Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 27 octobre 1978 par MM Raymond Forni, Joseph Franceschi, Alain Richard, Jean Laborde, Maurice Brugnon, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Chevènement, Paul Quilès, Jacques Lavedrine, Martin Malvy, Edmond Vacant, Dominique Dupilet, Claude Wilquin, Alain Savary, Jacques-Antoine Gau, Louis Le Pensec, Mme Marie Jacq, MM Gilbert Faure, Guy Beche, Georges Fillioud, Joseph Vidal, Pierre Forgues, André Chandernagor, Henri Deschamps, Henri Emmanuelli, Alain Vivien, Pierre Prouvost, Georges Lemoine, Claude Evin, René Gaillard, Jean-Yves Le Drian, Jean Poperen, Claude Michel, Jean Auroux, Pierre Lagorce, Laurent Fabius, Alex Raymond, Jean-Pierre Cot, Bernard Derosier, Paul Duraffour, Michel Rocard, Raoul Bayou, François Autain, Maurice Pourchon, André Cellard, Roland Huguet, Maurice Andrieu, Robert Aumont, Alain Hautecoeur, Mme Edwige Avice, MM Louis Mermaz, Rodolphe Pesce, Christian Laurissergues, Michel Crépeau, Jean-Michel Boucheron, Henri Michel, Gérard Haesebroeck, Louis Philibert, Albert Denvers, Daniel Benoist, André Delelis, Christian Pierret, Gilbert Senes, François Massot, et le 2 novembre 1978 par MM Pierre Joxe, Charles Pistre, Jacques Cambolive, André Billardon, Roger Duroure, Raymond Julien, Roland Florian, André Saint-Paul, André Delehedde, Jean-Pierre Defontaine, Pierre Guidoni, députés à l'Assemblée nationale, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale en matière d'exécution des peines privatives de liberté telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, et notamment, de ses articles 1, 2, 4 et 8 ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
1. Considérant que, pour contester la conformité à la Constitution de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, les auteurs de la saisine soutiennent, tout d'abord, que la "période de sûreté" durant laquelle certains condamnés seront exclus du bénéfice de modalités particulières d'exécution de la peine constitue, par son caractère obligatoire et par son automaticité, une peine fixe en contradiction avec la règle qui, pour permettre l'individualisation des peines, impose que le juge conserve un large pouvoir d'appréciation lorsqu'il inflige une sanction pénale, règle dont ils estiment qu'elle constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
2. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir, ensuite, que les peines privatives de liberté étant du domaine de la loi, les modalités d'exécution de ces peines sont, de même, réservées à la loi ; qu'ils en déduisent que les décisions relatives aux modalités d'exécution de ces peines ne peuvent relever que d'une autorité judiciaire statuant en toute indépendance ; que, par suite, seraient contraires à la Constitution :
a) les dispositions de la loi qualifiant "mesures d'administration judiciaire" de telles décisions ;
b) celles attribuant compétence à une commission administrative pour statuer sur des autorisations de sortir ;
c) celles donnant voix délibérative, dans cette commission, à un magistrat du parquet et permettant que le juge du siège qui la préside soit mis en minorité, ces dernières dispositions méconnaissant, selon eux, le principe de la séparation des pouvoirs et celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire;
3. Considérant, enfin, que, selon les auteurs de la saisine, la compétence donnée à la chambre d'accusation pour aménager la période de sûreté consécutive à une condamnation prononcée par la cour d'assises méconnaîtrait la règle de séparation des juridictions d'instruction et des juridictions de jugement dont ils estiment quelle constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
4. Considérant qu'aucun des arguments invoqués ne saurait être retenu ;
5. Considérant en effet, qu'en droit pénal les décisions relatives aux modalités d'exécution des peines sont par nature distinctes de celles par lesquelles celles-ci sont prononcées ; que, par suite, l'application de ceux des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République qui régissent les condamnations ne s'impose pas en ce qui concerne les décisions relatives aux modalités d'exécution des peines ;
6. Considérant, d'une part, que si la loi prévoit l'application d'une "période de sûreté" à certains condamnés frappés d'une peine de longue durée, elle en définit le contenu comme une exclusion pour le condamné de la faculté de bénéficier de modalités particulières d'exécution de la peine privative de liberté qui a été prononcée ; qu'une telle mesure, qui ne concerne que l'exécution d'une peine, ne peut donc être regardée comme constituant elle-même une peine ; que, dès lors, les décisions relatives à son application ne sont pas soumises aux règles qui régissent le prononcé des peines ;
7. Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition de la Constitution ni aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République n'exclut que les modalités d'exécution des peines privatives de liberté soient décidées par des autorités autres que des juridictions ; que, par suite, en qualifiant de "mesures d'administration judiciaire" les décisions qu'elle énumère, prises par le juge d'application des peines ou la commission qu'il préside, aussi bien qu'en remettant à une commission administrative composée en majorité de personnes n'ayant pas la qualité de magistrat du siège le soin d'accorder certaines permissions de sortir, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ne porte atteinte à aucune disposition de la Constitution ni à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
8. Considérant, en second lieu, que des lois ont donné à la chambre d'accusation, juridiction permanente, outre les pouvoirs qu'elle détient en sa qualité de juridiction d'instruction, compétence pour relever les condamnés des déchéances, interdictions ou mesures de publicité prononcées par les cours d'assises ou attachées aux peines infligées par ces juridictions temporaires ; que, dès lors, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ne méconnaît aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République en donnant compétence à la chambre d'accusation pour aménager la période de sûreté en faveur d'un condamné détenu en raison d'une peine prononcée par une cour d'assises et qui "présente des gages exceptionnels de réadaptation sociale" ;
9. Considérant, enfin, qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
La loi modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale en matière d'exécution des peines privatives de liberté est déclarée conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.