Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi de finances pour 1980, tel qu'il vient d'être adopté par le Parlement.
Nous estimons, en effet, pour les motifs ci-après explicités, que ce texte n'a pas été délibéré et voté par le Parlement conformément à la Constitution et qu'en outre ses articles 1er bis, 5 et 25 ont été adoptés en méconnaissance des dispositions de valeur constitutionnelle régissant les recettes et les dépenses de l'Etat.
I : La Loi de finances pour 1980 a été délibérée et adoptée selon des procédures contraires à la Constitution.
1) La discussion de la loi de finances par l'Assemblée nationale en première lecture n'a pas été conforme à l'article 40 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
En vertu des dispositions de l'article 40 de l'ordonnance n 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, "la seconde partie de la loi de finances de l'année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie".
Or, au cours de sa séance du 22 octobre 1979, l'Assemblée nationale a rejeté, par scrutin public, l'article 25 du projet de loi de finances pour 1980 qui constitue le résumé des dispositions de la première partie.
Cet article comporte l'évaluation des recettes et le plafond des charges résultant des articles 1er à 24 ainsi que le montant qui en découle pour l'équilibre et le découvert de l'exercice 1980.
Bien que cet article 25 n'ait pas été adopté par l'Assemblée, la discussion de la seconde partie de la loi de finances s'est normalement poursuivie jusqu'au 20 novembre 1979.
Ainsi, l'Assemblée a-t-elle discuté et adopté, pour le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor, les dépenses de l'exercice 1980 qui constituaient le développement du plafond des charges précédemment rejeté.
Ayant décidé, en accord avec M le Président de l'Assemblée nationale, de poursuivre l'examen des articles constituant la deuxième partie de la loi de finances, malgré le rejet de l'article essentiel qui récapitule la première partie, le Gouvernement a conduit l'Assemblée nationale à délibérer sur le projet de loi de finances dans des conditions contraires à la loi organique.
Une telle procédure nous paraît de nature à considérer que la discussion du projet de loi de finances pour 1980 s'est effectuée en violation de la loi organique du 2 janvier 1959 et que, par suite, la loi de finances qui vous est déférée se trouve non conforme à la Constitution.
2) L'adoption de la loi de finances pour 1980 par l'Assemblée nationale, tant en première lecture que sur le texte de la commission mixte paritaire, s'est effectuée dans des conditions contraires à la lettre et à l'esprit de la Constitution et du Règlement.
: A : Les procédures réglementaires n'ont pas été respectées.
: 1 : Au cours de la dernière séance du 17 novembre 1979, et après qu'ont été successivement examinés, rejetés ou adoptés tous les articles du projet de loi de finances pour 1980, le Premier ministre a demandé à l'Assemblée nationale une seconde délibération de certaines des dispositions votées en première délibération, conformément à l'article 101 de son Règlement.
Pour justifier cette seconde délibération, le Gouvernement a déposé de très nombreux amendements invitant l'Assemblée nationale à adopter certaines dispositions précédemment rejetées ou à modifier certaines dispositions précédemment amendées.
Ainsi qu'il ressort clairement des débats, les amendements déposés par le Gouvernement en seconde délibération portaient, sur la première partie, sur les articles 2, 2 bis, 3, 3 bis, 3 ter, 3 quater, 3 quinquies, 4 A, 4, 5, 7, 8, 10 bis, 11 bis, 13, 25 et état A.
Il s'agit des amendements n 1 à 18.
Par ailleurs, la seconde délibération était également demandée en seconde partie sur divers articles de crédits.
Il s'agit des amendements n 19 et suivants.
Après avoir ainsi sollicité une seconde délibération et déposé plusieurs amendements à cet effet, le Premier Ministre a immédiatement déclaré qu'il engageait la responsabilité du Gouvernement en vertu de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.
Et il a indiqué que le texte sur lequel portait cet engagement de responsabilité était celui de la seconde délibération, à savoir, selon le Premier Ministre, non seulement les articles faisant l'objet des amendements susvisés du Gouvernement, mais également les articles pour lesquels aucune modification n'était demandée. Ainsi la seconde délibération soumise à l'Assemblée Nationale en vertu de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution portait-elle, en fait, sur l'ensemble du projet de loi de finances pour 1980.
