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10/07/2025 | CEDH | N°001-244006

CEDH | CEDH, AFFAIRE WULFFAERT ET WULFFAERT BEHEER NV c. BELGIQUE , 2025, 001-244006


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE WULFFAERT ET WULFFAERT BEHEER NV c. BELGIQUE

(Requête no 76634/16)

ARRÊT


Art. 7 • Méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce • Condamnation pénale pour la réalisation de travaux urbanistiques punissables au moment de leur commission, qui ne l’étaient plus au moment de la déclaration de culpabilité des requérants

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

10 juillet 2025

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44

§ 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Wulffaert et Wulffaert Beheer NV c. Belgique,...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE WULFFAERT ET WULFFAERT BEHEER NV c. BELGIQUE

(Requête no 76634/16)

ARRÊT

Art. 7 • Méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce • Condamnation pénale pour la réalisation de travaux urbanistiques punissables au moment de leur commission, qui ne l’étaient plus au moment de la déclaration de culpabilité des requérants

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

10 juillet 2025

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Wulffaert et Wulffaert Beheer NV c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ivana Jelić, présidente,
Erik Wennerström,
Frédéric Krenc,
Davor Derenčinović,
Alain Chablais,
Artūrs Kučs,
Anna Adamska-Gallant, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière de section,

Vu :

la requête (no 76634/16) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont deux ressortissants de cet État, M. Yves Jeannine Wulffaert et M. Norbert Karel Wulffaert, ainsi que la société anonyme de droit belge Wulffaert Beheer (« les requérants ») ont saisi la Cour le 6 décembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») le grief relatif au principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce (article 7 de la Convention) et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 juin 2025,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la condamnation pénale des requérants du chef de plusieurs infractions urbanistiques, en dépit d’un arrêté d’exécution adopté après la commission des faits mais avant leur condamnation et qui, selon les requérants, exemptait les faits de toute répression pénale. Invoquant l’article 7 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été déclarés coupables de faits qui n’étaient plus, selon eux, punissables au moment de leur condamnation et ils revendiquent le bénéfice du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce.

EN FAIT

2. Les renseignements relatifs aux requérants figurent dans le tableau joint en annexe. Les requérants ont été représentés par Me S. Boullart, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

4. Le requérant M. Norbert Karel Wulffaert, né en 1941, est décédé le 5 octobre 2020. Son épouse, Mme Rita Cecilia De Mits, a manifesté son souhait de poursuivre la procédure qu’il avait engagée devant la Cour.

5. Lors d’un contrôle de police effectué le 5 avril 2011, il fut constaté que des travaux de construction étaient en cours de réalisation sur une parcelle de terrain appartenant aux requérants. Les inspecteurs de police donnèrent immédiatement l’ordre de suspendre les travaux. Cet ordre fut confirmé par l’inspecteur régional de l’urbanisme le 15 avril 2011.

6. Le 19 juillet 2011, l’inspecteur régional de l’urbanisme établit un procès-verbal relatif aux travaux réalisés par les requérants, constatant qu’un certain nombre de ces travaux n’étaient pas conformes à l’autorisation urbanistique qui avait été délivrée le 27 novembre 2007.

7. Par un jugement du 8 avril 2014, le tribunal correctionnel de Gand condamna les requérants du chef de plusieurs infractions urbanistiques. Les intéressés furent déclarés coupables d’avoir fait construire une maison dont les caractéristiques n’étaient pas conformes à l’autorisation urbanistique qui avait été délivrée. Ils furent également condamnés pour avoir érigé sans autorisation urbanistique une allée pavée, un sentier en pierre bleue, une terrasse à l’arrière, une terrasse en bois sur le côté, un sentier en brique rouge ainsi qu’un abri de jardin sur leur propriété (ci-après « les travaux litigieux »). Le tribunal constata que les travaux litigieux constituaient des infractions en vertu de l’article 99, § 1, alinéas 1 et 2, et de l’article 146, alinéa 1, 1o du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l’aménagement du territoire (paragraphe 12 ci-dessous) pour la période infractionnelle allant du 15 mars 2008 au 1er septembre 2009, et en vertu de l’article 6.1.1 alinéa 1.1o et alinéa 2 du code flamand de l’aménagement du territoire (paragraphe 14 ci-dessous) en ce qui concernait la période infractionnelle s’étendant du 1er septembre 2009 au 15 mars 2010.

