SAISINE DEPUTES Conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel, au nom des députés membres du groupe socialiste et apparentés à ce groupe, la loi complétant les dispositions de l'article 7 de la loi n 60-791 du 2 août 1960 relative à l'enseignement et à la formation professionnelle agricoles, telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 30 juin 1978.
Nous estimons, en effet, que cette loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants.
En vertu du quatrième alinéa de l'article premier de l'ordonnance n 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances, "lorsque des dispositions d'ordre législatif () doivent entrainer des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté () tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance".
Or, la loi qui vous est déférée se substitue à celle, pratiquement analogue, votée à la fin de l'année 1977 sur proposition de M Guermeur, député, et que vous avez déclarée non conforme à la Constitution, par votre décision du 18 janvier 1978, justement parce qu'elle était génératrice de charges nouvelles au sens de l'article 40 de la Constitution.
Mais pas plus que cette précédente loi, celle qui vous est déférée aujourd'hui n'a été précédée d'une inscription quelconque de crédits, ni dans la loi des finances pour 1978, ni dans sa première loi rectificative récemment adoptée par le Parlement, ni même dans un décret d'avance intervenu conformément à l'article 11-3 de l'ordonnance organique précitée du 2 janvier 1959.
Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter, d'une part, au budget du ministère de l'agriculture pour 1978 et, d'autre part, à l'article 2 de la loi qui vous est soumise.
S'agissant du budget de l'agriculture pour 1978, seuls intéressent l'enseignement agricole privé les crédits inscrits au chapitre 43-31 (art 70) relatifs aux bourses et majorations de bourses, au chapitre 43-33, relatifs aux subventions de fonctionnement aux établissements reconnus et au chapitre 66-30 concernant les subventions d'équipement à ces mêmes établissements reconnus.
Mais il ressort nettement du projet de loi de finances pour 1978, et notamment du fascicule "bleu" du ministère de l'agriculture, que les mesures nouvelles propres à l'exercice 1978 ne constituent que des "ajustements aux besoins" (crédits du Titre IV) et non des mesures destinées à couvrir des charges afférentes à des actions novatrices par rapport à celles des exercices antérieurs, couvertes par les "services votés" propres à ces divers chapitres.
Au demeurant, la loi de finances pour 1978, dont le projet (n 3120) a été déposé le 10 septembre 1977 sur le Bureau de l'Assemblée nationale, ne tient aucun compte des incidences budgétaires du dispositif de la loi votée à la fin de l'année 1977 et que vous avez déclarée non conforme à la Constitution.
En effet, d'une part, les chiffres du projet de loi de finances sont les mêmes que ceux de la loi de finances définitive, ce qui signifie qu'ils n'ont fait l'objet d'aucun ajustement en cours de débat devant le Parlement ; d'autre part, les crédits afférents aux chapitres précités ont pour seul objet le financement des obligations résultant, pour l'Etat, de la mise en oeuvre de la loi n 60-791 du 2 août 1960 et notamment de son article 7 qui n'intéresse que les établissements reconnus par l'Etat.
Cette interprétation est conforme à celle donnée par le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale (Cf avis n 3148, Tome II de M Brocard, député) : c'est ainsi qu'à une question du rapporteur pour avis relative à l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi d'où est issue la loi qui a fait l'objet de votre décision du 18 janvier 1978, le ministre de l'agriculture a indiqué que ce texte était "appliqué avant la lettre dans l'enseignement agricole privé avec l'existence des conventions" (Doccité, p40). Or, le rapporteur pour avis souligne à ce sujet (même document, p24) que les dispositions de ces conventions "ne sont nullement opposables au Parlement pour la détermination du montant des dotations budgétaires. Le système demeure donc très précaire." Il ne vous échappera pas qu'une telle précarité disparaitrait si la loi qui vous est déférée était promulguée dès lors que viendraient s'ajouter aux établissements reconnus de la loi du 2 août 1960 ceux qui seraient agréés, dès lors également que l'ensemble des charges de fonctionnement de ces établissements se trouveraient calculées par référence aux dotations de l'enseignement public et dès lors, enfin, que le nouveau texte garantit aux établissements, reconnus et agréés, une contribution de l'Etat pour leurs frais d'investissements.
Il est évident, dans ces conditions, qu'aucun crédit préalablement approuvé par le Parlement dans une loi de finances ne permet de faire face, même partiellement, aux dépenses résultant du dispositif de la loi qui vous est déférée. A cet égard, on observera que les crédits des chapitres 43-33 et 66-30 précités sont loin de représenter la somme nécessaire pour mettre en oeuvre, même par étapes, cette nouvelle législation.
