Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 2 octobre 1981 par MM Alain Madelin, Philippe Séguin, Jean Briane, Michel Noir, Adrien Zeller, Jacques Godfrain, Michel Inchauspé, Jean-Guy Branger, Maurice Couve de Murville, Charles Fèvre, Pierre-Bernard Cousté, Pierre Bas, Robert Galley, Charles Miossec, Georges Mesmin, Edmond Alphandery, Francis Geng, Philippe Mestre, Pascal Clément, Albert Brochard, Roger Lestas, Pierre Méhaignerie, Adrien Durand, Jean Desanlis, Jean-Marie Daillet, Claude Birraux, Bernard Stasi, Maurice Ligot, Jacques Fouchier, Christian Bonnet, Gilbert Gantier, Jean-Paul Fuchs, Germain Gengenwin, Emmanuel Hamel, Georges Delfosse, Paul Pernin, Francisque Perrut, Mme Louise Moreau, MM Pierre Micaux, Charles Millon, François d'Aubert, François Léotard, Jacques Blanc, Jean-Claude Gaudin, François Fillon, Michel Barnier, Jean Foyer, Pierre Mauger, René Lacombe, Hyacinthe Santoni, Pierre-Charles Krieg, Robert Wagner, Robert-André Vivien, Edouard Frédéric-Dupont, Claude-Gérard Marcus, Gabriel Kaspereit, Georges Tranchant, Loïc Bouvard, René Haby, Jacques Barrot, Maurice Dousset, Michel d'Ornano, Victor Sablé, Jacques Marette, députés.
Et le 6 octobre 1981 par MM Marc Jacquet, Adolphe Chauvin, Philippe de Bourgoing, Jean-Pierre Cantegrit, Marcel Fortier, Edmond Valcin, Jean Chérioux, Henri Portier, Maurice Lombard, Raymond Brun, Jean Amelin, François Collet, Christian de la Malène, Henri Belcour, Michel Chauty, Roger Romani, Pierre Carous, Michel Caldaguès, Sosefo Makapé Papilio, René Tomasini, Charles Pasqua, Michel Giraud, Guy de La Verpillière, Robert Schmitt, Jacques Thyraud, Bernard Barbier, Pierre Crozé, Paul d'Ornano, André Bettencourt, Jean Chamant, Modeste Legouez, Serge Mathieu, Roland Ruet, Marcel Lucotte, Michel Sordel, Michel Miroudot, René Tinant, Roger Poudonson, Charles Zwickert, Jean Cauchon, François Dubanchet, Raymond Poirier, Georges Lombard, Dominique Pado, André Bohl, Jean-Marie Rausch, Edouard Le Jeune, Louis Caiveau, Marcel Lemaire, Charles Durand, Charles Ferrant, Raymond Bouvier, Maurice Prévoteau, Alphonse Arzel, Jean Francou, René Jager, Yves Le Cozannet, Jean Cluzel, Pierre Vallon, André Rabineau, Pierre Ceccaldi-Pavard, Jean Colin, Jean Sauvage, Pierre Salvi, André Fosset, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi portant dérogation au monopole d'Etat de la radiodiffusion ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de cette ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
Sur la procédure législative :
1. Considérant qu'il ne saurait être soutenu que la commission mixte paritaire, réunie le 1er octobre 1981, n'aurait pas été régulièrement constituée à cette date du fait que les noms de ses membres n'avaient pas encore été publiés au Journal officiel ; qu'en effet, aucune règle de valeur constitutionnelle n'exige que pour la constitution d'une telle commission les noms de ses membres aient fait au préalable l'objet d'une publication au Journal officiel ;
2. Considérant que, de même, il ne saurait être soutenu que la commission mixte paritaire, ayant siégé après la clôture de la session extraordinaire et avant l'ouverture de la session ordinaire, c'est-à-dire hors session, ses décisions devraient être tenues pour inexistantes, ayant été prises au cours d'une période pendant laquelle le Parlement ne peut exercer sa fonction législative.
3. Considérant que, si le Parlement ne peut exercer son pouvoir de décision qu'au cours des sessions ordinaires ou extraordinaires, aucune disposition de la Constitution ne fait obstacle à ce que les travaux d'une commission mixte paritaire soient accomplis en dehors des sessions ;
4. Considérant, en troisième lieu, que si, en vertu de l'article 29 de la Constitution, le Parlement réuni en session extraordinaire ne peut délibérer que sur les questions inscrites à l'ordre du jour pour lesquelles il a été convoqué, aucune disposition de la Constitution ne lui impose d'épuiser cet ordre du jour avant la fin de la session extraordinaire ni n'interdit que ses travaux se poursuivent au cours de la session qui suit cette session extraordinaire ; que, dès lors, il ne saurait être soutenu que l'article 29 de la Constitution a été méconnu.
5. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 48, premier alinéa, de la Constitution : "l'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le Gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui" ;
6. Considérant que, si le projet de loi dont est issue la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été mis en discussion devant l'Assemblée nationale sans avoir été inscrit à l'ordre du jour par la conférence des présidents, cette procédure, d'ailleurs conforme à l'article 89-3 du règlement de l'Assemblée nationale, ne constitue pas une méconnaissance de l'article 48 ci-dessus rappelé de la Constitution, lequel ne prévoit pas l'intervention de la conférence des présidents ;
En ce qui concerne les dispositions de l'article 3 de la loi rendant celle-ci applicable aux territoires d'outre-mer ;
7. Considérant qu'au termes de l'article 74 de la Constitution : "les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République. Cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée" ;
8. Considérant que si, en principe, les dispositions introduites par voie d'amendement dans des projets ou propositions de loi ayant déjà fait l'objet d'une consultation de l'assemblée territoriale n'ont pas à être soumises à une nouvelle consultation de cette assemblée, il ne saurait en être de même lorsque le projet ou la proposition qui, dans sa teneur initiale, ne visait pas un territoire d'outre-mer n'a pas fait l'objet d'une consultation de l'assemblée intéressée.