Le tribunal prononça une peine d’amende de 2 000 euros (EUR) à l’égard de chacun des requérants, majorée des décimes additionnels, soit 11 000 EUR chacun. Les intéressés furent également condamnés à effectuer des travaux de mise en conformité avec l’autorisation urbanistique ainsi qu’à démolir les autres constructions illégales érigées sur le terrain.

8. Les requérants et le ministère public interjetèrent appel du jugement.

9. Par un arrêt du 18 juin 2015, la cour d’appel de Gand confirma le jugement entrepris ainsi que la peine prononcée sous réserve de quelques corrections relatives aux chefs de prévention. Concernant l’argument des requérants selon lequel ils bénéficiaient d’une exemption de l’obligation d’autorisation urbanistique à propos des travaux litigieux, la cour d’appel constata que l’arrêté du Gouvernement flamand du 16 juillet 2010 prévoyant une telle exemption était entré en vigueur après la réalisation des travaux litigieux (paragraphe 15 ci-dessous). Elle considéra que lesdits travaux étaient ainsi soumis à une autorisation urbanistique sous l’empire de l’arrêté du Gouvernement flamand du 14 avril 2000 (paragraphe 13 ci-dessous). Elle estima que le fait qu’une exemption était désormais prévue par l’arrêté du 16 juillet 2010 n’enlevait rien au caractère répréhensible des faits qui avaient été commis au moment où l’arrêté du 14 avril 2000 était encore en vigueur.

10. Les requérants se pourvurent en cassation. Dans la deuxième et jusqu’à la sixième branches de son premier moyen formulé à l’appui de son pourvoi, le premier requérant invoquait une violation notamment de l’article 2 alinéa 2 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessous) et de l’article 149 de la Constitution (obligation de motivation des jugements et arrêts). Il soutenait que si, au moment des faits, les travaux litigieux étaient soumis à une autorisation urbanistique en vertu de l’arrêté du 14 avril 2000 (paragraphe 13 ci-dessous), au moment de sa condamnation, lesdits travaux ne requéraient pas une telle autorisation conformément à l’arrêté du 16 juillet 2010 (paragraphe 15 ci‑dessous).

11. Par un arrêt du 7 juin 2016 (P.15.0990.N), la Cour de cassation rejeta les pourvois. Concernant le moyen résumé ci-dessus (paragraphe 10), elle constata que le fait d’avoir exécuté des travaux de construction sans avoir demandé l’autorisation urbanistique requise était puni au moment des faits par l’article 99, § 1, alinéas 1 et 2, et l’article 146, alinéa 1, 1o du décret du Conseil flamand du 18 mai 1999 (paragraphe 12 ci-dessous) et, à compter du 1er septembre 2009, des mêmes peines par l’article 4.2.1.1o, a) et b), et l’article 6.1.1, alinéa 1, 1o du code flamand de l’aménagement du territoire (paragraphe 14 ci-dessous). Elle releva que l’arrêté du Gouvernement flamand du 14 avril 2000 et celui du 16 juillet 2010 portaient exécution respectivement du décret et du code précités qui accordaient au Gouvernement flamand la compétence de déterminer une liste des actes pour lesquels une autorisation urbanistique n’était pas requise. Or elle considéra que la possibilité d’exemption d’autorisation urbanistique devait être examinée à la lumière de l’arrêté en vigueur au moment de la réalisation des travaux. Elle estima qu’il ne résultait pas de l’article 2 alinéa 2 du code pénal qu’une exemption accordée après la réalisation de travaux de construction prévue par un arrêté du Gouvernement flamand modifié devait être appliquée comme étant la loi pénale plus favorable. Elle jugea en effet que cette disposition légale n’était pas applicable lorsqu’un arrêté antérieur était remplacé par un arrêté postérieur qui avait été pris en exécution du même acte ayant force de loi que l’arrêté antérieur, ou en exécution d’un acte ayant force de loi modifié dont le caractère répréhensible était resté intact comme celui de l’acte original ayant force de loi. Ainsi, elle considéra que les faits qui, sous l’empire de l’arrêté antérieur, étaient punissables au moment de leur commission restaient condamnables, même si ensuite, en vertu de l’arrêté postérieur, ces faits n’étaient plus punissables au moment du prononcé de la décision judiciaire. Elle conclut donc que l’arrêt de la cour d’appel avait légalement justifié la déclaration de culpabilité du premier requérant du chef de la prévention litigieuse.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

