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22/07/1980 | FRANCE | N°80-122

France | France, Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, 80-122


Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 1er juillet 1980 par MM Joseph Franceschi, Raymond Forni, Alain Vivien, André Chandernagor, Jacques Santrot, Philippe Marchand, Jean Auroux, Raymond Julien, André Billardon, Jean-Pierre Cot, Alain Savary, Daniel Benoist, Jean Laborde, Pierre Lagorce, Henri Lavielle, Jean Laurain, Pierre Guidoni, Henri Emmanuelli, Raoul Bayou, Gérard Houteer, Christian Nucci, André Delehedde, Louis Mexandeau, Jacques-Antoine Gau, André Cellard, Joseph Vidal, Gilbert Faure, Pierre Jagoret, Claude Evin, François Autain, Gilbert Sénès, Alain Bonnet, Mme Marie Jacq, M

M Pierre Forgues, Martin Malvy, Michel Sainte-Marie, René ...

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 1er juillet 1980 par MM Joseph Franceschi, Raymond Forni, Alain Vivien, André Chandernagor, Jacques Santrot, Philippe Marchand, Jean Auroux, Raymond Julien, André Billardon, Jean-Pierre Cot, Alain Savary, Daniel Benoist, Jean Laborde, Pierre Lagorce, Henri Lavielle, Jean Laurain, Pierre Guidoni, Henri Emmanuelli, Raoul Bayou, Gérard Houteer, Christian Nucci, André Delehedde, Louis Mexandeau, Jacques-Antoine Gau, André Cellard, Joseph Vidal, Gilbert Faure, Pierre Jagoret, Claude Evin, François Autain, Gilbert Sénès, Alain Bonnet, Mme Marie Jacq, MM Pierre Forgues, Martin Malvy, Michel Sainte-Marie, René Gaillard, Roland Beix, Louis Mermaz, Bernard Derosier, Mme Edwige Avice, MM Louis Besson, Yvon Tondon, Louis Darinot, Maurice Pourchon, Jean Poperen, Jacques Lavédrine, Charles Pistre, Charles Hernu, Jean-Pierre Chevènement, Guy Bêche, Louis Le Pensec, Michel Rocard, Robert Aumont, Alain Richard, Pierre Joxe, Paul Quilès, Jean-Yves Le Drian, François Abadie, Paul Duraffour, Claude Michel, Jean-Michel Boucheron, Jacques Huyghues des Etages, Maurice Andrieu, Hubert Dubedout et par MM Maurice Andrieux, Gustave Ansart, Robert Ballanger, Paul Balmigère, Mme Myriam Barbera, MM Jean Bardol, Jean-Jacques Barthe, Alain Bocquet, Gérard Bordu, Daniel Boulay, Irénée Bourgois, Jacques Brunhes, Georges Bustin, Henry Canacos, Jacques Chaminade, Mmes Angèle Chavatte, Jacqueline Chonavel, M Roger Combrisson, Mme Hélène Constans, MM Michel Couillet, César Depietri, Bernard Deschamps, Guy Ducoloné, André Duroméa, Lucien Dutard, Charles Fiterman, Mmes Paulette Fost, Jacqueline Fraysse-Cazalis,
MM Dominique Frelaut, Edmond Garcin, Marceau Gauthier, Pierre Girardot, Mme Colette Goeuriot, MM Pierre Goldberg, Georges Gosnat, Roger Gouhier, Mme Marie-Thérèse Goutmann, MM Maxime Gremetz, Georges Hage, Guy Hermier, Mme Adrienne Horvath, MM Marcel Houël, Parfait Jans, Jean Jarosz, Emile Jourdan, Jacques Jouve, Pierre Juquin, Maxime Kalinsky, André Lajoinie, Paul Laurent, Georges Lazzarino, Mme Chantal Leblanc, MM Joseph Legrand, Alain Léger, François Leizour, Daniel Le Meur, Roland Leroy, Raymond Maillet, Louis Maisonnat, Georges Marchais, Fernand Marin, Albert Maton, Gilbert Millet, Robert Montdargent, Mme Gisèle Moreau, MM Maurice Nilès, Louis Odru, Antoine Porcu, Vincent Porelli, Mmes Jeanine Porte, Colette Privat, MM Jack Ralite, Roland Renard, René Rieubon, Marcel Rigout, Emile Roger, Hubert Ruffe, André Soury, Marcel Tassy, André Tourné, Théo Vial-Massat, Lucien Villa, René Visse, Robert Vizet, Claude Wargnies, Pierre Zarka, députés, dans les conditions prévues à l'article 61 (alinéa 2) de la Constitution, du texte de la loi rendant applicables le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les territoires d'outre-mer, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement ;

