrôle des sénateurs et de conforter les droits des groupes politiques, et porte diverses mesures de clarification et de simplification.
2. Conformément au premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
3. En raison des exigences propres à la hiérarchie des normes juridiques dans l’ordre interne, cette conformité doit s’apprécier au regard tant de la Constitution elle-même que des lois organiques prévues par celle-ci ainsi que des mesures législatives prises pour son application. Entrent notamment dans cette dernière catégorie l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que les modifications qui lui ont été apportées. Ces textes législatifs ne s’imposent à une assemblée parlementaire, lorsqu’elle modifie ou complète son règlement, qu’autant qu’ils sont conformes à la Constitution.
4. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ». Le premier alinéa de l’article 3 de la Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». En vertu de l’article 26 de la Constitution : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». L’article 27 de la Constitution dispose : « Tout mandat impératif est nul ». Ces dispositions imposent le respect de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat.
- Sur l’article 2 :
5. En premier lieu, le 1° de l’article 2 insère un nouvel alinéa 8 bis au sein de l’article 2 bis du règlement afin de prévoir que, lorsqu’un sénateur cesse d’appartenir au groupe dont il faisait partie lors de sa nomination comme membre du Bureau, il cesse de plein droit d’appartenir à celui-ci. Dans ce cas, le groupe auquel il a cessé d’appartenir fait connaître au président du Sénat le nom du candidat qu’il propose pour le remplacer. En application des alinéas 5 à 8 de l’article 2 bis, qui ne sont pas modifiés par la résolution, la liste comportant le nom du candidat est ratifiée par le Sénat si aucune opposition n’a été formulée, pendant un délai d’une heure à compter de son affichage, pour non-respect de la représentation proportionnelle.
6. En second lieu, le 2° de l’article 2 insère un nouvel alinéa 7 bis au sein de l’article 8 du règlement afin de prévoir une règle similaire selon laquelle, d’une part, le sénateur qui cesse d’appartenir à un groupe perd de plein droit sa qualité de membre de la commission permanente à laquelle il appartenait et, d’autre part, le groupe auquel il a cessé d’appartenir a la priorité pour désigner un nouveau membre au sein de cette commission permanente. Cet alinéa prévoit en outre les modalités de remplacement du sénateur si son groupe d’appartenance d’origine ne désigne pas de candidat. Il est ensuite procédé au remplacement du sénateur ayant cessé d’appartenir à ce groupe, sauf opposition dans un délai d’une heure à compter de l’affichage de la liste comportant le nom du candidat, dans les conditions prévues par les alinéas 4 à 7 de l’article 8 du règlement.
7. La Constitution laisse aux assemblées parlementaires le soin de fixer les conditions de désignation des membres de leur Bureau, ainsi que des membres des commissions prévues à son article 43.
8. Les dispositions de l’article 2, qui visent à préserver l’équilibre entre les groupes politiques dans la répartition des postes, réservent la possibilité à un président de groupe ou à trente sénateurs de s’opposer au candidat désigné pour remplacer le sénateur ayant cessé d’appartenir à son groupe. Elles ne sont pas contraires à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 3 :
9. Le 2° de l’article 3 modifie l’article 8 ter du règlement afin de prévoir que seule la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale est compétente pour se prononcer sur la recevabilité d’une proposition tendant à la création d’une commission d’enquête. Le 3° de l’article 3 modifie l’article 22 ter du règlement afin de prévoir que cette commission permanente est également la seule compétente pour se prononcer sur la recevabilité de la demande d’une commission permanente ou spéciale tendant à se faire conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête.
10. Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, d’une part, interdit que soient créées des commissions d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours et, d’autre part, impose que toute commission d’enquête prenne fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter. Il prévoit, en outre, que les commissions d’enquête ont un caractère temporaire et que leur mission prend fin au plus tard à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de l’adoption de la résolution qui les a créées.
11. En application de l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958, le respect du contrôle des conditions et limites définies par l’article 6 de cette ordonnance est également applicable aux commissions permanentes ou spéciales susceptibles de se voir conférer les prérogatives d’une commission d’enquête.
12. Les 2° et 3° de l’article 3, qui mettent en œuvre ces exigences, ne sont pas contraires à la Constitution.
- Sur l’article 4 :
13. L’article 4 modifie l’article 8 bis du règlement afin de permettre à la Conférence des présidents de s’opposer à la reconstitution d’une commission spéciale après chaque renouvellement partiel du Sénat.
14. En vertu du second alinéa de l’article 43 de la Constitution, la création d’une commission spéciale pour l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi est de droit lorsque le Gouvernement en fait la demande.
15. Il résulte des travaux préparatoires que la procédure d’opposition à la reconstitution d’une commission spéciale par la Conférence des présidents vise à éviter la reconstitution d’une commission spéciale qui serait devenue sans objet.
16. La faculté d’opposition ainsi reconnue à la Conférence des présidents est sans effet sur la prérogative qui appartient au Gouvernement de demander le renvoi d’un projet ou d’une proposition de loi à une commission spécialement désignée à cet effet. En outre, elle ne saurait avoir pour effet de faire obstacle à la reconstitution d’une telle commission dans l’hypothèse où le texte renvoyé à la demande du Gouvernement est inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
17. Sous cette réserve, ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l’article 8 :
18. En premier lieu, le b du 1° de l’article 8 modifie l’article 28 du règlement afin de prévoir que les propositions de loi et les propositions de résolution dont tous les signataires ont cessé d’exercer leur mandat de sénateur deviennent caduques.
19. Ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution.
20. En second lieu, le b du 2° de l’article 8 modifie l’article 65 du règlement afin de prévoir que, lorsque le Sénat est saisi d’un projet ou une proposition de loi rejeté par l’Assemblée nationale et qu’il le rejette, ce projet ou cette proposition est définitivement rejeté.
21. Ces dispositions ne méconnaissent pas l’article 45 de la Constitution, ni aucune autre exigence constitutionnelle.
- Sur l’article 15 :
22. L’article 15 modifie l’article 42 du règlement afin de prévoir, lorsqu’un représentant du Conseil économique, social et environnemental a été désigné pour exposer au Sénat son avis sur un projet ou une proposition qui lui a été soumis, que l’intervention de ce dernier a désormais lieu pendant la seule discussion générale et après les rapporteurs des commissions compétentes.
23. Ces dispositions, qui ont trait au moment auquel est entendu un membre du Conseil économique, social et environnemental, constituent une mesure d’organisation du débat en séance publique. Elles mettent en œuvre sans le méconnaître l’article 69 de la Constitution. Elles ne sont pas contraires à la Constitution.
- Sur le 2° de l’article 16 :
24. Le 2° de l’article 16 modifie l’article 50 bis du règlement afin de prévoir qu’aucune motion n’est recevable sur les propositions de résolution déposées en application de l’article 34‑1 de la Constitution.
25. D’une part, la question préalable, les motions préjudicielles ou incidentes et la motion tendant à renvoyer l’ensemble du texte en commission ne sont imposées par aucune exigence de valeur constitutionnelle. D’autre part, ces dispositions sont sans incidence sur l’irrecevabilité que le Gouvernement peut opposer en application du second alinéa de l’article 34-1 de la Constitution.
26. Par ailleurs, la Conférence des présidents est chargée de constater que, en vertu de l’article 5 de la loi organique du 15 avril 2009 mentionnée ci-dessus, une proposition de résolution ayant le même objet qu’une proposition antérieure ne peut être inscrite à l’ordre du jour.
27. Le 2° de l’article 16 n’est pas contraire à la Constitution.
- Sur l’article 17 :
28. L’article 17 complète l’article 53 du règlement afin de prévoir qu’à l’invitation du président, le sénateur qui se trouve dans l’incapacité physique, permanente ou temporaire, d’exprimer son vote selon la modalité applicable fait connaître son vote par toute manifestation compatible avec cette incapacité.
29. Ces dispositions ne méconnaissent pas l’article 27 de la Constitution, en vertu duquel le droit de vote des membres du Parlement est personnel, ni aucune autre exigence constitutionnelle.
- Sur certaines dispositions de l’article 22 :
30. Le 2° de l’article 22 insère trois nouveaux articles 73 quinquies A à 73 quinquies C au sein du règlement relatifs à la procédure d’adoption des propositions de résolution européenne déposées en application de l’article 88-4 de la Constitution. Ils prévoient, notamment, une procédure au terme de laquelle, faute d’inscription à l’ordre du jour du Sénat, le texte d’une proposition de résolution européenne adopté par une commission permanente devient résolution du Sénat ou, le cas échéant, le texte rejeté par cette dernière est définitivement rejeté par le Sénat.
31. L’alinéa 5 de l’article 73 quinquies A, l’alinéa 7 de l’article 73 quinquies B et l’alinéa 9 de l’article 73 quinquies C, qui prévoient que ces dispositions s’appliquent sans préjudice des droits des groupes minoritaires et d’opposition et du Gouvernement qu’ils tiennent en application de l’article 48 de la Constitution, ne sont pas contraires à la Constitution.
- Sur l’article 23 :
32. L’article 23 réécrit l’article 91 quinquies du règlement relatif aux obligations déontologiques auxquelles les sénateurs sont tenus dans l’exercice de leur mandat en matière de cadeaux, dons, invitations ou avantages en nature.
33. Ces dispositions, qui portent sur des questions ayant fait l’objet d’un examen par le comité de déontologie parlementaire du Sénat dans son avis du 3 avril 2018 mentionné ci-dessus, prohibent désormais certains cadeaux, dons, invitations ou avantages en nature proposés par des représentants d’intérêts ou des personnes menant des activités d’influence pour le compte d’un mandant étranger. Elles étendent en outre la liste de ceux devant donner lieu à déclaration publique.
34. Elles ont été adoptées dans le respect des conditions de l’article 4 quater de l’ordonnance du 17 novembre 1958, dont elles mettent en œuvre les exigences, et ne méconnaissent pas la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat, ni aucune autre exigence constitutionnelle.
- Sur les autres dispositions de la résolution :
35. Les autres dispositions de la résolution ne sont pas contraires à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 16, l’alinéa 1 de l’article 8 bis du règlement du Sénat, dans sa rédaction issue de l’article 4 de la résolution tendant à renforcer les moyens de contrôle des sénateurs, conforter les droits des groupes politiques, et portant diverses mesures de clarification et de simplification, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Les autres dispositions de la même résolution sont conformes à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 mai 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, MM. Alain JUPPÉ, Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 7 mai 2025.