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05/01/1982 | FRANCE | N°81-134

France | France, Conseil constitutionnel, 05 janvier 1982, 81-134


Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 23 décembre 1981 par MM Claude Labbé, Marc Lauriol, Roger Corrèze, Pierre Bas, Michel Barnier, Daniel Goulet, Michel Cointat, Michel Debré, François Fillon, Jean Narquin, Edouard Frédéric-Dupont, Charles Miossec, Pierre Weisenhorn, Pierre Raynal, Jean Tiberi, Jean de Préaumont, Lucien Richard, Jean-Paul de Rocca Serra, Jean-Louis Goasduff, Bernard Pons, François Grussenmeyer, Michel Noir, Jean-Paul Charié, Jean Valleix, Etienne Pinte, Jean Foyer, Pierre-Charles Krieg, Pierre Messmer, Pierre Gascher, Gabriel Kaspereit, Robert-André Vivien,

Antoine Gissinger, Jean Falala, Didier Julia, Christian Bergelin...

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 23 décembre 1981 par MM Claude Labbé, Marc Lauriol, Roger Corrèze, Pierre Bas, Michel Barnier, Daniel Goulet, Michel Cointat, Michel Debré, François Fillon, Jean Narquin, Edouard Frédéric-Dupont, Charles Miossec, Pierre Weisenhorn, Pierre Raynal, Jean Tiberi, Jean de Préaumont, Lucien Richard, Jean-Paul de Rocca Serra, Jean-Louis Goasduff, Bernard Pons, François Grussenmeyer, Michel Noir, Jean-Paul Charié, Jean Valleix, Etienne Pinte, Jean Foyer, Pierre-Charles Krieg, Pierre Messmer, Pierre Gascher, Gabriel Kaspereit, Robert-André Vivien, Antoine Gissinger, Jean Falala, Didier Julia, Christian Bergelin, Robert Galley, Camille Petit, Yves Lancien, Pierre Sauvaigo, Jacques Marette, Mme Hélène Missoffe, MM Georges Tranchant, Jean-Louis Masson, Philippe Séguin, Roger Fossé, Georges Gorse, Jacques Chaban-Delmas, Emmanuel Aubert, Jean de Lipkowski, Mme Florence d'Harcourt, MM Serge Charles, Gérard Chasseguet, Jacques Godfrain, Roland Nungesser, Robert Wagner, Germain Sprauer, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Maurice Couve de Murville, René La Combe, Vincent Ansquer, Charles Millon, Jean Brocard, Alain Mayoud, Jacques Baumel, Claude Marcus, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi d'orientation autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre social ;

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Ouï le rapporteur en son rapport,

En ce qui concerne l'article 1er (4°) :

1. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, l'article 40 de la Constitution ne serait pas applicable en matière de lois d'habilitation ; que l'irrecevabilité tirée de cet article a cependant été opposée à trois amendements déposés par un député au cours des débats parlementaires et qu'ainsi l'article 1er (4°) de la loi d'orientation aurait été voté dans des conditions non conformes à la Constitution ;

2. Considérant que les mesures proposées par les amendements auxquels a été opposée l'irrecevabilité instituée sans aucune réserve par l'article 40 de la Constitution étaient toutes génératrices de dépenses ; qu'elles constituaient ainsi une autorisation, indirecte mais certaine, de créer ou d'aggraver la charge publique ; que, dès lors, c'est à bon droit que leur a été opposée l'irrecevabilité contestée par les auteurs de la saisine.

En ce qui concerne l'article 1er (5°) :

3. Considérant que cet article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure tendant à "modifier, pour permettre le dégagement d'emplois, les dispositions relatives aux pensions, aux retraites et à la cessation de l'activité des agents de l'Etat et de ceux des autres personnes morales de droit public" et à "mettre en place, en tant que de besoin, des dispositions dérogatoires à titre temporaire" ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, une telle disposition, applicable, dans le cadre des régimes qui leur sont propres, aux agents liés à l'Etat ou à d'autres personnes morales de droit public, n'est pas contraire au principe d'égalité devant la loi ; qu'elle ne méconnaît pas davantage les dispositions de la Constitution relatives aux lois organiques dès lors que le texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel ne permet aucunement l'intervention d'ordonnances dans des matières que la Constitution réserve à de telles lois.

