LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 novembre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 434325 du 15 novembre 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Thierry A. par Me Marc André, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-824 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° du paragraphe II de l'article 156 du code général des impôts et de l'article 199 octodecies du même code.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire en matière de divorce ;
- la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001 ;
- la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce ;
- l'ordonnance n° 2010-462 du 6 mai 2010 créant un livre IX du code rural relatif à la pêche maritime et à l'aquaculture marine ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Colin - Stoclet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 décembre 2019 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Colin - Stoclet et la SCP André et André et associés, avocat au barreau de Marseille, enregistrées le 26 décembre 2019 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mathieu Stoclet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 21 janvier 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du paragraphe II de l'article 156 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 6 mai 2010 mentionnée ci-dessus et de l'article 199 octodecies du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 26 mai 2004 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 156 du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit que l'impôt sur le revenu est établi d'après le montant de revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal et qui est déterminé sous déduction de certaines charges. Le 2° de son paragraphe II prévoit la déduction des :« Arrérages de rentes payés par lui à titre obligatoire et gratuit constituées avant le 2 novembre 1959 ; pensions alimentaires répondant aux conditions fixées par les articles 205 à 211, 367 et 767 du code civil à l'exception de celles versées aux ascendants quand il est fait application des dispositions prévues aux 1 et 2 de l'article 199 sexdecies ; versements de sommes d'argent mentionnés à l'article 275 du code civil lorsqu'ils sont effectués sur une période supérieure à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce, que celui-ci résulte ou non d'une demande conjointe, est passé en force de chose jugée et les rentes versées en application des articles 276, 278 ou 279-1 du même code en cas de séparation de corps ou de divorce, ou en cas d'instance en séparation de corps ou en divorce et lorsque le conjoint fait l'objet d'une imposition séparée, les pensions alimentaires versées en vertu d'une décision de justice et en cas de révision amiable de ces pensions, le montant effectivement versé dans les conditions fixées par les articles 208 et 371-2 du code civil ; contribution aux charges du mariage définie à l'article 214 du code civil, lorsque son versement résulte d'une décision de justice et à condition que les époux fassent l'objet d'une imposition séparée ; dans la limite de 2 700 euros et, dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'État, les versements destinés à constituer le capital de la rente prévue à l'article 373-2-3 du code civil.
« Le contribuable ne peut opérer aucune déduction pour ses descendants mineurs lorsqu'ils sont pris en compte pour la détermination de son quotient familial.
« La déduction est limitée, par enfant majeur, au montant fixé pour l'abattement prévu par l'article 196 B. Lorsque l'enfant est marié, cette limite est doublée au profit du parent qui justifie qu'il participe seul à l'entretien du ménage.
« Un contribuable ne peut, au titre d'une même année et pour un même enfant, bénéficier à la fois de la déduction d'une pension alimentaire et du rattachement. L'année où l'enfant atteint sa majorité, le contribuable ne peut à la fois déduire une pension pour cet enfant et le considérer à charge pour le calcul de l'impôt ».
3. L'article 199 octodecies du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit :« I. Les versements de sommes d'argent et l'attribution de biens ou de droits effectués en exécution de la prestation compensatoire dans les conditions et selon les modalités définies aux articles 274 et 275 du code civil sur une période, conformément à la convention de divorce homologuée par le juge ou au jugement de divorce, au plus égale à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce, que celui-ci résulte ou non d'une demande conjointe, est passé en force de chose jugée, ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu lorsqu'ils proviennent de personnes domiciliées en France au sens de l'article 4 B.
« La réduction d'impôt est égale à 25 % du montant des versements effectués, des biens ou des droits attribués, retenu pour la valeur fixée dans la convention de divorce homologuée par le juge ou par le jugement de divorce, et dans la limite d'un plafond égal à 30 500 € apprécié par rapport à la période mentionnée au premier alinéa.
« Lorsque la prestation compensatoire prend la forme d'une rente conformément aux dispositions des articles 276, 278 et 279-1 du code civil, la substitution d'un capital aux arrérages futurs, versé ou attribué sur une période au plus égale à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement prononçant la conversion est passé en force de chose jugée, ouvre également droit à la réduction d'impôt. Son assiette est alors égale au capital total reconstitué limité à 30 500 € et retenu dans la proportion qui existe entre le capital dû à la date de la conversion et le capital total reconstitué à cette même date. Le capital total reconstitué s'entend de la valeur du capital versé ou attribué à la date de conversion, majoré de la somme des rentes versées jusqu'au jour de la conversion et revalorisées en fonction de la variation de l'indice moyen annuel des prix à la consommation constatée entre l'année de versement de la rente et celle de la conversion.
« Lorsque le versement des sommes d'argent, l'attribution de biens ou de droits s'effectuent sur l'année au cours de laquelle le jugement de divorce, que celui-ci résulte ou non d'une demande conjointe, ou le jugement prononçant la conversion de rente en capital, sont passés en force de chose jugée et l'année suivante, le montant ouvrant droit à réduction d'impôt au titre de la première année ne peut excéder le montant du plafond mentionné au deuxième alinéa multiplié par le rapport existant entre le montant des versements de sommes d'argent, des biens ou des droits attribués au cours de l'année considérée, et le montant total du capital tel que celui-ci a été fixé dans le jugement de divorce ou le jugement prononçant la conversion que le débiteur de la prestation compensatoire s'est engagé à effectuer sur la période mentionnée au premier alinéa.
