Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 19 décembre 1981 par MM Claude Labbé, Marc Lauriol, Roger Corrèze, Pierre Bas, Michel Barnier, Daniel Goulet, Michel Cointat, Michel Debré, François Fillon, Jean Narquin, Edouard Frédéric-Dupont, Charles Miossec, Pierre Weisenhorn, Pierre Raynal, Jean Tiberi, Jean de Préaumont, Lucien Richard, Jean-Paul de Rocca Serra, Jean-Louis Goasduff, Bernard Pons, Pierre-Bernard Cousté, François Grussenmeyer, Michel Noir, Jean-Paul Charié, Jean Valleix, Etienne Pinte, Jean Foyer, Pierre-Charles Krieg, Pierre Messmer, Pierre Gascher, Gabriel Kaspereit, Robert-André Vivien, Antoine Gissinger, Jean Falala, Didier Julia, Christian Bergelin, Robert Galley, Camille Petit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Maurice Couve de Murville, Emmanuel Aubert, Jacques Toubon, Mme Hélène Missoffe, MM Philippe Séguin, Jacques Chirac, Jacques Godfrain, Pierre Mauger, Jacques Chaban-Delmas, Robert Wagner, Michel Péricard, Olivier Guichard, Claude-Gérard Marcus, Jacques Marette, Régis Perbet, Yves Lancien, Jean-Louis Masson, René La Combe, Georges Tranchant, Georges Gorse, Roland Nungesser, Mme Florence d'Harcourt, MM Christian Bonnet, Pascal Clément, Alain Madelin, Olivier Stirn, Michel d'Ornano, René Haby, Jean Briane, Maurice Dousset, Mme Louise Moreau, MM Jacques Barrot, Charles Millon, Maurice Ligot, François d'Aubert, Jacques Fouchier, François d'Harcourt, Gilbert Gantier, Claude Birraux, Francisque Perrut, Charles Deprez, Marcel Bigeard, Roger Lestas, Jean Brocard, Paul Pernin, Germain Gengenwin, Pierre Méhaignerie, Jean Bégault, Georges Mesmin, Charles Fèvre, Francis Geng, Jean-Marie Daillet, Philippe Mestre, Pierre Micaux, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi de finances pour 1982 et notamment des articles 3, 5, 94 et 97 ;
Saisi le 22 décembre 1981 par MM Jean-Claude Gaudin, Charles Millon, Gabriel Kaspereit, Emmanuel Hamel, Georges Mesmin, Edouard Frédéric-Dupont, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Jean Tiberi, Jacques Chirac, Michel Barnier, Mme Hélène Missoffe, MM Charles Fèvre, Robert-André Vivien, René Haby, Claude Labbé, Jean-Paul Fuchs, Francisque Perrut, Gilbert Gantier, Jean-Paul de Rocca Serra, Paul Pernin, Philippe Séguin, Michel Noir, Christian Bonnet, Pierre Bas, Pierre Raynal, Claude-Gérard Marcus, Jacques Baumel, Claude Wolff, Jean-Louis Goasduff, Jean Rigaud, Gilbert Mathieu, Philippe Mestre, Jacques Fouchier, Victor Sablé, Albert Brocard, Jean Bégault, Jean-Marie Daillet, Jean Proriol, Jean Brocard, Germain Gengenwin, Alain Mayoud, Loïc Bouvard, Maurice Dousset, André Rossinot, Georges Tranchant, Yves Lancien, Pascal Clément, François d'Aubert, Pierre Méhaignerie, Jean Desanlis, Jacques Godfrain, Marc Lauriol, Jean Falala, Jacques Marette, Pierre Messmer, Emmanuel Aubert, Jean Narquin, Pierre-Charles Krieg, René La Combe, Michel Debré, Michel Cointat, Roger Fossé, Roger Corrèze, Camille Petit, Jean-Louis Masson, Jean Valleix, Roland Nungesser, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi de finances pour 1982, et notamment de l'article 25 ; Saisi, d'autre part, d'une lettre de M Claude Labbé, député, en date du 23 décembre 1981, tendant à soumettre à l'examen du Conseil constitutionnel d'autres dispositions de la même loi ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Ouï le rapporteur en son rapport,
Sur la recevabilité :
1. Considérant que l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, s'il prévoit que les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel par les membres du Parlement, réserve l'exercice de cette faculté à soixante députés ou soixante sénateurs ;
2. Considérant que le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 décembre 1981 et le 22 décembre 1981 de la conformité à la Constitution de la loi de finances pour 1982, et notamment de celle de ses articles 3, 5-III, 25-III, 94 et 97 ; que ces deux saisines, qui émanent l'une et l'autre de plus de soixante députés, sont recevables et qu'étant relatives à la même loi, il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
