LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 octobre 2024 par le Conseil d’État (décision n° 495926 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Olivier D. par Me Xavier Colard, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1115 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième et troisième alinéas du paragraphe II de l’article 154 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Colard, enregistrées le 29 octobre 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par Me Colard, enregistrées le 12 novembre 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Colard, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 3 décembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article 154 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2017 mentionnée ci-dessus, est relatif à la déductibilité de la contribution sociale généralisée au titre de l’impôt sur le revenu. Les deuxième et troisième alinéas de son paragraphe II prévoient :« La contribution est déductible, dans les conditions et pour la part définies au premier alinéa du présent II, à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l’impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour :
« a) Les gains mentionnés à l’article 150-0 A qui bénéficient de l’abattement prévu au 1 quater de l’article 150-0 D ou de l’abattement fixe prévu au 1 du I de l’article 150-0 D ter ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions d’instaurer une différence de traitement injustifiée entre les contribuables bénéficiant de l’abattement de droit commun prévu au 1 ter de l’article 150-0 D du code général des impôts et ceux bénéficiant de l’abattement renforcé prévu au 1 quater du même article, au motif que seuls ces derniers sont soumis au plafonnement de la déductibilité de la contribution sociale généralisée sur le montant de leurs plus-values mobilières imposables à l’impôt sur le revenu. Or, selon lui, ces contribuables seraient placés dans une situation identique dans la mesure où ils pourraient bénéficier des mêmes taux d’abattement au titre de revenus de même nature. En outre, cette différence de traitement ne serait pas en rapport avec l’objet de la loi. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
3. Il soutient également que cette différence de traitement ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels. D’une part, les effets d’aubaine que ce plafonnement viserait à limiter ne seraient pas démontrés. D’autre part, ce plafonnement ne tiendrait pas compte du décalage d’une année entre l’imposition des plus-values à l’impôt sur le revenu et la déductibilité de la contribution sociale généralisée sur le revenu imposable. En outre, le plafonnement introduirait un « effet de bord » contraire à la progressivité de l’impôt sur le revenu au motif qu’il pourrait conduire à imposer davantage les contribuables qui bénéficient des abattements les plus importants. Il en résulterait, selon lui, une rupture manifeste de l’égalité devant les charges publiques.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l’impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution » figurant au deuxième alinéa du paragraphe II de l’article 154 quinquies du code général des impôts et sur les mots « de l’abattement prévu au 1 quater de l’article 150-0 D » figurant au troisième alinéa du même paragraphe.
5. En premier lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
6. L’article 150-0 D du code général des impôts prévoit les conditions dans lesquelles les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés sont soumises à l’impôt sur le revenu. Son 1 ter instaure un abattement de droit commun et son 1 quater un abattement renforcé, dont les taux varient en fonction de la durée de détention.
7. En application du premier alinéa du paragraphe II de l’article 154 quinquies du même code, la contribution sociale généralisée afférente aux revenus du patrimoine et de placement, imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, est admise en déduction du revenu imposable de l’année de son paiement, à hauteur de 6,8 points.
8. Il résulte des dispositions contestées que la déductibilité de la contribution acquittée sur les plus-values mobilières qui bénéficient de l’abattement prévu au 1 quater de l’article 150-0 D du même code est limitée à hauteur du rapport entre le montant de ces plus-values soumises à l’impôt sur le revenu et le montant de ces mêmes plus-values soumises à la contribution. En revanche, la déductibilité de la contribution acquittée au titre des plus-values bénéficiant de l’abattement prévu au 1 ter du même article n’est pas soumise à ce plafonnement.
9. D’une part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2017 que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu instaurer un mécanisme de pondération de la déductibilité de la contribution sociale généralisée acquittée au titre de certaines plus-values mobilières ayant déjà fait l’objet d’abattements importants, afin de limiter un cumul d’avantages fiscaux.
10. D’autre part, les abattements prévus aux 1 ter et 1 quater de l’article 150-0 D du code général des impôts, qui n’ont pas le même champ d’application, n’ouvrent pas droit aux mêmes avantages. L’abattement prévu au 1 ter s’applique, sous certaines conditions, à toutes les plus-values mobilières et peut atteindre un taux de 65 % lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession. L’abattement prévu au 1 quater bénéficie, quant à lui, seulement aux plus-values de cession de titres émis par de petites ou moyennes entreprises, créées depuis moins de dix ans, qui respectent certaines conditions, et son taux peut atteindre 85 % au terme de la même durée de détention. Les contribuables bénéficiant de ces abattements ne sont ainsi pas placés dans la même situation.
11. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.
12. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
13. En second lieu, selon l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
14. Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.
15. D’une part, dans la mesure où la situation visée par les dispositions contestées est effectivement susceptible de donner lieu à un cumul d’avantages fiscaux, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objectif poursuivi en prévoyant un plafonnement de la déductibilité de la contribution sociale généralisée fondé sur le rapport entre le montant des plus-values soumises à l’impôt sur le revenu et le montant de ces mêmes plus-values soumises à la contribution. La circonstance que la contribution sociale généralisée soit admise en déduction du revenu imposable de l’année de son paiement, et non de l’année d’imposition des plus-values au titre desquelles elle a été acquittée, est sans incidence à cet égard.
16. D’autre part, les dispositions contestées, qui ne remettent pas en cause le caractère progressif du montant de l’imposition globale du revenu des personnes physiques, ne font en tout état de cause pas peser sur les assujettis une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
17. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit être écarté.
18. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :
- les mots « à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l’impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution » figurant au deuxième alinéa du paragraphe II de l’article 154 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ;
- les mots « de l’abattement prévu au 1 quater de l’article 150-0 D » figurant au troisième alinéa du paragraphe II du même article, dans la même rédaction.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 décembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 13 décembre 2024.