Ces constatations se trouvent confirmés par l'article 2 de la loi qui vous est déférée et qui prévoit, expressement, dans son premier alinéa, que les mesures d'aide financière à l'enseignement agricole privé n'interviendront qu'à partir du 1er janvier 1979, c'est à dire lorsque les crédits auront été prévus au budget de 1979, et d'une manière progressive sur les budgets des quatre années suivantes.
D'autre part, non seulement ces charges n'ont pas été prévues et autorisées au sens de la loi organique sur les lois de finances, mais elle n'ont même pas fait l'objet d'une évaluation officiellement communiquée au Parlement par le Gouvernement, auteur du projet de loi n 279 (Sénat) d'où découle la loi qui vous est soumise.
En effet, il ressort nettement, tant des documents parlementaires distribués à l'appui du projet que des débats devant l'Assemblée nationale et le Sénat, que le Gouvernement n'a, à aucun moment, ni à aucun stade de la procédure législative, énoncé publiquement une évaluation des dépenses entrainées par son projet. Seul a été cité le chiffre de 300 millions F, en francs constants 1978 et pour une période de 5 ans ouverte en 1979. Mais ce chiffre n'a été avancé que par les rapporteurs des commissions parlementaires compétentes (Cf Sénat, rapport n 332, p29 et séance du 27 avril 1978, JO page 635 ; Assemblée nationale, séance du 25 mai 1978, JO page 2046), sans que le Gouvernement juge utile de confirmer cette évaluation. Or, dans une matière où l'initiative ne peut dépendre que du Gouvernement, comme l'a souligné votre décision du 18 janvier 1978, toute évaluation qui n'émane pas de lui n'a qu'une valeur indicative, ou anecdotique, et ne saurait valoir, en tout cas, l'évaluation au sens de l'article premier, quatrième alinéa, de la loi organique du 2 janvier 1959.
Ainsi est-il évident qu'en faisant voter un projet de loi entrainant des dépenses nouvelles préalablement au vote des crédits nécessaires, le Gouvernement a gravement méconnu les dispositions de la loi organique sur les lois de finances. On notera d'ailleurs que le Gouvernement a persisté dans cette violation du droit budgétaire malgré l'opposition formulée, dès le 20 juin 1978 devant l'Assemblée nationale par M Delehedde, député, conformément à l'article 92, 5è alinéa, du Réglement de l'Assemblée, et répétée, le 30 juin 1978, dans un rappel au Réglement, par M Serusclat, sénateur, devant le Sénat.
Or, une telle méconnaissance d'une disposition de valeur organique est d'autant plus inadmissible de la part du Gouvernement qu'elle porte une atteinte grave aux droits et prérogatives du Parlement en matière budgétaire et financière.
Il convient de souligner, en effet, que si les articles 39 et 44 de la Constitution posent comme principe que le Gouvernement et les membres du Parlement disposent des mêmes droits en matière d'initiative des lois et d'amendement, plusieurs dispositions organiques ou constitutionnelles, et notamment l'article 40 de la Constitution, apportent à ce principe de larges restrictions en ce qui concerne les membres du Parlement.
C'est ainsi que le Gouvernement a seul, aujourd'hui, l'initiative en matière de dépenses publiques, le Parlement ne pouvant avoir d'influence sur le niveau des crédits que par son pouvoir d'autoriser ou de refuser la dépense ou éventuellement de la réduire.
Toutefois, dans la limite des crédits ainsi votés, le Parlement peut retrouver la plénitude de ses droits puisque ses initiatives, qu'il s'agisse d'une proposition de loi ou d'un amendement, ont alors pour seul objet de fixer les modalités d'exécution des charges publiques préalablement proposées par le Gouvernement et votées par les assemblées.
En inversant la procédure prévue par l'article premier, quatrième alinéa, de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, le Gouvernement, agissant en vertu du droit de priorité qu'il tient de l'article 48 de la Constitution, a abusivement privé le Parlement des droits qui lui sont reconnus par la Constitution, la loi organique précitée et les réglements des assemblées. Il n'est qu'à se reporter aux débats sur la loi qui vous est déférée pour constater que l'article 40 de la Constitution a du être évoqué et appliqué à de nombreuses reprises, même si cette disposition n'a pas permis d'éliminer absolument tous les amendements d'origine parlementaire et générateurs de charges nouvelles.
D'autre part, la loi organique sur les lois de finances prévoit des règles strictes de présentation et de vote des lois de finances et toute méconnaissance de ces règles ne peut que réduire les droits du Parlement.
