Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 15 mai 1992, par le président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61, alinéa 1, de la Constitution, d'une résolution en date du 14 mai 1992 modifiant l'article 47 bis du règlement du Sénat ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 17, alinéa 2, 19 et 20 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
SUR LE CONTENU DE LA RESOLUTION :
1. Considérant que l'article 47 bis du règlement du Sénat est relatif à l'application de l'article 40 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ; que le premier alinéa de l'article 47 bis, qui demeure inchangé, dispose que, pour l'application de l'article 40 précité, il est procédé à un vote sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances de l'année dans les mêmes conditions que sur l'ensemble d'un projet de loi et précise que la seconde délibération est de droit lorsqu'elle est demandée par le Gouvernement ou la commission des finances ;
2. Considérant que selon le deuxième alinéa de l'article 47 bis, dans sa rédaction antérieure à la résolution soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, "lorsque le Sénat n'adopte pas la première partie du projet de loi de finances, l'ensemble du projet de loi est considéré comme rejeté" ; qu'il ressort de l'adjonction apportée à cet alinéa par la résolution que la règle ainsi posée ne vaut que pour l'examen du projet de loi de finances "de l'année" ;
3. Considérant que la résolution, par une adjonction du même ordre apportée au troisième alinéa de l'article 47 bis du règlement, a pour objet de limiter au cas où il y a examen du projet de loi de finances "de l'année", l'application des règles en vertu desquelles, avant le vote sur l'ensemble du projet, il ne peut y avoir renvoi en commission, pour une seconde délibération, des articles de la première partie dudit projet ; qu'est cependant maintenue la disposition in fine du troisième alinéa de l'article 47 bis en vertu de laquelle "sur demande du Gouvernement ou de la commission des finances, il peut être procédé à une coordination" ;
4. Considérant que la résolution ajoute à l'article 47 bis du règlement un quatrième alinéa aux termes duquel les dispositions de cet article "ne s'appliquent pas à la discussion des projets de loi de finances rectificative" ;
- SUR LA CONFORMITE A LA CONSTITUTION DE LA RESOLUTION :
5. Considérant qu'en raison des exigences propres à la hiérarchie des normes juridiques dans l'ordre interne, la conformité à la Constitution des règlements des assemblées parlementaires doit s'apprécier tant au regard de la Constitution elle-même que des lois organiques prévues par celle-ci ainsi que des mesures législatives prises, en vertu du premier alinéa de l'article 92 de la Constitution, pour la mise en place des institutions ;
6. Considérant que d'après le cinquième alinéa de l'article 34 de la Constitution, "les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique" ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 47 de la Constitution : "Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique" ; que les autres alinéas du même article déterminent les délais d'examen des projets de loi de finances dans le but de permettre qu'interviennent en temps utile et plus spécialement avant le début d'un exercice les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ; qu'eu égard à la finalité ainsi poursuivie, le constituant a habilité la loi organique à fixer des modalités procédurales d'examen et de vote des lois de finances qui peuvent, le cas échéant, apporter des tempéraments aux règles de droit commun de la procédure législative, dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à leur substance ;
7. Considérant que l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose dans le premier alinéa de son article 1er, que "les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent" ;
8. Considérant qu'en vertu de l'article 40 de la même ordonnance, "la seconde partie de la loi de finances de l'année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie" ; qu'en subordonnant la discussion de la seconde partie de la loi de finances, qui fixe le montant global des crédits applicables aux services votés et arrête les dépenses applicables aux autorisations nouvelles, au vote de la première partie, laquelle autorise et évalue les recettes, fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l'équilibre économique et financier, l'article 40 ne fait que tirer les conséquences, au plan de la procédure législative, du principe fondamental affirmé à l'article 1er ; qu'il tend à garantir qu'il ne sera pas porté atteinte, à l'occasion de l'examen de la seconde partie, aux grandes lignes de l'équilibre préalablement défini, tel qu'il a été arrêté par le législateur ;
9. Considérant que si cette prescription ne fait pas obstacle à d'éventuelles modifications par les assemblées des dispositions de la première partie du projet de loi de finances, il faut, pour qu'il y soit satisfait, que la première partie, en l'absence d'un vote d'ensemble, ait été adoptée en celles de ses dispositions qui constituent sa raison d'être et sont indispensables pour qu'elle puisse remplir son objet ; qu'il en est ainsi, particulièrement, de l'article qui arrête en recettes et en dépenses les données générales de l'équilibre ; que, s'il en était autrement et, notamment, en cas de rejet de cet article l'adoption des dispositions de la seconde partie n'aurait pas été précédée de la définition de l'équilibre, contrairement à ce qu'exige l'article 40 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ;
10. Considérant que les règles de procédure ainsi fixées sont inséparables du principe fondamental posé par l'article 1er, alinéa 1, de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précité ; qu'elles doivent par suite recevoir application, non seulement pour la loi de finances de l'année qui, conformément au deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 susvisée, "prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'État", mais également pour les lois de finances dites "rectificatives" qui, aux termes du quatrième alinéa de l'article 2, "peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances de l'année" ; qu'au demeurant, en vertu de l'article 34 de l'ordonnance n° 59-2, les lois de finances rectificatives sont présentées en partie ou en totalité "dans les mêmes formes que les lois de finances de l'année" ; qu'ainsi elles peuvent comporter un article d'équilibre ;
11. Considérant qu'il suit de là qu'en excluant de façon générale et absolue du champ d'application des règles fixées par l'article 47 bis du règlement du Sénat, les projets de loi de finances rectificative, la résolution soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a méconnu les dispositions combinées des articles 1er, 2 et 40 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
12. Considérant dès lors, que la résolution modifiant l'article 47 bis du règlement du Sénat doit être, en l'état, déclarée contraire à la Constitution ;
Décide :
Article premier :
Est déclarée contraire à la Constitution la résolution modifiant l'article 47 bis du règlement du Sénat soumise à l'examen du Conseil constitutionnel.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée au président du Sénat et publiée au Journal officiel de la République française.