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07/05/2024 | FRANCE | N°2024-865

France | France, Conseil constitutionnel, 07 mai 2024, 2024-865


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, sous le n° 2024-865 DC, le 15 avril 2024, par M. Bruno RETAILLEAU, MM. Jean-Claude ANGLARS, Philippe BAS, Arnaud BAZIN, Mmes Nadine BELLUROT, Martine BERTHET, MM. Étienne BLANC, Jean-Baptiste BLANC, François BONHOMME, Mmes Alexandra BORCHIO FONTIMP, Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, Christian BRUYEN, François-Noël BUFFET, Laurent BURGOA,

Mmes Agnès CANAYER, Marie-Claire CARRÈRE-GÉE, Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patr...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, sous le n° 2024-865 DC, le 15 avril 2024, par M. Bruno RETAILLEAU, MM. Jean-Claude ANGLARS, Philippe BAS, Arnaud BAZIN, Mmes Nadine BELLUROT, Martine BERTHET, MM. Étienne BLANC, Jean-Baptiste BLANC, François BONHOMME, Mmes Alexandra BORCHIO FONTIMP, Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, Christian BRUYEN, François-Noël BUFFET, Laurent BURGOA, Mmes Agnès CANAYER, Marie-Claire CARRÈRE-GÉE, Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Alain CHATILLON, Guillaume CHEVROLLIER, Mmes Marta de CIDRAC, Marie-Carole CIUNTU, MM. Pierre CUYPERS, Mathieu DARNAUD, Mmes Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, Sabine DREXLER, Catherine DUMAS, Françoise DUMONT, M. Laurent DUPLOMB, Mmes Dominique ESTROSI SASSONE, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, Agnès EVREN, MM. Gilbert FAVREAU, Christophe-André FRASSA, Mmes Laurence GARNIER, Béatrice GOSSELIN, MM. Daniel GREMILLET, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Jean-Raymond HUGONET, Jean-François HUSSON, Mmes Corinne IMBERT, Micheline JACQUES, Lauriane JOSENDE, Else JOSEPH, Muriel JOURDA, MM. Roger KAROUTCHI, Christian KLINGER, Marc LAMÉNIE, Daniel LAURENT, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Mme Vivette LOPEZ, M. Didier MANDELLI, Mme Pauline MARTIN, M. Thierry MEIGNEN, Mmes Marie MERCIER, Brigitte MICOULEAU, M. Philippe MOUILLER, Mme Laurence MULLER-BRONN, M. Georges NATUREL, Mme Anne-Marie NÉDÉLEC, Mme Sylviane NOËL, MM. Claude NOUGEIN, Olivier PACCAUD, Jean-Jacques PANUNZI, Jean-Gérard PAUMIER, Cédric PERRIN, Mme Annick PETRUS, M. Stéphane PIEDNOIR, Mmes Kristina PLUCHET, Sophie PRIMAS, Frédérique PUISSAT, M. Hervé REYNAUD, Mme Marie-Pierre RICHER, MM. Olivier RIETMANN, Bruno ROJOUAN, Hugues SAURY, Stéphane SAUTAREL, Mme Elsa SCHALCK, MM. Jean SOL, Laurent SOMON, Francis SZPINER, Philippe TABAROT, Mme Anne VENTALON, MM. Cédric VIAL et Jean Pierre VOGEL, sénateurs.
Il a également été saisi, le même jour, par Mme Marine LE PEN, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, MM. Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, José BEAURAIN, Christophe BENTZ, Mmes Sophie BLANC, Pascale BORDES, MM. Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Mmes Caroline COLOMBIER, Annick COUSIN, Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, MM. Grégoire de FOURNAS, Hervé de LÉPINAU, Jocelyn DESSIGNY, Mmes Edwige DIAZ, Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, Mme Christine ENGRAND, MM. Frédéric FALCON, Thibaut FRANÇOIS, Mme Stéphanie GALZY, MM. Frank GILETTI, Yoann GILLET, Christian GIRARD, José GONZALEZ, Mmes Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, MM. Daniel GRENON, Michel GUINIOT, Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, M. Timothée HOUSSIN, M. Laurent JACOBELLI, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mmes Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Julie LECHANTEUX, Gisèle LELOUIS, Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, MM. Philippe LOTTIAUX, Matthieu MARCHIO, Mme Alexandra MASSON, MM. Bryan MASSON, Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, MM. Thomas MÉNAGÉ, Serge MULLER, Mmes Mathilde PARIS, Caroline PARMENTIER, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mmes Laurence ROBERT-DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Anaïs SABATINI, MM. Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean-Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE et Antoine VILLEDIEU, députés.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 29 avril 2024 ;
M. Jacques Mézard ayant estimé devoir s’abstenir de siéger ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes. Ils contestent la conformité à la Constitution de son article 12. Les sénateurs requérants contestent également certaines dispositions de son article 3.
- Sur certaines dispositions de l’article 3 :
2. Le 5° du paragraphe I de l’article 3 de la loi déférée modifie l’article 223-15-3 du code pénal afin, notamment, de réprimer de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement et ayant pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
3. Les sénateurs requérants reprochent à ces dispositions de punir tout type d’emprise, quelle qu’en soit l’origine. Ce faisant, elles méconnaîtraient la liberté individuelle, la liberté personnelle, la liberté de conscience et la liberté d’opinion.
4. La liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
5. Il est loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
6. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en instituant l’infraction prévue par les dispositions contestées, le législateur a entendu incriminer le seul fait de placer ou de maintenir une personne en état de sujétion psychologique ou physique, dès lors qu’il en résulte pour elle des conséquences gravement préjudiciables. Il a ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé, de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions.
7. En second lieu, cette infraction n’est constituée que si son auteur a usé de pressions graves, de pressions réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement de la victime, et que ces agissements ont causé une altération grave de la santé physique ou mentale de la victime ou l’ont conduite à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