Une telle manière de procéder est contraire au Règlement de l'Assemblée Nationale et, par suite, à la Constitution puisqu'en matière de procédure législative le règlement se borne à mettre en oeuvre les dispositions constitutionnelles relatives à la discussion et au vote des lois, et qu'il ne peut être déclaré conforme à la Constitution que pour autant qu'il se borne à appliquer purement et simplement la Constitution.
On observera, en effet, que les termes mêmes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, permettent au Gouvernement de choisir en toute liberté le texte sur lequel porte l'engagement de responsabilité. Toutefois, il ne saurait s'agir de n'importe quel texte : l'engagement de responsabilité ne peut porter, en effet, que sur l'un des textes que l'Assemblée Nationale a pour mission de voter en vertu de la Constitution, des lois organiques et de son règlement et auxquels le Gouvernement est partie prenante, ce qui exclut notamment les motions de procédure interne. Ainsi le choix du Gouvernement se trouve-t-il limité : il peut engager sa responsabilité sur un projet de loi ou sur certains de ses articles, sur une proposition de lois ou sur certains de ses articles, sur un article d'un projet ou d'une proposition, sur un amendement ou un sous-amendement, et d'une manière générale sur tout texte de valeur législative soumis à l'Assemblée nationale (ainsi d'ailleurs que sur les textes de valeur organique ou constitutionnelle).
Or, le troisième alinéa de l'article 101 du règlement prévoit que "la seconde délibération ne porte que sur les nouvelles propositions de la commission ou du Gouvernement".
Aussi, la seconde délibération demandée le 17 novembre 1979 par le Premier Ministre et sur laquelle a porté son engagement de responsabilité ne pouvait concerner que l'ensemble constitué par les articles faisant l'objet des amendements du Gouvernement, à l'exclusion des autres articles du projet de loi de finances pour 1980.
Sans doute, le Gouvernement avait la possibilité de redéposer un projet de loi entièrement rerédigé et comportant à la fois les propositions de la seconde délibération et les autres dispositions proposées ou acceptées par le Gouvernement et adoptées par l'Assemblée dans la discussion des articles.
Mais, là encore, la loi organique sur les lois de finances interdisait cette procédure, qui peut être appliquée à n'importe quel autre projet de loi. L'article 44 de la loi organique aurait contraint le Gouvernement, en effet, à déposer le projet de loi de finances en deux fractions, conformément à la procédure précédemment suivie pour le vote du projet de loi de finances pour 1963.
D'autre part, si le Gouvernement avait voulu que l'Assemblée se prononce par un vote unique sur l'ensemble du projet de loi, il lui fallait après avoir obtenu satisfaction en seconde délibération, soumettre à un nouveau vote de l'Assemblée l'ensemble du projet de loi compte tenu des modifications résultant de la seconde délibération et, le cas échéant, engager sa responsabilité une seconde fois sur le vote d'ensemble qui constitue la procédure normale du vote final d'un projet de loi.
Mais il ne lui était pas possible d'envisager une telle solution, car, dans l'hypothèse d'un second engagement de responsabilité sur l'ensemble du texte, le Gouvernement aurait sans doute été conduit à mettre en oeuvre la procédure de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution aux premières heures de la journée du 21 novembre 1979 soit après l'expiration des délais que l'article 47 de la Constitution impose à l'Assemblée nationale pour adopter le projet de loi de finances en première lecture. Or, ces délais expiraient le mardi 20 novembre 1979 à minuit. Le Gouvernement ne voulait donc pas prendre le risque de transmettre au Sénat un projet de loi de finances qui n'aurait pas été adopté par l'Assemblée nationale.
Afin de tourner ces deux difficultés, le Gouvernement ne pouvait pas pour autant méconnaître gravement les dispositions de l'article 101 du Règlement de l'Assemblée nationale ni utiliser la procédure de la seconde délibération à d'autres fins que celles qui lui sont fixées par le Règlement et que le Conseil constitutionnel a déclarées conformes à la Constitution.