En ce qui concerne l'article 1er (6°) :

4. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que seraient contraires au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, aux termes duquel "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi", les dispositions de l'article 1er (6°) de la loi d'orientation qui habilite le Gouvernement à "limiter, en fonction de l'âge, des revenus et du nombre de personnes à charge, la possibilité de cumul entre une pension de retraite et le revenu d'une activité professionnelle" ;

5. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux du droit du travail relève du domaine de la loi ; que les dispositions précitées de l'article 1er (6°) de la loi d'orientation, qui ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des principes constitutionnels, notamment en ce qui concerne la liberté, l'égalité et le droit de propriété, ne sont pas, en elles-mêmes, contraires à la Constitution ;

En ce qui concerne l'article 1er (7°) :

6. Considérant que l'article 1er (7°) de la loi d'orientation autorise "l'Etat à prendre en charge, dans le cadre des contrats de solidarité ou de mesures spécifiques et contractuelles, des cotisations de sécurité sociale incombant normalement aux employeurs et à dégager les ressources nécessaires pour compenser cette charge" ;

7. Considérant qu'il est soutenu que cette disposition méconnaît l'article 1er, alinéa 4, de l'ordonnance du 2 janvier 1959, aux termes duquel "lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé, tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance".

8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959 que l'interdiction ci-dessus énoncée a pour objet de faire obstacle à ce que l'équilibre économique et financier défini par la loi de finances de l'année, modifiée le cas échéant par la voie de lois de finances rectificatives, ne soit compromis par des charges nouvelles résultant de l'application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur cet équilibre, dans le cadre de l'année, n'auraient pu, au préalable, être appréciées et prises en compte par une des lois de finances susmentionnées ;

9. Considérant que la loi d'orientation, n'autorisant pas la prise en charge par l'Etat de cotisations de sécurité sociale avant que les crédits nécessaires aient été régulièrement adoptés par une loi de finances, ne méconnaît pas la règle énoncée par l'article 1er, alinéa 4, de l'ordonnance du 2 janvier 1959;

En ce qui concerne l'article 1er (8°) :

10. Considérant que cet article autorise le Gouvernement à "organiser la mise en place et le financement par l'ensemble des collectivités locales et de leurs groupements d'un système contractuel de cessation anticipée d'activité pour les agents des collectivités locales ou de leurs groupements ayant conclu un contrat de solidarité" et à "étendre éventuellement ce système à des établissements publics locaux" ;

11. Considérant qu'il est soutenu que cette disposition est contraire à l'article 72 de la Constitution en ce qu'elle aboutirait à retirer aux collectivités locales "par ordonnance la liberté d'administration de leur personnel en les mettant en demeure de conclure des contrats de solidarité qu'elles ont le droit constitutionnel de refuser ou de payer les conséquences des contrats conclus par les autres".

12. Considérant que, si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales de la République s'administrent librement par des conseils élus, elles le font "dans des conditions prévues par la loi" ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution "la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources" ; que la loi peut donc instituer un système de péréquation entre ces collectivités et que la disposition contestée, limitant d'ailleurs cette péréquation à certaines charges consécutives à la cessation anticipée d'activité des agents des collectivités locales, ne méconnaît pas l'article 72 de la Constitution, non plus qu'aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle ;

13. Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :

Article premier :

La loi d'orientation autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre social est déclarée conforme à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 81-134
Date de la décision : 05/01/1982
Loi d'orientation autorisant le Gouvernement par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre social
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Les soussignés, députés à l'Assemblée Nationale, ont l'honneur de déférer au Conseil Constitutionnel, conformément à l'article 61 modifié de la Constitution, la loi d'orientation autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38, à prendre des mesures d'ordre social.

Ils concluent qu'il plaise au Conseil déclarer non conformes à la Constitution notamment des alinéas 5°, 6°, 7° et 8° de l'article 1er de ladite loi.

EN CE QUI CONCERNE LE 5° DE L'ARTICLE 1ER : Cet alinéa est ainsi rédigé : "Modifier, pour permettre le dégagement d'emplois, les dispositions relatives aux pensions, aux retraites et à la cessation de l'activité des agents de l'Etat et de ceux des autres personnes morales de droit public ; mettre en place en tant que de besoin, des dispositions dérogatoires à titre temporaire".

Il encourt doublement le reproche d'illégalité.

D'une part, il est contraire au principe de l'égalité devant la loi en introduisant quant aux pensions, retraites et cessation d'activité des différences entre des personnes placées dans des conditions semblables, ce qu'interdisent l'article VI de la Déclaration des Droits de l'Homme et l'article 2 de la Constitution.

