Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 4 juillet 1989, par MM Bernard Pons, Philippe Séguin, André Berthol, Richard Cazenave, Roland Vuillaume, Jean-Pierre Delalande, Michel Giraud, Pierre Mazeaud, Pierre Mauger, Gérard Léonard, Eric Raoult, Jean-Michel Dubernard, Arthur Dehaine, Mme Monique Papon, MM Jean-Yves Chamard, Pierre Bachelet, Michel Cointat, Henri de Gastines, Jacques Masdeu-Arus, Etienne Pinte, Olivier Dassault, Bernard Debré, Claude Labbé, Alain Juppé, Jacques Chirac, Michel Noir, Patrick Balkany, Gabriel Kaspereit, Christian Bergelin, Mme Michèle Alliot-Marie, MM Eric Doligé, Patrick Ollier, Jean-Claude Mignon, Alain Peyrefitte, Jacques Baumel, Patrick Devedjian, Nicolas Sarkozy, Jean-Paul Charié, Mme Michèle Barzach, MM Robert Pandraud, Jacques Toubon, Jean Kiffer, Claude-Gérard Marcus, Emmanuel Aubert, Mme Roselyne Bachelot, MM Jean-Claude Gaudin, Roland Blum, Jean-Pierre de Peretti della Rocca, Gilbert Gantier, Jean Seitlinger, Philippe Vasseur, Jean Proriol, Pierre Lequiller, Gilles de Robien, Jean Desanlis, Daniel Colin, Hubert Falco, Rudy Salles, José Rossi, Jean-Yves Haby, Marc Laffineur, Philippe Mestre, Hervé de Charette, Paul Chollet, Georges Mesmin, François d'Aubert, André Rossi, Georges Durand, Michel Meylan, Francisque Perrut, Jean Rigaud, Gérard Longuet, Jean-Marie Caro, Alain Lamassoure, André Rossinot, André Santini, députés, le 5 juillet 1989, par MM Charles Pasqua, Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Jean Barras, Henri Belcour, Jacques Bérard, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Raymond Bourgine, Jean-Eric Bousch, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Jacques-Richard Delong, Charles Descours, Alain Dufaut, Pierre Dumas, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, Charles Ginesy, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Paul Graziani, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Bernard-Charles Hugo, Roger Husson, André Jarrot, Christian de la Malène, Lucien Lanier, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Christian Masson, Mme Hélène Missoffe, MM Geoffroy de Montalembert, Paul Moreau, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Jacques Oudin, Soséfo Makapé Papilio, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Henri Portier, Claude Prouvoyeur, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Michel Rufin, Jean Simonin, Louis Souvet, René Trégouët, Jacques Thyraud, Richard Pouille, Pierre Louvot, Maurice Arreckx, Jean Dumont, Louis Lazuech, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Philippe de Bourgoing, Henri de Raincourt, Michel d'Aillières, Bernard Barbier, Marc Castex, Pierre Croze, Jean-François Pintat, Hubert Martin, Roland du Luart, Joseph Caupert, Guy de La Verpillière, Roland Ruet, Marcel Lucotte, Jean Francou, Rémi Herment, Marcel Daunay, Olivier Roux, Roger Boileau, Paul Alduy, Michel Souplet, sénateurs, et le 6 juillet 1989, par le Premier ministre, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que, par sa saisine, le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de bien vouloir se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article 10 de la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France ; que, d'après la saisine des députés, cette loi a été adoptée selon une procédure irrégulière et son article 10 est contraire à la Constitution ; que la saisine des sénateurs vise les articles 3, 6 et 10 de la même loi ;
Sur la procédure législative :
2. Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que la loi a été délibérée par l'Assemblée nationale en première lecture dans des conditions irrégulières ; qu'en effet, le président de la commission des lois a, en violation de l'article 88 du règlement de cette assemblée, fait procéder par cette commission à un vote global sur un ensemble d'amendements ; qu'une telle procédure constitue un abus de pouvoir ayant eu pour effet d'empêcher l'examen normal de ces amendements devant la commission ;
3. Considérant que l'article 43 de la Constitution dispose : " Les projets et propositions de loi sont, à la demande du Gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet. Les projets ou propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont envoyés à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée " ; qu'aux termes de l'article 44 " les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement.
