LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 janvier 2025 par le Conseil d’État (décision n° 498210 du 27 décembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1128 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code monétaire et financier ;
- l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l’association requérante par la SCP Spinosi, enregistrées le 24 janvier 2025 ;
- les observations présentées pour l’Autorité des marchés financiers, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Ohl et Vexliard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l’Autorité nationale des jeux, l’Autorité de régulation des transports et la Commission de régulation de l’énergie, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour l’Autorité des marchés financiers par la SCP Ohl et Vexliard, enregistrées le 6 février 2025 ;
- les secondes observations présentées pour l’association requérante par la SCP Spinosi, enregistrées le 7 février 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association requérante, Me Claude Ohl, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’Autorité des marchés financiers, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 12 mars 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 18 septembre 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d’être qualifiés de délit contre les biens et d’être sanctionnés par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers en application de l’article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l’autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu’à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place ».
2. L’association requérante reproche à ces dispositions de ne pas prévoir que la personne sollicitée par les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers pour donner des explications lors d’une visite domiciliaire est informée de son droit de se taire, alors même que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la commission des sanctions de cette autorité ou du juge pénal chargés de se prononcer sur les faits qui lui sont reprochés. Il en résulterait, selon elle, une méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
3. Pour les mêmes motifs, l’association requérante reproche par ailleurs au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place » figurant au premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier.
5. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
6. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant … les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
7. En application du premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier, les agents de l’Autorité des marchés financiers habilités à conduire des enquêtes peuvent être autorisés par le juge des libertés et de la détention à effectuer des visites en tous lieux, pour la recherche de certaines infractions.
8. Les dispositions contestées prévoient que ces enquêteurs peuvent recueillir, dans certaines conditions, les explications des personnes sollicitées sur place lors des opérations de visite.
9. D’une part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le droit de visite a pour seul objet de rechercher la preuve d’agissements contraires à la loi pour les nécessités de l’enquête conduite par les agents de l’Autorité des marchés financiers. D’autre part, il ressort des termes mêmes de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier que, pour s’assurer que la demande d’autorisation est fondée, le juge des libertés et de la détention vérifie que les éléments d’information en possession de l’Autorité sont de nature à justifier la visite.
10. Les dispositions contestées n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre le recueil par les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers des explications d’une personne sur des faits pour lesquels elle serait mise en cause. Elles n’impliquent donc pas que la personne sollicitée se voie notifier son droit de se taire. Par suite, la circonstance que les explications recueillies puissent porter sur des faits qui seraient susceptibles de lui être ultérieurement reprochés dans le cadre d’une procédure de sanction ouverte par cette autorité ou d’une procédure pénale ne saurait être contestée sur le fondement des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789.
11. Par ailleurs, il appartient en tout état de cause au juge compétent pour contrôler les opérations de visite et, le cas échéant, statuer sur leur régularité en cas de contestation, de s’assurer que le recueil des explications de la personne sollicitée sur place a lieu dans des conditions respectant la loyauté de l’enquête.
12. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes exigences.
13. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place » figurant au premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 mars 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 21 mars 2025.