Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 21 décembre 1985, par MM Claude Labbé, Jacques Toubon, Pierre Messmer, Jean-Louis Masson, Jacques Godfrain, Serge Charles, Charles Paccou, Camille Petit, Hyacinthe Santoni, Jean Falala, Philippe Séguin, Robert Wagner, René André, Etienne Pinte, Gérard Chasseguet, Pierre-Charles Krieg, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Michel Péricard, Bernard Pons, Georges Gorse, Tutaha Salmon, Jean-Paul Charié, Jean de Préaumont, Pierre-Bernard Cousté, Marc Lauriol, Gabriel Kaspereit, Jean-Louis Goasduff, Georges Tranchant, Roland Nungesser, Bruno Bourg-Broc, Claude-Gérard Marcus, Pierre Godefroy, Jean Narquin, Roger Corrèze, Pierre Bachelet, Michel Cointat, Robert-André Vivien, Maurice Couve de Murville, Jacques Baumel, Jean-Claude Gaudin, Adrien Durand, Jacques Dominati, Jacques Fouchier, Mme Louise Moreau, MM Roger Lestas, Germain Gengenwin, Francisque Perrut, Jean Brocard, Michel d'Ornano, Claude Birraux, Pascal Clément, Philippe Mestre, Jean Desanlis, Edmond Alphandéry, Pierre Fuchs, André Rossinot, Bernard Stasi, Jean Briane, Loïc Bouvard, Georges Mesmin, Charles Millon, Alain Mayoud, Pierre Micaux, Maurice Dousset, Jean-Pierre Soisson, Jean Rigaud, Francis Geng, Raymond Barre, François d'Aubert, Henri Bayard, Jean Bégault, Paul Pernin, Marcel Bigeard, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances rectificative pour 1985.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine mettent en cause la conformité à la Constitution de certaines annulations de crédits contenues dans la loi de finances rectificative pour 1985 ainsi que de mesures d'intégration dans le corps des instituteurs prévues à l'article 28 de cette loi ;
- SUR LES ANNULATIONS DE CREDITS
. En ce qui concerne la procédure :
2. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que la loi de finances rectificative pour 1985 a été adoptée en méconnaissance des dispositions constitutionnelles relatives au droit d'amendement ; qu'ils exposent qu'au cours de la première lecture du projet à l'Assemblée nationale le président de cette assemblée a déclaré irrecevable un amendement qui avait pour objet, d'une part, d'abroger un arrêté ministériel du 27 novembre 1985 portant annulation de crédits et de rétablir les crédits concernés, d'autre part, de compenser la majoration des charges résultant de ce rétablissement pour l'annulation de crédits sans objet et, le cas échéant, par des mesures complémentaires d'économies ; que cet amendement tendait, selon son auteur, à assurer le contrôle de l'exécution des lois de finances, prévu par l'article 47 de la Constitution et l'article 42 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, dans la mesure où son adoption aurait permis d'empêcher que la loi de finances rectificative ne fût entachée de l'inconstitutionnalité paraissant affecter l'arrêté du 27 novembre 1985 ;
3. Considérant que l'article 40 de la Constitution dispose que "les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique" ; qu'il résulte des termes mêmes de cet article qu'il fait obstacle à toute initiative se traduisant par l'aggravation d'une charge, fut-elle compensée par la diminution d'une autre charge ou par une augmentation des ressources publiques ;
4. Considérant que l'amendement litigieux avait pour effet une augmentation des charges publiques telles qu'elles s'établissaient à la suite des annulations de crédits opérées par l'arrêté du 27 novembre 1985 ; que c'est, dès lors, à bon droit qu'il a été déclaré irrecevable sans qu'il y eut à prendre en compte les mesures de compensation qu'il prévoyait ; que la circonstance que cet amendement répondait au souci d'assurer le contrôle des dépenses publiques ne pouvait, en aucun cas, faire échec à l'application de l'article 40 de la Constitution ;
. En ce qui concerne le fond :
5. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que, s'il était admis que la régularité de l'arrêté du 27 novembre 1985 ne peut être contestée devant le Parlement par voie d'amendement, alors que sa légalité ne peut davantage être discutée par la voie contentieuse postérieurement à l'intervention de la loi de finances qui en tire la conséquence, il appartiendrait au Conseil constitutionnel, pour éviter un déni de justice, de se prononcer lui-même sur la régularité de cet arrêté au regard de l'article 13 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ; que, dans le cas où le Conseil constitutionnel estimerait que les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance ont été méconnues, l'article 1er de la loi de finances rectificative devrait être déclaré non conforme à la Constitution en tant qu'il aurait pris en compte des annulations irrégulières ;
6. Considérant que la loi de finances rectificative a fait siennes les annulations de crédits opérées par l'arrêté ministériel du 27 novembre 1985 ; qu'aucun principe ou disposition de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une loi de finances rectificative procède à l'annulation de crédits ouverts par la loi de finances de l'année, même si cette annulation a déjà fait l'objet d'un arrêté ministériel ; que le fait que cet arrêté pourrait être entaché d'irrégularité au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 est sans influence sur la conformité à la Constitution de la loi prenant en compte les annulations de crédits qu'il a prononcées ;
- SUR L'INTEGRATION DES PERSONNELS DE L'ASSOCIATION "DIWAN" :
7. Considérant que l'article 28 de la loi de finances rectificative pour 1985 prévoit que les personnels enseignant dans les classes bilingues de l'association "Diwan" sont intégrés dans le corps des instituteurs à des conditions qui seront précisées par décret en Conseil d'État ; que la loi de finances rectificative pour 1985 ne comporte pour l'application de cette disposition ni création d'emplois ni ouverture de crédits ; qu'une telle disposition, qui n'a pas de caractère financier au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959, n'est pas au nombre de celles qui peuvent figurer dans une loi de finances ; que, par suite, elle a été adoptée selon une procédure non conforme à la Constitution ;
- SUR L'ENSEMBLE DE LA LOI :
8. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
L'article 28 de la loi de finances rectificative pour 1985 est déclaré non conforme à la Constitution.
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi de finances rectificative pour 1985 sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.