LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juin 2016 par le Conseil d'État (décision n° 397983 du 16 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Lucas M. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-564 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « du 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012 ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le requérant, enregistrées les 11 et 26 juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 mentionnée ci-dessus prévoit : « Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, les déficits mentionnés aux I et I bis de l'article 156 et les réductions d'impôt ne peuvent s'imputer sur les rehaussements et droits donnant lieu à l'application de l'une des majorations prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 ».
2. Le requérant soutient que les dispositions contestées instituent une sanction, qui méconnaît le principe de proportionnalité des peines dès lors qu'elle n'est pas corrélée au manquement sanctionné mais aux déficits ou réductions d'impôt dont dispose le contribuable. Selon lui, cette sanction méconnaît également le principe d'individualisation des peines dès lors qu'elle n'est pas en lien avec le comportement du contribuable. Enfin, cette sanction méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi dès lors qu'elle ne s'applique qu'au contribuable disposant de déficits ou de réductions d'impôt.
- Sur la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 :
3. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une pénalité fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales.
4. Les dispositions des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du code général des impôts instituent des pénalités qui sanctionnent respectivement le défaut de déclaration après une mise en demeure, l'exercice d'une activité occulte, l'insuffisance déclarative intentionnelle et l'opposition à contrôle fiscal. Ces pénalités sont calculées sur la base des droits éludés. Les dispositions contestées privent le contribuable, par dérogation aux règles de droit commun relatives à l'établissement de l'impôt sur le revenu, de la possibilité d'imputer, sur les rehaussements d'assiette consécutifs aux manquements donnant lieu à l'application de ces pénalités, les déficits prévus par les paragraphes I et I bis de l'article 156 du même code. Elles le privent également de la possibilité d'imputer les réductions d'impôt sur les droits rappelés. Dans les deux cas, il en résulte une majoration des droits rappelés et, par voie de conséquence, de l'ensemble des pénalités.
5. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu priver le contribuable disposant de déficits ou bénéficiant de réductions d'impôt de la possibilité de les utiliser ou de les faire valoir pour diminuer l'impôt rappelé et les pénalités correspondantes. Il a ainsi entendu conférer une effectivité renforcée à la répression des manquements mentionnés ci-dessus. Ce faisant, il a, par une sanction ayant le caractère d'une punition, poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
6. La sanction instituée par les dispositions contestées s'applique uniquement lorsque sont encourues les pénalités qui répriment les manquements particulièrement graves mentionnés ci-dessus. Compte tenu des dispositions contestées, les pénalités prononcées sur le fondement des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du code général des impôts sont proportionnées aux manquements réprimés.
7. Pour chaque pénalité prononcée sur le fondement des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du code général des impôts, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la pénalité, soit d'en dispenser le contribuable s'il n'a pas commis les manquements réprimés. En outre, les dispositions contestées assurent l'effectivité des pénalités mentionnées ci-dessus, en faisant obstacle à ce qu'un contribuable échappe, de fait, au moyen des déficits et réductions d'impôt dont il dispose ou bénéficie, aux sanctions prévues par le législateur pour les manquements réprimés.
8. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
- Sur la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
9. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. Les contribuables encourant les pénalités prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 du code général des impôts ne sont pas placés dans la même situation selon qu'ils disposent ou non de déficits ou qu'ils bénéficient ou non de réductions d'impôt. En outre, la différence de traitement qui résulte de l'application des dispositions contestées est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui confère une effectivité renforcée à la répression des manquements visés aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 du code général des impôts. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
11. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions du 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.