Monsieur le président, messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances prévue par l'article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 relative à la Nouvelle-Calédonie telle qu'elle a été adoptée définitivement par le Parlement.
Les territoires d'outre-mer occupent au sein de la République la place particulière que la Constitution a prévue pour eux. Elle présente un certain nombre de caractéristiques qui toutes se déduisent du préambule constitutionnel.
Conformément au préambule de la Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958 : " Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires. " Le principe ainsi posé dès 1946, confirmé en 1958, emporte plusieurs conséquences.
La première est que l'appartenance des territoires d'outre-mer à la République ne s'impose pas d'elle-même. Elle résulte d'une manifestation explicite de volonté de la part des peuples intéressés, manifestation à laquelle les électeurs eux-mêmes ont été conviés à l'occasion du référendum du 28 septembre 1958, avant que leurs assemblées territoriales ne se prononcent éventuellement sur l'une des options ouvertes par l'article 76 de la Constitution.
La seconde conséquence du principe précédemment rappelé est que le choix opéré par les populations des territoires d'outre-mer en faveur de l'appartenance à la République doit, par nature, demeurer révocable. Ainsi l'exige notamment le principe de libre détermination des peuples qui figure dans le préambule constitutionnel.
C'est au nom de cela que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 1975 relative à l'autodétermination des îles des Comores, a confirmé que le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution était applicable non seulement à le cession, à l'échange ou à l'adjonction de territoire, mais aussi à l'accession à l'indépendance.
Aussi est-ce dans le contexte constitutionnel ainsi rappelé et, plus précisément, dans le cadre de l'article 53, alinéa 3, que se situe la consultation organisée par la loi déférée.
Ainsi l'indépendance d'un territoire d'outre-mer est-elle subordonnée, pour reprendre les termes employés par M René Capitant, à " la volonté commune du territoire et du législateur français " (rapport sur le projet de loi organisant la consultation de la population de la Côte française des Somalis, Assemblée nationale, n° 2199, 30 novembre 1966, p 6).
Pour répondre aux exigences ainsi posées par la Constitution, ce double consentement du législateur et des populations intéressées doit naturellement être recueilli dans des conditions dénuées de toute ambiguïté. Cela suppose, d'une part, que l'objet de la consultation soit clairement énoncé. Cela suppose, d'autre part, que les décisions relatives à la consultation soient prises par ceux auxquels la Constitution en a confié le soin.
Ces conditions sont l'une et l'autre méconnues en l'espèce.
I : S'agissant en premier lieu de l'objet de la consultation, l'article 1er de la loi déférée a rédigé ainsi la question posée : " Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance ou demeure au sein de la République française avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance ? " Quant aux réponses que les électeurs seront appelés à donner, elles sont les suivantes : " Je veux que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance " ou " Je veux que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République française ".
On peut noter en premier lieu que les termes de l'alternative qui figurent dans la question ne sont pas les mêmes que l'on retrouve dans les réponses possibles. Ainsi, celui qui au vu de la question choisirait la position favorable au maintien au sein de la République avec un statut nouveau ne pourrait plus au stade de la réponse qu'exprimer seulement qu'il veut que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République.
Mais il y a plus grave. Dans la rédaction même de la question posée, les deux branches de l'alternative ne sont pas parallèles.
Sont opposés, d'une part, l'indépendance pure et simple, d'autre part, le maintien dans la République mais avec un statut nouveau.
Dès lors que la consultation organisée l'est dans le cadre de l'article 53, alinéa 3, elle ne pouvait porter que sur ce qui est l'objet dudit article : affirmer un choix favorable ou hostile à l'indépendance.
S'agissant du statut d'un territoire d'outre-mer, en effet, celui-ci excède le champ d'application de l'article 53 pour ne relever que celui de l'article 74. Les différences entre ces deux dispositions sont nombreuses et importantes : consultation des populations dans un cas, de l'assemblée territoriale dans l'autre, décision dans un cas, avis dans l'autre, postérieure à une loi ici, et préalable là, à l'initiative du législateur pour l'article 53, à celle du Gouvernement pour l'article 74.
Or rien dans la Constitution ne permet de confondre deux procédures qu'elle a nettement distinguées. Et cela seul suffit à l'interdire.
Certes, on pourra objecter en premier lieu que la question ainsi posée se situe dans la continuité de l'article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 dont elle fait application. Mais la conformité d'une loi à une autre n'induit pas la conformité de l'une et l'autre à la Constitution.