En effet, il convient de rappeler que le Parlement procède d'abord au vote des recettes et que c'est au vu de celles-ci qu'il fixe le montant global et maximum des dépenses du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor, de manière à aboutir à l'équilibre prévu par la loi organique.
Aussi, toute dépense qui s'impose à l'Etat sans avoir été préalablement prévue, évaluée et autorisée par une loi de finances contraint pratiquement le Parlement soit à fixer en conséquence le montant des recettes publiques, soit à accepter les réductions qui lui sont proposées par le Gouvernement sur d'autres chapitres budgétaires. Dans un cas comme dans l'autre, il en résulte une contrainte et une sensible réduction du pouvoir d'appréciation des assemblées.
En outre, si les "services votés" sont soumis à un vote unique et global dans chaque assemblée, en vertu de l'article 41 de la loi organique sur les lois de finances, il n'en va pas de même pour les "autorisations nouvelles" qui doivent être clairement justifiées et explicitées par le Gouvernement et que le Parlement discute largement avant de les approuver, de les rejeter ou de les réduire en statuant par titre et par ministère.
Aussi, si la loi qui vous est déférée devait être promulguée, on ne voit pas comment le Parlement pourrait discuter, ou même refuser, les crédits nécessaires à sa mise en oeuvre dès lors que les bénéficiaires de ce texte pourraient, en attaquant l'Etat en responsabilité, obtenir de la justice les crédits que les assemblées leur auraient refusés aux titres IV et VI du budget du ministère de l'agriculture.
On observera par ailleurs que la loi qui vous est déférée ne contrevient pas seulement aux dispositions du quatrième alinéa de l'article premier de la loi organique sur les lois de finances.
En effet, l'article 7 quater, qu'elle ajoute à la loi du 2 août 1960, prévoit que l'Etat contribue aux frais d'investissement des établissements reconnus ou agréés, tandis que son article 2, déjà cité, prévoit que les dépenses seront étalées sur cinq ans à partir du 1er janvier 1979.
Or, s'agissant de dépenses d'investissement, cette disposition aurait dû normalement faire l'objet d'une "loi de programme" regroupant les autorisations de programme afférentes à cette disposition particulière, conformément à l'avant dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution et au dernier alinéa de l'article premier de la loi organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.
Le quatrième alinéa de l'article premier de la loi organique sur les lois de finances est un très vieux principe de droit budgétaire et parlementaire et ce serait en vain que l'on soutiendrait qu'il serait soit dépassé, soit tombé en désuétude.
En effet, l'article premier, alinéa 4, de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, ne fait que reprendre, sous une autre forme, le dispositif de l'article 10 du décret n 56-601 du 19 juin 1956, fondement du droit budgétaire dans les dernières années de la IVème République. Mais ce décret ne faisait, lui-même, que reprendre, pour en généraliser la portée, plusieurs dispositions antérieures tendant au même objet, notamment l'ordonnance du 6 janvier 1945 interdisant la création de services ou d'emplois nouveaux avant l'ouverture des crédits et la loi du 31 janvier 1950 interdisant toute décision réglementaire créant des dépenses nouvelles sans ouverture préalable d'un crédit. En l'insérant dans une loi organique, à laquelle le Conseil constitutionnel accorde une valeur analogue à celle de la Constitution, la Vème République a érigé cette disposition en principe fondamental constitutionnel du droit budgétaire et de l'équilibre des pouvoirs financiers respectifs du Gouvernement et du Parlement.
Ce principe est constamment appliqué en matière réglementaire.
C'est ainsi, par exemple, que le ministre responsable du budget, se fondant justement sur l'article premier, quatrième alinéa, de la loi organique du 2 janvier 1959, s'oppose constamment à tous les projets de texte, législatifs ou réglementaires, qui entrainent des dépenses nouvelles qui n'ont pas été préalablement acceptées par le Parlement ou ouvertes par un décret d'avance soumis à ratification parlementaire.
D'autre part, lorsque des textes réglementaires interviennent en violation de ce principe, le Conseil d'Etat, saisi par la voie du recours pour excès de pouvoir, ne manque pas de prononcer les annulations nécessaires : on peut citer, à cet égard, de très nombreuses décisions, et notamment l'arrêt d'assemblée du 5 mars 1948 (Sieur Wuillaume et autres, Rec p117-118), ainsi que l'arrêt du 23 avril 1958 (Syndicat CGT-FO de l'administration centrale du ministère de l'intérieur, Rec p227). On peut également citer, s'agissant d'appliquer un principe analogue relatif aux transformations d'emplois par décret en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat (art 1er, alinéa 5, de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959), l'arrêt du 17 avril 1970 (Martin, Rec p252).
