LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 décembre 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1555 du 26 novembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sébastien R. par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1122 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 145-4-1 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- l’ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 décembre 2024 ;
- les observations en intervention présentées pour l’association Section française de l’observatoire international des prisons par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Sophie Ansary, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 4 février 2025 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 7 février 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 145-4-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 30 mars 2022 mentionnée ci-dessus.
2. L’article 145-4-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, est relatif au placement à l’isolement d’une personne en détention provisoire par le juge d’instruction. La seconde phrase de son premier alinéa prévoit :« La décision du juge d’instruction peut faire l’objet d’un recours devant le président de la chambre de l’instruction ».
3. Le requérant, rejoint par l’association intervenante, reproche à ces dispositions de ne pas imposer au président de la chambre de l’instruction de statuer dans un délai déterminé sur le recours formé par la personne détenue contre la décision de placement à l’isolement et de ne pas prévoir, à tout le moins, qu’il doit être statué sur ce recours à bref délai. Une telle mesure constituant selon lui une privation de liberté, il en résulterait une méconnaissance de la liberté individuelle, ainsi que du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit à la sûreté.
4. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
5. En application de l’article 145-4-1 du code de procédure pénale, le juge d’instruction peut décider, durant l’information, de soumettre à l’isolement une personne placée en détention provisoire.
6. Les dispositions contestées prévoient que la personne détenue peut former un recours contre cette décision devant le président de la chambre de l’instruction.
7. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle ressort de l’arrêt de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que lorsque la chambre de l’instruction est saisie de l’appel d’une ordonnance statuant tant sur la détention provisoire que sur le maintien à l’isolement, elle doit se prononcer dans les plus brefs délais.
8. En revanche, en dehors de ce cas, la loi ne fixe aucun délai au juge pour statuer sur le recours formé contre la décision de placement à l’isolement.
9. En premier lieu, le placement à l’isolement, qui peut être décidé par le juge d’instruction à l’égard d’une personne placée en détention provisoire, a pour seul objet de la séparer des autres personnes détenues lorsque cette mesure apparaît indispensable aux nécessités de l’information. Cette mesure d’exécution de la détention provisoire n’entraîne pas, par elle-même, une privation de liberté.
10. En second lieu, d’une part, la personne placée à l’isolement peut saisir à tout moment le président de la chambre de l’instruction aux fins d’obtenir la mainlevée de la mesure prononcée à son encontre.
11. D’autre part, en l’absence de délai déterminé par la loi, le juge doit toujours statuer dans un délai raisonnable, afin notamment de s’assurer qu’une telle mesure est mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne détenue et de ses droits, conformément aux articles L. 6 et L. 213-7 du code pénitentiaire.
12. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
13. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté individuelle et le droit à la sûreté, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase du premier alinéa de l’article 145-4-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 février 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 14 février 2025.