Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 mai 2011 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3032 du 18 mai 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Samir A., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 186 du code de procédure pénale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 15 et 30 juin 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 15 et 30 juin 2011 ;
Vu la lettre du 22 juin 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Hélène Farge et Me Philippe Dehapiot, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 5 juillet 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 186 du code de procédure pénale : « Le droit d'appel appartient à la personne mise en examen contre les ordonnances et décisions prévues par les articles 80-1-1, 87, 139, 140, 137-3, 142-6, 142-7 145-1, 145-2, 148, 167, quatrième alinéa, 179, troisième alinéa, et 181.
« La partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils. Toutefois, son appel ne peut, en aucun cas, porter sur une ordonnance ou sur la disposition d'une ordonnance relative à la détention de la personne mise en examen ou au contrôle judiciaire.
« Les parties peuvent aussi interjeter appel de l'ordonnance par laquelle le juge a, d'office ou sur déclinatoire, statué sur sa compétence.
« L'appel des parties ainsi que la requête prévue par le cinquième alinéa de l'article 99 doivent être formés dans les conditions et selon les modalités prévues par les articles 502 et 503, dans les dix jours qui suivent la notification ou la signification de la décision.
« Le dossier de l'information ou sa copie établie conformément à l'article 81 est transmis, avec l'avis motivé du procureur de la République, au procureur général, qui procède ainsi qu'il est dit aux articles 194 et suivants.
« Si le président de la chambre de l'instruction constate qu'il a été fait appel d'une ordonnance non visée aux alinéas 1 à 3 du présent article, il rend d'office une ordonnance de non-admission de l'appel qui n'est pas susceptible de voies de recours. Il en est de même lorsque l'appel a été formé après l'expiration du délai prévu au quatrième alinéa ou lorsque l'appel est devenu sans objet. Le président de la chambre de l'instruction est également compétent pour constater le désistement de l'appel formé par l'appelant » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en ne mentionnant pas l'article 146 du code de procédure pénale dans la liste des ordonnances du juge d'instruction dont la personne mise en examen peut faire appel, le premier alinéa de l'article 186 méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif ; qu'en outre, le Conseil constitutionnel a soulevé d'office le grief tiré de ce que l'article 186 du code de procédure pénale porterait atteinte à l'équilibre des droits des parties dans la procédure en ce que seul le droit d'appel de la personne mise en examen est limité et exceptionnel ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;
4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 185 du code de procédure pénale : « Le procureur de la République a le droit d'interjeter appel devant la chambre de l'instruction de toute ordonnance du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention » ; que le deuxième alinéa de l'article 186 fixe le principe selon lequel « la partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils » et énonce des exceptions à ce principe ; que, s'agissant de la personne mise en examen, la liste des ordonnances du juge d'instruction dont elle peut interjeter appel est limitativement énumérée par les articles 186, 186-1 et 186-3 du code de procédure pénale ;
5. Considérant que la personne mise en examen n'est pas dans une situation identique à celle de la partie civile ou à celle du ministère public ; que, par suite, les différences de traitement résultant de l'application de règles de procédure propres à chacune des parties privées et au ministère public ne sauraient, en elles-mêmes, méconnaître l'équilibre des droits des parties dans la procédure ; qu'en outre, il est loisible au législateur, afin d'éviter, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les recours dilatoires provoquant l'encombrement des juridictions et l'allongement des délais de jugement des auteurs d'infraction, d'exclure la possibilité d'un appel par la personne mise en examen des ordonnances du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention qui feraient grief à ses droits lorsqu'existent d'autres moyens de procédure lui permettant de contester utilement et dans des délais appropriés les dispositions qu'elles contiennent ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 146 du code de procédure pénale : « S'il apparaît, au cours de l'instruction, que la qualification criminelle ne peut être retenue, le juge d'instruction peut, après avoir communiqué le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions, soit saisir par ordonnance motivée le juge des libertés et de la détention aux fins du maintien en détention provisoire de la personne mise en examen, soit prescrire sa mise en liberté assortie ou non du contrôle judiciaire. - Le juge des libertés et de la détention statue dans le délai de trois jours à compter de la date de sa saisine par le juge d'instruction » ; que la Cour de cassation a jugé, par interprétation du premier alinéa de l'article 186 du code de procédure pénale, que l'appel formé contre l'ordonnance prévue par cet article était irrecevable ; que, quel que soit le régime de la détention à laquelle la personne mise en examen est soumise, celle-ci peut, à tout moment, demander sa mise en liberté en application de l'article 148 du code de procédure pénale et, en cas de refus, faire appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention devant la chambre de l'instruction qui statue dans les plus brefs délais ; que, par suite, en ne mentionnant pas l'ordonnance prévue par l'article 146 du code de procédure pénale au nombre de celles contre lesquelles un droit d'appel appartient à la personne mise en examen, l'article 186 du code de procédure pénale ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles précitées ;
7. Considérant que, toutefois, les dispositions de l'article 186 du code de procédure pénale ne sauraient, sans apporter une restriction injustifiée aux droits de la défense, être interprétées comme excluant le droit de la personne mise en examen de former appel d'une ordonnance du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention faisant grief à ses droits et dont il ne pourrait utilement remettre en cause les dispositions ni dans les formes prévues par les articles 186 à 186-3 du code de procédure pénale ni dans la suite de la procédure, notamment devant la juridiction de jugement ; que, sous cette réserve, l'article 186 du code de procédure pénale ne méconnaît pas les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 7, l'article 186 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 13 juillet 2011.