« II. Nonobstant la situation visée au troisième alinéa, les dispositions du I ne s'appliquent pas lorsque la prestation compensatoire est versée pour partie sous forme de rente ».
4. Le requérant soutient que ces dispositions seraient contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. En effet, en application du paragraphe II de l'article 199 octodecies du code général des impôts, lorsque la prestation compensatoire prend la forme d'un capital versé dans un délai inférieur à douze mois à compter du divorce, complété par une rente, les versements en capital ne bénéficient pas de la réduction d'impôt prévue au paragraphe I de ce même article. Ces versements en capital ne peuvent pas davantage être déduits du revenu imposable sur le fondement du 2° du paragraphe II de l'article 156 du même code. Or, toutes les autres modalités de versement de cette prestation permettent à son débiteur de bénéficier, sur l'intégralité des sommes versées, de l'un ou l'autre de ces avantages fiscaux. Une telle différence de traitement ne serait pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le paragraphe II de l'article 199 octodecies du code général des impôts.
- Sur le fond :
6. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. L'article 270 du code civil prévoit que, lors d'un divorce, l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation compensatoire destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation peut, en application des articles 274 et 275 du même code, s'exécuter en capital prenant la forme soit d'une somme d'argent ou de l'attribution de biens en propriété ou de droit temporaire ou viager d'usage, d'habitation ou d'usufruit soit, lorsque le débiteur n'est pas en mesure de verser le capital dans ces conditions, de versements périodiques dans la limite de huit années. En application des articles 276 et 278 du code civil, cette prestation peut également prendre la forme soit d'une rente soit d'un versement en capital accompagné d'une rente.
8. En premier lieu, le paragraphe I de l'article 199 octodecies du code général des impôts prévoit que les versements en capital d'une prestation compensatoire bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu égale à 25 % du montant des versements effectués, des biens ou des droits attribués, dans la limite d'un plafond égal à 30 500 euros, lorsque ces versements sont effectués sur une période inférieure à douze mois à compter du divorce. En revanche, les dispositions contestées excluent ces mêmes versements du bénéfice de la réduction d'impôt lorsqu'ils s'accompagnent d'une rente.
9. Par ailleurs, en application du 2° du paragraphe II de l'article 156 du code général des impôts, sont déductibles du revenu global les versements de capital effectués sur une période supérieure à douze mois, qu'ils soient ou non complétés d'une rente, ainsi que les rentes versées au titre d'une prestation compensatoire.
10. Ainsi, tous les versements effectués en exécution d'une prestation compensatoire bénéficient d'un avantage fiscal, exceptés les versements en capital effectués sur une période inférieure à douze mois lorsqu'ils s'accompagnent d'une rente.
11. En second lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2001 mentionnée ci-dessus, dans laquelle les dispositions contestées trouvent leur origine, que, en excluant du bénéfice de la réduction d'impôt les versements en capital intervenus sur une période inférieure à douze mois lorsqu'ils s'accompagnent d'une rente, le législateur a entendu prévenir certaines pratiques d'optimisation fiscale. Celles-ci auraient consisté, pour le débiteur de la prestation compensatoire, à limiter le montant des versements en capital au plafond de 30 500 euros afin de bénéficier du montant maximal de cette réduction fiscale et de profiter également, pour l'intégralité du surplus, de la déduction fiscale des rentes en application du 2° du paragraphe II de l'article 156.
12. Toutefois, le simple fait qu'un versement en capital dans un délai de douze mois s'accompagne d'une rente ne saurait suffire à identifier une stratégie d'optimisation fiscale dès lors que les modalités de versement d'une prestation compensatoire, qui dépendent de la situation financière des époux, sont soit déterminées par le juge en fonction de l'âge ou de l'état de santé du créancier, soit homologuées par lui en fonction du caractère équitable des droits et obligations des époux.
13. Au surplus, même si la réduction d'impôt prévue à l'article 199 octodecies avait pour objet de favoriser le règlement rapide des conséquences financières d'un divorce, les dispositions contestées n'y contribuent pas dès lors qu'un versement en capital sur une durée supérieure à douze mois accompagné d'une rente ouvre, lui, droit à une déduction fiscale de l'intégralité des sommes.
14. Dès lors, en privant le débiteur d'une prestation compensatoire du bénéfice de la réduction d'impôt sur les versements en capital intervenus sur une durée inférieure à douze mois au seul motif que ces versements sont complétés d'une rente, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi.
15. Dans ces conditions, le paragraphe II de l'article 199 octodecies du code général des impôts méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques et doit donc, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
16. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
17. En premier lieu, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée résultant de la loi du 26 mai 2004, ne sont plus en vigueur.
18. En second lieu, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le paragraphe II de l'article 199 octodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 17 et 18 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 janvier 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 31 janvier 2020.