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07/03/2025 | FRANCE | N°2024-6365

France | France, Conseil constitutionnel, 07 mars 2025, 2024-6365


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juillet 2024 d’une requête présentée pour Mme Pascale MARTIN, candidate à l’élection qui s’est déroulée dans la 1re circonscription du département de la Dordogne, par Mes Lionel Crusoé et Marion Ogier, avocats au barreau de Paris, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 30 juin et 7 juillet 2024 en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 

2024-6365 AN.


Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juillet 2024 d’une requête présentée pour Mme Pascale MARTIN, candidate à l’élection qui s’est déroulée dans la 1re circonscription du département de la Dordogne, par Mes Lionel Crusoé et Marion Ogier, avocats au barreau de Paris, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 30 juin et 7 juillet 2024 en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-6365 AN.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
- le mémoire en défense présenté pour Mme Nadine LECHON, députée, par Me Thomas Laval, avocat au barreau de Paris, enregistré le 27 février 2025 ;
- le mémoire en réplique présenté pour la requérante par Mes Crusoé et Ogier, enregistré le 4 mars 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu les parties et leurs conseils ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

- Sur les griefs relatifs aux opérations de vote :
. En ce qui concerne les listes d’émargement :
1. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l’article L. 62-1 du code électoral : « Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l’encre en face de son nom sur la liste d’émargement ». Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 64 du même code : « Lorsqu’un électeur se trouve dans l’impossibilité de signer, l’émargement prévu par le troisième alinéa de l’article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : "l’électeur ne peut signer lui-même" ». Il ressort de ces dispositions, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l’encre, d’un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d’impossibilité dûment mentionnée sur la liste d’émargement.
2. Mme MARTIN conteste l’authenticité de 81 signatures d’électeurs portées sur les listes d’émargement de plusieurs bureaux de vote de la circonscription au second tour en raison des différences qu’elles présentent avec leur signature au premier tour. Il résulte de l’examen des listes d’émargement des bureaux de vote en cause que, dans 48 cas, les différences alléguées sont soit peu probantes, soit imputables au fait que le mandant a voté à l’un des deux tours ou que l’électeur a utilisé successivement un paraphe ou sa signature ou encore, pour les femmes mariées, leur nom de famille ou leur nom d’usage. Au surplus, 22 électeurs concernés ont fourni une attestation par laquelle ils ont soit reconnu formellement avoir voté en personne aux deux tours et avoir signé les listes d’émargement, soit justifié la différence observée entre les deux émargements les concernant. En revanche, 23 votes, correspondant à des différences de signature significatives, doivent être regardés comme irrégulièrement exprimés. Il y a lieu, par suite, de déduire 23 voix tant du nombre de voix obtenues par Mme Nadine LECHON, candidate élue, que du nombre de suffrages exprimés.
3. En second lieu, il résulte de l’instruction que, contrairement à ce que soutient la requérante, les listes d’émargement de l’ensemble des bureaux de vote de la commune de Neuvic ont été transmises à la préfecture, conformément aux dispositions de l’article L. 68 du code électoral.
. En ce qui concerne l’établissement des procès-verbaux :
4. Mme MARTIN fait état d’une discordance, au procès-verbal de l’un des bureaux de vote de la commune de Champcevinel, entre le nombre d’enveloppes et de bulletins sans enveloppe déposés dans l’urne, d’une part, et le nombre de suffrages exprimés et de bulletins blancs et nuls, d’autre part. Il résulte toutefois de l’instruction que les résultats transmis par ce bureau de vote à la préfecture, publiés par le ministère de l’intérieur et des outre-mer, ne présentent pas cette discordance et que le recensement des bulletins blancs figurant au procès-verbal a fait l’objet d’une correction visible, le décompte corrigé ne correspondant pas au nombre de bulletins blancs annexés au procès-verbal transmis à la préfecture. Par suite, cette circonstance résulte nécessairement d’une modification du procès-verbal postérieure à sa transmission à la préfecture qui, pour regrettable qu’elle soit, n’est pas de nature à établir une irrégularité dans le déroulement du vote ni dans la comptabilisation des suffrages.
5. Par ailleurs, la circonstance qu’un mandataire a signé, dans l’un des bureaux de vote de la commune de Coulounieix-Chamiers, la liste des procurations sans signer la liste des émargements n’est, en l’absence de différence entre le nombre des émargements et le nombre de bulletins et d’enveloppes trouvés dans l’urne, pas de nature à établir une irrégularité dans le décompte des suffrages. 
6. Il résulte en revanche de l’instruction qu’il existe, dans quatre bureaux de vote, une différence totale de cinq unités entre le nombre des émargements et le nombre de bulletins et enveloppes trouvés dans l’urne recensés dans les procès-verbaux. Il y a lieu, par suite, de déduire cinq voix supplémentaires du nombre de voix obtenues par Mme LECHON et du nombre de suffrages exprimés.
. En ce qui concerne les procurations :
7. Aux termes des deux premiers alinéas de l’article R. 76 du code électoral : « Pour chaque procuration, le nom du mandataire est mentionné à côté du nom du mandant sur la liste d’émargement extraite du répertoire électoral unique. / À défaut d’une telle mention, le maire inscrit sur la liste d’émargement, à côté du nom du mandant, celui du mandataire. Les caractères utilisés pour porter cette mention manuscrite se distinguent avec netteté de ceux qui sont utilisés pour l’édition des autres indications figurant sur la liste ». L’absence de ces mentions obligatoires ne doit pas conduire à l’invalidation d’un nombre équivalent de suffrages, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que ces insuffisances ou omissions auraient été à l’origine de votes irréguliers.