Certes, on pourra objecter en second lieu que la rédaction retenue pour la question est la même que celle figurant dans la loi n° 66-949 du 22 décembre 1966 sur la Côte française des Somalis. Mais ses rapporteurs avaient expressément émis des réserves sur le plan constitutionnel auxquelles il a été passé outre parce que le Gouvernement a eu recours à la procédure du vote bloqué ; parce qu'à l'époque soixante parlementaires ne pouvaient pas saisir le Conseil constitutionnel qui ne l'a pas été en effet ; enfin, parce que la loi elle-même a prévu, on le verra plus loin, un recours ultérieur à des ordonnances.
Certes, on pourra objecter enfin que la confusion entre les deux procédures, celle de l'article 53 et celle de l'article 74, est sans portée dès lors que soit les électeurs choisissent l'indépendance et la question du statut ne se pose pas, soit ils choisissent le maintien dans la République et la question du statut devra de toute façon être reposée dans des conditions conformes à l'article 74.
Mais il reste que le consentement mentionné par l'article 53, quel que soit son sens, doit se manifester dans des conditions qui ne puissent en altérer la signification. Or la confusion entre deux procédures radicalement distinctes et qui n'ont pas le même objet ne permet pas d'aboutir à ce résultat.
Le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution définit les hypothèses et l'objet de la consultation qu'il prévoit. Les hypothèses ont pu légitimement, pour des raisons tenant à la logique même du texte constitutionnel, être étendues à celle d'accession à l'indépendance. Mais l'objet, lui, ne saurait être modifié si peu que ce soit.
A ce premier titre, le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi déférée ne peut qu'être déclaré non conforme à la Constitution.
II. : S'agissant en second lieu de l'exercice de leurs compétences respectives par le Parlement et le Gouvernement, la loi déférée viole également le texte constitutionnel, et ce pour plusieurs motifs.
Le statut des territoires d'outre-mer, conformément aux articles 34 et 74 de la Constitution, relève de la loi. De ce fait, la loi seule peut définir, après consultation de l'assemblée territoriale, le statut qui sera éventuellement applicable à la Nouvelle-Calédonie. Etant seule compétente pour le définir, elle est aussi seule compétente pour en arrêter les éléments essentiels.
Le Gouvernement, en ce qui le concerne, n'a rigoureusement aucun titre de compétence. Soit on envisage une loi et seul le Parlement peut la voter, soit on envisage plus simplement une initiative législative et seul le Premier ministre au sein de l'exécutif a qualité pour la prendre.
S'agissant d'une consultation, la Constitution laisse toujours à celui qui la décide le soin de formuler la question. Ainsi, dans les cas prévus aux articles 11 et 89 pour le référendum, est-ce le décret signé du Président de la République qui définit la question posée. De la même manière, pour la consultation prévue à l'article 53, c'est le législateur, seul compétent pour décider de son organisation, qui est également compétent pour déterminer l'intitulé de la question.
Or, en n'y procédant pas véritablement, il abandonne ce soin à l'autorité gouvernementale.
Certes, formellement la question est définie par la loi elle-même.
Mais en réalité la physionomie du futur statut, qui est l'élément substantiel qui doit guider la réponse, n'est nullement tracée.
De deux choses l'une : ou bien la seule question posée est celle de l'indépendance et toute mention du statut aurait dû être écartée, ou bien on considère, ce qui est parfaitement légitime, qu'une perspective intermédiaire : celle d'un nouveau statut : doit être offerte au choix des populations ; mais pour que cela ait une signification, il faut que les perspectives tracées le soient par qui a autorité pour le faire.
Quelle serait en effet la situation dans l'hypothèse où la consultation conclurait au maintien au sein de la République ? Il faudrait alors adopter un nouveau statut selon la procédure ordinaire, c'est-à-dire qu'un projet ou une proposition de loi soumis à l'assemblée territoriale devrait être adopté par le Parlement.
Notons tout d'abord que rien ne contraint ce projet juridiquement à être conforme aux éléments essentiels préalablement portés à la connaissance des populations. A supposer qu'il le soit, rien ne contraint davantage l'assemblée territoriale à émettre un avis favorable. Mais surtout, à supposer que ces deux préalables soient réunis, rien ne peut contraindre le Parlement à transformer ce projet en loi, pas plus que rien ne garantit que le Conseil constitutionnel éventuellement saisi le déclarerait conforme à la Constitution.
