LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juillet 2024 d’une requête présentée pour Mme Marie-Caroline LE PEN, candidate à l’élection qui s’est déroulée dans la 4e circonscription du département de la Sarthe, par Me Thomas Laval, avocat au barreau de Paris, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 30 juin et 7 juillet 2024 en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-6347 AN.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
- les mémoires en défense présentés pour Mme Élise LEBOUCHER, députée, par Me Xavier Sauvignet, avocat au barreau de Paris, enregistrés les 18 septembre et 25 octobre 2024 ;
- le mémoire en réplique présenté pour Mme LE PEN par Me Laval, enregistré le 10 octobre 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- Sur les griefs relatifs au déroulement de la campagne électorale :
1. Aux termes de l’article L. 48-2 du code électoral : « Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ». Aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 51 du même code : « Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l’autorité municipale pour l’apposition des affiches électorales. / Dans chacun de ces emplacements, une surface égale est attribuée à chaque candidat, chaque binôme de candidats ou à chaque liste de candidats ».
2. En premier lieu, si la requérante soutient que certaines de ses affiches électorales apposées sur les panneaux qui lui étaient réservés auraient fait l’objet de dégradations ou auraient été recouvertes par des tracts de soutien à Mme LEBOUCHER, il ne résulte pas de l’instruction que de tels faits auraient présenté un caractère massif. Par suite, de tels agissements, pour regrettables qu’ils soient, ne sauraient être regardés comme ayant eu une incidence sur les résultats du scrutin.
3. En deuxième lieu, d’une part, si Mme LE PEN soutient que son adversaire aurait présenté de manière mensongère certains éléments de son programme, les affirmations de Mme LEBOUCHER sur ces points n’ont pas excédé les limites de la polémique électorale, alors que Mme LE PEN disposait, au demeurant, du temps nécessaire pour y répondre.
4. D’autre part, la circonstance que Mme LEBOUCHER se soit prévalue du soutien d’un ancien candidat aux élections municipales de Chantenay-Villedieu sans l’accord de l’intéressé, en le présentant en outre à tort comme « conseiller municipal », n’est pas, à elle seule, de nature à constituer une manœuvre susceptible d’avoir altéré la sincérité du scrutin, les rectifications nécessaires ayant, au demeurant, été portées à la connaissance du public avant la tenue du premier tour.
5. Enfin, si la requérante fait valoir qu’aurait été diffusé de manière anonyme, le vendredi précédant le second tour, un tract portant des accusations diffamatoires à son encontre, elle n’établit pas, en tout état de cause, que ce tract aurait été diffusé de manière massive et aurait de ce fait exercé une influence significative sur le choix des électeurs.
- Sur les griefs relatifs aux opérations de vote :
6. En premier lieu, la requérante fait valoir que, dans la commune d’Étival-lès-le-Mans, des électeurs ont été admis au vote sans qu’il soit exigé d’eux la production d’un titre d’identité, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 60 du code électoral. Toutefois, cette allégation ne repose que sur un unique témoignage figurant au procès-verbal du bureau de vote de la commune, qui ne fait lui-même état que d’une difficulté ponctuelle à laquelle il a été rapidement remédié. Au demeurant, il n’est pas démontré ni même allégué que des électeurs admis à voter n’auraient pas été régulièrement inscrits sur les listes électorales ou qu’ils auraient voté sous une fausse identité.
7. En deuxième lieu, d’une part, il résulte de l’instruction que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, les signatures des mandataires ayant voté au titre des procurations qui leur ont été confiées par certains électeurs des communes d’Allonnes, de Louplande et de Précigné figurent sur les listes d’émargement des bureaux de vote de ces communes, conformément aux prescriptions de l’article L. 74 du code électoral.
8. D’autre part, la requérante soutient qu’aucun contrôle des procurations n’aurait été effectué dans ces communes dès lors que le registre des procurations, distinct des listes d’émargement, n’y aurait pas été systématiquement signé. Toutefois, si l’article R. 76-1 du code électoral prescrit au maire de tenir à disposition de tout électeur un registre des procurations extrait du répertoire électoral unique, aucune disposition n’impose que les électeurs, leurs mandataires ou les membres du bureau de vote y apposent leur signature.
