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12/07/1979 | FRANCE | N°79-107

France | France, Conseil constitutionnel, 12 juillet 1979, 79-107


Le conseil constitutionnel, Saisi le 3 juillet 1979 par MM Claude Evin, Roland Beix, Philippe Marchand, Michel Crépeau, Alain Chénard, François Autain, Alain Richard, Jean Auroux, Jacques-Antoine Gau, Charles Pistre, André Billardon, Alain Hautecoeur, Alain Bonnet, Laurent Fabius, Georges Fillioud, Louis Mermaz, André Saint-Paul, Henri Lavielle, Pierre Lagorce, Claude Wilquin, René Gaillard, Pierre Joxe, Gilbert Faure, Christian Laurissergues, Roger Duroure, Lucien Pignion, Louis Le Pensec, Claude Michel, François Abadie, Jacques Lavédrine, Mme Marie Jacq, MM Paul Duraffour, François

Massot, Marcel Garrouste, Guy Bêche, Daniel Benoist, Jea...

Le conseil constitutionnel, Saisi le 3 juillet 1979 par MM Claude Evin, Roland Beix, Philippe Marchand, Michel Crépeau, Alain Chénard, François Autain, Alain Richard, Jean Auroux, Jacques-Antoine Gau, Charles Pistre, André Billardon, Alain Hautecoeur, Alain Bonnet, Laurent Fabius, Georges Fillioud, Louis Mermaz, André Saint-Paul, Henri Lavielle, Pierre Lagorce, Claude Wilquin, René Gaillard, Pierre Joxe, Gilbert Faure, Christian Laurissergues, Roger Duroure, Lucien Pignion, Louis Le Pensec, Claude Michel, François Abadie, Jacques Lavédrine, Mme Marie Jacq, MM Paul Duraffour, François Massot, Marcel Garrouste, Guy Bêche, Daniel Benoist, Jean Laurain, Roland Huguet, André Laurent, Pierre Jagoret, Raymond Forni, Jean-Pierre Chevènement, Maurice Andrieu, Bernard Madrelle, Louis Darinot, Maurice Pourchon, Maurice Brugnon, Charles Hernu, Robert Aumont, Raoul Bayou, Bernard Derosier, Edmont Vacant, Yvon Tondon, Christian Pierret, Dominique Taddei, Henri Deschamps, Pierre Forgues, Henri Emmanuelli, Raymond Julien, Louis Besson, Rodolphe Pesce, Jean Poperen, Gérard Bapt, Jacques Santrot et Dominique Dupilet, députés à l'Assemblée nationale, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, du texte de la loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, telle qu'elle a adoptée par le Parlement, et notamment de ses articles 1er, 4 et 6 ;

Vu le Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a pour objet d'autoriser, à titre exceptionnel et temporaire et par dérogation à la loi du 30 juillet 1880, l'institution de redevances pour l'usage d'ouvrages d'art à classer dans la voirie nationale ou départementale, lorsque l'utilité, les dimensions et le coût de ces ouvrages ainsi que le service rendu aux usagers justifient cette opération ;
2. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, ce texte porte atteinte à deux principes fondamentaux de notre droit constitutionnel qui sont la liberté d'aller et venir et l'égalité des citoyens devant la loi et devant les charges publiques ;
3. Considérant, d'une part, que, si la liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle, celui-ci ne saurait faire obstacle à ce que l'utilisation de certains ouvrages donne lieu au versement d'une redevance ; que, si la loi du 30 juillet 1880 dispose : Il ne sera plus construit à l'avenir de ponts à péage sur les routes nationales ou départementales , il ne saurait en résulter que le principe de la gratuité de la circulation sur ces voies publiques doivent être regardé, au sens du préambule de la Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958, comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
4. Considérant, d'autre part, que si le principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes ; qu'en précisant dans son article 4 que l'acte administratif instituant une redevance sur un ouvrage d'art reliant des voies départementales peut prévoir des tarifs différents ou la gratuité, selon les diverses catégories d'usagers, pour tenir compte soit d'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation de l'ouvrage d'art, soit de la situation particulière de certains usagers, et notamment de ceux qui ont leur domicile ou leur lieu de travail dans le ou les départements concernés, la loi dont il s'agit a déterminé des critères qui ne sont contraires ni au principe de l'égalité devant la loi ni à son corollaire, celui de l'égalité devant les charges publiques ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel n'est contraire à aucune disposition de la Constitution ni à aucun principe de valeur constitutionnelle,

Décide :
Article premier :
La loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales soumise à l'examen du Conseil constitutionnel est conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 79-107
Date de la décision : 12/07/1979
Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, tel qu'il a été définitivement adopté le 29 juin 1979.

Nous estimons que les articles 1er, 3 et 5 de cette loi ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs suivants.

Le texte qui vous est déféré a pour objet, modifiant la loi du 30 juillet 1880, d'autoriser l'institution de "redevances pour usages" ou péages sur certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales.

Ce faisant, il porte atteinte à deux principes fondamentaux de notre droit constitutionnel qui sont la liberté d'aller et venir et l'égalité des citoyens devant la loi et devant les charges publiques.