Car, notre droit parlementaire comporte, comme principe fondamental, l'impossibilité pour l'Assemblée Nationale, pour un Député ou pour le Gouvernement de remettre en cause un vote dont les résultats ont été proclamés.
Ce principe est général et conduit d'ailleurs à refuser, en particulier, toute rectification de vote après qu'ont été prononcés les résultats d'un scrutin.
Aussi, la seule possibilité permettant de remettre en cause un vote de l'Assemblée est-elle celle offerte par la seconde délibération. Toutefois, s'agissant d'une exception à un principe fondamental, l'utilisation de la procédure de la seconde délibération doit être strictement limitée aux cas prévus et aux conditions fixées par le Règlement.
Or, quelle qu'ait été la procédure envisagée par le Premier Ministre dans sa déclaration du 17 novembre 1979, la combinaison des articles 49 (alinéa 3), 10 du Règlement et des amendements précités déposés par le Gouvernement conduit à soutenir que le texte considéré comme adopté le 20 novembre 1979 à la suite du rejet des deux motions de censure ne peut qu'être celui constitué par les seules nouvelles propositions du Gouvernement.
Ainsi, c'est en violation de l'article 101 du Règlement que la loi de finances pour 1980 a été considérée comme adoptée dans son ensemble le 20 novembre 1979. Dans ces conditions, le texte a été transmis au Sénat alors qu'il n'a pas été préalablement adopté dans son ensemble par l'Assemblée nationale contrairement aux dispositions constitutionnelles, organiques et réglementaires relatives aux procédures de discussions par le Parlement des lois en général et des lois de finances en particulier.
On soulignera en outre que si les motions de censures avaient été adoptées, ce n'est pas l'ensemble de la loi de finances qui aurait été rejeté mais seulement les nouvelles dispositions proposées par le Gouvernement, ainsi que le prévoit l'article 101 précité. Ceci signifie donc que l'article 101 n'a pas pour effet d'annuler totalement les votes émis par l'Assemblée.
Enfin, c'est en méconnaissance de l'article 39 de la Constitution que le Sénat a délibéré du projet de loi de finances alors que celui-ci n'avait pas été préalablement adopté par l'Assemblée nationale, ni rejeté par elle.
: 2 : En vertu des dispositions de l'article 42, alinéa 2, de la Constitution, "une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis".
Ceci signifie que tout texte voté par une assemblée doit donc être transmis à l'autre assemblée avant toute délibération de la seconde assemblée.
La mise en oeuvre de la procédure de la commission mixte paritaire ne saurait dispenser les autorités compétentes de cette transmission préalable.
En effet, tout député peut être candidat à la commission mixte paritaire. Encore faut-il qu'il y soit incité par la volonté de suggérer, devant cette commission, les modifications qui lui semblent nécessaires pour rapprocher les points de vue entre les deux assemblées. D'autre part, pour pouvoir rapprocher les points de vue des deux assemblées, la commission mixte paritaire doit statuer sur le texte adopté par chacune des deux assemblées, dans l'état où il a été transmis officiellement par l'autre assemblée.
Or, on voit mal comment la commission mixte paritaire a pu remplir sa mission en ce qui concerne le projet de loi de finances pour 1980 dès lors que seuls les sénateurs disposaient à la fois du texte officiellement adopté par le Sénat et de celui considéré comme adopté par l'Assemblée nationale.
Car, pour ce qui concerne les députés, le texte voté par le Sénat et qui, aux termes de la Constitution et du Règlement doit être préalablement à tout débat imprimé et distribué a été officiellement mis en distribution le mardi 18 décembre 1979 ainsi que l'annonce le feuilleton de l'Assemblée nationale n 202, page 16 (document parlementaire n 1477 : projet de loi de finances modifié par le Sénat). Or, le rapport de la commission mixte paritaire a été élaboré le 12 décembre 1979 et publié et discuté par l'Assemblée nationale le 13 décembre 1979 (CF Document parlementaire n 1479). Il a été considéré comme adopté le 17 décembre 1979 à la suite du rejet des motions de censure.