9. Considérant que, par son objet, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel touche à l'organisation particulière des territoires d'outre-mer, au sens de l'article 74 de la Constitution ; que, dès lors, elle aurait dû être précédée de la consultation des assemblées territoriales intéressées ; qu'une telle consultation n'ayant pas eu lieu, l'article 3 de la loi, qui rend celle-ci applicable aux territoires d'outre-mer, a méconnu les dispositions précitées de l'article 74 de la Constitution ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 3 de la loi n'est pas conforme à la Constitution en tant qu'il déclare ladite loi applicable aux territoires d'outre-mer ;
Sur le fond :
11. Considérant que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a pour objet d'apporter des dérogations au monopole d'Etat de la radiodiffusion, tel qu'il résulte des lois du 3 juillet 1972 et du 7 août 1974 ; qu'il appartient au législateur de définir les conditions dans lesquelles ces dérogations pourront être accordées dans le respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle ;
En ce qui concerne les dispositions relatives à la délivrance par l'autorité administrative des dérogations au monopole de la radiodiffusion :
12. Considérant que, en premier lieu, s'agissant de dérogations au monopole de la radiodiffusion, il était loisible au législateur, contrairement à ce que soutiennent les députés auteurs de la saisine, de subordonner le bénéfice de ces dérogations à une autorisation administrative préalable ;
13. Considérant que, en second lieu, la loi ne confère pas un caractère discrétionnaire à l'attribution des dérogations ; qu'en effet elle détermine les conditions dans lesquelles l'autorité administrative pourra accorder ces dérogations et, en particulier, fait obligation à celle-ci "d'assurer l'expression libre et pluraliste des idées et des courants d'opinion" ; que cette obligation a pour objet et doit avoir pour effet, sous le contrôle du juge compétent, de garantir le respect des principes constitutionnels de liberté et d'égalité ainsi rappelés ;
En ce qui concerne les dispositions de la loi réservant aux associations la faculté d'obtenir les dérogations au monopole de la radiodiffusion :
14. Considérant qu'il est soutenu que les dispositions de la loi excluant de la faculté d'obtenir des dérogations au monopole d'émission radiophonique les personnes physiques et les personnes morales autres que les associations seraient contraires au principe d'égalité ;
15. Considérant que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'à des situations différentes puissent être appliquées des règles différentes ; qu'eu égard au nombre limité des dérogations techniquement possibles le législateur, en ouvrant aux seules associations la faculté d'obtenir des dérogations au monopole d'émission radiophonique, n'a fait qu'imposer aux personnes désireuses d'émettre par ce procédé l'obligation de se regrouper et de s'interdire tout but lucratif dans l'exercice de cette activité ; que de telles conditions ne sont pas contraires à la liberté d'expression ; que, pouvant être remplies par tous les intéressés, elles ne sont pas non plus contraires au principe d'égalité ;
En ce qui concerne l'interdiction faite aux associations bénéficiaires de dérogations de recueillir des ressources publicitaires et de diffuser des messages publicitaires :
16. Considérant qu'il est allégué que l'interdiction faite par la loi aux bénéficiaires de dérogations de recueillir des ressources provenant de la publicité et de diffuser des messages de caractère publicitaire porterait atteinte à l'exercice des libertés publiques d'expression et d'association ainsi qu'à la liberté du commerce et de l'industrie ;
17. Considérant qu'aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur interdise aux associations bénéficiant d'une dérogation au monopole de recevoir des ressources provenant de la publicité et de diffuser des messages publicitaires.
18. Considérant qu'il est également soutenu qu'une telle interdiction serait contraire au principe d'égalité en ce qu'elle placerait les associations dans une situation moins favorable que le service public et que les postes dits "périphériques" ;
19. Considérant que, d'une part, si le service public émettant sous le régime du monopole est habilité à recueillir des ressources provenant de la publicité, cette différence de situations par rapport aux associations visées par la loi est justifiée au regard des charges particulières que doit assurer le service public dans l'intérêt général ; que, d'autre part, si les postes dits "périphériques" bénéficient de ressources analogues, aucune disposition de la loi ne les autorise à émettre à partir du territoire français et ne crée, en droit, d'inégalité entre ces postes et les associations qui auront bénéficié d'une dérogation ;
En ce qui concerne les dispositions permettant aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics de contribuer aux charges de création et de fonctionnement d'une ou plusieurs stations bénéficiant d'une dérogation au monopole :
20. Considérant qu'il est soutenu que la disposition dont il s'agit serait contraire au principe d'égalité en ce qu'elle désavantagerait les associations qui ne bénéficieraient pas de telles contributions ;
21. Considérant que la loi, qui donne à toutes les associations intéressées une égale vocation à recevoir de telles contributions, ne crée entre celles-ci aucune inégalité ;
22. Considérant qu'en l'état il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen.
Décide :
Article premier :
Les dispositions contenues à l'article 3 de la loi portant dérogation au monopole d'Etat de la radiodiffusion ne sont pas conformes à la Constitution en tant qu'elles rendent cette loi applicable aux territoires d'outre-mer.
Article 2 :
Les autres dispositions de ladite loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.