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07/10/2014 | FRANCE | N°2014-418

France | France, Conseil constitutionnel, 07 octobre 2014, 2014-418


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014 par le Conseil d'État (décision n° 380406 du 16 juillet 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SGI, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1756 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1

067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014 par le Conseil d'État (décision n° 380406 du 16 juillet 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SGI, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1756 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 6 et 11 août 2014 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 août 2014 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 23 septembre 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 1756 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2003 susvisée : « Lorsqu'il est établi qu'une personne a fourni volontairement de fausses informations ou n'a pas respecté les engagements qu'elle avait pris envers l'administration permettant d'obtenir pour autrui les avantages fiscaux prévus par les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et 217 duodecies, elle est redevable d'une amende fiscale égale au montant de l'avantage fiscal indûment obtenu, sans préjudice des sanctions de droit commun. Il en est de même, dans le cas où un agrément n'est pas exigé, pour la personne qui s'est livrée à des agissements, manoeuvres ou dissimulations ayant conduit à la remise en cause de ces aides pour autrui » ;

2. Considérant que la société requérante soutient à titre principal que, l'amende prévue par les dispositions contestées ne constituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, elle méconnaît le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques ; qu'elle soutient à titre subsidiaire, si la qualification de sanction ayant le caractère d'une punition était retenue, que les dispositions contestées portent atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

- SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITÉ APPLICABLES :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;

4. Considérant que les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et 217 duodecies du code général des impôts prévoient des avantages fiscaux pour les contribuables qui réalisent certains investissements outre-mer ; que le bénéfice de ces avantages fiscaux est, dans certains cas, subordonné à l'obtention d'un agrément ; que, si l'avantage fiscal apparaît finalement indu, l'administration peut exiger du contribuable son remboursement intégral ;

5. Considérant que les dispositions contestées prévoient une amende pour la personne qui a contribué à l'obtention par un tiers d'un avantage fiscal indu sur le fondement des articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et 217 duodecies du code général des impôts ; que la première phrase de l'article 1756 quater est relative aux investissements subordonnés à l'obtention d'un agrément ; qu'elle prévoit dans ce cas l'amende fiscale encourue par la personne qui a fourni volontairement de fausses informations ou qui n'a pas respecté les engagements qu'elle avait pris envers l'administration ; que la seconde phrase de l'article 1756 quater est relative aux investissements non subordonnés à l'obtention d'un agrément ; qu'elle prévoit dans ce cas l'amende fiscale encourue par la personne qui s'est livrée à des agissements, manoeuvres ou dissimulations ayant conduit à la remise en cause de ces aides pour autrui ; qu'en toute hypothèse, cette amende fiscale est égale au montant de l'avantage fiscal indûment obtenu, sans préjudice des sanctions de droit commun ;

6. Considérant que cette amende fiscale, qui tend à réprimer les agissements des personnes ayant contribué à l'obtention, par un tiers, d'un avantage fiscal indu, a le caractère d'une punition ; que, par suite, les griefs tirés d'une atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité devant les charges publiques sont inopérants ; qu'il appartient au Conseil constitutionnel d'examiner la conformité des dispositions contestées aux exigences qui résultent de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ;

- SUR LA CONFORMITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTEÉS AUX DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT :

7. Considérant, en second lieu, que l'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ; qu'en outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique que l'amende, lorsqu'elle constitue une sanction ayant le caractère d'une punition, ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ; qu'il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective des infractions ;

8. Considérant qu'en fixant l'amende en lien avec l'avantage fiscal indûment obtenu, le législateur a entendu favoriser les investissements réalisés outre-mer en garantissant leur sécurité, tout en poursuivant un but de lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en prévoyant que le montant de l'amende fiscale est fixé en proportion de l'importance des sommes indûment obtenues, il a proportionné le montant de cette amende à la gravité des manquements réprimés ; que le taux de 100 % retenu n'est pas manifestement disproportionné ;

9. Considérant, toutefois, que l'amende prévue par l'article 1756 quater peut être appliquée soit si la personne a fourni « volontairement » de fausses informations, soit si elle « n'a pas respecté les engagements qu'elle avait pris envers l'administration », soit, dans le cas où un agrément n'est pas exigé, si elle s'est livrée à des agissements, manoeuvres ou dissimulations ayant conduit à la remise en cause de ces aides pour autrui ; que, compte tenu des modalités de fixation de son montant en proportion de l'avantage obtenu par un tiers, cette amende pourrait revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des manquements réprimés si elle était appliquée sans que soit établi l'élément intentionnel de ces manquements ; que, par suite, les dispositions contestées doivent être interprétées comme prévoyant une amende applicable aux personnes qui ont agi sciemment et dans la connaissance soit du caractère erroné des informations qu'elles ont fournies, soit de la violation des engagements qu'elles avaient pris envers l'administration, soit des agissements, manoeuvres ou dissimulations précités ;

10. Considérant que, d'autre part, l'amende prévue par l'article 1756 quater du code général des impôts s'applique « sans préjudice des sanctions de droit commun » ; que le principe d'un tel cumul de sanctions n'est pas, en lui-même, contraire au principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789 ; que, toutefois, lorsque deux sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'il appartient donc aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence ; que, sous ces réserves, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;

11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, sous les réserves énoncées aux considérants 9 et 10, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux considérants 9 et 10, l'article 1756 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 octobre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 8 octobre 2014.


Synthèse
Numéro de décision : 2014-418
Date de la décision : 07/10/2014
Société SGI [Amende pour contribution à l'obtention, par un tiers, d'un avantage fiscal indu]
Sens de l'arrêt : Conformité - réserve
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 07 octobre 2014 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 07 octobre 2014 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2014-418 QPC du 07 octobre 2014
Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2014
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2014:2014.418.QPC
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