1. L’ÉVOLUTION DES DISPOSITIONS RELATIVES AUX INFRACTIONS URBANISTIQUES LITIGIEUSES
1. Les dispositions en vigueur au moment de la réalisation des travaux

12. En leurs parties pertinentes, les dispositions en cause du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l’aménagement du territoire (Decreet houdende de organisatie van de ruimtelijke ordening) prévoyaient ce qui suit :

Article 99

« § 1er. Personne ne peut, sans autorisation urbanistique préalable :

1o construire ou ériger sur un terrain une ou plusieurs installations fixes, démolir, reconstruire, transformer ou agrandir une installation fixe existante ou un immeuble existant, à l’exception des travaux de maintenance ou d’entretien ; (...)

Il convient d’entendre par la construction et l’érection d’installations fixes, telles que visées à l’alinéa premier, 1o, l’érection d’un bâtiment ou d’une construction ou le montage d’une installation, même composée de matériaux non durables, ancré dans le sol, attaché au sol ou s’appuyant sur le sol pour des raisons de stabilité, et destiné à rester sur place, même si l’installation peut être démontée, déplacée ou qu’elle est souterraine. Cette notion vise aussi le rassemblement fonctionnel de matériaux créant une installation fixe ou une construction, et l’aménagement de revêtements. (...)

§ 2. Le Gouvernement flamand peut déterminer la liste des travaux, opérations et modifications qui ne nécessitent pas d’autorisation urbanistique en raison de leur nature et/ou de leur ampleur, par dérogation au § 1er. (...) »

Article 146

« Est punie d’un emprisonnement de 8 jours à 5 ans et d’une amende de 26 francs [belges] à 400 000 francs [belges] ou de l’une de ces peines, quiconque :

1o exécute, poursuit ou maintient les opérations, travaux ou modifications définis aux articles 99 et 101, soit sans permis préalable, soit en contravention du permis, soit après déchéance, annulation ou échéance du délai du permis, soit en cas de suspension du permis ;

(...) »

13. L’arrêté du Gouvernement flamand du 14 avril 2000 portant détermination des modifications de fonction subordonnées à un permis et des travaux, actes et modifications qui ne requièrent pas d’autorisation urbanistique (Besluit van de Vlaamse Regering tot bepaling van de vergunningsplichtige functiewijzigingen en van de werken, handelingen en wijzigingen waarvoor geen stedenbouwkundige vergunning nodig is) pris en application de l’article 99 § 2 du décret précité se lisait comme suit :

Article 3

« Une autorisation urbanistique n’est pas nécessaire pour les travaux, les actes et les modifications suivants qui peuvent être exécutés pour autant qu’ils n’aillent pas à l’encontre des prescriptions urbanistiques, des permis de bâtir et de lotir, des plans d’exécution urbanistique, des autorisations urbanistiques ou des permis de bâtir, sous réserve des dispositions d’autres règlements en la matière :

(...)

6o la pose des revêtements suivants sur la hauteur du terrain naturel aux environs immédiats des immeubles pour lesquels est délivré un permis :

a) les accès et les montées d’accès à l’immeuble ou aux immeubles qui sont strictement nécessaires ;

b) les sentiers de jardin dans la zone du jardin latéral ou arrière ;

c) les terrasses pour autant qu’elles ne se situent pas dans la zone du jardin de devant, qu’elles se situent à 1 mètre au moins des limites latérales et arrière des parcelles et qu’elles n’excèdent pas 50 mètres carrés.

