Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 novembre 2011 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2668 du 18 novembre 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Franck S., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2324-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 5 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SEP Deplaix-Bouyrie, avocat au barreau de Montpellier, enregistrées le 9 novembre 2011 et le 27 décembre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 12 décembre 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Clément Chazot, avocat au barreau de Montpellier, pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 24 janvier 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2324-2 du code du travail : « Sous réserve des dispositions applicables dans les entreprises de moins de trois cents salariés, prévues à l'article L. 2143-22, chaque organisation syndicale ayant des élus au comité d'entreprise peut y nommer un représentant. Il assiste aux séances avec voix consultative. Il est choisi parmi les membres du personnel de l'entreprise et doit remplir les conditions d'éligibilité au comité d'entreprise fixées à l'article L. 2324 15 » ;
2. Considérant que le requérant soutient que l'application immédiate des dispositions contestées crée une discrimination injustifiée entre les organisations syndicales participant à la négociation collective par l'intermédiaire de leur délégué syndical selon qu'elles avaient, ou non, désigné un représentant au comité d'entreprise avant l'entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008 susvisée ; qu'il fait valoir que le législateur aurait dû reporter l'entrée en vigueur de ces dispositions à l'échéance des prochaines élections professionnelles, à l'instar de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la désignation des délégués syndicaux ; qu'ainsi, les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi et à la liberté syndicale ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que, d'autre part, aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ;
4. Considérant que les dispositions contestées ont pour objet de déterminer, pour les entreprises de trois cents salariés et plus, les conditions dans lesquelles un syndicat peut désigner un salarié pour le représenter au comité d'entreprise ; que l'article 5 de la loi du 20 août 2008 susvisée a modifié les conditions de cette désignation en prévoyant que cette faculté est réservée aux syndicats comptant au moins deux élus dans ce comité ; que la nouvelle rédaction de l'article L. 2324-2 précité est entrée en vigueur le 22 août 2008 ; que les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, permettent que les représentants syndicaux désignés selon les dispositions antérieurement en vigueur conservent leur mandat jusqu'au prochain renouvellement du comité d'entreprise mais interdisent la désignation de nouveaux représentants syndicaux par les syndicats ne remplissant pas les nouvelles conditions de désignation ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'en subordonnant la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus, le législateur n'a méconnu ni le principe d'égalité entre les organisations syndicales, ni la liberté syndicale, ni aucune autre exigence constitutionnelle ;
6. Considérant, en second lieu, que, d'une part, il était loisible au législateur, sans méconnaître aucun principe, ni aucune règle constitutionnelle, de prévoir une application immédiate des nouvelles conditions de désignation du représentant syndical au comité d'entreprise ; que la mission de représentation syndicale au comité d'entreprise et celle de délégué syndical sont différentes ; que, par suite, il était également loisible au législateur de fixer des règles d'entrée en vigueur différentes pour les nouvelles dispositions relatives à la désignation des délégués syndicaux et pour celles relatives à la désignation des représentants syndicaux au comité d'entreprise ;
7. Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées telles qu'interprétées par la Cour de cassation organisent une transition progressive entre deux régimes successifs de représentation syndicale au comité d'entreprise ; que les différences de traitement résultant de ces dispositions entre les organisations syndicales, selon qu'elles ont ou non des élus au comité d'entreprise ou selon qu'elles avaient ou non procédé à la désignation d'un représentant au comité d'entreprise avant la date d'entrée en vigueur de la loi, reposent sur des différences de situation directement liées à l'objet de la loi ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité et de la liberté syndicale doivent être rejetés ; que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 2324-2 du code du travail est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 février 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 3 février 2012.