LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 juin 2023 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 552 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Hélène C. par Me Jérôme Depondt, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1060 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’urbanisme ;
- l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, ratifiée par l’article 172 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société HDV foncier, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 juin 2023 ;
- les observations présentées pour la requérante par Me Depondt, enregistrées le 30 juin 2023 ;
- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour l’ordre des avocats au barreau de Paris par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour M. Yves S. et autres par la SCP Boutet - Hourdeaux, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour la société internationale investissement par Mes Florence Cherel et Pierre-Édouard Vino, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la requérante par Me Depondt, enregistrées le 17 juillet 2023 ;
- les secondes observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la société HDV foncier par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations en intervention présentées pour l’ordre des avocats au barreau de Paris par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
MM. Jacques Mézard et François Pillet ayant estimé devoir s’abstenir de siéger ;
Après avoir entendu Me Depondt, pour la requérante, Me Clémence Hourdeaux, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour M. Yves S. et autres, Me Henri-Charles Croisier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’ordre des avocats au barreau de Paris, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 28 juillet 2023 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le deuxième alinéa de l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit : « La contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition. L’action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature ».
2. La requérante, rejointe par l’une des parties intervenantes, reproche à ces dispositions de prévoir que, lorsqu’une transaction est conclue entre les parties à l’instance dans le cadre d’un recours dirigé contre certaines autorisations d’urbanisme, le défaut d’enregistrement de cette transaction permet au bénéficiaire de l’autorisation de solliciter la restitution de la contrepartie qu’il avait consentie, sans toutefois remettre en cause le désistement du requérant. Ce faisant, elles institueraient une différence de traitement injustifiée entre les parties à la transaction, en méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice.
3. Elle fait également valoir que, en privant le requérant, même de bonne foi, de la contrepartie prévue par la transaction, y compris du seul fait de son enregistrement tardif, tout en laissant définitivement acquis le bénéfice du désistement au titulaire de l’autorisation d’urbanisme, ces dispositions porteraient une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif.
4. L’une des parties intervenantes soutient par ailleurs que, en permettant au titulaire de l’autorisation d’urbanisme d’obtenir la restitution d’une contrepartie à laquelle il avait consenti, ces dispositions méconnaîtraient le droit de propriété.
- Sur l’intervention :
5. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus : « Lorsqu’une personne justifiant d’un intérêt spécial adresse des observations en intervention relatives à une question prioritaire de constitutionnalité avant la date fixée en application du troisième alinéa de l’article 1er et mentionnée sur le site internet du Conseil constitutionnel, celui-ci décide que l’ensemble des pièces de la procédure lui est adressé et que ces observations sont transmises aux parties et autorités mentionnées à l’article 1er. Il leur est imparti un délai pour y répondre. En cas d’urgence, le président du Conseil constitutionnel ordonne cette transmission ».
6. Les observations présentées par l’ordre des avocats au barreau de Paris avant la date mentionnée ci-dessus ne comportent aucun grief à l’encontre des dispositions objets de la présente question prioritaire de constitutionnalité et renvoient la démonstration de leur inconstitutionnalité à de prochaines écritures. Par conséquent, l’intervention ne satisfaisant pas aux exigences posées par l’article 6 précité, elle n’est pas admise.
- Sur le fond :
7. En premier lieu, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
8. En application de l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme, la transaction par laquelle une personne s’engage à se désister de son recours en annulation contre une autorisation d’urbanisme, en contrepartie d’une somme d’argent ou d’un avantage en nature, doit être enregistrée auprès de l’administration fiscale dans un délai d’un mois.
9. Il résulte des dispositions contestées que, en cas de méconnaissance de cette formalité, la contrepartie qui a été consentie au requérant est réputée sans cause et sujette à une action en répétition, alors que le titulaire de l’autorisation d’urbanisme qui faisait l’objet du recours conserve le bénéfice du désistement. Ce faisant, ces dispositions établissent une différence de traitement entre les parties à la transaction.
10. En sanctionnant le défaut d’enregistrement destiné à assurer la publicité des transactions, le législateur a souhaité dissuader la conclusion de celles mettant fin à des instances introduites dans le seul but d’obtenir indûment un gain financier. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d’incertitude juridique qui pèsent sur les décisions d’urbanisme et lutter contre les recours abusifs.
11. Au regard de cet objet, l’auteur du recours dirigé contre l’autorisation d’urbanisme est dans une situation différente de celle du bénéficiaire de cette autorisation.
12. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
13. En second lieu, aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
14. Les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d’interdire aux personnes intéressées de former un recours contre une autorisation d’urbanisme. Elles se bornent à sanctionner la méconnaissance de l’obligation d’enregistrement de la transaction par laquelle l’auteur du recours s’est engagé à se désister.
15. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ne peut qu’être écarté.
16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant la justice, le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa de l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 septembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 14 septembre 2023.