Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 mai 2011 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 583 du 13 mai 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour la SAS VESTEL France et M. Onur T., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° du paragraphe IV de l'article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
Vu le code des douanes ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 juin 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Hélène Farge, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Fabien Foucault, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 28 juin 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du 2° du paragraphe IV de l'article 164 de la loi : « Pour les procédures de visite et de saisie prévues au 2 de l'article L. 38 du livre des procédures fiscales et de l'article 64 du code des douanes réalisées durant les trois années qui précèdent la date de publication de la présente loi, un appel contre l'ordonnance mentionnée au 2 des mêmes articles, alors même que cette ordonnance a fait l'objet d'un pourvoi ayant donné lieu à cette date à une décision de rejet du juge de cassation, ou un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie peut, dans les délais et selon les modalités précisés au 3 du présent IV, être formé devant le premier président de la cour d'appel lorsque la procédure de visite et de saisie est restée sans suite ou a donné lieu à une notification d'infraction pour laquelle une transaction, au sens de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales ou de l'article 350 du code des douanes, ou une décision de justice définitive n'est pas encore intervenue à la date d'entrée en vigueur de la présente loi » ;
2. Considérant que, selon les requérants, en réservant le bénéfice des nouvelles procédures d'appel et de recours en matière de visite ou de saisie fiscale ou douanière aux personnes ayant fait l'objet de telles opérations pendant les trois années qui précèdent la date de publication de la loi du 4 août 2008 susvisée, ces dispositions portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif des personnes ayant fait l'objet d'une telle procédure antérieurement à cette date et méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et la justice ;
3. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi. . . doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ;
6. Considérant que l'article 164 de la loi du 4 août 2008 susvisée a réformé le régime des visites et saisies réalisées par certains agents de l'administration sur autorisation d'un juge ; que les paragraphes II et III de cet article ont modifié respectivement les articles L. 38 du livre des procédures fiscales et 64 du code des douanes applicables aux visites et saisies réalisées en matière de droits indirects et de douane ; qu'ils ont introduit dans la procédure prévue par ces articles des garanties supplémentaires pour les personnes soumises à ces visites en leur ouvrant la faculté de saisir le premier président de la cour d'appel d'un appel de l'ordonnance autorisant la visite des agents de l'administration ainsi que d'un recours contre le déroulement de ces opérations ; que le 2° du paragraphe IV de cet article 164 reconnaît le même droit d'appel ou de recours aux personnes ayant fait l'objet de visites et saisies avant l'entrée en vigueur de cette loi ; qu'il fait ainsi bénéficier rétroactivement ces personnes des nouvelles voies de recours ainsi instituées ; que, toutefois, le bénéfice de ces dispositions n'est ouvert que pour les visites et saisies réalisées durant les trois années qui précèdent la date de publication de la loi, soit à compter du 5 août 2005 ;
7. Considérant, en premier lieu, que la différence de traitement entre les personnes selon la date de réalisation des opérations de visite ou de saisie découle nécessairement de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ; qu'en elle-même, elle ne méconnaît pas le principe d'égalité ;
8. Considérant, en second lieu, que le droit à un recours juridictionnel effectif n'imposait pas au législateur de faire bénéficier rétroactivement de voies de recours les personnes ayant fait l'objet, plus de trois ans avant le 5 août 2008, date de la publication de la loi, d'opérations de visite et de saisie demeurées sans suite ou ayant donné lieu à une notification d'infraction pour laquelle une transaction ou une décision de justice définitive était intervenue avant cette date ; que, dans les autres cas, les dispositions contestées n'ont pas eu pour effet de priver les personnes ayant fait l'objet d'une notification d'infraction à la suite des opérations de visite et de saisie réalisées avant le 5 août 2005 du droit de contester la régularité de ces opérations devant les juridictions appelées à statuer sur les poursuites engagées sur leur fondement ;
9. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Le 2° du paragraphe IV de l'article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 13 juillet 2011.