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06/06/2024 | FRANCE | N°2024-1095

France | France, Conseil constitutionnel, 06 juin 2024, 2024-1095


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 mars 2024 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 331 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Anthony M. par Me Lara Bakhos, avocate au barreau de Rennes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1095 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa de l’article L. 815

-24 du code de la sécurité sociale ainsi que de l’article L. 815-24-1 du même cod...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 mars 2024 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 331 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Anthony M. par Me Lara Bakhos, avocate au barreau de Rennes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1095 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa de l’article L. 815-24 du code de la sécurité sociale ainsi que de l’article L. 815-24-1 du même code, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 mars 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 29 mai 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le dernier alinéa de l’article L. 815-24 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 décembre 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit, à propos de l’allocation supplémentaire d’invalidité :
« Le montant de l’allocation supplémentaire peut varier selon la situation matrimoniale des intéressés ». 
2. L’article L. 815-24-1 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« L’allocation supplémentaire d’invalidité n’est due que si le total de cette allocation et des ressources personnelles de l’intéressé et du conjoint, du concubin ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité n’excède pas des plafonds fixés par décret. Lorsque le total de la ou des allocations supplémentaires d’invalidité et des ressources personnelles de l’intéressé ou des époux, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité dépasse ces plafonds, la ou les allocations sont réduites à due concurrence ». 
3. Le requérant reproche à ces dispositions d’instaurer une différence de traitement injustifiée entre les personnes invalides qui vivent en concubinage et sont tenues, à ce titre, de déclarer les revenus de leur concubin pour le calcul de l’allocation supplémentaire d’invalidité et celles vivant en colocation ou chez des parents, qui ne sont pas tenues de déclarer les ressources des personnes avec lesquelles elles vivent. Il conteste également le fait qu’elles traitent de la même façon les personnes invalides vivant en concubinage, qui ne sont pas soumises à une obligation de solidarité financière, et celles mariées ou liées par un pacte civil de solidarité qui y sont soumises. Il critique en outre la différence de traitement que ces dispositions instaurent entre les personnes vivant en concubinage selon qu’elles sont invalides ou non. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
4. Le requérant fait également valoir que ces dispositions auraient pour effet de placer l’allocataire dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de son concubin alors que ce dernier n’a aucune obligation de solidarité financière à son égard. Elles méconnaîtraient ainsi le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le droit de mener une vie familiale normale.
5. Le requérant soutient en outre que ces dispositions, en faisant peser sur le concubin la charge d’entretenir financièrement une personne invalide, méconnaîtraient le droit de propriété, le principe d’égalité devant les charges publiques et les exigences résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « du concubin » figurant à la première phrase de l’article L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale, et sur le mot « concubins » figurant à la seconde phrase du même article.
7. En premier lieu, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
8. L’article L. 815-24 du code de la sécurité sociale prévoit que les personnes invalides titulaires d’un avantage viager au titre de l’assurance invalidité ou de vieillesse peuvent bénéficier, sous certaines conditions, d’une allocation supplémentaire d’invalidité dont le montant varie selon la situation matrimoniale de l’allocataire.
9. En application des dispositions contestées de l’article L. 815-24-1 du même code, qui précise les modalités de calcul de cette allocation, les ressources prises en compte pour ce calcul incluent celles du concubin de l’allocataire.
10. Il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte des conditions de vie des personnes invalides afin de déterminer le montant de l’allocation à leur octroyer pour leur garantir un niveau de ressources minimal.
11. D’une part, selon l’article 515-8 du code civil, le concubinage se caractérise par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes vivant en couple. Les personnes invalides vivant selon ce régime sont ainsi placées dans une situation différente de celles vivant en colocation ou chez des proches.
12. Par ailleurs, ces personnes sont placées dans une situation différente de celles qui ne sont pas dans une situation d’invalidité.
13. Les différences de traitement résultant des dispositions contestées, qui reposent sur une différence de situation, sont en rapport direct avec l’objet de la loi.
14. D’autre part, il était loisible au législateur de soumettre à la même condition de ressources, pour l’octroi de l’allocation supplémentaire d’invalidité, les personnes invalides vivant en concubinage et celles mariées ou liées par un pacte civil de solidarité, qui constituent les trois formes d’union sous lesquelles peut s’organiser, juridiquement, la vie commune d’un couple.
15. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
16. En second lieu, aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 :
« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
17. Les exigences constitutionnelles résultant de ces dispositions impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes invalides. Il est cependant possible au législateur, pour satisfaire à ces exigences, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées.
18. Ainsi qu’il a été dit au paragraphe 10, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir un niveau de ressources minimal aux personnes invalides en considération de leurs conditions de vie.
19. Dans ce cadre, il a pu prévoir que les ressources du concubin de l’allocataire doivent être prises en compte pour le calcul du montant de l’allocation supplémentaire d’invalidité.
20. Le grief tiré de la méconnaissance des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 doit donc être écarté.
21. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit de mener une vie familiale normale, le droit de propriété et le principe d’égalité devant les charges publiques, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « du concubin » figurant à la première phrase de l’article L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement pour la sécurité sociale pour 2009, et le mot « concubins » figurant à la seconde phrase du même article sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juin 2024, où siégeaient : M. Alain JUPPÉ exerçant les fonctions de Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 6 juin 2024.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-1095
Date de la décision : 06/06/2024
M. Anthony M. [Condition de ressources pour le versement de l’allocation supplémentaire d’invalidité]
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 06 juin 2024 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 06 juin 2024 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-1095 QPC du 06 juin 2024
Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2024:2024.1095.QPC
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