3. Considérant que, par une lettre en date du 23 décembre 1981, M Claude Labbé, député, a mis en cause devant le Conseil constitutionnel la conformité à la Constitution d'autres dispositions de cette même loi ; qu'il résulte du texte susrappelé de l'article 61, alinéa 2, qu'il n'est pas recevable à le faire sous sa seule signature ;
Sur la conformité de la loi de finances à la Constitution :
En ce qui concerne l'article 3 :
4. Considérant que cet article dispose que les redevables de l'impôt sur les grandes fortunes sont imposables sur l'ensemble des biens, droits et valeurs leur appartenant ainsi que sur les biens appartenant à leur conjoint et à leurs enfants mineurs lorsqu'ils ont l'administration légale des biens de ceux-ci et qu'il précise en outre que les concubins notoires sont imposés comme les personnes mariées ;
5. Considérant que les auteurs de la saisine du 19 décembre 1981 estiment, en premier lieu, que ces dispositions sont contraires à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la mesure où elles comprennent dans les facultés contributives du redevable la valeur de biens qui ne lui appartiennent pas et dont il ne peut disposer ;
6. Considérant qu'en vertu de l'article 13 de la Déclaration des droits la contribution commune aux charges de la nation "doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés" ; que, conformément à l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables ;
7. Considérant qu'en instituant un impôt sur les grandes fortunes le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés périodiquement par ces biens, qu'ils soient ou non soumis par ailleurs à l'impôt sur le revenu ; qu'en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l'impôt sur les grandes fortunes est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables ; qu'il est de fait que le centre de disposition des revenus à partir duquel peuvent être appréciées les ressources et les charges du contribuable est le foyer familial ; qu'en décidant que l'unité d'imposition pour l'impôt sur les grandes fortunes est constituée par ce foyer, le législateur n'a fait qu'appliquer une règle adaptée à l'objectif recherché par lui, au demeurant traditionnelle dans le droit fiscal français, et qui n'est contraire à aucun principe constitutionnel et, notamment, pas à celui de l'article 13 de la Déclaration des droits ;
8. Considérant que les auteurs de la même saisine soutiennent, en second lieu, que l'article 3 viole le principe d'égalité entre les sexes dès lors qu'il fait peser la charge de l'impôt sur les hommes mariés ou vivant en concubinage notoire à raison de la valeur des biens de leur épouse ou concubine ;
9. Considérant que l'article 3 n'établit aucune discrimination au détriment de l'homme ou de la femme et se borne à dire que l'assiette de l'impôt est constituée par la valeur nette des biens appartenant aux personnes visées à l'article 2 ainsi qu'à leur conjoint et à leurs enfants mineurs ; qu'il ne saurait, dès lors, être invoqué une violation du principe de l'égalité entre les sexes ;
En ce qui concerne l'article 5-III :
10. Considérant que cette disposition prévoit que les biens ou droits grevés d'un usufruit, d'un droit d'habitation ou d'un droit d'usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l'usufruitier ou du titulaire d'un de ces droits pour leur valeur en pleine propriété ;
11. Considérant que, selon les auteurs de la saisine du 19 décembre 1981, l'article 13 de la Déclaration des droits ne permet pas de comprendre dans les biens d'un redevable la valeur d'un droit, en l'espèce essentiellement la nue-propriété, qui ne lui appartient pas et dont il ne peut disposer ;
12. Considérant que l'impôt sur les grandes fortunes a pour objet, ainsi qu'il vient d'être rappelé à propos de l'article 3 de la loi, de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés par ces biens ; qu'une telle capacité contributive se trouve entre les mains non du nu-propriétaire mais de ceux qui bénéficient des revenus ou avantages afférents aux biens dont la propriété est démembrée ; que, dans ces conditions, et compte tenu des exceptions énumérées par le législateur, celui-ci a pu mettre, en règle générale, à la charge de l'usufruitier ou du titulaire des droits d'usage ou d'habitation, l'impôt sur les grandes fortunes sans contrevenir au principe de répartition de l'impôt selon la faculté contributive des citoyens comme le veut l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
