LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 424146 du 8 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Bouchaïd S. par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-777 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, enregistrées le 1er mars 2019 ;
- les observations présentées pour la commune de Pinsaguel, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mars 2019 ;
- les observations présentées pour les sociétés Les terrains du lac et Alteal, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Poulet-Odent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mars 2019 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 mars 2019 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Christophe Nicolaÿ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la commune de Pinsaguel, Me Laurent Poulet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les sociétés Les terrains du lac et Alteal, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 27 janvier 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« La requête introductive d'instance est caduque lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produit pas les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge.
« La déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu'il n'a pas été en mesure d'invoquer en temps utile ».
2. Le requérant soutient que les dispositions contestées porteraient une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, en matière de contentieux de l'urbanisme, dès lors que la déclaration de caducité prononcée par le juge fait obstacle à ce que l'instance se poursuive, alors même qu'elle a été introduite dans les délais légaux. Il soutient également que, en ne définissant pas la notion de « pièces nécessaires au jugement de l'affaire », le législateur aurait méconnu l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi affectant ainsi le droit à un recours juridictionnel effectif.
- Sur le fond :
3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
4. En permettant au juge administratif de déclarer caduque une requête en matière de contentieux de l'urbanisme lorsque son auteur n'a pas produit, dans un délai déterminé et sans motif légitime, les pièces nécessaires au jugement de l'affaire, le législateur a entendu limiter les recours dilatoires. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
5. Cependant, la caducité, qui a pour effet d'éteindre l'instance, est susceptible de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
6. Or, en premier lieu, d'une part, la notion de « pièces nécessaires au jugement d'une affaire » est insuffisamment précise pour permettre à l'auteur d'une requête de déterminer lui-même les pièces qu'il doit produire. D'autre part, le juge administratif peut, sur le fondement des dispositions contestées, prononcer la caducité de la requête sans être tenu, préalablement, ni d'indiquer au requérant les pièces jugées manquantes ni même de lui préciser celles qu'il considère comme nécessaires au jugement de l'affaire.
7. En second lieu, d'une part, si la déclaration de caducité peut être rapportée lorsque le demandeur fait connaître, dans un délai de quinze jours, un motif légitime justifiant qu'il n'a pas produit les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans le délai imparti, elle ne peut en revanche être rapportée par la seule production des pièces jugées manquantes. D'autre part, dès lors que la caducité a été régulièrement prononcée, le requérant ne peut obtenir l'examen de sa requête par une juridiction ; il ne peut introduire une nouvelle instance que si le délai de recours n'est pas expiré.
8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées portent au droit à un recours juridictionnel effectif une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi. Par suite, elles méconnaissent les exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
9. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre grief, l'article L. 600-13 du code de l'urbanisme doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. D'une part, les dispositions contestées ont été abrogées par la loi du 23 novembre 2018 mentionnée ci-dessus.
12. D'autre part, la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 11 et 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 19 avril 2019.