Ajoutons encore que soit du fait des retards que le Gouvernement apporterait à son uvre, soit du fait d'une dissolution de l'Assemblée nationale, c'est à un Parlement composé de manière très différente que pourrait revenir le soin d'adopter le statut définitif.
Ainsi sont très nombreux les aléas qui pèseraient sur ces " éléments essentiels " d'un statut futur. Or il résulte de l'intention clairement affirmée par le législateur, tant dans la loi du 17 juillet 1986 que dans la loi déférée, que la perspective de ce statut et son contenu doivent être un élément déterminant fondamental du choix que les populations auront à effectuer.
Imaginons maintenant l'hypothèse dans laquelle le Gouvernement auquel est abusivement remis ce pouvoir veuille soit par convictions profondes, soit par intérêt politique, orienter l'issue du scrutin.
S'il souhaite pousser à l'indépendance, il peut tracer les contours d'un statut difficilement acceptable pour les populations et dont jamais le Parlement n'aurait pris la responsabilité. Si à l'inverse il souhaite faire massivement confirmer le maintien au sein de la République, il peut tout aussi bien promettre nettement plus que le législateur ne serait prêt à décider, voire nettement plus que la Constitution ne permet et faire ainsi miroiter des avantages illusoires.
Compte tenu des conditions dans lesquelles elle se déroulerait, la consultation pourrait aisément devenir, par séduction ou par répulsion, dolosive.
Il ne s'agit nullement là d'un procès d'intention mais simplement de la constatation du droit : le Gouvernement est convié à prendre des engagements dont il n'a ni le pouvoir ni la compétence pour garantir qu'ils seraient tenus.
La procédure normale aurait pu conduire le Parlement, seul compétent, à déterminer lui-même dans la loi les éléments essentiels d'un futur statut. Mais cette solution, quoique évidemment meilleure que celle retenue, n'eût pas été parfaite dans la mesure où le législateur actuel ne saurait engager le législateur futur.
Aussi la solution véritablement conforme à la Constitution eût-elle dû conduire le Parlement à élaborer et adopter un nouveau statut, selon la procédure législative ordinaire, en subordonnant son entrée en vigueur, ce que rien ne lui interdit, aux résultats de la consultation des populations intéressées.
De cette manière, l'alternative proposée aux populations eût été d'une rigoureuse clarté en même temps que d'une parfaite rigueur juridique : indépendance ou maintien au sein de la République avec un statut connu de tous et adopté par les autorités compétentes.
Cette solution était sans contexte la meilleure et la plus conforme aux principes constitutionnels. A défaut de la retenir, au moins le législateur eût-il pu recourir à celle mise en uvre en 1966 pour la Côte française des Somalis.
Il faut se souvenir, en effet, que si la loi précitée avait choisi de rédiger la question de manière équivalente à celle de la loi déférée, elle avait surmonté l'obstacle de l'incompétence du Gouvernement en habilitant expressément celui-ci, conformément à l'article 38 de la Constitution, à prendre, en tant que de besoin, " toutes mesures relevant du domaine de la loi que justifierait la situation en Côte française des Somalis ".
Ainsi, certes il était prévu qu'une loi ultérieure élaborerait le nouveau statut dans les quatre mois suivant la consultation. Mais, au cas où cela se révélerait nécessaire, assurance était donnée aux populations que le Gouvernement aurait lui-même la capacité de traduire immédiatement en actes les engagements pris.
Ce n'est qu'en recourant à l'article 38 de la Constitution que le Parlement pouvait confier au Gouvernement le soin de définir cet élément déterminant du choix offert aux populations intéressées qu'est le statut applicable au territoire au cas où elles opteraient pour le maintien au sein de la République.
A tous égards donc, par la confusion entre les articles 53 et 74 de la Constitution, par l'imprécision de son objet, par l'incompétence de ceux auxquels est confié le soin d'en définir les termes, la consultation organisée par l'article 1er de la loi déférée n'est pas conforme à la Constitution et sera déclarée telle.
Compte tenu de ce que l'intention clairement exprimée par le Parlement est d'offrir aux populations une alternative entre indépendance ou maintien dans le cadre d'un statut nouveau, il est clair que les termes " avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance " sont inséparables du reste de la question. Leur non-conformité s'étend donc à l'ensemble de la question.
Compte tenu en second lieu de ce que seule l'autorité qui décide de la consultation a qualité pour définir la question, cette dernière doit nécessairement figurer dans la loi. Ainsi l'ensemble de la loi est-il inséparable de la question posée et la non-conformité de celle-ci interdit la promulgation de celle-là.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61, de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
Monsieur le président, messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances prévue par l'article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 relative à la Nouvelle-Calédonie, telle qu'elle a été adoptée définitivement par le Parlement.