Et c'est seulement le 18 décembre 1979 qu'est mis en distribution le texte adopté par le Sénat et qui avait motivé la réunion de la commission mixte paritaire.
On ne manquera pas de rapprocher la procédure suivie pour le projet de loi de finances pour 1980 avec celle suivie pour le projet de loi de finances rectificative pour 1979, dont le texte, modifié par le Sénat, a été mis en distribution le 18 novembre 1979 (n 1493) avant le rapport de la commission mixte paritaire (n 1503) publié le même jour. (Cf à ce sujet le feuilleton n 203 du 19 décembre 1979).
Ainsi, en méconnaissant les dispositions de la Constitution et du Règlement et en ayant soumis à l'Assemblée nationale le rapport de la commission mixte paritaire sans qu'ait été préalablement distribué le texte qui avait provoqué la réunion de ladite commission, l'Assemblée nationale n'a pas pu valablement constituer sa commission mixte ni délibérer de son rapport.
Ceci nous conduit donc à affirmer que le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale n'a pas été soumis à l'Assemblée dans des conditions conformes à la Constitution et doit, par suite, être déclaré non conforme.
: B : L'usage répété de l'article 49 (alinéa 3) de la Constitution est contraire à l'esprit de nos institutions. Dans une lettre adressée au Président de la République, notre collègue Gaston DEFFERRE, Président du Groupe socialiste, a exposé les motifs pour lesquels l'utilisation répétée de l'article 49 (alinéa 3) de la Constitution n'est pas conforme à l'esprit des institutions promulguées le 4 octobre 1958.
On trouvera en annexe à la présente requête une copie de cette lettre qui se réfère largement aux travaux préparatoires de la Constitution.
Les indications de cette correspondance constituent l'un des moyens supplémentaires qui nous conduisent à soutenir que la loi de finances pour 1980 a été délibérée et adoptée dans des conditions contraires à la Constitution.
En outre, la mise en oeuvre anormalement répétée des dispositions de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution nous conduit à poser le problème des conditions de l'application de cette disposition.
En effet, l'engagement de responsabilité à l'initiative du Gouvernement, soit en vertu du premier alinéa, soit en vertu du troisième alinéa de l'article 49, ne peut s'opérer qu'après délibération du Conseil des Ministres donnant son accord à la mise en oeuvre de cette procédure.
Or, en l'absence de toute publication au Journal officiel d'un extrait des délibérations du Conseil des Ministres certifié conforme ou de toute communication d'un tel extrait au Président de l'Assemblée nationale, l'Assemblée n'a jamais la possibilité de s'assurer que la formalité substantielle exigée par l'article 49 a bien été préalablement remplie. Or, une telle vérification s'impose dès lors que le Gouvernement a décidé d'utiliser la procédure de l'alinéa 3 de l'article 49 d'une manière répétée pour faire face à toute difficulté imprévue surgissant dans le cours de l'examen d'un texte législatif. Car on ne saurait admettre que le Conseil des Ministres décide une fois pour toutes d'autoriser le Premier Ministre à engager la responsabilité du Gouvernement alors qu'il est évident que la délibération du Conseil est exigée pour chacun des textes soumis à l'Assemblée selon cette procédure.
Dans ces conditions, nul ne peut affirmer que le Conseil des ministres a bien autorisé le Gouvernement à engager sa responsabilité sur le projet de loi de finances pour 1980 en première lecture et sur le texte de la commission mixte paritaire et il appartient au Conseil Constitutionnel de vérifier que cette condition essentielle et préalable a bien été remplie.
Tels sont les divers motifs de forme et de procédure pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir déclarer la loi de finances pour 1980 non conforme à la Constitution.
II : Les articles 1er bis, 5 et 25 de la loi de finances pour 1980 ne sont pas conformes à la Constitution.
1) L'article 1er bis.
Selon l'article 1er bis, le Parlement doit désormais se prononcer chaque année sur l'évolution des recettes et des dépenses constituant l'effort social de la Nation.