9. En troisième lieu, s’il est soutenu que le procès-verbal établi dans les communes d’Arthezé, Louplande, Sablé-sur-Sarthe et Saint-Pierre-des-Bois, ainsi que dans le bureau de vote n° 76 du Mans, ne comporte pas de mention de l’horaire auquel il a été signé, il résulte de l’instruction que l’absence de cette mention, qui n’est imposée par aucun texte, n’a eu, en l’espèce, aucune incidence sur le résultat du scrutin. De même, si la requérante a relevé, dans les bureaux de vote de la commune d’Allonnes ainsi que dans les bureaux de vote n° 79, 81 et 82 de la commune du Mans, des discordances entre l’horaire de signature du procès-verbal et la durée nécessaire aux opérations de dépouillement, celles-ci résultent de simples erreurs matérielles dépourvues d’incidence sur la sincérité du scrutin. Enfin, si la requérante déplore que plusieurs heures se soient écoulées dans les communes d’Allonnes, du Mans et de Saint-Georges-du-Bois entre l’établissement des procès-verbaux et la transmission à la préfecture du procès-verbal du bureau centralisateur, une telle circonstance est, en l’espèce, sans incidence sur la régularité du scrutin, dès lors qu’il n’est pas établi ni même allégué que les résultats qui figurent dans ce dernier document seraient différents de la somme des résultats figurant sur les procès-verbaux de chaque bureau.
10. En quatrième lieu, d’une part, il ressort de l’instruction, comme le soutient la requête, que cinq bulletins recensés dans le bureau de vote de la commune d’Arthezé et un bulletin recensé à Étival-lès-le-Mans, qui ne comportaient aucun signe ou mention prohibés par le code électoral, ont à tort été décomptés comme nuls. Dès lors, il y a lieu d’ajouter six voix au total des suffrages exprimés en faveur de Mme LE PEN.
11. D’autre part, si la requérante fait valoir que la proportion de bulletins nuls recensés à Étival-lès-le-Mans aurait été particulièrement élevée, cette circonstance n’est pas, à elle seule, de nature à établir l’existence de manœuvres lors du dépouillement ayant altéré la sincérité du scrutin. Au demeurant, il résulte de l’instruction que 90 suffrages sur les 126 en cause correspondent à des enveloppes vides qui ont été comptabilisées à tort comme des suffrages nuls alors qu’ils constituaient des bulletins blancs au sens de l’article L. 65 du code électoral et ne sauraient dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, être assimilés à des suffrages exprimés devant entrer en compte dans le résultat du dépouillement.
12. En dernier lieu, aux termes du troisième alinéa de l’article L. 62-1 du code électoral : « Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l’encre en face de son nom sur la liste d’émargement ». Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 64 du même code : « Lorsqu’un électeur se trouve dans l’impossibilité de signer, l’émargement prévu par le troisième alinéa de l’article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : "l’électeur ne peut signer lui-même" ». Il ressort de ces dispositions, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l’encre, d’un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d’impossibilité dûment mentionnée sur la liste d’émargement.
13. Il est soutenu, d’une part, que 61 suffrages auraient été irrégulièrement exprimés au second tour au motif que les signatures sur les listes d’émargement présentent des différences significatives entre les deux tours de scrutin et, d’autre part, que trois électeurs y auraient apposé une croix sans que figure la mention pourtant prévue dans cette hypothèse par l’article L. 64 du code électoral. Toutefois, ces circonstances, à supposer même qu’elles soient avérées alors que, dans la plupart des cas, les différences alléguées ne sont pas probantes ou correspondent soit à un vote par procuration, soit à une interversion dans l’apposition des signatures entre deux lignes par les électeurs, n’auraient pas pour effet, eu égard à l’écart de voix constaté après les rectifications opérées au paragraphe 10, de modifier le résultat du scrutin.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme LE PEN doit être rejetée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La requête de Mme Marie-Caroline LE PEN est rejetée.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 janvier 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 31 janvier 2025.