8. Dès lors, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a procédé à une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées. Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté personnelle doit donc être écarté.
9. Par conséquent, le premier alinéa du paragraphe I de l’article 223-15-3 du code pénal, qui ne méconnaît pas non plus la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté d’opinion, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur l’article 12 :
10. L’article 12 insère un nouvel article 223-1-2 au sein du code pénal afin de réprimer d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la provocation à abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical ainsi que la provocation à adopter des pratiques, présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique, exposant à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.
11. Les sénateurs requérants font valoir que ces dispositions permettraient de réprimer un discours général et impersonnel, sans qu’il soit exigé d’établir des pressions ou des contacts directs et répétés entre l’auteur et la victime, et alors même que d’autres incriminations permettraient d’atteindre l’objectif poursuivi par le législateur. Ce faisant, elles porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication et à la liberté de choisir et de refuser des soins.
12. Les députés requérants soutiennent quant à eux que ces dispositions porteraient à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire dans la mesure où les faits qu’elles répriment sont déjà susceptibles d’être réprimés en application de plusieurs qualifications pénales existantes. Selon eux, cette atteinte ne serait pas non plus adaptée ni proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur dès lors, d’une part, que seraient interdites toute contestation de l’innocuité d’un traitement médical faisant l’objet d’un consensus scientifique ainsi que toute promotion des pratiques qui n’en font pas l’objet. D’autre part, ces dispositions feraient naître une incertitude sur la licéité des comportements incriminés dans le cas où la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical résulterait d’un discours général et impersonnel, son auteur ne pouvant, dans cette hypothèse, avoir connaissance des pathologies dont sont affectées les personnes susceptibles de prendre connaissance de ce discours, non plus que de leur volonté libre et éclairée.
13. Pour ces mêmes motifs, les députés requérants reprochent à ces dispositions de méconnaître également le principe de légalité des délits et des peines.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :
14. Aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.
- S’agissant du délit prévu par le premier alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal :
15. Le premier alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal réprime la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical.
16. En premier lieu, d’une part, le comportement réprimé par ces dispositions doit se matérialiser par des pressions ou des manœuvres réitérées tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical. Cet abandon ou cette abstention doit être présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée. D’autre part, le délit n’est constitué que s’il est constaté que cet abandon ou cette abstention est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner des conséquences particulièrement graves pour la santé physique ou psychique de la personne, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte. Il doit être établi que l’auteur a conscience que cet abandon ou cette abstention pourrait exposer cette personne à de telles conséquences.
17. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que la provocation doit être adressée à toute personne atteinte d’une pathologie. Dès lors, la seule diffusion à destination d’un public indéterminé d’informations tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical ne peut être regardée comme constitutive de pressions ou de manœuvres au sens des dispositions contestées. Ces dispositions ne peuvent donc permettre que la répression d’actes ayant pour but d’amener une personne ou un groupe de personnes visées à raison de la pathologie dont elles sont atteintes à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical.
18. En dernier lieu, il résulte du quatrième alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal que le délit n’est pas constitué lorsque les circonstances dans lesquelles a été commise la provocation permettent d’établir la volonté libre et éclairée de la personne, eu égard notamment à la délivrance d’une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé, à moins qu’il soit établi que cette personne était placée ou maintenue dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l’article 223-15-3 du même code dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la loi déférée. Toutefois, ces dispositions ne peuvent s’appliquer que lorsque la provocation est commise envers une ou plusieurs personnes déterminées.
19. Dès lors, les dispositions instituant le délit contesté ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d’arbitraire.
- S’agissant du délit prévu par le deuxième alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal :
20. Le deuxième alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal réprime la provocation à adopter certaines pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique.
21. Il résulte de ces dispositions que ce délit n’est constitué que si son auteur diffuse des informations tendant à promouvoir l’adoption de pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste que, en l’état des connaissances médicales, ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Il doit être établi que l’auteur de la provocation a conscience que ces pratiques pourraient exposer les personnes qui les adoptent à de telles conséquences.