Il convient d’entendre par environs immédiats l’espace situé dans un rayon de 30 mètres de l’extrême limite de l’immeuble ;

(...)

11o le placement aux environs immédiats d’un immeuble pour lequel est délivré un permis de dispositifs faisant partie de l’équipement normal de jardin, tels que :

a) au maximum, un pavillon de jardin en bois ou bien un abri pour animaux ou bien un pigeonnier.

La construction doit être érigée ou bien contre un mur existant pour lequel est délivré un permis ou bien à au moins 1 mètre de la limite de parcelle. La superficie maximale ne peut être supérieure à 6 mètres carrés. La construction en question ne peut être érigée dans le jardin de devant. La hauteur de corniche est limitée à 2,50 mètres ; la hauteur de faîte est limitée à 3 mètres ;

(...) »

2. Les dispositions en vigueur au moment de la condamnation

14. Le code flamand de l’aménagement du territoire (Vlaamse Codex Ruimtelijke Ordening) du 26 mai 2009, entré en vigueur le 1er septembre 2009, prévoit notamment ce qui suit :

Article 4.2.1

« Personne ne peut, sans permis d’environnement préalable pour les actes urbanistiques :

1o effectuer les travaux de construction suivants, exception faite pour les travaux d’entretien :

a) l’édification ou la pose d’une construction,

b) le regroupement fonctionnel de matériaux créant de ce fait une construction ;

(...) »

Article 4.2.3

« Le Gouvernement flamand détermine la liste des actes pour lesquels, en dérogation à l’article 4.2.1, un permis d’environnement pour actes urbanistiques n’est pas requis.

Il tient compte :

1o du caractère temporaire ou occasionnel des actes, ou ;

2o de l’impact spatial des actes en raison de leur ampleur, de leur nature ou de leur emplacement.

(...) »

15. En ses parties pertinentes, l’article 2.1 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 16 juillet 2010 portant détermination des actes qui ne requièrent pas d’autorisation urbanistique (Besluit van de Vlaamse Regering tot bepaling van handelingen waarvoor geen stedenbouwkundige vergunning nodig is), entré en vigueur le 1er décembre 2010, précise ce qui suit :

« Une autorisation urbanistique n’est pas requise pour les actes suivants : (...)

8o des constructions non couvertes jusqu’à 80 mètres carrés par bien au maximum, y compris toutes les constructions non couvertes existantes, dans le jardin latéral et le jardin derrière la maison, jusqu’à 1 mètre des limites de la parcelle ;

9o les voies d’accès et les allées strictement nécessaires vers le bâtiment ou les bâtiments ; (...)

11o des annexes isolées du bâtiment principal qui ne sont pas destinées au séjour, y compris des abri-garages, dans le jardin latéral jusqu’à 3 mètres des limites de la parcelle ou dans le jardin derrière la maison jusqu’à 1 mètre des limites de la parcelle. Les annexes isolées peuvent également être placées sur ou contre la limite de la parcelle dans le jardin derrière la maison lorsqu’elles sont construites contre un mur de séparation existant et lorsque le mur de séparation existant n’est pas modifié. La superficie totale reste limitée à 40 mètres carrés au maximum par bien, y compris toutes les annexes isolées existantes. La hauteur est limitée à 3 mètres ;

(...) »

2. Le cadre juridique relatif au principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce

16. L’article 14 de la Constitution dispose ce qui suit :

« Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi. »

17. L’article 2 du code pénal se lit comme suit :

« Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n’étaient pas portées par la loi avant que l’infraction fût commise.