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 74 de la Constitution : "Les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République. Cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée" ;
2. Considérant que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel fixe la composition et la compétence des juridictions pénales dans les territoires d'outre-mer et, par voie de conséquence, modifie les règles du code de procédure pénale qu'elle rend applicables dans ces territoires ; que, pour tenir compte des particularités insulaires de ces territoires, de leur dispersion sur de grandes étendues, de leur faible densité démographique et des difficultés de communication, l'organisation des juridictions pénales retenue par cette loi diffère de celle de la métropole ; qu'ainsi, par exemple, dans certains ressorts, la juridiction correctionnelle est, sauf si le prévenu demande à être jugé par une juridiction collégiale, constituée par un juge unique ; que, de même, dans certains ressorts, il est donné compétence à un seul magistrat pour exercer successivement, dans la même affaire, des fonctions qui, en métropole, sont réparties entre un magistrat du ministère public, un juge d'instruction et une formation collégiale de jugement ;
3. Considérant que cette loi, qui établit pour la justice pénale dans les territoires d'outre-mer une organisation spécifique tenant compte des conditions propres à chacun d'eux, constitue un élément de l'organisation particulière de ces territoires et aurait dû, en application de l'article 74 de la Constitution, être précédée d'une consultation des assemblées territoriales intéressées ; que, dès lors, une telle consultation n'ayant pas eu lieu, ces dispositions n'ont pas été adoptées selon une procédure conforme à la Constitution ;
4. Considérant que les dispositions relatives à l'organisation de la justice pénale ne sont pas séparables des autres dispositions de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ; que, dès lors, cette loi doit être déclarée non conforme à la Constitution ;

Décide :
Article premier :
La loi rendant applicables le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les territoires d'outre-mer est déclarée non conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 80-122
Date de la décision : 22/07/1980
Loi rendant applicable le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les territoires d'outre-mer
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

II : SAISINE 2 Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi rendant applicables le Code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les territoires d'Outre-Mer, tel qu'il a été définitivement adopté par le Parlement le 29 juin 1980.

Nous estimons, en effet, que cette loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants.

I : La loi méconnaît le principe d'égalité Tout en rendant applicables dans les territoires d'Outre-Mer certaines des dispositions du Code de procédure pénale applicable en métropole, la loi soumise au Conseil constitutionnel modifie plusieurs des dispositions à ce Code.

Ainsi institue-t-elle des règles particulières de la procédure pénale dans les territoires d'Outre-Mer. Il en résulte, comme on le verra ci-après, que "des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions (seront) jugés par des juridictions composées selon des règles différentes" et au terme d'une procédure elle-même distincte de celle applicable dans les autres collectivités territoriales.

Or, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé (décision n 75-56 DC du 23 juillet 1975), le législateur ne peut mettre en cause "alors surtout qu'il s'agit d'une loi pénale le principe d'égalité devant la justice qui est inclus dans le principe d'égalité devant la loi proclamé dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le Préambule de la Constitution", ainsi d'ailleurs que par son article 2.

Aussi, en tant qu'elle méconnaît le principe d'égalité, la loi déférée au Conseil constitutionnel doit être déclarée non conforme à la Constitution.