Les territoires d'outre-mer occupent, au sein de la République, la place particulière que la Constitution a prévue pour eux. Elle présente un certain nombre de caractéristiques qui toutes se déduisent du préambule constitutionnel.
Conformément au préambule de la Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958, " fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ". Le principe ainsi posé dès 1946, confirmé en 1958, emporte plusieurs conséquences.
La première est que l'appartenance des territoires d'outre-mer à la République ne s'impose pas d'elle-même. Elle résulte d'une manifestation explicite de volonté de la part des peuples intéressés, manifestation à laquelle les électeurs eux-mêmes ont été conviés à l'occasion du référendum du 28 septembre 1958, avant que leurs assemblées territoriales ne se prononcent éventuellement sur l'une des options ouvertes par l'article 76 de la Constitution.
La seconde conséquence du principe précédemment rappelé est que le choix opéré par les populations des territoires d'outre-mer en faveur de l'appartenance à la République doit, par nature, demeurer révocable. Ainsi l'exige notamment le principe de libre détermination des peuples qui figure dans le préambule constitutionnel.
C'est au nom de cela que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 1975 relative à l'autodétermination des îles des Comores, a confirmé que le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution était applicable non seulement à la cession, à l'échange ou à l'adjonction de territoire, mais aussi à l'accession à l'indépendance.
Aussi est-ce dans le contexte constitutionnel ainsi rappelé, et, plus précisément, dans le cadre de l'article 53, alinéa 3, que se situe la consultation organisée par la loi déférée.
Ainsi l'indépendance d'un territoire d'outre-mer est-elle subordonnée, pour reprendre les termes employés par M René Capitant, à " la volonté commune du territoire et du législateur français " (Rapport sur le projet de loi organisant la consultation de la population de la Côte française des Somalis, Assemblée nationale, n° 2199, 30 novembre 1966, p 6).
Pour répondre aux exigences ainsi posées par la Constitution, ce double consentement, du législateur et des populations intéressées, doit naturellement être recueilli dans des conditions dénuées de toute ambiguïté. Cela suppose d'une part que l'objet de la consultation soit clairement énoncé. Cela suppose d'autre part que les décisions relatives à la consultation soient prises par ceux auxquels la Constitution en a confié le soin.
Ces conditions sont l'une et l'autre méconnues en l'espèce.
I : S'agissant en premier lieu de l'objet de la consultation, l'article 1er de la loi déférée a rédigé ainsi la question posée : " voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance ou demeure au sein de la République française avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance ? ". Quant aux réponses que les électeurs seront appelés à donner, elles sont les suivantes : " Je veux que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance " ou " Je veux que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République française ".
On peut noter, en premier lieu, que les termes de l'alternative qui figurent dans la question ne sont pas ceux que l'on retrouve dans les réponses possibles. Ainsi, celui qui, au vu de la question, choisirait la position favorable au maintien au sein de la République avec un statut nouveau ne pourrait plus, au stade de la réponse, qu'exprimer seulement qu'il veut que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République.
Mais il y a plus grave. Dans la rédaction même de la question posée, les deux branches de l'alternative ne sont pas parallèles.
Sont opposés d'une part l'indépendance pure et simple, d'autre part le maintien dans la République mais avec un statut nouveau.
Dès lors que la consultation organisée l'est dans le cadre de l'article 53, alinéa 3, elle ne pouvait porter que sur ce qui est l'objet dudit article : affirmer un choix favorable ou hostile à l'indépendance.
S'agissant du statut d'un territoire d'outre-mer, en effet, celui-ci excède le champ d'application de l'article 53 pour ne relever que de celui de l'article 74. Les différences entre ces deux dispositions sont nombreuses et importantes : consultation des populations dans un cas, de l'assemblée territoriale dans l'autre, décision dans un cas, avis dans l'autre, postérieure à une loi ici, et préalable là, à l'initiative du législateur pour l'article 53, à celle du Gouvernement pour l'article 74.
Or rien, dans la Constitution, ne permet de confondre deux procédures qu'elle a nettement distinguées. Et cela seul suffit à l'interdire.
Certes, on pourra objecter en premier lieu que la question ainsi posée se situe dans la continuité de l'article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 dont elle fait application. Mais la conformité d'une loi à une autre n'induit pas sa conformité à la Constitution.