Après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission. Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement " ;
4. Considérant que le projet dont est issue la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été examiné en commission, avant sa discussion en séance publique, lors de chacune de ses lectures ; qu'aucun amendement n'a été rejeté au motif qu'il n'aurait pas été soumis à la commission ; qu'ainsi les articles 43 et 44 de la Constitution n'ont pas été méconnus ;
5. Considérant, il est vrai, qu'il est soutenu que l'article 88 du règlement de l'Assemblée nationale n'autorise pas le recours au vote bloqué en commission ;
6. Mais considérant que les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;
7. Considérant, dès lors, que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été adoptée selon une procédure qui n'est pas contraire à la Constitution ;
Sur le fond : En ce qui concerne les articles 3 et 6 :
8. Considérant que l'article 3 de la loi est ainsi rédigé : " La loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est abrogée dans ses articles 1er ( III), 2 ( I, II et VI), 5 (5e, 8e, 9e et 10e alinéas), 7 (2e et 3e alinéas), 8, 9, 10 et 12 " ; qu'au nombre des dispositions de la loi du 9 septembre 1986 abrogées par la loi déférée figurent celles du paragraphe I de l'article 2 ; que l'objet de ce paragraphe est de subordonner la délivrance de plein droit de la carte de résident, dans les hypothèses mentionnées à l'article 15 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, à la circonstance que la présence de l'étranger sur le territoire français ne constitue pas une menace pour l'ordre public ; que sont également abrogées par l'effet de l'article 1er de la loi présentement examinée les dispositions du paragraphe II de l'article 2 de la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 ; que ces dernières dispositions lient la délivrance de plein droit de la carte de résident à l'étranger marié depuis au moins un an à un conjoint de nationalité française à la condition que la communauté de vie des deux époux soit effective ;
9. Considérant que l'article 6 de la loi déférée a pour objet de modifier les dispositions de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatives à la délivrance de la carte de résident ; que le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance précitée, tel qu'il est modifié par le paragraphe I de l'article 6, énonce que : " La carte de résident est délivrée de plein droit sans que puissent être opposées les dispositions des articles 6 et 9 de la présente ordonnance : " ; qu'il résulte de ce texte, rapproché des dispositions qu'il vise, que, pour les treize catégories d'étrangers énumérées à l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, ne peut être opposée lors de l'examen d'une demande de carte de résident, la circonstance que l'intéressé serait dépourvu de la carte de séjour temporaire exigée en vertu des articles 6 et 9 de la même ordonnance ; que le 1° de l'article 15 de l'ordonnance, tel qu'il est rétabli par le paragraphe II de l'article 6 de la loi déférée prévoit l'octroi de plein droit de la carte de résident au conjoint étranger d'un ressortissant de nationalité française ;
10. Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des saisines contestent les dispositions des articles 3 et 6 en ce qu'elles suppriment la possibilité pour l'autorité administrative de refuser d'accorder la carte de résident, d'un côté, pour un motif d'ordre public, et, d'un autre côté, en raison de la situation juridique irrégulière de l'étranger ;
Quant à la suppression de la réserve d'ordre public pour la délivrance de la carte de résident :
11. Considérant que l'absence d'une possibilité de refus de la carte de résident pour un motif d'ordre public est critiquée dans la mesure où, d'une part, elle prive l'Etat d'une réserve qui est inhérente à son existence même et où, d'autre part, elle place les étrangers dans une situation de droit plus favorable que celle des nationaux qui, en d'autres occasions, peuvent se voir opposer une telle réserve ;
12. Considérant que, si la sauvegarde de l'ordre public constitue un objectif de valeur constitutionnelle, le législateur peut, s'agissant des mesures applicables au séjour des étrangers en France, décider que les modalités de mise en oeuvre de cet objectif reposeront, soit sur des règles de police spécifiques aux étrangers, soit sur un régime de sanctions pénales, soit même sur une combinaison de ces deux régimes ; que les diverses dispositions qu'il édicte doivent, en tout état de cause, se conformer aux règles et principes de valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que, dans le but d'assurer l'insertion en France de catégories d'étrangers bien déterminées, à raison de considérations humanitaires, de la nécessité de ne pas remettre en cause l'unité de la cellule familiale ou de l'ancienneté des liens noués par les intéressés avec la France, les articles 3 et 6 de la loi facilitent la délivrance à leur profit d'une carte de résident, sans s'attacher, dans ce cadre, à l'incidence que pourrait avoir sur l'ordre public, la présence de l'étranger sur le territoire national ; que ces dispositions ne sont pas contraires à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public dès lors que sont applicables aux intéressés les sanctions pénales visant tout individu qui porterait atteinte à l'intégrité des personnes ou des biens et, qu'au surplus, est autorisée par la loi, à la seule exception des mineurs, l'expulsion d'un étranger, en cas d'urgence absolue, lorsqu'une telle mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique ;