Pour ce faire, le Parlement doit se prononcer : "dans le cadre des dispositions constitutionnelles, organiques et législatives".
Or, aucune disposition constitutionnelle n'autorise actuellement le Parlement à se prononcer sur l'évolution de l'ensemble des recettes et des dépenses sociales.
En effet, les seules recettes et dépenses soumises au vote des Assemblées, et qui ne constituent qu'un élément de l'effort social, sont celles qui découlent des principes fondamentaux de la Sécurité sociale qui sont seuls du domaine de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution.
Mais, il ressort clairement de l'article 34 de la Constitution, éclairé par de nombreuses décisions du Conseil Constitutionnel, que le montant des cotisations sociales des régimes obligatoires et facultatifs de Sécurité sociale, ainsi que le montant des avantages sociaux accordés par ces mêmes régimes, ne sont pas du domaine de la loi. Ils entrent dans les compétences du pouvoir réglementaire conformément à l'article 37 de la Constitution.
Aussi, en tant qu'il autorise une remise en cause de la séparation opérée entre les matières législatives et les matières réglementaires par les articles 34 et 37 de la Constitution, l'article 1er bis est évidemment non conforme à la Constitution.
En ce qui concerne les dispositions organiques, l'article 34 de la Constitution prévoit expressément que seules sont du domaine de la loi organique les ressources et les charges de l'Etat.
Les conditions dans lesquelles ces ressources et ces charges sont examinées et votées par le Parlement ont été fixées par l'ordonnance organique n 59 : 2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.
Mais, pour ce qui concerne l'effort social de la Nation, les lois de finances ne comportent que les recettes de nature fiscale affectées au régime social (BAPSA, par exemple) ou, en matière de dépenses, les subventions que le budget de l'Etat alloue aux divers régimes sociaux conformément aux crédits inscrits aux budgets des divers ministères intéressés.
Aussi, en dehors de ces recettes et de ces dépenses, qui sont seules du domaine de la loi de Finances conformément à la loi organique du 2 janvier 1959 et qui ne constituent elles aussi qu'un élément de l'effort social de la Nation, on voit mal comment le Parlement pourrait se prononcer sur l'évolution d'autres recettes ou d'autres dépenses sans méconnaître les dispositions de la loi organique précitée.
Par suite, en tant qu'il intervient par voie législative dans un domaine réservé à la loi organique, l'article 1er bis n'est pas conforme aux articles 34 et 46 de la constitution et à la loi organique du 2 janvier 1959.
Enfin, l'article 1er bis est contraire à l'article 42 de la même loi organique. Cet article résulte en effet d'un amendement d'origine gouvernementale modifié par des amendements d'origine sénatoriale.
Toutefois, en prévoyant que le Parlement se prononce sur l'évolution des recettes et des dépenses constituant l'effort social de la Nation, l'article 1er bis ne peut pas être considéré comme étant une disposition visant à assurer : "le contrôle des dépenses publiques", puisque l'effort social de la Nation ne comporte pas que des dépenses publiques au sens de la loi de Finances et des lois relatives à la Sécurité sociale.
Pour ces divers motifs, nous estimons que l'article 1er bis doit être déclaré non conforme à la Constitution.
2) L'article 5 En vertu de l'article 34 de la Constitution, c'est la loi qui fixe les règles concernant "l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts de toute nature".
Or, si l'article 5 de la loi de Finances pour 1980 dispose que les caisses de crédit mutuel seront désormais assujetties à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun, son III laisse à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer "notamment les dispositions transitoires qui seraient nécessaires en raison de la modification du régime fiscal appliqué aux organismes" précités.
Il en résulte qu'un décret pourrait, à titre transitoire, intervenir dans des domaines tels que l'assiette, le taux ou les modalités de recouvrement de l'impôt sur les sociétés, et il est évident que tel est l'objectif de la disposition susvisée d'origine gouvernementale.