Il serait pour le moins étonnant que ce principe, qui s'impose à la fois aux actes législatifs et aux actes réglementaires, ne soit pas appliqué avec autant de rigueur aux textes législatifs par le Conseil constitutionnel qu'il ne l'est aux textes réglementaires par le Conseil d'Etat, dès lors, au surplus, que c'est la même disposition organique qui s'applique dans un cas comme dans l'autre.
Sans doute est-il exact que ce principe n'est pas toujours parfaitement respecté en ce qui concerne la discussion et le vote des projets de loi. Mais il n'est pas pour autant méconnu au Parlement.
Outre les références qui y sont faites par les interventions déjà citées de MM Delehedde, député, et Sérusclat, sénateur, il convient de souligner que le 25 mai 1978, dans son rapport n 294, M Icart, député, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du plan de l'Assemblée nationale, a rappelé, au dernier paragraphe de la page 32, que les assemblées ne pouvaient délibérer et voter le dispositif du pacte national pour l'emploi qu'après avoir fixé le montant des crédits nécessaires dans la première loi de finances rectificative pour 1978.
Mais s'il est de fait que dans l'affaire du Pacte national pour l'emploi les principes posés par la loi organique sur les lois de finances ont été correctement appliqués, il n'en est pas toujours de même et le Parlement a déjà eu l'occasion de s'inquiéter de la fréquente méconnaissance, par le Gouvernement, de l'article premier, quatrième alinéa, de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
C'est ainsi que dans son rapport n 2064 du 19 novembre 1971, M Charbonnel, député et président de la commission des finances de l'Assemblée nationale soulignait (p51-52) que l'article premier, quatrième alinéa, de la loi organique précitée "pourrait, sinon éluder, du moins retarder jusqu'à l'adoption d'une loi de finances, le vote de certains projets comportant des implications financières. Mais, dans ce domaine, où les infractions sont pourtant fort nombreuses, la loi organique demeure inappliquée".
Il est tout à fait exact que le Gouvernement : et la loi qui vous est déférée en constitue la preuve : n'a jamais tenu compte des observations qui lui étaient faites à ce sujet au sein du Parlement. Mais on ne peut pas s'empêcher de penser que cette curieuse attitude n'a été justifiée que par la constante absence de sanctions aux violations répétées, en matière législative, de ce principe du droit budgétaire. Jusqu'ici, en effet, le Conseil constitutionnel n'a jamais été saisi d'un manquement à ce principe, et le rapport précité de M Charbonnel a été publié alors que députés et sénateurs n'avaient pas encore reçu le droit d'agir auprès du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 61 de la Constitution. De leur côté, les présidents des assemblées parlementaires n'avaient pas jugé utile de mettre en oeuvre leur droit de saisine à ce sujet. Mais on notera que le Gouvernement avait également manifesté la plus grande indifférence aux nombreuses observations des membres du Parlement concernant les violations de la loi organique sur les lois de finances, jusqu'au moment où le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante députés, a contraint le pouvoir exécutif au respect de la loi organique (Cf vos décisions du 30 décembre 1974 sur la notion de "services votés" et du 28 décembre 1976 sur l'application de l'article 42 de la loi organique).
Aussi, compte-tenu, d'une part, de l'importance des sommes en jeu et de l'imprécision dans laquelle le Gouvernement a laissé délibérer et voter le Parlement, et, d'autre part, du refus de donner la moindre suite, ou même la moindre explication, aux observations précitées de MM Delehedde, député, et Sérusclat, sénateur, nous estimons indispensable que le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité à la Constitution de la loi qui lui est déférée et défende, en la circonstance, les droits gravement méconnus du Parlement.
On pourrait sans doute soutenir que le Parlement, dûment informé des dispositions de la loi organique, a eu la possibilité de se prononcer.
Mais ceci ne saurait influer, en l'espèce, sur la décision du Conseil constitutionnel qui n'a pas hésité à déclarer non conforme à la Constitution un crédit inscrit dans le projet de loi de finances pour 1975 en violation de la loi organique tout en soulignant que le Parlement avait eu la possibilité de se prononcer (Cf votre décision précitée du 30 décembre 1974).