Il appartiendrait au surplus au Conseil Constitutionnel de dire que l'article 1er, 5° ne serait conforme à la Constitution qu'autant qu'il serait entendu que les dispositions prévues, qu'il s'agisse des pensions, des retraites et de la cessation d'activité ou des dispositions dérogatoires temporaires, ne sauraient en tout cas s'étendre aux personnels dont le statut est, selon la Constitution et notamment l'article 64, alinéa 3, régie par une loi organique, celle-ci ne pouvant être promulguée qu'après un examen par le Conseil Constitutionnel inapplicable à une ordonnance.

EN CE QUI CONCERNE LE 6° DE L'ARTICLE 1ER : Cet alinéa est ainsi rédigé : "Limiter, en fonction de l'âge et des revenus, la possibilité de cumul entre une pension de retraite et le revenu d'une activité professionnelle".

Il en résulte qu'au-delà d'un certain âge et d'un certain montant de revenu, les ordonnances à intervenir pourront interdire l'exercice de toute activité rémunérée, à moins de perdre en tout ou en partie les droits à la retraite qu'elle aura acquis.

Une pareille disposition est contraire au Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi". A l'inverse de ce texte, la loi autorise le Gouvernement à instituer, par ordonnance, le devoir de ne pas travailler.

EN CE QUI CONCERNE LE 7° DE L'ARTICLE 1ER : Cet alinéa est ainsi conçu : "Autoriser l'Etat à prendre en charge, dans le cadre des contrats de solidarité ou de mesures spécifiques et contractuelles, des cotisations de sécurité sociale incombant normalement aux employeurs et à dégager les ressources nécessaires pour compenser cette charge".

Cet alinéa a été voté en contradiction avec les dispositions de l'article 2, alinéa 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, selon lequel aucune disposition législative créant de nouvelles charges ne peuvent être votées définitivement si ces charges n'ont été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions prévues par ladite ordonnance organique, c'est-à-dire par une loi de finances.

L'examen de la loi de finances pour 1982, dont le Conseil Constitutionnel est présentement saisi, fait apparaître que les charges de l'espèce n'y sont ni prévues, ni évaluées, ni autorisées. Leur création aurait donc pour effet de modifier l'équilibre de cette loi de finances.

Assurément, les charges nouvelles ne résulteront pas immédiatement de la loi d'orientation, mais seulement des ordonnances dont cette loi autorise la signature. Cependant l'article 2, alinéa 4 de l'ordonnance 59-2 exigeait au moins que le montant maximal des charges nouvelles que la loi d'orientation devait permettre de créer, ait été compris dans l'équilibre et autorisé par la loi de finances.

EN CE QUI CONCERNE LE 8° DE L'ARTICLE 1ER : Cet article est ainsi conçu : "Organiser la mise en place et le financement par l'ensemble des collectivités locales et de leurs groupements du système contractuel de cessation anticipée d'activité pour les agents des collectivités locales ou de leurs groupements ayant conclu un contrat de solidarité ; étendre éventuellement ce système à des établissements publics locaux".

Il résulte de cet article que l'ensemble des collectivités locales et de leurs groupements pourraient être obligé par voie d'ordonnance à contribuer aux dépenses engendrées par les contrats dits de solidarité conclus pour les agents de ces collectivités ou groupements. En conséquence, des collectivités seraient contraintes d'en supporter les obligations financières. On voit mal ce qui demeure de contractuel dans une opération échappant ainsi à la relativité des conventions.

En tout cas, il s'agit là d'une disposition évidemment contraire à l'article 72, alinéa 3, selon lequel les collectivités territoriales de la République s'administrent librement par des conseils élus. L'alinéa considéré autorise le Gouvernement à leur retirer par ordonnance la liberté d'administration de leur personnel, en les mettant en demeure de conclure des contrats de solidarité, qu'elles ont le droit constitutionnel de refuser, ou de payer les conséquences des contrats conclus par les autres.

Il y a lieu de relever enfin que le vote du 4° de l'article 1er est intervenu dans des conditions irrégulières.

Trois amendements n° 53, 54, 55 présentés par M Philippe Seguin, député, ont été déclarés irrecevables par application de l'article 40 de la Constitution.

L'article 40 n'était pas applicable. L'adoption de ces amendements n'eut entraîné ni augmentation de dépenses, ni diminution de recettes, s'agissant d'une loi d'habilitation.

Leur adoption eut seulement orienté autrement l'habilitation, laissant au Gouvernement le choix des mesures dans les limites d'une évaluation et d'une autorisation qui eussent dû figurer dans une loi de finances ainsi qu'il a été dit ci-dessus.


Références :

DC du 05 janvier 1982 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi d'orientation autorisant le Gouvernement par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre social (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°81-134 DC du 05 janvier 1982
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1982:81.134.DC
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