22. Dès lors, les dispositions instituant le délit contesté ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d’arbitraire.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’expression et de communication :
24. Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.
25. En premier lieu, en instituant les délits prévus par les dispositions contestées, le législateur a entendu lutter contre la promotion des comportements ou des pratiques présentés comme thérapeutiques ou prophylactiques alors qu’ils sont susceptibles de mettre en danger la santé des personnes. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé, de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions.
26. En second lieu, d’une part, pour les motifs énoncés aux paragraphes 16 à 19, 21 et 22, les faits incriminés sont précisément définis et ne créent pas d’incertitude sur la licéité des comportements susceptibles d’entrer dans le champ de ces délits.
27. D’autre part, il résulte du cinquième alinéa de l’article 223-1-2 du code pénal que ne peut être poursuivie du chef de ces délits la personne qui procède, en qualité de lanceur d’alerte, au signalement ou à la divulgation d’une information dans les conditions prévues par la loi du 9 décembre 2016 mentionnée ci-dessus.
28. Par conséquent, pour ces motifs et ceux énoncés aux paragraphes 16 à 19, 21 et 22, l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication par les dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
29. Il résulte de ce qui précède que l’article 223-1-2 du code pénal, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur la place d’autres dispositions dans la loi déférée :
30. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions qui sont introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Selon une jurisprudence constante, il s’assure dans ce cadre de l’existence d’un lien entre l’objet de l’amendement et celui de l’une au moins des dispositions du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Il ne déclare des dispositions contraires à l’article 45 de la Constitution que si un tel lien, même indirect, ne peut être identifié. Il apprécie l’existence de ce lien après avoir décrit le texte initial puis, pour chacune des dispositions déclarées inconstitutionnelles, les raisons pour lesquelles elle doit être regardée comme dépourvue de lien même indirect avec celui-ci. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.
31. La loi déférée, qui comporte dix-huit articles répartis en sept chapitres, a pour origine le projet de loi déposé le 15 novembre 2023 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie. Ce projet comportait sept articles, répartis en cinq chapitres.
32. Son premier chapitre créait un nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique et introduisait une circonstance aggravante pour certains crimes et délits commis contre une personne se trouvant dans cet état de sujétion. Son deuxième chapitre portait sur les conditions à remplir par les associations pour se constituer partie civile en matière de dérives sectaires. Son troisième chapitre créait de nouveaux délits réprimant, sous certaines conditions, la provocation à abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical ainsi qu’à adopter certaines pratiques, et prévoyait l’obligation pour le ministère public d’informer les ordres professionnels de la condamnation ou du placement sous contrôle judiciaire des praticiens relevant de ces ordres pour des infractions mentionnées à l’article 2-17 du code de procédure pénale. Son quatrième chapitre permettait au ministère public ou à la juridiction compétente de solliciter, en cas de poursuites pour des faits commis sur une personne en état de sujétion psychologique ou physique, certains services de l’État dont la compétence serait de nature à les éclairer utilement. Son dernier chapitre prévoyait des mesures d’application pour certains territoires ultramarins.
33. L’article 2 donne compétence aux conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance pour traiter des questions relatives à la prévention des phénomènes sectaires et à la lutte contre ces phénomènes. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 6 du projet de loi initial qui permettait au ministère public ou à la juridiction compétente de solliciter, en cas de poursuites pour des faits commis sur une personne en état de sujétion psychologique ou physique, certains services de l’État dont la compétence serait de nature à les éclairer utilement.
34. Ces dispositions ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.
35. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
- Sur les autres dispositions :
36. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - L’article 2 de la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes est contraire à la Constitution.
 
Article 2. - Sont conformes à la Constitution :
- le premier alinéa du paragraphe I de l’article 223-15-3 du code pénal, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la loi déférée ;
- l’article 223-1-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de l’article 12 de la même loi.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 mai 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 7 mai 2024.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-865
Date de la décision : 07/05/2024
Loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Références :

DC du 07 mai 2024 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 07 mai 2024 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-865 DC du 07 mai 2024
Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2024:2024.865.DC
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