D'autre part, et contrairement à la réponse qui a été faite à M André Delehedde, député, par le président de séance (1ère séance du 20 juin 1978), il ne nous était pas possible de déposer, à l'encontre de la loi qui vous est soumise, l'exception d'irrecevabilité prévue à l'article 91, alinéa 4, du Règlement de l'Assemblée nationale. En effet, une telle exception est mise aux voix, aux termes mêmes de l'article précité du Règlement, avant la discussion des articles d'un projet ou d'une proposition de loi. Or, comme l'a fort justement souligné M Delehedde, aucune disposition constitutionnelle ou organique n'interdisait au Parlement de discuter et de voter les articles du projet d'où est issue la loi qui vous est déférée. Seul était interdit, par l'article premier, quatrième alinéa, de la loi organique sur les lois de finances le vote final de ce texte, qui a eu lieu le 30 juin 1978 au Sénat et que seul le Gouvernement, agissant en vertu de l'article 48 de la Constitution, pouvait et devait ajourner jusqu'à la promulgation d'une loi de finances ouvrant les crédits nécessaires ou, à défaut, jusqu'à la publication d'un décret d'avance. A moins qu'il ne soit pas possible de soutenir que la loi organique, qui comporte de très nombreuses dispositions de procédure parlementaire dérogatoires aux procédures normales prévues par la Constitution, permet au Président de l'assemblée intéressée, par dérogation à l'article 48 de la Constitution et par application de l'article premier, alinéa quatre, de la loi organique relative aux lois de finances, de prononcer le retrait de l'ordre du jour prioritaire d'un projet de loi générateur de charges nouvelles lorsque ce projet n'a pas été précédé des ouvertures de crédits nécessaires.
Pour ces divers motifs, nous avons l'honneur de vous demander de bien vouloir déclarer non conforme à la Constitution, la loi complétant l'article 7 de la loi n 60-791 du 2 août 1960.
SAISINE SENATEURS En vertu de l'article 61 de la Constitution, conformément au deuxième alinéa, nous avons l'honneur de déférer au Conseil Constitutionnel la loi complétant les dispositions de l'article 7 de la loi n 60-791 du 2 août 1960 relative à l'enseignement et à la formation professionnelle agricoles.
Notre requête est fondée sur les motifs suivants : Le texte du projet de loi disposait initialement en son article premier, 6ème alinéa, que des décrets en Conseil d'Etat fixaient les conditions générales et les modalités de la reconnaissance, mise en oeuvre par le texte.
A la suite des examens successifs par le Sénat et par l'Assemblée Nationale, les modalités de la reconnaissance ont été déplacées à l'alinéa suivant qui dispose que des conventions passées entre le ministère de l'Agriculture et les organisations représentatives de l'enseignement précisent les modalités d'application des décrets.
En faisant passer les modalités du niveau réglementaire au niveau contractuel, c'est-à-dire à une norme juridique inférieure, le législateur a amputé le pouvoir réglementaire d'une partie de ses attributions et il a ce faisant agi en violation de la Constitution.
En effet, l'article 21 de la Constitution dispose formellement que le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire. Certes, il est possible qu'il en délègue l'exercice à des agents qui lui sont soumis hiérarchiquement, voire même qu'il s'en dessaisisse en tout ou partie. Dans tous les cas, il conserve le droit de révoquer cette délégation, donc l'intégralité de ses prérogatives constitutionnelles.
Dans l'espèce, le Parlement a limité cette prérogative, et alors même qu'il n'est pas détenteur de ce pouvoir.
La lettre comme l'esprit de la Constitution de 1958 assignent au Parlement un domaine d'action strictement délimité. Ceci est particulièrement caractéristique au niveau de la répartition des compétences en matière législative et réglementaire ; l'article 37 de la Constitution a conféré un domaine général au règlement, alors que l'article 34 ne comporte qu'une énumération nécessairement limitative du domaine de la loi.
Aussi bien, la Constitution, loin de reconnaître au Parlement un droit d'intervention général et absolu, l'assigne-t-elle dans un cadre bien délimité.
Au surplus, l'intervention du législateur dans un domaine infra-réglementaire est doublement réprochable.
D'une part, elle s'établit au niveau d'une norme juridique que la Constitution, et donc le législateur, ne connaît pas en dehors de la loi et du règlement. D'autre part, elle ravale au niveau contractuel les modalités d'application d'un texte promulgué en 1960, que la présente loi complète, et que le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 6 janvier 1978 (Syndicat national de l'Enseignement technique agricole public) a précisément considéré comme appartenant au domaine du réglement et que les conventions ne pouvaient régir cette matière.
Pour ces motifs, nous vous demandons de bien vouloir déclarer la loi précitée non conforme à la Constitution.