Si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l’infraction, la peine la moins forte sera appliquée. »

18. La Cour de cassation a jugé que l’article 2 alinéa 2 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessus) ne s’applique pas lorsqu’un arrêté d’exécution antérieur est remplacé par un arrêté postérieur pris en exécution de la même loi sans que la loi elle-même ait été modifiée. Dans un tel cas, des faits qui, en vertu de l’arrêté antérieur, étaient punissables au moment où ils ont été commis, restent condamnables, même si, en vertu de l’arrêté postérieur pris en exécution de la même loi qui n’a pas été modifiée, ils ne constituent plus un fait punissable au moment où le jugement a été rendu (Cass., 29 février 1932, Pas., 1932, I, 87 ; Cass., 29 octobre 1985, Arr. Cass., 1985-86, 279 ; Cass., 10 décembre 1991, Arr. Cass., 1991-92, 326 ; Cass., 27 mai 1992, RDP, 1992, 875 ; Cass., 21 février 1995, AJT, 1995-96, 140 ; Cass., 30 avril 2002, RG P.00.1767.N ; Cass., 20 novembre 2007, P.07.1109.N ; Cass., 7 juin 2016, P.15.0135.N).

19. Dans un arrêt du 23 juin 2015 (P.14.0582.N), la Cour de cassation a précisé que la règle consacrée par l’article 7 de la Convention, l’article 2 alinéa 2 du code pénal et le principe général du droit relatif à l’application de la loi pénale plus favorable ne sont applicables que si la loi en vigueur au moment du prononcé de la décision judiciaire diffère de la loi en vigueur au moment de la commission de l’infraction. Pour la Cour de cassation, le fait que la disposition pénale n’ait pas été changée montrait l’intention du législateur de maintenir la répression de faits délictueux sans que cela empêchât la modification d’un arrêté d’exécution qui était par nature temporaire et changeant.

EN DROIT

1. SUR LE LOCUS STANDI DE LA VEUVE DU DEUXIÈME REQUÉRANT

20. Après le décès du deuxième requérant, M. Norbert Wulffaert, sa veuve et héritière a manifesté son souhait de poursuivre la procédure qu’il avait engagée devant la Cour (paragraphe 4 ci-dessus). Eu égard à l’objet de la requête et aux éléments dont elle dispose, la Cour estime que l’intéressée a un intérêt suffisant à la poursuite de l’examen de la requête et lui reconnaît dès lors la qualité pour se substituer au deuxième requérant (voir, en ce qui concerne la reprise d’instance par l’époux du défunt dans le cadre de griefs relatifs à l’article 6 de la Convention, López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13, §§ 72-73, 17 octobre 2019, et Léotard c. France, no 41298/21, § 81, 14 décembre 2023). Pour des raisons de commodité, le présent arrêt continuera d’appeler M. Norbert Wulffaert le « requérant » bien qu’il faille désormais attribuer cette qualité à son épouse (Bodson et autres c. Belgique, nos 35834/22 et 15 autres, § 56, 16 janvier 2025).

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

21. Les requérants se plaignent d’avoir été condamnés pénalement pour des travaux ayant été réalisés par eux sans autorisation urbanistique alors qu’au moment de leur condamnation, l’arrêté du Gouvernement flamand en vigueur exemptait certains de ces travaux d’une autorisation urbanistique. Ils invoquent le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce tel qu’il est garanti par l’article 7 de la Convention, qui dans sa partie pertinente est ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

1. Sur la recevabilité

22. Dans ses dernières observations relatives à la demande de satisfaction équitable, le Gouvernement sollicite le rejet de la demande des requérants au motif que les intéressés n’auraient pas soulevé de grief tiré d’une violation de l’article 7 de la Convention devant les juridictions internes et qu’ils n’auraient donc pas épuisé les voies de recours internes.

23. La Cour rappelle que, lorsqu’une requête a été communiquée au gouvernement défendeur tel que c’est le cas en l’espèce, elle ne peut soulever proprio motu le défaut d’épuisement des voies de recours internes par le requérant (Missaoui et Akhandaf c. Belgique (déc.), no 54795/21, § 47, 3 septembre 2024, et les références qui y sont citées). Aussi, à supposer que le Gouvernement ait souhaité, par la remarque précitée (paragraphe 22 ci‑dessus), soulever implicitement une exception d’irrecevabilité, la Cour considère qu’il est forclos à exciper du non-épuisement des voies de recours internes à ce stade de la procédure en application de l’article 55 du règlement (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 52, 15 décembre 2016, Fabbri et autres c. Saint-Marin [GC], nos 6319/21 et 2 autres, §§ 53 et 55, 24 septembre 2024, et les références qui y sont citées). En effet, le Gouvernement n’a fait état d’aucun obstacle qui l’aurait empêché de soulever cette exception dans ses premières observations (Fabbri et autres, § 55) et la Cour estime qu’il n’existe en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle de nature à exonérer le Gouvernement de son obligation de la soulever en temps utile (Khlaifia et autres, précité, § 52).

