Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 12 juillet 1982 par MM Jean-Claude Gaudin, Claude Birraux, Paul Pernin, Mme Louise Moreau, MM Roger Lestas, Germain Gengenwin, Henri Bayard, Jean Rigaud, Jean Brocard, Alain Madelin, Jacques Dominati, Philippe Mestre, Christian Bonnet, Michel d'Ornano, Edmond Alphandery, Pierre Méhaignerie, René Haby, Claude Wolff, Francis Geng, Pierre Micaux, Alain Mayoud, Charles Fèvre, Gilbert Gantier, François d'Aubert, Maurice Dousset, François d'Harcourt, Francisque Perrut, Jacques Fouchier, Henri Baudouin, Raymond Marcellin, Jean Proriol, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Charles Millon, Yves Lancien, Alain Peyrefitte, Robert Wagner, Pierre Gascher, Camille Petit, Michel Cointat, Olivier Guichard, Jean Foyer, Georges Tranchant, Roland Nungesser, René La Combe, Jean Valleix, François Fillon, Christian Bergelin, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Jean Masson, Jean de Préaumont, Charles Miossec, Antoine Gissinger, Roland Vuillaume, Michel Inchauspé, Pierre Raynal, Bruno Bourg-Broc, Xavier Deniau, Jacques Baumel, Germain Sprauer, Jean de Lipkowski, Pierre Bas, Etienne Pinte, Jean-Louis Goasduff, Emile Bizet, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de loi portant réforme de la planification telle qu'elle a été adoptée par le Parlement ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
Sur la conformité de la loi à l'article 34 de la Constitution et à l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances :
1. Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, l'ensemble des dispositions de la loi déférée au Conseil constitutionnel aurait pour effet de réserver au législateur la matière de la planification alors que celle-ci n'est pas mentionnée par l'article 34 de la Constitution ;
2. Considérant que, si les termes de plan ou de planification ne figurent pas à l'article 34 de la Constitution dans l'énonciation des matières réservées à la loi, il n'en demeure pas moins que, par son objet même, le contenu d'un plan national pluriannuel touche à des matières réservées à la loi ; que, d'ailleurs, pour l'application de l'article 70 de la Constitution, l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social fait mention des "projets de loi de programme ou de plans à caractère économique et social" ; que, de même, l'article 1er, dernier alinéa, de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances fait mention des plans "approuvés par le Parlement" ; qu'ainsi c'est à bon droit que la loi déférée au Conseil constitutionnel a prévu que les plans feraient l'objet de lois, alors d'ailleurs que ladite loi n'énonce, en matière de planification, aucune restriction à l'exercice par le Gouvernement de la compétence et des pouvoirs qu'il tient des alinéas 1er et 2 de l'article 37 de la Constitution ;
3. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent en outre que les dispositions de l'article 4, alinéa 2, de la loi méconnaissent l'article 34 antépénultième alinéa de la Constitution ; qu'en effet, aux termes de ce dernier texte, "les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat " ; que, dès lors, le législateur ne pouvait, comme il l'a fait dans l'article 4, alinéa 2, remettre à la seconde loi de plan le soin de prévoir l'évolution de certaines recettes ou dépenses publiques et d'indiquer les moyens indispensables au financement d'actions nouvelles ; que, de même, seraient méconnues les dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
4. Considérant que rien dans les dispositions critiquées ne confère aux prévisions et aux indications qu'elles visent le caractère d'autorisations de recettes ou de dépenses ou de prescriptions engageant les finances de l'Etat ; qu'ainsi, elles ne sont en rien contraires à l'article 34 de la Constitution ou à l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
Sur la conformité de la loi aux articles 39 et 44 de la Constitution :
5. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que la loi déférée au Conseil constitutionnel méconnaît les articles 39 et 44 de la Constitution relatifs à l'initiative des lois ; que, selon eux, les dispositions des articles 8 et 9 de la loi impliqueraient que l'initiative des lois de plan est réservée au Gouvernement, alors que les restrictions à l'initiative législative des membres du Parlement ne peuvent résulter que de la Constitution ;
6. Considérant que, si les dispositions de la loi présentement examinée prévoient le dépôt de projets de loi de plan par le Gouvernement, elles n'interdisent en rien l'exercice par les membres du Parlement de leur droit d'initiative ; qu'ainsi cette première critique n'est pas fondée ;
7. Considérant que les députés auteurs de la saisine voient également une méconnaissance des articles 39 et 44 de la Constitution dans les dispositions de l'article 4, dernier alinéa, de la loi qui ne permettent la modification de la loi de plan qu'après deux années d'exécution.
