LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, sous le n° 2020-805 DC, le 27 juillet 2020, par le président de l'Assemblée nationale.
Il a également été saisi, le 28 juillet 2020, par MM. Patrick KANNER, Maurice ANTISTE, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Claude BÉRIT-DÉBAT, Joël BIGOT, Mmes Maryvonne BLONDIN, Nicole BONNEFOY, M. Yannick BOTREL, Mme Muriel CABARET, M. Thierry CARCENAC, Mmes Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, MM. Roland COURTEAU, Michel DAGBERT, Yves DAUDIGNY, Marc DAUNIS, Mme Marie-Pierre de la GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Alain DURAN, Vincent ÉBLÉ, Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, M. Hervé GILLÉ, Mme Annie GUILLEMOT, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Olivier JACQUIN, Mme Victoire JASMIN, MM. Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, MM. Éric KERROUCHE, Jean-Yves LECONTE, Mme Claudine LEPAGE, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Didier MARIE, Rachel MAZUIR, Mmes Michelle MEUNIER, Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Angèle PRÉVILLE, M. Claude RAYNAL, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mmes Laurence ROSSIGNOL, Marie-Noëlle SCHOELLER, MM. Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Mme Nelly TOCQUEVILLE, MM. Jean-Marc TODESCHINI, Jean-Louis TOURENNE, André VALLINI et Yannick VAUGRENARD, sénateurs.
Il a enfin été saisi, le 29 juillet 2020, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Jean-Louis BRICOUT, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Serge LETCHIMY, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mmes George PAU-LANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Joaquim PUEYO, Mme Claudia ROUAUX, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mmes Michèle VICTORY, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mmes Bénédicte TAURINE, Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, MM. Moetai BROTHERSON, Gabriel SERVILLE, Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Jean-Félix ACQUAVIVA, Michel CASTELLANI, Jean-Michel CLÉMENT, Paul-André COLOMBANI, Charles de COURSON, Mmes Frédérique DUMAS, Sandrine JOSSO, MM. François-Michel LAMBERT, Paul MOLAC, Bertrand PANCHER et Mme Sylvia PINEL, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 3 août 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le président de l'Assemblée nationale, les sénateurs et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine. Le président de l'Assemblée nationale demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de son article 1er. Les sénateurs et les députés requérants contestent ce même article 1er.
- Sur l'article 1er :
2. L'article 1er de la loi déférée crée, aux articles 706-25-15 et suivants du code de procédure pénale, une « mesure de sûreté » applicable aux auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine.
3. Cette nouvelle mesure est applicable à trois conditions. D'une part, la personne doit avoir été condamnée pour avoir commis une infraction terroriste mentionnée aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l'exclusion des infractions relatives à la provocation au terrorisme et à l'apologie de celui-ci. D'autre part, la personne doit avoir été condamnée à une peine privative de liberté d'une durée d'au moins cinq ans ou, en cas de récidive légale, d'au moins trois ans. Enfin, elle doit présenter, à la fin de l'exécution de sa peine, une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme.
4. Cette mesure est prise au vu d'un avis motivé de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, chargée d'évaluer la dangerosité de la personne. Elle est ordonnée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris ou, en ce qui concerne les mineurs, par le tribunal pour enfants de Paris.
5. La mesure de sûreté impose à la personne de respecter une ou plusieurs des obligations ou interdictions suivantes : répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du service pénitentiaire d'insertion et de probation ; recevoir les visites de ce service et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d'existence et de l'exécution de ses obligations ; prévenir ce service de ses changements d'emploi ou de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et rendre compte de son retour ; obtenir l'autorisation préalable du juge de l'application des peines lorsque le changement d'emploi ou de résidence est de nature à faire obstacle à l'exécution de la mesure de sûreté ; exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ; établir sa résidence en un lieu déterminé ; obtenir l'autorisation préalable du juge de l'application des peines pour tout déplacement à l'étranger ; ne pas se livrer à l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ; se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ou, en cas de placement sous surveillance électronique mobile, d'une fois par semaine ; ne pas entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes spécialement désignées ; s'abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ; ne pas détenir ou porter une arme ; respecter les conditions d'une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l'acquisition des valeurs de la citoyenneté, le cas échéant au sein d'un établissement d'accueil adapté dans lequel elle est tenue de résider ; être placée, sous réserve de son consentement, sous surveillance électronique mobile. La méconnaissance de ces obligations ou interdictions est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
6. La mesure est ordonnée pour une durée maximale d'un an. Elle peut, sous certaines conditions, être renouvelée pour la même durée, dans la limite de cinq ans ou de dix ans lorsque les faits commis par le condamné constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement. Lorsque le condamné est mineur, ces limites sont ramenées à, respectivement, trois ans et cinq ans.
7. Le président de l'Assemblée nationale demande au Conseil constitutionnel d'examiner la conformité de ces dispositions à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et à l'article 66 de la Constitution. Selon les sénateurs requérants, ces mêmes dispositions entraveraient la liberté personnelle par une rigueur non nécessaire et porteraient à la liberté individuelle, à la liberté d'aller et de venir et au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne serait ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur. Les députés requérants présentent les mêmes griefs et y ajoutent que le principe de légalité des délits et des peines serait méconnu en raison de la subjectivité de l'appréciation de la dangerosité d'une personne. Ils estiment également que le cumul de certaines des obligations prévues par la loi confère à la mesure contestée un caractère privatif de liberté justifiant l'application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale.
8. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
9. Si la mesure prévue à l'article 706-25-15 du code de procédure pénale est prononcée en considération d'une condamnation pénale et succède à l'accomplissement de la peine, elle n'est pas décidée lors de la condamnation par la juridiction de jugement mais à l'expiration de la peine, par la juridiction régionale de la rétention de sûreté. Elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée, mais sur sa particulière dangerosité appréciée par la juridiction régionale à la date de sa décision. Elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive. Ainsi, cette mesure n'est ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition.
10. Toutefois, bien que dépourvue de caractère punitif, elle doit respecter le principe, résultant des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, l'exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ceux-ci figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Les atteintes portées à l'exercice de ces droits et libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention poursuivi.
11. Le terrorisme trouble gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. L'objectif de lutte contre le terrorisme participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.
12. La mesure de sûreté prévue par l'article 706-25-15 du code de procédure pénale vise à soumettre des auteurs d'infractions terroristes, dès leur sortie de détention, à des obligations et interdictions afin de prévenir leur récidive. Par les dispositions contestées, le législateur a, comme il y était fondé, voulu lutter contre le terrorisme et prévenir la commission d'actes troublant gravement l'ordre public. Il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.
13. D'une part, cette mesure s'ajoute à celles existantes visant à prévenir la récidive des infractions les plus graves, telles que le suivi socio-judiciaire, la surveillance judiciaire, la rétention de sûreté, la surveillance de sûreté et l'inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes. Elle s'ajoute également aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance visant à prévenir la commission d'actes de terrorisme. D'autre part, elle vise à répondre au risque particulier de récidive que présente une personne qui persiste à adhérer, à l'issue de sa peine, à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme.
14. Toutefois, s'il est loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté fondées sur la particulière dangerosité, évaluée à partir d'éléments objectifs, de l'auteur d'un acte terroriste et visant à prévenir la récidive de telles infractions, c'est à la condition qu'aucune mesure moins attentatoire aux droits et libertés constitutionnellement garantis ne soit suffisante pour prévenir la commission de ces actes et que les conditions de mise en œuvre de ces mesures et leur durée soient adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi. Le respect de cette exigence s'impose a fortiori lorsque la personne a déjà exécuté sa peine.
15. En premier lieu, la mesure contestée permet d'imposer diverses obligations ou interdictions, le cas échéant de manière cumulative, qui portent atteinte à la liberté d'aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Tel est ainsi le cas de l'obligation d'établir sa résidence dans un lieu déterminé, de l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, jusqu'à trois fois par semaine, de l'interdiction de se livrer à certaines activités, de l'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes ou de paraître dans certains lieux, catégories de lieux ou zones et de l'obligation de respecter les conditions d'une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique.
16. En deuxième lieu, la durée de la mesure de sûreté en accroît la rigueur. Or, si la mesure contestée peut être ordonnée pour une période d'un an, elle peut être renouvelée et durer jusqu'à cinq ans voire, dans certains cas, dix ans. Si la personne était mineure lors de la commission des faits, ces durées sont respectivement de trois et cinq ans. Les durées maximales s'appliquent en considération de la peine encourue, quel que soit le quantum de la peine prononcée.
17. En troisième lieu, d'une part, si la mesure contestée ne peut être prononcée qu'à l'encontre d'une personne condamnée pour une infraction terroriste, elle peut être appliquée dès lors que la personne a été condamnée à une peine privative de liberté supérieure ou égale à cinq ans ou à trois ans si l'infraction a été commise en état de récidive légale. D'autre part, elle peut être prononcée y compris si cette peine a été assortie en partie d'un sursis simple. Ainsi, il résulte du premier alinéa du paragraphe I de l'article 706-25-15 et du premier alinéa de l'article 706-25-16 que la mesure de sûreté peut être prononcée dès lors que la partie ferme de la peine est au moins égale à trois mois d'emprisonnement, et ce alors même que, en prononçant un sursis simple, la juridiction de jugement n'a pas jugé utile de prévoir que la partie de la peine assortie du sursis s'exécuterait sous la forme d'une mise à l'épreuve ou d'un sursis probatoire, mesures pourtant de nature à assurer un suivi de la personne après son emprisonnement.
18. En quatrième lieu, la mesure ne peut être prononcée qu'en raison de la dangerosité de la personne caractérisée notamment par la probabilité très élevée qu'elle récidive. Toutefois, alors que la mesure de sûreté ne peut intervenir qu'à l'issue de l'exécution d'une peine d'emprisonnement, il n'est pas exigé que la personne ait pu, pendant l'exécution de cette peine, bénéficier de mesures de nature à favoriser sa réinsertion.
19. En dernier lieu, les renouvellements de la mesure de sûreté peuvent être décidés aux mêmes conditions que la décision initiale, sans qu'il soit exigé que la dangerosité de la personne soit corroborée par des éléments nouveaux ou complémentaires.
20. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, il y a donc lieu de déclarer contraires à la Constitution l'article 1er de la loi déférée et, par voie de conséquence, ses articles 2 et 4.
- Sur les autres dispositions :
21. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les articles 1er, 2 et 4 de la loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine sont contraires à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 août 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 7 août 2020.