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14/02/2025 | FRANCE | N°2024-1121

France | France, Conseil constitutionnel, 14 février 2025, 2024-1121


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 novembre 2024 par le Conseil d’État (décision n° 487936 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association One voice par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1121 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des a

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 novembre 2024 par le Conseil d’État (décision n° 487936 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association One voice par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1121 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 413-10 et L. 413-11 du code de l’environnement, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’environnement ;
- la loi du 2 juillet 1850 sur les mauvais traitements envers les animaux domestiques ;
- la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l’association requérante par Me Thomas Lyon-Caen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 décembre 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour l’association requérante par Me Lyon-Caen, enregistrées le 23 décembre 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Lyon-Caen, pour l’association requérante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 4 février 2025 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 7 février 2025 ;
- la note en délibéré présentée pour l’association requérante par Me Lyon-Caen, enregistrée le même jour ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 413-10 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 30 novembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :« I. - Il est interdit d’acquérir, de commercialiser et de faire se reproduire des animaux appartenant aux espèces non domestiques en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants.
« Cette interdiction entre en vigueur à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.
« II. - Sont interdits, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d’animaux non domestiques. Cette interdiction entre en vigueur à l’expiration d’un délai de sept ans à compter de la promulgation de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 précitée.
« III. - Des solutions d’accueil pour les animaux visés par les interdictions prévues aux I et II sont proposées à leurs propriétaires. Ces solutions garantissent que les animaux seront accueillis dans des conditions assurant leur bien-être.
« IV. - Un décret en Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles le ministre chargé de la protection de la nature peut déroger aux interdictions prévues à compter de leur entrée en vigueur, lorsqu’il n’existe pas de capacités d’accueil favorables à la satisfaction de leur bien-être pour les animaux visés par les interdictions prévues aux I et II.
« V. - Les certificats de capacité et les autorisations d’ouverture prévus aux articles L. 413-2 et L. 413-3 ne peuvent être délivrés aux personnes ou aux établissements souhaitant détenir des animaux des espèces non domestiques, en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants. Les autorisations d’ouverture délivrées aux établissements réalisant une des activités interdites par le présent article sont abrogées dès le départ des animaux détenus.
« VI. - Tout établissement itinérant détenant un animal en vue de le présenter au public procède à son enregistrement dans le fichier national mentionné au II de l’article L. 413-6 dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 précitée, dans des conditions précisées par arrêté du ministre chargé de l’environnement.
« VII. - Les conditions d’application du présent article sont précisées par arrêté du ministre chargé de la protection de la nature ».
 
2. L’article L. 413-11 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Les établissements de spectacles fixes présentant au public des animaux vivants d’espèces non domestiques sont soumis aux règles générales de fonctionnement et répondent aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent présentant au public des spécimens vivants de la faune locale ou étrangère. Les modalités d’application du présent article sont précisées par voie réglementaire ».
3. L’association requérante reproche à ces dispositions d’interdire aux seuls établissements itinérants de détenir des animaux d’espèces non domestiques. Ce faisant, elles instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les animaux détenus par un établissement de spectacle, selon que celui-ci est itinérant ou fixe, alors que tous ces animaux subiraient des souffrances liées à leur exploitation à des fins de divertissement. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
4. Elle fait également valoir que, au regard des conditions dans lesquelles les animaux seraient traités au sein des établissements de spectacles, ces dispositions méconnaîtraient un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu’elle demande au Conseil constitutionnel de reconnaître, interdisant d’exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux.
5. L’association requérante estime, en outre, que la présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques à des fins de divertissement constituerait un spectacle dégradant qui porterait atteinte à un « principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité », découlant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine garanti par le Préambule de la Constitution de 1946.
6. Elle considère, par ailleurs, que ces dispositions porteraient atteinte au principe constitutionnel prescrivant l’éducation et la formation à l’environnement, résultant de l’article 8 de la Charte de l’environnement, ainsi qu’à un principe constitutionnel imposant de protéger la diversité biologique comme composante nécessaire de la garantie du droit de vivre dans un environnement équilibré, qui découlerait, selon elle, des articles 1er, 5 et 6 de cette Charte.
7. Elle soutient enfin que ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées.
8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dans les établissements itinérants » figurant à la première phrase du paragraphe II de l’article L. 413-10 du code de l’environnement et sur l’article L. 413-11 du même code.
9. En premier lieu, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
10. En application des dispositions contestées de l’article L. 413-10 du code de l’environnement, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d’animaux non domestiques sont interdits dans les établissements itinérants. En revanche, selon l’article L. 413-11 du même code, les établissements de spectacles fixes peuvent, sous certaines conditions, présenter au public de tels animaux.
11. Il en résulte une différence de traitement entre les établissements détenant des animaux d’espèces non domestiques, selon qu’ils ont un caractère itinérant ou fixe.
12. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 novembre 2021 que, en interdisant aux établissements itinérants de détenir des animaux d’espèces non domestiques, le législateur, qui a reconnu aux animaux la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité, a entendu mettre un terme aux souffrances animales résultant spécifiquement des déplacements auxquels ils sont exposés.
13. Au regard de cet objet, il a ainsi pu prévoir que cette interdiction ne s’applique pas aux établissements fixes.
14. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.
15. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
16. En deuxième lieu, une tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu’autant qu’elle aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
17. Si l’article unique de la loi du 2 juillet 1850 mentionnée ci-dessus réprimait le fait d’exercer publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques, ces dispositions n’ont toutefois eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe applicable à tous les animaux. Ces dispositions ne sauraient donc avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
18. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance d’un tel principe ne peut qu’être écarté.
19. En troisième lieu, les dispositions contestées de l’article L. 413-11 du code de l’environnement se bornent à soumettre les établissements de spectacles fixes présentant des animaux d’espèces non domestiques aux règles générales de fonctionnement et aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité humaine ne peut donc qu’être écarté.
20. En dernier lieu, aux termes de l’article 8 de la Charte de l’environnement : « L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». Cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Sa méconnaissance ne peut donc, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution.
21. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas non plus l’article 1er de la Charte de l’environnement ni, en tout état de cause, son article 5, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « dans les établissements itinérants » figurant à la première phrase du paragraphe II de l’article L. 413-10 du code de l’environnement et l’article L. 413-11 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 février 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 14 février 2025.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-1121
Date de la décision : 14/02/2025
Association One voice [Détention par certains établissements d’animaux non domestiques à des fins de divertissement]
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 14 février 2025 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 14 février 2025 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-1121 QPC du 14 février 2025
Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2025:2024.1121.QPC
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