Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 décembre 2014 par le Conseil d'État (décision n° 382504 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Jean de M., par Me Pauline Corlay, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article L. 911-8 du code de justice administrative.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Corlay, enregistrées le 13 janvier 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13 janvier 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 24 février 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-8 du code de justice administrative, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 susvisée : « La juridiction peut décider qu'une part de l'astreinte ne sera pas versée au requérant.
« Cette part est affectée au budget de l'État » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en permettant à une juridiction administrative de décider qu'une part de l'astreinte ne sera pas versée au demandeur mais sera affectée au budget de l'État, sans prévoir une autre affectation lorsque l'État est débiteur de l'astreinte, les dispositions contestées méconnaissent le droit à l'exécution des décisions de justice qui est une composante du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif qui comprend celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles ;
4. Considérant que la juridiction administrative peut prononcer une astreinte à l'encontre d'une personne morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public afin d'assurer l'exécution de ses décisions ; que l'astreinte est prononcée soit dans la décision statuant au fond sur les prétentions des parties sur le fondement de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, soit ultérieurement en cas d'inexécution de la décision, sur le fondement des articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code ; qu'en vertu de son article L. 911-6, l'astreinte ainsi prononcée a un caractère provisoire, à moins que la juridiction n'ait précisé son caractère définitif ; que la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte, en vertu de l'article L. 911-7 de ce code, en cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive de la décision ; que lors de la liquidation, il est loisible à la juridiction de modérer ou de supprimer l'astreinte prononcée à titre provisoire, même en cas d'inexécution de la décision ; qu'en revanche le taux d'une astreinte prononcée à titre définitif ne peut pas être modifié par la juridiction lors de sa liquidation, sauf s'il est établi que l'inexécution de la décision provient d'un cas fortuit ou de force majeure ; qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider qu'une fraction de l'astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant ; que, lorsque la juridiction fait usage de cette faculté, la fraction de l'astreinte non versée au requérant est, en vertu du second alinéa de l'article L. 911-8, affectée au budget de l'État ;
5. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que le second alinéa de l'article L. 911-8 ne s'applique pas lorsque l'État est débiteur de l'astreinte décidée par une juridiction ;
6. Considérant que l'astreinte est une mesure comminatoire qui a pour objet de contraindre son débiteur à exécuter une décision juridictionnelle ;
7. Considérant que, d'une part, lorsque la juridiction décide de prononcer, à titre provisoire ou définitif, une astreinte à l'égard de l'État, les articles L. 911-3 et suivants du code de justice administrative lui permettent de fixer librement le taux de celle-ci afin qu'il soit de nature à assurer l'exécution de la décision juridictionnelle inexécutée ; que, d'autre part, la faculté ouverte à la juridiction, par les dispositions contestées, de réduire le montant de l'astreinte effectivement mise à la charge de l'État s'exerce postérieurement à la liquidation de l'astreinte et relève du seul pouvoir d'appréciation du juge aux mêmes fins d'assurer l'exécution de la décision juridictionnelle ; que le respect des exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 est garanti par le pouvoir d'appréciation ainsi reconnu au juge depuis le prononcé de l'astreinte jusqu'à son versement postérieur à la liquidation ; qu'au surplus, la responsabilité de l'État peut, le cas échéant, être mise en cause en réparation du préjudice qui résulterait de l'exécution tardive d'une décision de justice ; que le grief tiré de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doit donc être écarté ;
8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 911-8 du code de justice administrative est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 mars 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 6 mars 2015.