Certes, on pourra objecter en second lieu que la rédaction retenue pour la question est la même que celle figurant dans la loi n° 66-949 du 22 décembre 1966 sur la Côte française des Somalis. Mais non seulement cette loi n'a pas, à l'époque, été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, mais encore ses rapporteurs avaient expressément émis des réserves sur le plan constitutionnel. Si le Parlement avait, à l'époque, accepté de taire ses scrupules constitutionnels, c'était explicitement parce que le Gouvernement avait invoqué de strictes raisons d'opportunité politique.
Certes, on pourra objecter enfin que la confusion entre les deux procédures, celle de l'article 53 et celle de l'article 74, est sans portée dès lors que soit les électeurs choisissent l'indépendance et la question du statut ne se pose pas, soit ils choisissent le maintien dans la République et la question du statut devra de toute façon être reposée dans des conditions conformes à l'article 74.
Mais il reste que le consentement mentionné par l'article 53, quel que soit son sens, doit se manifester dans des conditions qui ne puissent en altérer la signification. Or la confusion entre deux procédures radicalement distinctes et qui n'ont pas le même objet ne permet pas d'aboutir à ce résultat.
Le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution définit les hypothèses et l'objet de la consultation qu'il prévoit. Les hypothèses ont pu légitimement, pour des raisons tenant à la logique même du texte constitutionnel, être étendues à celle d'accession à l'indépendance. Mais l'objet, lui, ne saurait être modifié si peu que ce soit.
A ce premier titre, le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi déférée ne peut qu'être déclaré non conforme à la Constitution.
II. : S'agissant en second lieu de l'exercice de leurs compétences respectives par le Parlement et le Gouvernement, la loi déférée viole également le texte constitutionnel et ce pour plusieurs motifs.
Le statut des territoires d'outre-mer, conformément aux articles 34 et 74 de la Constitution, relève de la loi. De ce fait, la loi seule peut définir, après consultation de l'assemblée territoriale, le statut qui sera éventuellement applicable à la Nouvelle-Calédonie. Etant seule compétente pour le définir, elle est aussi seule compétente pour en arrêter les éléments essentiels.
Le Gouvernement, en ce qui le concerne, n'a rigoureusement aucun titre de compétence. Soit on envisage une loi et seul le Parlement peut la voter, soit on envisage plus simplement une initiative législative et seul le Premier ministre, au sein de l'exécutif, a qualité pour la prendre.
S'agissant d'une consultation, la Constitution laisse toujours à celui qui la décide le soin de formuler la question. Ainsi, dans les cas prévus aux articles 11 et 89 pour le référendum, est-ce le décret signé du Président de la République qui définit la question posée. De la même manière, pour la consultation prévue à l'article 53, c'est le législateur, seul compétent pour décider de son organisation, qui est également compétent pour déterminer l'intitulé de la question.
Or en n'y procédant pas véritablement, il abandonne ce soin à l'autorité gouvernementale.
Certes, formellement la question est définie par la loi elle-même.
Mais en réalité la physionomie du futur statut, qui est l'élément substantiel qui doit guider la réponse, n'est nullement tracée.
De deux choses l'une : ou bien la seule question posée est celle de l'indépendance et toute mention du statut aurait dû être écartée ; ou bien on considère, ce qui est parfaitement légitime, qu'une perspective intermédiaire : celle d'un nouveau statut : doit être offerte au choix des populations, mais, pour que cela ait une signification, il faut que les perspectives tracées le soient par qui a autorité pour le faire.
Quelle serait en effet la situation dans l'hypothèse où la consultation concluerait au maintien au sein de la République ? Il faudrait alors adopter un nouveau statut, selon la procédure ordinaire, c'est-à-dire qu'un projet ou une proposition de loi, soumis, à l'Assemblée territoriale, devrait être adopté par le Parlement.
Notons tout d'abord que rien ne contraint ce projet, juridiquement, à être conforme aux éléments essentiels préalablement portés à la connaissance des populations. A supposer qu'il le soit, rien ne contraint davantage l'assemblée territoriale à émettre un avis favorable. Mais surtout, à supposer que ces deux préalables soient réunis, rien ne peut contraindre le Parlement à transformer ce projet en loi, pas plus que rien ne garantit que le Conseil constitutionnel, éventuellement saisi, le déclarerait conforme à la Constitution.
Ajoutons encore que, soit du fait des retards que le Gouvernement apporterait à son uvre, soit du fait d'une dissolution de l'Assemblée nationale, c'est à un Parlement composé de manière très différente que pourrait revenir le soin d'adopter le statut définitif.