En ce qui concerne l'article 25-III :
13. Considérant qu'en vertu de cette disposition le tarif de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers et assimilés doit être relevé chaque année dans la même proportion que la limite inférieure de la septième tranche de l'impôt sur le revenu ;
14. Considérant que, si l'article 34 de la Constitution prévoit que la loi fixe les règles concernant le taux des impositions de toute nature, il n'interdit pas au législateur de fixer ce taux par référence à des éléments qu'il détermine ; qu'en particulier aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la loi fixe le tarif d'une taxe indirecte en liant sa progression aux variations d'un élément du taux d'un impôt direct ; qu'ainsi les auteurs de la saisine ne sont pas fondés à soutenir que la règle posée par l'article 25-III est contraire à l'article 34 de la Constitution ainsi qu'à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
15. Considérant qu'il ne saurait davantage être soutenu que l'article 25-III méconnaît les articles 2 et 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ; qu'en effet la règle de l'annualité posée par ces articles tant pour l'autorisation de perception des impôts que pour l'évaluation du montant de leur produit n'est en rien altérée par le nouveau mécanisme de fixation de la taxe de consommation des produits pétroliers dès lors qu'il doit toujours être satisfait à cette règle lors de l'adoption de la loi de finances ;
16. Considérant enfin que, contrairement à ce que font valoir les auteurs de la saisine, la règle instituée par l'article 25-III n'aboutit pas, du fait du jeu de l'article 40 de la Constitution, à priver les membres du Parlement d'une partie de leurs prérogatives, puisque leur droit d'initiative reste identique à celui dont ils disposent à l'égard de toute imposition existante ;
En ce qui concerne l'article 94-II :
17. Considérant que cette disposition, qui prévoit l'inscription obligatoire en compte des valeurs mobilières émises en France et soumises à la législation française est issue d'un amendement d'origine gouvernementale déposé en première lecture devant l'Assemblée nationale ; que, selon les auteurs de la saisine, elle aurait été adoptée en méconnaissance de l'article 42 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
18. Considérant qu'aux termes de cet article "aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s'il tend à supprimer ou à réduire une dépense, à créer ou à accroître une recette et à assurer le contrôle des dépenses publiques ;
19. Considérant que la disposition critiquée a pour objet essentiel de renforcer les moyens de contrôle de l'administration fiscale sur la consistance des valeurs mobilières détenues par un contribuable et, par suite, tend à accroître les recettes ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la saisine sur ce point, l'article 94-II ne peut être regardé comme contraire à l'article 42 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ;
En ce qui concerne l'article 97 :
20. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que la disposition de cet article, qui autorise les agents des impôts à procéder à des tests de contrôle des procédures de traitement automatisé de la comptabilité sans prévoir une indemnisation pour privation temporaire de jouissance du matériel de l'entreprise, méconnaît l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
21. Considérant qu'aucune règle constitutionnelle n'impose l'indemnisation des sujétions subies par une entreprise du fait du contrôle fiscal ;
22. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,
Décide :
Article premier :
Est déclarée irrecevable la requête de M Claude Labbé, député.
Article 2 :
La loi de finances pour 1982 est déclarée conforme à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.