C'est en vain qu'on objecterait que lesdites dispositions n'ont pour objet que de tenir compte de l'organisation particulière des territoires d'Outre-Mer de la République, comme l'article 74 de la Constitution en réserve la faculté.

En effet, si la loi en cause poursuivait cet objectif, elle aurait du faire l'objet, comme le prévoit expressément ce même article 74, d'une consultation préalable des assemblées territoriales intéressées. Tel n'a pas été le cas.

Dès lors, ou bien il ne s'agit pas de l'organisation particulière des territoires d'Outre-Mer et la non conformité à la Constitution résulte de la rupture du principe d'égalité ; ou bien il s'agit de l'organisation particulière de ces territoires et la non conformité résulte de la violation de l'article 74 de la Constitution.

Quelle que soit l'hypothèse, la non conformité à la Constitution est bien établie.

II : La loi méconnaît en plusieurs de ses articles certains principes fondamentaux de la procédure pénale A : Atteinte au principe de la présomption d'innocence L'article 9 de la Déclaration de 1789 proclame que tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable.

C'est, notamment mais pas exclusivement, sur ce fondement qu'a été organisée la séparation, dans le cadre de la procédure pénale et depuis le Code de 1808, de la poursuite, de l'instruction et du jugement, confiés à des organes distincts.

Or, la loi en cause, dans ses articles 2-3° et 5° et 6-6°, permet de confondre en un même magistrat les fonctions du ministère public, du juge d'instruction et de juridiction de jugement.

Outre que ces dispositions portent atteinte à la règle traditionnelle de séparation des trois phases de la procédure pénale, on doit noter qu'elles réduisent à néant le principe de la présomption d'innocence.

En effet, lorsqu'un même magistrat aura décidé d'engager des poursuites puis, après instruction, se sera déféré à lui-même l'intéressé pour jugement, comment croire que l'accusé continuera à bénéficier au moment de la présentation devant son juge de la présomption d'innocence à laquelle les réquisitions du parquet - c'est à dire encore du même magistrat : et les conclusions du juge d'instruction : c'est-à-dire encore du même magistrat ne sauraient porter atteinte ? Et comment imaginer que la juridiction de jugement puisse rendre une décision qui ne soit pas conforme aux conclusions qu'elle aura précédemment formulées : comme parquet ou comme juge d'instruction : sur la même affaire ? On notera que lorsque la confusion ne porte que sur deux des trois phases de la procédure : instruction et jugement - elle emporte des effets tout aussi critiquables.

Il convient d'ajouter en outre qu'en étant chargé des fonctions dévolues au ministère public, le cas échéant sous le contrôle du Procureur de la République, le juge chargé de section ou le juge forain se trouvera placé sous l'autorité hiérarchique du Garde des Sceaux alors qu'il ne saurait en aucun cas en être ainsi pour un magistrat du siège conformément à l'article 64 de la Constitution et aux dispositions de la loi organique sur le statut des magistrats.

B : Atteinte au principe selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle Il résulte de l'article 3 de la loi soumise au Conseil constitutionnel qu'un officier de police judiciaire peut, dans certains cas, exiger de toute personne à qui il a prescrit de ne pas s'éloigner du lieu d'une infraction de se présenter à lui périodiquement.

Même si cette disposition est tempérée par la nécessité de rendre compte immédiatement au magistrat territorialement compétent, elle a pour effet d'autoriser un officier de police, en dehors de toute intervention d'un magistrat du siège, à soumettre un citoyen à des mesures de contrôle judiciaire : si tant est qu'elles puissent être ainsi qualifiées : entravant à l'évidence la liberté individuelle en dehors de toute protection.

C : Atteinte au droit de la défense Il résulte des articles 4-2° et 6-4° de la loi en cause que le magistrat peut, s'il n'existe pas d'avocat sur place, désigner pour assurer la défense toute personne "qu'il estime capable d'assister le prévenu".

