Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 avril 2011 par le Conseil d'État (décision n° 345838 du 6 avril 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Fédération nationale des associations tutélaires, l'Union nationale des associations familiales et l'Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles et de l'article 419 du code civil.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code civil ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les associations requérantes par la SCP Jean-Alain Blanc et Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 avril 2011 ;
Vu les observations produites pour l'association « Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs », par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 avril 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 avril 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jérôme Rousseau, pour les associations requérantes, Me François Molinié pour l'association « Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs » et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 mai 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 419 du code civil : « Les personnes autres que le mandataire judiciaire à la protection des majeurs exercent à titre gratuit les mesures judiciaires de protection. Toutefois, le juge des tutelles ou le conseil de famille s'il a été constitué peut autoriser, selon l'importance des biens gérés ou la difficulté d'exercer la mesure, le versement d'une indemnité à la personne chargée de la protection. Il en fixe le montant. Cette indemnité est à la charge de la personne protégée.
« Si la mesure judiciaire de protection est exercée par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, son financement est à la charge totale ou partielle de la personne protégée en fonction de ses ressources et selon les modalités prévues par le code de l'action sociale et des familles.
« Lorsque le financement de la mesure ne peut être intégralement assuré par la personne protégée, il est pris en charge par la collectivité publique, selon des modalités de calcul communes à tous les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et tenant compte des conditions de mise en oeuvre de la mesure, quelles que soient les sources de financement. Ces modalités sont fixées par décret.
« À titre exceptionnel, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué peut, après avoir recueilli l'avis du procureur de la République, allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l'accomplissement d'un acte ou d'une série d'actes requis par la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes, une indemnité en complément des sommes perçues au titre des deux alinéas précédents lorsqu'elles s'avèrent manifestement insuffisantes. Cette indemnité est à la charge de la personne protégée.
« Le mandat de protection future s'exerce à titre gratuit sauf stipulations contraires » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles : « Le coût des mesures exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial auquel il peut être recouru dans le cadre de la sauvegarde de justice ou au titre de la curatelle, de la tutelle ou de la mesure d'accompagnement judiciaire est à la charge totale ou partielle de la personne protégée en fonction de ses ressources. Lorsqu'il n'est pas intégralement supporté par la personne protégée, il est pris en charge dans les conditions fixées par les articles L. 361-1, L. 472-3 et L. 472-9.
« À titre exceptionnel, le juge peut, après avoir recueilli l'avis du procureur de la République, allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l'accomplissement d'un acte ou d'une série d'actes requis par l'exercice de la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes, une indemnité en complément des sommes perçues au titre du premier alinéa lorsqu'elles s'avèrent manifestement insuffisantes. Cette indemnité est à la charge de la personne et est fixée par le juge en application d'un barème national établi par décret » ;
3. Considérant que, selon les associations requérantes, le bénéfice de l'accomplissement d'actes impliquant des diligences exceptionnelles est réservé aux personnes protégées disposant de ressources suffisantes pour prendre en charge l'indemnité complémentaire que le juge peut allouer à cette fin au mandataire judiciaire à la protection des majeurs ; que, faute de prévoir un financement public subsidiaire pour la prise en charge de cette indemnité complémentaire lorsque les ressources du majeur protégé sont insuffisantes, ces dispositions porteraient atteinte au principe d'égalité ; que, pour les mêmes motifs, les requérantes soutiennent qu'un tel financement public est seul à même de permettre d'assurer la protection des intérêts patrimoniaux des personnes protégées, de leur vie familiale ou de leurs droits dans une procédure juridictionnelle ; qu'en omettant d'instaurer un tel financement public, les dispositions contestées porteraient atteinte, respectivement, au droit de propriété, au droit de mener une vie familiale normale et au droit à un recours juridictionnel effectif ;
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi… doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » ; que les exigences constitutionnelles résultant de ces dispositions impliquent la mise en œuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées ; qu'il appartient au législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées ; qu'en particulier, il lui est à tout moment loisible, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; qu'il ne lui est pas moins loisible d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu'il estime excessives ou inutiles ; que, cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
6. Considérant que l'article 419 du code civil fixe les modalités de financement des mesures judiciaires de protection des majeurs ; que les alinéas 2 à 4 de cet article ainsi que l'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles définissent en particulier les règles du financement des mesures de protection confiées à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ; qu'il résulte de ces dernières dispositions que la personne protégée assume le coût de sa protection en fonction de ses ressources ; que, si ces dernières sont insuffisantes, ce coût est pris en charge par la collectivité publique ;
7. Considérant que les mesures judiciaires de protection des majeurs sont constituées, d'une part, des mesures de protection juridique prévues par les articles 433 à 476 du code civil et, d'autre part, de la mesure d'accompagnement judiciaire prévue par ses articles 495 à 495-9 ; que les diligences accomplies par le mandataire judiciaire dans le cadre de la mesure d'accompagnement judiciaire sont précisément définies par l'article 495-7 ; que, dès lors, seule une mesure de protection juridique est de nature à justifier, si le juge le décide, l'octroi d'une indemnité complémentaire au mandataire judiciaire à la protection des majeurs à la charge de la personne protégée lorsque cette protection requiert des diligences particulièrement longues ou complexes ;
8. Considérant, d'une part, que, pour permettre à toute personne de bénéficier d'une mesure de protection juridique lorsqu'elle se trouve dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération de ses facultés, les articles 419 du code civil et L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles ont prévu un financement public des mesures de protection lorsque la personne ne dispose pas des ressources pour en assumer le coût ; que, si l'existence d'un tel financement public met en œuvre le onzième alinéa du Préambule de 1946, cette exigence constitutionnelle n'impose pas que la collectivité publique prenne en charge, quel que soit leur coût, toutes les diligences susceptibles d'être accomplies au titre d'une mesure de protection juridique ;
9. Considérant, d'autre part, que, si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ; que les dispositions contestées, qui laissent à la charge de la personne protégée, dans tous les cas, le coût de l'indemnité en complément susceptible d'être allouée au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, ne méconnaissent pas le principe d'égalité ;
10. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles et l'article 419 du code civil sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 juin 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 17 juin 2011.