: Quant aux étrangers en situation irrégulière :
14. Considérant qu'est également critiquée la suppression de la possibilité de refus de la carte de résident au motif que l'étranger est en situation irrégulière ; qu'il est soutenu que cette suppression fait perdre à l'étranger en situation régulière le bénéfice de sa spécificité et aboutit à permettre à une situation illégale d'être créatrice de droits, ce qui constituerait " la négation même de l'Etat de droit " ; qu'un raisonnement analogue est conduit à propos de l'abrogation des dispositions qui subordonnent la délivrance de la carte de résident à l'étranger dont le conjoint est de nationalité française à une condition de communauté de vie des deux époux ; qu'il y aurait ainsi une officialisation des mariages de complaisance ;
15. Considérant que, si le Conseil constitutionnel a compétence pour statuer sur la constitutionnalité d'une loi soumise à son examen sur le fondement de l'article 61 de la Constitution, il ne lui appartient pas de se prononcer sur l'opportunité de dispositions législatives ; qu'en outre, l'appréciation de la constitutionnalité résulte de la confrontation de la loi contestée aux exigences constitutionnelles et ne dépend pas de la seule comparaison des dispositions de deux lois successives ;
16. Considérant que les critiques susanalysées, qui ne reposent sur la violation d'aucun principe, non plus que d'aucune règle de valeur constitutionnelle, ne peuvent qu'être écartées ;
En ce qui concerne l'article 10 :
17. Considérant que l'article 10 insère dans le texte de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 un article 22 bis ainsi rédigé : " L'arrêté de reconduite peut être contesté par l'étranger qui en fait l'objet devant le président du tribunal de grande instance ou son délégué, qui est saisi sans forme dans les vingt-quatre heures suivant la notification de l'arrêté préfectoral de reconduite et statue selon les formes applicables au référé dans un délai de quarante-huit heures. Les dispositions de l'article 35 bis peuvent être appliquées dès l'intervention de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. La mesure d'éloignement ne peut être exécutée avant l'expiration du délai de vingt-quatre heures suivant la notification de la mesure ou, si le président du tribunal de grande instance est saisi, avant qu'il n'ait statué. L'audience devant le président du tribunal de grande instance est publique.
L'étranger peut demander à avoir communication de son dossier et à bénéficier du concours d'un interprète. Il est statué après comparution de l'intéressé assisté de son conseil, s'il en a un. Ce conseil peut, à la demande de l'étranger, être désigné d'office. Si la décision préfectorale de reconduite est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article 35 bis et l'étranger est muni, s'il y a lieu, d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas. L'ordonnance du président du tribunal de grande instance est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué. Le recours doit être exercé dans un délai d'un mois suivant la date de l'ordonnance. Le droit d'appel appartient au ministère public, à l'étranger et au représentant de l'Etat dans le département. Ce recours n'est pas suspensif " ;
18. Considérant que les députés et les sénateurs auteurs de deux des saisines soutiennent que la procédure de recours contre l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière instituée par l'article 10 de la loi viole la séparation des pouvoirs entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire qui est un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; que les sénateurs auteurs de la deuxième saisine font valoir également que l'article 10 est contraire au principe d'égalité devant la loi ;
19. Considérant que, conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des " principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ", celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ;
20. Considérant cependant que, dans la mise en oeuvre de ce principe, lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, il est loisible au législateur, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé ;
21. Considérant que les décisions prises par l'autorité administrative sur le fondement de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée constituent l'exercice de prérogatives de puissance publique ; qu'il en va ainsi notamment des mesures de refus d'entrée sur le territoire national visées à l'article 5 de l'ordonnance, des décisions relatives à l'octroi d'une carte de séjour mentionnées à l'article 6 de l'ordonnance, des décisions concernant la délivrance de la carte de résident dans les cas visés respectivement par les articles 14 et 15 de l'ordonnance, de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière d'un étranger se trouvant en situation irrégulière pris en application de l'article 22 de l'ordonnance, de l'expulsion d'un étranger dans les hypothèses définies aux articles 23 à 26 de l'ordonnance, ou de son assignation à résidence en vertu de l'article 28 de l'ordonnance ;
