LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 février 2016 par le Conseil d'État (décision n° 395126 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la section française de l'observatoire international des prisons par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-543 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 35 et 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 et des articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 17 mars et 1er avril 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 mars 2016 :
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 mai 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 35 de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus prévoit : « Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine.« L'autorité administrative ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné, suspendre ou retirer ce permis que pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions.
« L'autorité administrative peut également, pour les mêmes motifs ou s'il apparaît que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné, refuser de délivrer un permis de visite à d'autres personnes que les membres de la famille, suspendre ce permis ou le retirer.
« Les permis de visite des prévenus sont délivrés par l'autorité judiciaire.
« Les décisions de refus de délivrer un permis de visite sont motivées ».
2. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 prévoit : « Les personnes détenues ont le droit de téléphoner aux membres de leur famille. Elles peuvent être autorisées à téléphoner à d'autres personnes pour préparer leur réinsertion. Dans tous les cas, les prévenus doivent obtenir l'autorisation de l'autorité judiciaire.« L'accès au téléphone peut être refusé, suspendu ou retiré, pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information.
« Le contrôle des communications téléphoniques est effectué conformément à l'article 727-1 du code de procédure pénale ».
3. L'article 145-4 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus prévoit : « Lorsque la personne mise en examen est placée en détention provisoire, le juge d'instruction peut prescrire à son encontre l'interdiction de communiquer pour une période de dix jours. Cette mesure peut être renouvelée, mais pour une nouvelle période de dix jours seulement. En aucun cas, l'interdiction de communiquer ne s'applique à l'avocat de la personne mise en examen.« Sous réserve des dispositions qui précèdent, toute personne placée en détention provisoire peut, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention.
« À l'expiration d'un délai d'un mois à compter du placement en détention provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction.
« Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai au demandeur. Ce dernier peut la déférer au président de la chambre de l'instruction qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. Lorsqu'il infirme la décision du juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction délivre le permis de visite ».
4. L'article 715 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 prévoit : « Le juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction et le président de la cour d'assises, ainsi que le procureur de la République et le procureur général, peuvent donner tous les ordres nécessaires soit pour l'instruction, soit pour le jugement, qui devront être exécutés dans les maisons d'arrêt ».
5. L'association requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit de mener une vie familiale normale et le droit au respect de la vie privée. Elle soutient également que, faute de déterminer de façon suffisante des garanties nécessaires à la protection de ces mêmes droits, elles sont entachées d'une incompétence négative de nature à leur porter atteinte. En premier lieu, elle relève que, pendant l'instruction, le droit à un recours effectif est méconnu puisque les décisions relatives au permis de visite de personnes autres que les membres de la famille de la personne placée en détention provisoire ne peuvent être contestées, et qu'il en va de même de celles relatives à l'accès au téléphone et aux translations judiciaires de la personne placée en détention provisoire. Elle fait aussi valoir qu'aucun délai n'est prescrit au juge d'instruction pour statuer sur les demandes de permis de visite. En deuxième lieu, elle indique que les dispositions contestées ne précisent pas les motifs de nature à justifier, pendant l'instruction, le refus d'une demande de permis de visite pour les personnes autres que les membres de la famille. En troisième lieu, elle constate qu'après la clôture de l'instruction, les décisions de l'autorité judiciaire en matière de permis de visite, d'autorisation de téléphoner et de translation judiciaire de la personne placée en détention provisoire ne peuvent être contestées. Enfin, elle fait valoir qu'après la clôture de l'instruction, les dispositions contestées n'énumèrent pas les motifs de nature à fonder une décision défavorable.
6. Au sein des dispositions contestées, seuls les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale fixent des règles de procédure applicables à la délivrance des permis de visite au profit des personnes placées en détention provisoire. De même, seuls les mots : « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 sont relatifs aux règles de procédure applicables à la délivrance des autorisations de téléphoner au profit des personnes placées en détention provisoire. Enfin, aucune des dispositions contestées ne vise les translations judiciaires. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et sur les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009.
- Sur l'atteinte portée au droit à un recours juridictionnel effectif :
7. Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée.
8. Selon le dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
9. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
10. L'article 145-4 du code de procédure pénale définit les conditions dans lesquelles la personne placée en détention provisoire peut recevoir des visites. Il prévoit que, durant l'instruction, le permis de visite est délivré par le juge d'instruction. Lorsque la détention provisoire excède un mois, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer ce permis à un membre de la famille du détenu que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction. Cette décision peut être contestée devant le président de la chambre de l'instruction.
11. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 fixe les conditions dans lesquelles le détenu peut être autorisé à téléphoner. L'accès au téléphone pour les personnes placées en détention provisoire est soumis à autorisation de l'autorité judiciaire. Les motifs pour lesquels l'accès au téléphone peut leur être refusé, retiré ou suspendu tiennent au bon ordre, à la sécurité, à la prévention des infractions et aux nécessités de l'information judiciaire.
En ce qui concerne l'absence de voie de recours à l'encontre des décisions relatives au permis de visite et à l'autorisation de téléphoner d'une personne placée en détention provisoire :
12. Les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale sont relatifs aux permis de visite demandés au cours de l'instruction. Ils ne prévoient une voie de recours qu'à l'encontre des décisions refusant d'accorder un permis de visite aux membres de la famille de la personne placée en détention provisoire au cours de l'instruction. Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permettent de contester devant une juridiction une décision refusant un permis de visite dans les autres hypothèses, qu'il s'agisse d'un permis de visite demandé au cours de l'instruction par une personne qui n'est pas membre de la famille ou d'un permis de visite demandé en l'absence d'instruction ou après la clôture de celle-ci.
13. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009, relatif à l'accès au téléphone des détenus, ne prévoit aucune voie de recours à l'encontre des décisions refusant l'accès au téléphone à une personne placée en détention provisoire.
14. Au regard des conséquences qu'entraînent ces refus pour une personne placée en détention provisoire, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat, excepté lorsque cette décision est relative au refus d'accorder, durant l'instruction, un permis de visite au profit d'un membre de la famille du prévenu, conduit à ce que la procédure contestée méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Elle prive également de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale.
En ce qui concerne l'absence de délai imparti au juge d'instruction pour répondre à une demande de permis de visite d'un membre de la famille de la personne placée en détention provisoire :
15. Les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale imposent au juge d'instruction une décision écrite et spécialement motivée pour refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue, lorsque le placement en détention provisoire excède un mois. Ils prévoient que cette décision peut être déférée par le demandeur au président de la chambre de l'instruction, qui doit statuer dans un délai de cinq jours.
16. Toutefois ces dispositions n'imposent pas au juge d'instruction saisi de telles demandes de statuer dans un délai déterminé sur celles-ci. S'agissant d'une demande portant sur la possibilité pour une personne placée en détention provisoire de recevoir des visites, l'absence de tout délai déterminé imparti au juge d'instruction pour statuer n'ouvre aucune voie de recours en l'absence de réponse du juge. Cette absence de délai déterminé conduit donc à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Elle prive également de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale.
17. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, il résulte donc des motifs énoncés aux paragraphes 12 à 16 que les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
18. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
19. D'une part, les dispositions du 9° du paragraphe I de l'article 27 quater du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, prévoient de modifier l'article 145-4 du code de procédure pénale et notamment ses troisième et quatrième alinéas. Il est en particulier prévu d'ajouter des conditions de délivrance de l'autorisation de téléphoner à une personne placée en détention provisoire ainsi que des motifs pouvant être pris en compte pour refuser de délivrer un permis de visite ou une autorisation de téléphoner à une telle personne. Il est également prévu d'imposer aux magistrats compétents pour répondre à ces demandes un délai pour prendre ces décisions et d'aménager une voie de recours à leur encontre. Le 4° du paragraphe I de l'article 27 ter du même projet de loi prévoit enfin qu'en l'absence d'un recours spécifique prévu par les textes, l'absence de réponse du ministère public ou de la juridiction dans un délai de deux mois à compter d'une demande permet d'exercer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande. Toutefois, ces dispositions ne sont pas encore définitivement adoptées par le Parlement au jour de la décision du Conseil constitutionnel.
20. D'autre part, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de faire disparaître des dispositions permettant à certaines des personnes placées en détention provisoire d'exercer un recours contre certaines décisions leur refusant un permis de visite.
21. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a donc lieu de reporter la déclaration d'inconstitutionnalité ainsi que d'éviter que cette déclaration affecte les modifications législatives en cours d'adoption par le Parlement. Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 et des troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale est reportée jusqu'à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives ou, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2016. Les décisions prises en vertu de ces dispositions avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 et les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 21 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 mai 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.