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04/07/2024 | FRANCE | N°2024-1098

France | France, Conseil constitutionnel, 04 juillet 2024, 2024-1098


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 avril 2024 par le Conseil d’État (décision n° 491324 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sébastien L. par Me Clément Cavelier, avocat au barreau de Caen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1098 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 134-4 du code général de la f

onction publique, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 202...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 avril 2024 par le Conseil d’État (décision n° 491324 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sébastien L. par Me Clément Cavelier, avocat au barreau de Caen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1098 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ;
- l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Cavelier, enregistrées le 21 mai 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par Me Cavelier, enregistrées le 28 mai 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 25 juin 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 134-4 du code général de la fonction publique, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 novembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection.
« L’agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection.
« La collectivité publique est également tenue de protéger l’agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ».
2. Le requérant soutient que, en excluant du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics qui sont entendus sous le régime de l’audition libre, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre ces agents et ceux entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale, qui bénéficient d’une telle protection. Elles méconnaîtraient ainsi le principe d’égalité devant la loi.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux derniers alinéas de l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique.
- Sur le fond :
4. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
5. En application du premier alinéa de l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique, la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection aux agents publics qui font l’objet de poursuites pénales à raison de faits n’ayant pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de leurs fonctions.
6. Les dispositions contestées prévoient que les agents publics bénéficient également de cette protection lorsque, pour de tels faits, ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale. En revanche, en sont exclus les agents publics entendus sous le régime de l’audition libre à raison de mêmes faits.
7. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 20 avril 2016 mentionnée ci-dessus, qui est à l’origine de ces dispositions, que, en les adoptant, le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle aux agents publics mis en cause pénalement, y compris lorsqu’ils ne font pas l’objet de poursuites pénales, dans tous les cas où leur est reconnu le droit à l’assistance d’un avocat.
8. Or, l’article 61-1 du code de procédure pénale prévoit que la personne entendue librement a le droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation par un avocat si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Dès lors, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées est sans rapport avec l’objet de la loi.
9. Par conséquent, ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi. Elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
11. En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions.
12. En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection à l’agent public entendu sous le régime de l’audition libre à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions.
13. Par ailleurs, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les affaires non jugées définitivement à la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les deux derniers alinéas de l’article L. 134-4 du code général de la fonction publique, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique, sont contraires à la Constitution.
 
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 11 à 13 de cette décision.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 juillet 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 4 juillet 2024.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-1098
Date de la décision : 04/07/2024
M. Sébastien L. [Protection fonctionnelle des agents publics mis en cause pénalement]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 04 juillet 2024 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 04 juillet 2024 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-1098 QPC du 04 juillet 2024
Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2024:2024.1098.QPC
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