22. Considérant que, s'agissant de l'usage par une autorité exerçant le pouvoir exécutif ou par un de ses agents de prérogatives de puissance publique, les recours tendant à l'annulation des décisions administratives relatives à l'entrée et au séjour en France des étrangers relèvent de la compétence de la juridiction administrative ;
23. Considérant que le législateur a, dans le cas particulier de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, entendu déroger, par l'article 10 de la loi déférée, aux règles habituelles de répartition des compétences entre les ordres de juridiction en se fondant sur la compétence reconnue à l'autorité judiciaire en matière de liberté individuelle et notamment de peines privatives de liberté ainsi qu'en ce qui concerne les questions relatives à l'état des personnes ; qu'il a estimé également qu'un transfert de compétence au tribunal de grande instance statuant en la forme du référé répondait à un souci de bonne administration de la justice ;
24. Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la Constitution l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 satisfait à cette exigence en soumettant au contrôle de l'autorité judiciaire toute prolongation au-delà de vingt-quatre heures du maintien dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire d'un étranger qui soit n'est pas en mesure de déférer immédiatement à la décision lui refusant l'autorisation d'entrer sur le territoire français soit, faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ou devant être reconduit à la frontière, ne peut quitter immédiatement le territoire français ;
25. Considérant toutefois, que la compétence ainsi reconnue à l'autorité judiciaire pour contrôler une mesure de surveillance qui met en cause la liberté individuelle, s'exerce indépendamment du contrôle de la légalité des décisions administratives de refus d'accès au territoire national, de reconduite à la frontière ou d'expulsion ; qu'au demeurant, une mesure de rétention de l'étranger qui est dans l'impossibilité de déférer immédiatement à une décision d'éloignement ne peut intervenir que " s'il y a nécessité absolue " ; que dès lors, la prolongation par l'autorité judiciaire de cette mesure de surveillance ne saurait revêtir un caractère systématique et s'appliquer, tant s'en faut, à tous les cas où il y a intervention d'une décision administrative d'éloignement d'un étranger du territoire national ;
26. Considérant que si l'entrée et le séjour irréguliers en France d'un étranger constituent, dans les cas visés aux articles 19 et 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, une infraction pénale relevant de la seule compétence du juge judiciaire, cette compétence spécifique ne saurait justifier qu'il soit fait échec à la compétence générale du juge administratif dans le domaine de l'annulation des actes de la puissance publique ;
27. Considérant sans doute qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction résultant de l'article 13-VI de la loi déférée, certaines catégories d'étrangers ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en raison de considérations liées à leur âge ou à leur situation familiale ; qu'en outre, une mesure d'éloignement n'est légalement justifiée que si l'intéressé est de nationalité étrangère ou n'a pas de nationalité ;
28. Considérant cependant que les litiges liés à ces situations ne sont pas d'une nature ou d'une fréquence telle qu'ils puissent entraîner une dérogation aux règles normales de compétence ; qu'au surplus, en vertu de dispositions identiques à celles du troisième alinéa de l'article 22 de l'ordonnance, est prohibée l'expulsion des mêmes catégories d'étrangers, hors le cas de la procédure exceptionnelle régie par l'article 26 de l'ordonnance ; que le contrôle de la légalité de semblables mesures ressortit à la compétence du juge administratif ;
29. Considérant par ailleurs, que la bonne administration de la justice commande que l'exercice d'une voie de recours appropriée assure la garantie effective des droits des intéressés ; que, toutefois, cette exigence, qui peut être satisfaite aussi bien par la juridiction judiciaire que par la juridiction administrative, ne saurait à elle seule autoriser qu'il soit porté atteinte à un principe de valeur constitutionnelle ;
30. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 10 de la loi déférée, qui méconnaît un principe fondamental reconnu par les lois de la République, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1946 et auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958, doit être déclaré contraire à la Constitution ;
31. Considérant que sont inséparables des dispositions déclarées inconstitutionnelles, la mention dans le texte de l'article 19 de la loi déférée des mots : " et de l'article 22 bis ", la mention dans le texte de l'article 20 des mots : " des articles 22 bis et ", ainsi que le texte de l'article 15 de la même loi ;
32. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,
Décide :
Article premier :
L'article 10 de la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France est déclaré contraire à la Constitution.
Article 2 :
Sont inséparables de l'article 10 les dispositions suivantes de la loi :
l'article 15 ;
dans le texte de l'article 19, les mots : " et de l'article 22 bis " ;
dans le texte de l'article 20, les mots : " des articles 22 bis et ".
Article 3 :
Les autres dispositions de la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 4 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.