Ainsi, celui qui aura demandé à être défendu pourra se voir imposer une personne dont il n'est pas même prévu qu'il pourra la récuser et dont le choix appartiendra souverainement au juge chargé de statuer.

Intrinsèquement critiquable, cette disposition l'est plus encore compte tenu de ce qui a déjà été indiqué sur la confusion, au profit d'un même magistrat, des fonctions d'instruction et de jugement ainsi que, dans certains cas, de poursuite.

Il est contraire aux principes les plus élémentaires de l'administration d'une bonne justice que celui qui dispose déjà du pouvoir de poursuivre, d'instruire et de juger puisse, de surcroît, désigner lui-même celui qui défendra le citoyen qu'il aura lui-même décidé d'accuser.

C'est pourquoi, en tant qu'elles portent atteinte au principe de la présomption d'innocence, au principe qui confie à l'autorité judiciaire la mission de garder la liberté individuelle et au droit de la défense, les dispositions incriminées des articles 2, 3, 4 et 6 de la loi soumise au Conseil constitutionnel doivent être déclarées non conformes à la Constitution.

I : SAISINE 1 Conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution nous avons l'honneur de déférer au Conseil Constitutionnel la loi adoptée par le Parlement, rendant applicables le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les TOM.

D'une part, cette loi, relative à l'organisation judiciaire dans les TOM, n'a pas fait l'objet, contrairement aux dispositions de l'article 74 de la Constitution, d'une consultation des Assemblées Territoriales concernées.

D'autre part, plusieurs de ses articles vont à l'encontre des principes généraux du droit, de la Convention Européenne des droits de l'homme, de la déclaration des droits de l'homme de 1789 et de la Constitution.

L'article 5 de la loi institué pour les TOM le juge unique en matière correctionnelle.

Les alinéas 3, 5, 6 de l'article 2 donnent la possibilité à ce même magistrat d'être tout à la fois maître des poursuites, magistrat instructeur, représentant du ministère public et enfin juge.

Les articles 4 alinéa 2 et 6 alinéa 4 permettent en outre à ce magistrat de désigner lui-même le conseil de l'inculpé, lorsqu'il n'y a pas d'avocat sur les lieux.

Ces dispositions contrairement à l'article 6 de la Convention Européenne des droits de l'homme reconnaissent à tous les citoyens le droit à "un procès équitable".

L'article 5 précisément, en instituait le juge unique dans les TOM va à l'encontre de l'article 2 de la Constitution et de l'article VI de la déclaration de 1789 qui disposent respectivement : : La République "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, ou de religion".

: "La loi est l'expression de la volonté générale Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse".

Aux termes du texte, la loi ne serait pas la même pour tous puisqu'aussi bien, pour des infractions semblables, les citoyens de la métropole et ceux des TOM ne seraient pas jugés de la même manière. Les premiers auraient droit à certaines garanties judiciaires, les seconds en seraient privés.

A l'intérieur des TOM, la loi ne serait pas la même pour tous les citoyens puisque le texte prévoit que "pour l'application de l'article 32 le ministère public peut ne pas être représenté (article 2 : alinéa 3) et que les juges de section ou les juges forains "peuvent juger les affaires qu'ils ont instruites" (article 2 : alinéa 5).

Ainsi, des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions pourraient être jugés selon une procédure différente. Outre l'atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi, nous estimons que ces dispositions vont à l'encontre de l'article 34 de la Constitution qui réserve à la loi le soin de fixer les règles concernant la procédure pénale. En effet, une autorité autre que législateur aurait, en application des dispositions de l'article 2 du projet, la possibilité de choisir telle ou telle procédure et ceci, même en cas d'infraction semblable.

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir déclarer non conforme à la Constitution le projet de loi rendant applicable le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les TOM.


Références :

DC du 22 juillet 1980 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°80-122 DC du 22 juillet 1980
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1980:80.122.DC
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