Ainsi sont très nombreux les aléas qui pèseraient sur ces " éléments essentiels " d'un statut futur. Or il résulte de l'intention clairement affirmée par le législateur, tant dans la loi du 17 juillet 1986 que dans la loi déférée, que la perspective de ce statut et son contenu doivent être un élément déterminant, fondamental, du choix que les populations auront à effectuer.
Imaginons maintenant l'hypothèse dans laquelle le Gouvernement auquel est abusivement remis ce pouvoir veuille, soit par convictions profondes soit par intérêt politique, orienter l'issue du scrutin.
S'il souhaite pousser à l'indépendance, il peut tracer les contours d'un statut difficilement acceptable pour les populations et dont jamais le Parlement n'aurait pris la responsabilité. Si, à l'inverse, il souhaite faire massivement confirmer le maintien au sein de la République, il peut tout aussi bien promettre nettement plus que le législateur ne serait prêt à décider, voire nettement plus que la Constitution ne permet, et faire ainsi miroiter des avantages illusoires.
Compte tenu des conditions dans lesquelles elle se déroulerait, la consultation pourrait aisément devenir, par séduction ou par répulsion, dolosive.
Il ne s'agit nullement là d'un procès d'intention mais simplement de la constatation du droit : le Gouvernement est convié à prendre des engagements dont il n'a ni le pouvoir ni la compétence pour garantir qu'ils seraient tenus.
La procédure normale aurait pu conduire le Parlement, seul compétent, à déterminer lui-même dans la loi les éléments essentiels d'un futur statut. Mais cette solution, quoi qu'évidemment meilleure que celle retenue, n'eût pas été parfaite dans la mesure où le législateur actuel ne saurait engager le législateur futur.
Aussi la solution véritablement conforme à la Constitution eût-elle dû conduire le Parlement à élaborer et adopter un nouveau statut, selon la procédure législative ordinaire, en subordonnant son entrée en vigueur, ce que rien ne lui interdit, aux résultats de la consultation des populations intéressées.
De cette manière, l'alternative proposée aux populations eût été d'une rigoureuse clarté en même temps que d'une parfaite rigueur juridique : indépendance ou maintien au sein de la République avec un statut connu de tous et adopté par les autorités compétentes.
Cette solution était sans conteste la meilleure et la plus conforme aux principes constitutionnels. A défaut de la retenir, au moins le législateur eût-il pu recourir à celle mise en uvre en 1966 pour la Côte française des Somalis.
Il faut se souvenir en effet que si la loi précitée avait choisi de rédiger la question de manière équivalente à celle de la loi déférée, elle avait surmonté l'obstacle de l'incompétence du Gouvernement en habilitant expressément celui-ci, conformément à l'article 38 de la Constitution, à prendre, en tant que de besoin, " toutes mesures relevant du domaine de la loi que justifierait la situation en Côte française des Somalis ".
Ainsi, certes il était prévu qu'une loi ultérieure élaborerait le nouveau statut, dans les quatre mois suivant la consultation. Mais, au cas où cela se révélerait nécessaire, assurance était donnée aux populations que le Gouvernement aurait lui-même la capacité de traduire immédiatement en actes les engagements pris.
Ce n'est qu'en recourant à l'article 38 de la Constitution que le Parlement pouvait confier au Gouvernement le soin de définir cet élément déterminant du choix offert aux populations intéressées qu'est le statut applicable au territoire au cas où elles opteraient pour le maintien au sein de la République.
A tous égard, donc, par la confusion entre les articles 53 et 74 de la Constitution, par l'imprécision de son objet, par l'incompétence de ceux auxquels est confié le soin d'en définir les termes, la consultation organisée par l'article 1er de la loi déférée n'est pas conforme à la Constitution et sera déclarée telle.
Compte tenu de ce que l'intention clairement exprimée par le Parlement est d'offrir aux populations une alternative entre indépendance ou maintien dans le cadre d'un statut nouveau, il est clair que les termes " avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance " sont inséparables du reste de la question. Leur non-conformité s'étend donc à l'ensemble de la question.
Compte tenu, en second lieu, de ce que seule l'autorité qui décide de la consultation a qualité pour définir la question, cette dernière doit nécessairement figurer dans la loi. Ainsi l'ensemble de la loi est-il inséparable de la question posée et la non-conformité de celle-ci interdit la promulgation de celle-là.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.