8. Considérant que le législateur ne peut lui-même se lier ; qu'une loi peut toujours et sans condition, fût-ce implicitement, abroger ou modifier une loi antérieure ou y déroger ; qu'ainsi les dispositions de l'article 4, dernier alinéa, de la loi présentement examinée sont dépourvues de tout effet juridique et ne peuvent limiter en rien le droit d'initiative du Gouvernement et des membres du Parlement ; qu'elles ne sauraient pas davantage empêcher le vote dans l'avenir de lois contraires auxdites dispositions ; que, dès lors, en raison même de leur caractère inopérant, il n'y a pas lieu d'en faire l'objet d'une déclaration de non-conformité à la Constitution ;
9. Considérant que les députés auteurs de la saisine font également valoir que sont contraires aux articles 39 et 44 de la Constitution les dispositions des articles 5 et 13, alinéa 3, de la loi qui imposent un certain contenu à des lois futures ; mais que, pour les raisons qui viennent d'être énoncées, lesdites dispositions, en raison même de leur caractère inopérant, n'ont pas à faire l'objet d'une déclaration de non-conformité à la Constitution ;
Sur la conformité de la loi à l'article 52 de la Constitution :
10. Considérant qu'aux termes de l'article 3, alinéa 4, de la loi déférée au Conseil constitutionnel, le rapport préparé par le Gouvernement et qui doit être approuvé par la première loi de plan "mentionne les domaines où, et les Etats avec lesquels, il serait souhaitable d'engager des négociations en vue de la conclusion d'accords ou de programmes de coopération, en tenant compte de l'action des communautés européennes" ;
11. Considérant qu'à l'encontre de ces dispositions les députés auteurs de la saisine font valoir qu'elles seraient contraires à l'article 52 de la Constitution qui réserve au Président de la République la négociation et la ratification des traités ;
12. Considérant qu'il résulte des termes mêmes des dispositions ainsi critiquées que la mention dont elles prévoient l'insertion dans le rapport préparé par le Gouvernement pour la première loi de plan a un caractère purement indicatif et ne met aucune obligation à la charge des organes des pouvoirs publics compétents en matière de conduite des relations extérieures de la France ; que, dès lors, elles ne sauraient être déclarées contraires à l'article 52 de la Constitution ;
Sur la conformité de la loi aux articles 20 et 21 de la Constitution et à l'ensemble des dispositions constitutionnelles relatives aux pouvoirs propres du Gouvernement :
13. Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, nombre des dispositions de la loi déférée au Conseil constitutionnel seraient contraires aux articles 20 et 21 de la Constitution et, de façon générale, à l'ensemble des dispositions constitutionnelles définissant les compétences du Gouvernement et lui conférant des pouvoirs sur lesquels, même sur sa proposition ou avec son consentement, le législateur ne saurait empiéter ; que, notamment les articles 1er (alinéa 2), 2 (alinéa 2), 3 (alinéas 2 et 4), 6 (alinéa 1er), 7 (alinéa 1er), 8, 10, 11 (alinéa 4), 17 (alinéas 1er et 2), méconnaîtraient la Constitution soit en ce qu'ils comporteraient des injonctions concernant les conditions et les dates auxquelles devraient être préparés et présentés les projets de loi de plan ainsi que l'intervention obligatoire de certains organismes créés par la loi, soit en ce qu'ils désigneraient les ministres ou les fonctionnaires compétents pour recevoir ou établir certains documents ou pour faire certains actes ;
14. Considérant que, si les règles selon lesquelles la loi est proposée, votée et promulguée sont déterminées par la Constitution et les lois organiques, il n'est pas interdit au législateur lui-même, dans le respect de ces règles, d'organiser le travail législatif dans les matières où il est expédient d'assurer pendant des années la régularité, la périodicité et la continuité de ce travail, nécessaires à la réalisation du but poursuivi ;
15. Considérant que les lois de plan concernent un vaste domaine économique et social et sont établies en principe pour plusieurs années ; que leur préparation exige le rassemblement en temps utile de nombreuses données venant de sources très diverses ; que toute solution de continuité d'un plan à un autre doit être évitée ; que l'exécution du plan en cours doit être suivie tant pour les rectifications dont la nécessité se révélerait que pour la préparation du plan suivant ; qu'il résulte de là que la fixation par le législateur lui-même, à l'initiative d'ailleurs du Gouvernement, d'un programme systématique de travail législatif assorti de dates et de délais précis ne contrevient en elle-même à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle sous réserve, d'une part, du droit du législateur de modifier à tout moment la législation ainsi édictée ou d'y déroger et, d'autre part, des droits du Gouvernement en ce qui concerne notamment le domaine qui lui est réservé, les procédures dont il dispose pour le protéger et les conditions de sa propre organisation et de son fonctionnement interne.