La Constitution n'ayant pas admis que le Gouvernement intervienne, même à titre transitoire, dans le domaine législatif, sauf en vertu d'une habilitation conforme à son article 38, les dispositions de l'article 5 : III commençant par les mots "notamment les dispositions" et se terminant par les mots "au I ci-dessus" doivent être considérées comme non conformes à la Constitution.
On souligne toutefois que la non conformité de cette disposition aboutit à interdire toute mise en oeuvre des dispositions de l'article 5. En effet, sans mesure transitoire, le passage des organismes de crédit mutuel du régime fiscal actuel à l'impôt sur les Sociétés ne peut pas être effectué par l'administration.
C'est pourquoi la non conformité du III ne peut pas être considérée comme séparable de l'ensemble du texte et c'est donc la totalité de l'article 5 qui se trouve ainsi frappée de non conformité.
3) Article 25 : A : En vertu du I de cet article, le Gouvernement est autorisé à effectuer, avant le 31 mars 1980, 150 millions de F d'économies sur les charges du budget général et 50 millions de F d'économies sur celles des budgets annexes.
Nous estimons que cette disposition est contraire à la Constitution pour les deux motifs suivants : : 1 : L'article 31 de la loi organique sur les lois de finances prévoit que la première partie du projet de loi de finances fixe le plafond des charges. Celui-ci est ensuite développé, par titre et par ministère, par budget annexe et par compte spécial, dans les articles de la seconde partie et les annexes explicatives qui les accompagnent et les explicitent.
Il résulte clairement et logiquement de la loi organique que le total des charges figurant dans l'article d'équilibre doit être égal à celui de l'ensemble des dépenses faisant l'objet des autorisations d'ouverture de crédits de la seconde partie.
Or, tel n'était pas le cas pour le projet de loi de finances pour 1980 puisque les articles de la seconde partie et leurs annexes explicatives ne prennent pas en compte les modifications que l'article 25 autorise le Gouvernement à apporter au montant des dépenses autorisées tel qu'il découle du plafond des charges.
Il s'en suit que, dans sa présentation même et en raison des dispositions de son article 25, le projet de loi de finances pour 1980 n'était pas conforme aux articles 31 et suivants de la loi organique et donc à la Constitution ainsi que le Conseil Constitutionnel l'a déclaré dans un cas analogue dans sa décision du 30 décembre 1974.
: 2 : D'autre part, l'article 25 a également pour objet d'autoriser le Gouvernement à apporter, par voie réglementaire, des modifications aux dépenses autorisées par le Parlement au titre de l'exercice 1980.
Or, en vertu de la loi organique du 2 janvier 1959, c'est le Gouvernement qui a seul l'initiative en matière de dépenses. Mais c'est le Parlement qui a seul le pouvoir d'autoriser les dépenses, soit en fixant leur montant en acceptant les propositions du Gouvernement, soit en réduisant ou supprimant certains des crédits demandés.
Aussi, afin de respecter les prérogatives ainsi dévolues au Gouvernement et au Parlement, la loi organique a prévu les cas dans lesquels il peut être apporté des modifications aux lois de Finances initiales par voie législative ou réglementaire.
Par voie législative, il s'agit des lois de finances rectificatives et des lois de règlement. Par voie réglementaire, les pouvoirs du Gouvernement sont clairement et limitativement fixés par plusieurs dispositions de la loi organique et notamment ses articles 7, 10, 11, 13 et 14.
Toutefois, aucune disposition de la loi organique n'autorise le Gouvernement à réaliser des économies par voie réglementaire.
Le seul cas qui peut l'autoriser à supprimer ou à réduire certains crédits est celui prévu par l'article 13 de la loi organique selon lequel "tout crédit devenu sans objet" peut être annulé par arrêté du Ministre des Finances.
Mais, s'agissant de remettre en cause le montant des autorisations de dépenses votées par le Parlement, l'annulation ne peut intervenir que si le Gouvernement a préalablement constaté que l'objet pour lequel les dépenses avaient été autorisées n'existe plus. A titre d'exemple d'application normale de l'article 13, on peut citer l'hypothèse dans laquelle les créations d'emplois autorisées par le Parlement ne seraient pas toutes opérées au cours de l'exercice en cause.