8. En premier lieu, Mme MARTIN soutient que, pour cinq suffrages exprimés dans deux communes de la circonscription, les mentions obligatoires portées sur les listes d’émargement pour les votes par procuration ne comportent pas le nom du mandataire, en méconnaissance de l’article R. 76 du code électoral. Alors qu’aucune réclamation relative aux votes par procuration n’a été portée au procès-verbal des bureaux de vote des communes concernées et, par ailleurs, que l’identité des mandataires est, pour l’une d’entre elles, mentionnée dans le tableau des procurations annexé au procès-verbal, il n’est pas établi que ces irrégularités aient permis des fraudes de nature à altérer le résultat de l’élection.
9. En deuxième lieu, si Mme MARTIN fait valoir que, pour douze suffrages exprimés dans une commune de la circonscription, les listes d’émargement ne précisent pas le tour de scrutin pour lequel une procuration a été établie par l’électeur, une telle mention, sur ce document, n’est pas prescrite par le code électoral. L’examen des listes d’émargement en cause ne permet, par ailleurs, pas de douter de la validité des suffrages exprimés.
10. En troisième lieu, si les procès-verbaux des bureaux de vote de deux communes de la circonscription n’ont pas renseigné le nombre d’électeurs ayant voté par procuration, cette seule circonstance n’est pas de nature à établir l’existence de votes irréguliers.
11. En dernier lieu, ni la circonstance que le nombre de votes par procuration exprimés dans la circonscription ait été notablement inférieur au nombre de procurations enregistrées, ni le fait qu’un grand nombre de procurations ait fait l’objet de mentions manuscrites sur les listes d’émargement ne sont de nature à faire présumer de l’existence de fraudes de nature à altérer la sincérité du scrutin.
- Sur les griefs relatifs à la campagne électorale :
12. En premier lieu, si Mme MARTIN soutient que les dispositions du code électoral organisant l’affichage électoral auraient été méconnues dans certaines communes, d’une part, elle n’allègue pas que les maires de ces communes auraient refusé d’apposer ses affiches sur les emplacements dédiés ou que ces dernières auraient été arrachées. D’autre part, elle n’établit pas que les irrégularités qu’elle dénonce, à les supposer avérées, auraient présenté un caractère massif, prolongé ou répété susceptible, compte tenu des écarts de voix, d’avoir influé sur le résultat du scrutin.
13. En deuxième lieu, la requérante dénonce les prises de parole de responsables nationaux du Rassemblement national dénigrant la coalition « Nouveau Front populaire » qui ont été relayées, voire amplifiées, au niveau local par la déléguée départementale de la fédération du Rassemblement national en Dordogne. Il ne résulte toutefois pas de l’instruction que ces éléments de polémique électorale, pour outranciers que certains aient pu être, aient été de nature à altérer les résultats du scrutin, alors, notamment, qu’ils ont fait l’objet d’un large débat au niveau national. Il en est de même du traitement médiatique péjoratif réservé au parti « La France insoumise » et au « Nouveau Front populaire » par certains médias audiovisuels nationaux ainsi que d’une tribune et d’un article publiés dans le journal Le Figaro, qui n’ont pas méconnu les articles L. 48-2 et L. 49 du code électoral.
14. En troisième lieu, Mme MARTIN dénonce la diffusion, sur le site internet du Journal du dimanche, dans la soirée du vendredi 5 juillet 2024, d’une information inexacte selon laquelle le Gouvernement s’apprêtait à « suspendre les éléments les plus répressifs de la loi immigration » et qui a été relayée par certains médias audiovisuels ainsi que par des personnalités politiques sur les pages de leurs réseaux sociaux. Il résulte toutefois de l’instruction que cette information a été immédiatement démentie par le Gouvernement, ce qui a amené le Journal du dimanche à corriger, dans la nuit du 5 au 6 juillet, la publication litigieuse sur son site internet. Par ailleurs, il n’est pas établi ni même allégué que l’un des candidats à l’élection dans la 1re circonscription de Dordogne aurait relayé cette information, ni que celle-ci aurait rencontré un écho particulier dans cette circonscription. Dans ces conditions, pour regrettable qu’elle soit, cette publication, qui n’a pas méconnu les articles L. 48-2 et L. 49 du code électoral, ne peut être regardée, en l’espèce, comme ayant altéré la sincérité du scrutin.
15. En dernier lieu, la requérante soutient qu’un message appelant les électeurs à voter en faveur de Mme LECHON a été diffusé, le jour du second tour de scrutin, par un ancien conseiller municipal d’une commune de la circonscription sur sa page personnelle d’un réseau social, en violation des dispositions de l’article L. 49 du code électoral. Toutefois, eu égard à la très faible audience de cette communication, effectuée trente minutes avant la fermeture des bureaux de vote, et alors que 63 voix séparent les deux candidates, après prise en compte des déductions qui doivent être opérées en conséquence des griefs précédents, cette irrégularité, pour regrettable qu’elle soit, n’a pas eu d’incidence sur le résultat du scrutin.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme MARTIN doit être rejetée.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - La requête de Mme Pascale MARTIN est rejetée.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 7 mars 2025.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-6365
Date de la décision : 07/03/2025
A.N., Dordogne (1re circ.), Mme Pascale MARTIN
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Élections à l'Assemblée nationale

Références :

AN du 07 mars 2025 sur le site internet du Conseil constitutionnel
AN du 07 mars 2025 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Élection à l'Assemblée nationale (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-6365 AN du 07 mars 2025
Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2025:2024.6365.AN
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