Le réseau routier national, départemental et communal constitue, en effet, un ensemble unique et intégré sur lequel la gratuité, attribut de la liberté de circulation, est de règle.

N'y font exception que les autoroutes mais celles-ci, d'une part, se distinguent du reste du réseau national par leurs caractéristiques propres et, d'autre part, doublent systématiquement et nécessairement celui-ci mais ne le remplacent pas.

Or, dès l'instant où est édifié un pont reliant des voies nationales ou départementales existantes, il s'incorpore automatiquement à celles-ci dont il assure la continuité et doit, comme elles, être d'utilisation gratuite.

Admettre le contraire, en effet, constituerait une intolérable atteinte à la liberté d'aller et venir dans la mesure où certains usagers seraient contraints, pour leurs déplacements les plus normaux, d'acquitter une redevance indûe et, de surcroit, très élevée. Ainsi, s'agissant des ponts reliant une île au continent ou franchissant un estuaire profond, les intéressés n'auront de choix qu'entre ne pas se déplacer ou payer un péage élevé pour emprunter un ouvrage faisant naturellement partie du réseau routier.

A titre d'exemple, les habitants de la commune de Saint-Brévin, qui travaillent à Saint-Nazaire, ou ceux de l'île d'Oléron qui vont quotidiennement sur le continent, devront circuler sur des ponts qui sont des points de passage d'autant plus obligés que leur mise en service a entraîné la disparition des anciens bacs. Ces derniers étaient certes payants (bien qu'à prix modiques) mais ne faisaient pas partie du réseau routier.

Or, l'existence et le montant des péages seront, pour les intéressés, un obstacle difficlement surmontable dans les faits et inadmissible dans le principe. Là est la différence fondamentale avec les autoroutes, dont l'utilisation procède d'un libre choix (entre facilité avec péage ou gratuité avec lenteur), tandis que les ponts reliant des îles au continent ou desservant des estuaires profonds subordonnent impérativement la circulation au paiement d'une redevance. A cet égard, il convient de rappeler que pour aller de Saint-Brévin à Saint-Nazaire sans utiliser le pont à péage, il est nécessaire de parcourir une distance de 120 kilomètres (contre 3 km sur le pont) et de traverser, en outre, l'agglomération et la ville de Nantes.

L'atteinte à la liberté d'aller et venir, liberté essentielle s'il en est, se trouve ainsi nettement caractérisée.

En vain objecterait-on que l'article 3, qui permet des tarifs différentiels ou la gratuité, rétablit une certaine liberté de circulation. D'une part, il ne s'agit là que d'une faculté et non d'une obligation. D'autre part, elle est réservée aux seuls ouvrages reliant des voies départementales.

Enfin, et surtout, cette modalité substituerait une nouvelle inégalité à l'ancienne au lieu de la faire disparaître.

La construction des ponts a, en effet, permis que tous les intéressés puissent utiliser la partie du réseau routier qu'ils constituent pour leurs déplacements nécessaires, alors que cela leur était auparavant interdit parce qu'impossible.

L'habitant de Saint-Brévin travaillant à Saint-Nazaire pourra désormais, comme celui qui réside en banlieue parisienne et occupe un emploi dans la capitale, s'y rendre normalement et sans péage. Mais en instituant des redevances préférentielles sur les ponts, l'égalité serait de nouveau rompue au détriment, cette fois, de ceux qui ne sont pas quotidiennement concernés : le parisien se rendant à Oléron devrait acquitter un péage dont serait dispensé l'insulaire allant à Paris et empruntant le même ouvrage, alors que l'un et l'autre sont dans une situation juridique strictement identique au regard de l'objet de la réglementation, à savoir la libre utilisation du réseau routier.

Dès lors, la gratuité absolue est seule admissible pour tous les ouvrages incorporés au réseau routier national ou départemental et qui constituent des points de passage obligés et uniques. Le péage prévu par le texte porte atteinte à la liberté d'aller et venir et rompt l'égalité entre les citoyens.

A ce double titre, il est donc non conforme à la Constitution.

On soulignera que les deux principes remis en cause par ce texte ont été introduits dans notre droit dès la Déclaration de 1789. Et c'est justement parce que des pratiques fâcheuses les avaient méconnus tout au long du XIXème Siècle que le législateur de 1880 a estimé nécessaire de poser des règles claires, absolues et définitives pour en garantir le respect sur le réseau routier. A cet égard, la loi de 1880 apparait bien comme constituant la consécration solennelle de la gratuité de la circulation routière, corrolaire indispensable de la liberté d'aller et venir, comme l'attestent les précédents du texte, les conditions historiques de son vote et l'intention manifeste de ses auteurs. Tout ceci conduit à penser que la loi de 1880 définit un principe fondamental au sens des principes reconnus par les lois de la République et visés par le Préambule de la Constitution de 1946, la liberté d'aller et venir étant au moins aussi essentielle que celle de s'exprimer librement (1881) ou de s'associer (1901).

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir déclarer non conformes à la Constitution les dispositions des articles 1er, 3 et 5 de la loi qui vous est déférée.


Références :

DC du 12 juillet 1979 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°79-107 DC du 12 juillet 1979
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1979:79.107.DC
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