LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juillet 2024 par le Conseil d’État (décision n° 469682 du 15 juillet 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. François D. par Me Marie-Odile Bertella-Geffroy, avocate au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1107 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 2 août 2024 ;
- les observations présentées pour la région Île-de-France, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par le cabinet Buk Lament - Robillot, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 6 août 2024 ;
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 7 août 2024 ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 14 août 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Régis Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Pierre Robillot, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 1er octobre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, le président du conseil régional ou un conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions que s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie.
« La région est tenue d’accorder sa protection au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».
2. Le requérant fait valoir que, en réservant le bénéfice de la protection fonctionnelle au président du conseil régional ou au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre ces derniers et les autres conseillers régionaux. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
3. Il soutient également que ces dispositions auraient pour effet d’exposer les conseillers régionaux ne bénéficiant pas de la protection fonctionnelle au risque de ne pas pouvoir se défendre devant les juridictions pénales en cas de poursuites pour diffamation à raison de propos tenus en cette qualité. Elles méconnaîtraient ainsi la liberté d’expression et le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinion.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions » figurant au second alinéa de l’article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales.
5. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
6. En application des dispositions contestées de l’article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, la région est tenue d’accorder sa protection au président du conseil régional ou au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation, ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions, lorsqu’il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux autres conseillers régionaux.
7. Il en résulte une différence de traitement entre ces élus pour l’octroi de la protection fonctionnelle.
8. Il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection aux conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives, compte tenu des risques de poursuites pénales auxquels les exposent ces fonctions.
9. Au regard de l’objet de ces dispositions, ces élus ne sont pas placés dans la même situation que les autres conseillers régionaux.
10. Le législateur a ainsi pu réserver le bénéfice de la protection fonctionnelle au président du conseil régional ou au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation, ainsi qu’à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions.
11. Dès lors, s’il serait loisible au législateur d’étendre la protection fonctionnelle à d’autres conseillers régionaux, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.
12. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
13. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d’expression et le principe du pluralisme des courants de pensées et d’opinions, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions » figurant au second alinéa de l’article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 octobre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 11 octobre 2024.