Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 septembre 2014 par le Conseil d’État (décision n° 381108 du 10 septembre 2014), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Pierre T., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi du 28 avril 1816 modifiée sur les finances ;
Vu l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, notamment ses articles 1er et 1er bis ;
Vu la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, notamment son article 29 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Jean de Calbiac, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 1er et 16 octobre 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour le Conseil supérieur du notariat par le cabinet Veil Jourde, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 2 octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean de Calbiac pour le requérant, Me Emmanuel Glaser, avocat au barreau de Paris, pour la partie intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 12 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 susvisée : « Les avocats à la Cour de cassation, notaires, greffiers, huissiers, courtiers, commissaires-priseurs pourront présenter à l’agrément de Sa Majesté des successeurs, pourvu qu’ils réunissent les qualités exigées par les lois. Cette faculté n’aura pas lieu pour les titulaires destitués. Les successeurs présentés à l’agrément, en application du présent alinéa, peuvent être des personnes physiques ou des sociétés civiles professionnelles.
« Il sera statué par une loi particulière, sur l’exécution de cette disposition, et sur les moyens d’en faire jouir les héritiers et ayants-cause desdits officiers.
« Cette faculté de présenter des successeurs ne déroge point, au surplus, au droit de Sa Majesté de réduire le nombre desdits fonctionnaires, notamment celui des notaires, dans les cas prévus par la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat » ;
2. Considérant que, selon le requérant, les notaires exercent une fonction qui est au nombre des « dignités, places et emplois publics » au sens de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’en permettant à tout notaire titulaire d’un office de présenter son successeur à l’agrément du garde des sceaux, ministre de la justice, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d’égale admissibilité aux « dignités, places et emplois publics » ; qu’en outre, le requérant fait valoir que ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la commande publique garanti par les articles 6 et 14 de la Déclaration de 1789 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le mot « notaires » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 ;
4. Considérant que, selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » ;
5. Considérant que le premier alinéa de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 permet aux notaires titulaires d’un office de présenter à l’agrément du garde des sceaux, ministre de la justice, des successeurs « pourvu qu’ils réunissent les qualités exigées par les lois » ; qu’en vertu du même alinéa, cette faculté n’a pas lieu pour les titulaires destitués ;
6. Considérant que l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée dispose : « Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions » ;
7. Considérant que l’article 1er bis de cette même ordonnance précise les modalités d’exercice de la profession de notaire ; qu’il prévoit, en particulier, que « le notaire peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit dans le cadre d’une société civile professionnelle ou d’une société d’exercice libéral, soit en qualité de salarié d’une personne physique ou morale titulaire d’un office notarial » ; qu’ainsi, les notaires exercent une profession réglementée dans un cadre libéral au sens du paragraphe I de l’article 29 de la loi du 22 mars 2012 susvisée ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, s’ils participent à l’exercice de l’autorité publique et ont ainsi la qualité d’officier public nommé par le garde des sceaux, les notaires titulaires d’un office n’occupent pas des « dignités, places et emplois publics » au sens de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, le grief tiré de ce que le droit reconnu au notaire de présenter son successeur à l’agrément du garde des sceaux méconnaîtrait le principe d’égal accès aux dignités, places et emplois publics est inopérant ;
9. Considérant que la nomination d’un notaire ne constitue pas une commande publique ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la commande publique est également inopérant ; que, par suite, le mot « notaires » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816, qui n’est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le mot « notaires » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 modifiée sur les finances est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 21 novembre 2014.