Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 septembre 2010 par le Conseil d'État (décision n° 341573 du 24 septembre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Pierre-Yves M., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 155 A du code général des impôts.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. M. par la SCP Degroux-Brugère et Associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 18 octobre 2010 et le 2 novembre 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 octobre 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Gilbert Houilliez pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 16 novembre 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : « I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :
« - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ;
« - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ;
« - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A.
« II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France.
« III. La personne qui perçoit la rémunération des services est solidairement responsable, à hauteur de cette rémunération, des impositions dues par la personne qui les rend » ;
2. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions portent atteinte au « principe de personnalité » et au « principe de proportionnalité » de l'impôt ; qu'elles porteraient également atteinte au principe de nécessité des peines et au respect des droits de la défense ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
4. Considérant, en premier lieu, que l'article 155 A précité prévoit, dans des cas limitativement énumérés, de soumettre à l'impôt la rémunération d'une prestation réalisée en France par une personne qui y est domiciliée ou établie, lorsque cette rémunération a été versée, aux fins d'éluder l'imposition, à une personne domiciliée ou établie à l'étranger ; qu'ainsi, le législateur a entendu mettre en œuvre l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale ; que, pour ce faire, il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels ; que, toutefois, dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ; que, sous cette réserve, l'article 155 A ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
5. Considérant, en second lieu, que l'article 155 A n'institue ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition ; que, dès lors, le grief tiré d'une atteinte au principe de nécessité des peines doit être rejeté ; qu'il en est de même du grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 4, les dispositions contestées ne sont contraires ni au principe d'égalité devant les charges publiques ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 4, l'article 155 A du code général des impôts est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 novembre 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 26 novembre 2010.