16. Considérant que, si diverses dispositions de la loi prévoient que le Gouvernement devra, à des dates ou dans des délais fixés d'avance, prendre diverses mesures de préparation des lois à intervenir, déposer les projets de loi de plan ou suivre et faire connaître les conditions d'exécution du plan en cours, ces dispositions de caractère général constituent des mesures d'organisation du travail législatif et non des injonctions empiétant sur les droits du Gouvernement ;
17. Considérant de même qu'il n'est pas interdit au législateur, dans le cadre de l'organisation du travail législatif, de créer des organismes qui seront associés à la préparation du plan et fourniront tant au Gouvernement qu'au Parlement des informations et des suggestions, dès lors qu'en aucun cas leurs avis n'auront force obligatoire et que le Gouvernement demeure libre de procéder à son gré à toutes autres consultations qu'il jugera utiles et de conduire, dans le plein exercice de ses droits, la préparation et la présentation des projets de loi, l'exécution des lois de plan et le contrôle de celle-ci ; que les dispositions de la loi relatives à la création et au rôle des délégations parlementaires et de la commission nationale de planification ne contreviennent pas à ces principes et, dès lors, ne sont pas contraires à la Constitution ;
18. Considérant que, pour les mêmes raisons et sous les mêmes conditions, ne sont pas contraires à la Constitution les dispositions de la loi prévoyant l'intervention des régions à titre purement consultatif dans les procédures relatives à la planification nationale.
19. Considérant que les dispositions de l'article 17, alinéa 1er, de la loi, chargeant le représentant de l'Etat dans la région de préparer, pour le compte du Gouvernement, le contrat de plan et les contrats particuliers entre l'Etat et la région ne sont que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 79 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, modifiée par la loi du 22 juillet 1982 ; qu'elles ne sont pas contraires à la Constitution ;
20. Considérant que, si l'article 10, alinéa 1er, de la loi confie aux ministres chargés du Plan et du budget le soin de préparer le rapport prévu par ce texte et si l'article 17, alinéas 1er et 2, confie au ministre chargé du Plan et de l'aménagement du territoire certaines compétences intéressant les rapports avec les régions, ces dispositions qui n'excluent pas, le cas échéant, l'intervention d'autres membres du Gouvernement et qui ne font que se référer à la répartition des fonctions ministérielles telle qu'elle est décidée par chaque Gouvernement ne sont pas contraires à la Constitution ;
Sur la conformité de la loi à l'article 48 de la Constitution :
21. Considérant que l'article 48 de la Constitution dispose dans son alinéa 1er : "L'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le Gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui" ; que, selon les auteurs de la saisine, les dispositions de la loi susénoncées fixant des dates et des délais déterminés pour la présentation des projets de loi de plan seraient contraires à l'article 48 précité ;
22. Considérant qu'aucune disposition de la loi ne concerne et ne peut concerner la date à laquelle les projets de loi soumis au Parlement doivent être discutés et votés ; qu'ainsi les droits conférés au Gouvernement par l'article 48, alinéa 1er, de la Constitution, ne subissent pas d'atteinte ;
Sur la conformité de la loi à l'article 74 de la Constitution :
23. Considérant que l'article 21 de la loi déférée au Conseil constitutionnel dispose : "La présente loi s'applique aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte sous réserve, le cas échéant, de mesures d'adaptation du titre II relatives aux plans des régions, prises par décret après consultation des assemblées territoriales" ;
24. Considérant que les députés auteurs de la saisine font valoir que le projet initial du Gouvernement prévoyait l'application des lois de plan national aux territoires d'outre-mer sans que, pour autant, les assemblées territoriales compétentes aient été consultées comme l'aurait exigé l'article 74 de la Constitution ; que le fait que le Gouvernement ait, en cours de discussion de la loi, renoncé aux dispositions initiales qui auraient exigé la consultation préalable des assemblées territoriales compétentes ne serait pas de nature à couvrir le vice qui aurait affecté la procédure législative.
25. Considérant que la régularité de la procédure législative suivie doit s'apprécier non par rapport aux dispositions de la loi initialement projetées mais par rapport aux dispositions votées ;
26. Considérant que l'article 21 précité de la loi ne s'oppose nullement à ce que les futures lois de plan soient précédées de la consultation des assemblées territoriales intéressées prévue par l'article 74 de la Constitution si les conditions d'application de cet article sont réunies ;
27. Considérant, d'autre part, que ni la loi dans son ensemble, ni l'article 21 en particulier, ne touchent à l'organisation particulière des territoires d'outre-mer ; que, dès lors, ladite loi n'avait pas à être précédée de la consultation des assemblées territoriales ;
28. Considérant qu'en l'espèce, il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,
Décide :
Article premier :
La loi portant réforme de la planification est déclarée conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.