Il est évident qu'en autorisant le Gouvernement à agir par voie réglementaire dans d'autres cas que ceux prévus par la loi organique, l'article 25 ajoute, par voie législative, une disposition qui ne peut être que de nature organique.
En outre, le Gouvernement se trouve ainsi autorisé à agir par voie réglementaire dans une matière qui est du domaine de la loi au sens de l'article 34 de la Constitution. Aussi, un tel programme d'économies ne pourrait s'opérer conformément à la Constitution que si le Gouvernement avait été autorisé à le mettre en oeuvre par la voie des ordonnances de l'article 38 de la Constitution.
Pour ces divers motifs, nous estimons que le membre de phrase qui, dans le I de l'article 25, commence par les mots "compte-tenu des économies" et se termine par les mots "avant le 31 mars 1980" doit être déclaré non conforme à la Constitution.
: B : Enfin, nous estimons que l'état A annexé à l'article 25 de la loi de Finances pour 1980 n'est pas conforme à la loi organique du 2 janvier 1959.
En effet, et notamment en vertu des articles 1er et 3 de la loi organique, la loi de Finances doit comporter toutes les ressources permanentes de l'Etat et plus particulièrement celles provenant des impôts. Le Projet de loi de Finances doit en outre comporter, conformément à l'article 31 de la loi organique, l'évaluation des voies et moyens assurant l'équilibre financier.
Par ailleurs, l'article 19 de la loi organique fixe les conditions et les modalités de la procédure des fonds de concours.
Toutefois, et même si cet article prévoit que les fonds de concours peuvent autoriser l'affectation de certaines recettes à certaines dépenses, il ne saurait remettre en cause les autres dispositions de la loi organique selon lesquelles le projet de loi de Finances doit comporter l'évaluation de l'ensemble des recettes de l'Etat et notamment des recettes fiscales.
Or, ainsi qu'il ressort très clairement de l'avis émis par la Commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de budget de la fonction publique pour 1980 (avis n 1296, Tome III, pages 22 et suivantes) le projet de loi de Finances pour 1980 ne comportait pas, dans son état A et dans son annexe "voies et moyens" le montant de toutes les recettes qui seront encaissées par le Trésor en 1980 et dont l'évaluation peut être faite à la date du dépôt du projet de loi. Ainsi que le souligne le rapporteur de la Commission des lois, des recettes de nature fiscale sont inscrites partiellement seulement à l'état A, le reste étant englobé dans la ligne "pour mémoire" des recettes des fonds de concours. Une telle pratique, qui aboutit à dissimuler au Parlement une partie importante des recettes fiscales dont l'évaluation est parfaitement possible, constitue à l'évidence une méconnaissance grave de la loi organique. En outre, le montant annuel des fonds de concours étant lui aussi possible à évaluer par référence aux résultats des exercices antérieurs, on comprend mal la persistance avec laquelle le Gouvernement dissimule des sommes importantes au Parlement. Une telle pratique est d'autant moins tolérable que la Cour des comptes signale depuis plusieurs années, dans ses rapports sur les lois de règlement, les abus auxquels donne lieu la gestion des fonds de concours ce qui rend le contrôle du Parlement de plus en plus indispensable et ce qui justifie l'exigence du strict respect des prescriptions de la loi organique.
Tout ceci nous conduit à affirmer que, dans sa présentation même, l'état A annexé à l'article 25 n'était pas conforme à la loi organique et, par suite, à la Constitution.
Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir déclarer non conformes à la Constitution les articles 1er, 5, 25 avec son état A de la loi de Finances pour 1980.
Monsieur le Président,
En application du 2ème alinéa de l'article 61 de la Constitution, j'ai l'honneur de soumettre au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1980 en vue de l'examen de sa conformité à la Constitution au regard de la procédure d'élaboration des lois de finances et notamment de l'article 40 de la loi organique.
Je vous prie, Monsieur le Président, d'agréer l'expression de ma haute considération.
Jacques Chaban-Delmas