24. Par ailleurs, constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Les requérants

25. Les requérants plaident que leur condamnation pénale à raison de la réalisation sans autorisation urbanistique d’une allée pavée, d’un sentier en pierre bleue, d’une terrasse à l’arrière, d’une terrasse en bois sur le côté, d’un sentier en brique rouge ainsi que d’un abri de jardin sur leur propriété (« les travaux litigieux ») s’analyse en une violation de l’article 7 de la Convention dès lors que, selon eux, les travaux litigieux n’étaient pas soumis, au moment du prononcé des décisions judiciaires, à une autorisation urbanistique en vertu de l’article 2.1, 8o, 9o et 11o de l’arrêté du Gouvernement flamand du 16 juillet 2010 (paragraphe 15 ci-dessus). Ils estiment que les juridictions internes auraient dû appliquer la loi pénale plus douce et donc les acquitter en ce qui concernait les travaux litigieux.

26. Les requérants font valoir que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce est inscrit à l’article 2 alinéa 2 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessus). Ils allèguent que la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle a également été appliquée en l’espèce, est contraire à l’article 7 de la Convention. Se référant à la jurisprudence de la Cour, ils soutiennent que la notion de « loi » ne vise pas uniquement la loi formelle mais qu’il s’agit d’une notion matérielle à laquelle la Cour donne une étendue plus large. Ainsi, ils estiment que le principe de légalité et celui de rétroactivité de la loi pénale plus douce sont également applicables aux arrêtés d’exécution en cause en l’espèce. En effet, ils soulignent que ces dispositions d’exécution sont des composantes intégrales de la définition de l’infraction : si certaines constructions ne sont pas soumises à une autorisation urbanistique préalable, le fait d’ériger une construction sans une telle autorisation ne constitue pas un comportement punissable pénalement. Ils considèrent donc que le juge pénal aurait dû impérativement appliquer tous les éléments de la disposition légale applicable, y compris les modalités d’exécution de la loi pénale décrivant l’infraction.

27. Les requérants précisent encore que s’il peut être admis que les lois temporaires, les lois de circonstances ou les règlementations périodiques impliquent de par leur nature une limitation de leur applicabilité dans le temps, tel ne serait pas le cas des arrêtés d’exécution comme celui en cause en l’espèce. En effet, selon les requérants, les arrêtés d’exécution ne constituent pas une règlementation « volontiers évolutive » ou « essentiellement variable et temporaire », ils ont trait en fait à une situation qui peut être différente d’un moment à l’autre en fonction des circonstances. Ainsi, l’arrêté du Gouvernement flamand du 16 juillet 2010 aurait été adopté essentiellement parce qu’il serait ressorti de la pratique qu’il n’était pas utile d’exiger une autorisation urbanistique préalable pour certains travaux. Cet arrêté n’aurait pas été adopté en raison d’une volonté du Gouvernement flamand d’adapter régulièrement cette règlementation.

28. Enfin, les requérants ajoutent que la jurisprudence de la Cour de cassation telle qu’elle a été appliquée dans le cas d’espèce a pour conséquence qu’ils sont tenus de démolir les constructions érigées mais qu’ils peuvent immédiatement les reconstruire à l’identique puisqu’elles ne nécessitent plus désormais d’autorisation urbanistique.

b) Le Gouvernement

29. Le Gouvernement considère que l’article 7 de la Convention n’a pas été méconnu. Il estime que l’interprétation faite par les juridictions internes était cohérente avec la substance de l’infraction et n’était pas déraisonnable de sorte que la condamnation des requérants était prévisible.

30. Sur l’argument des requérants fondé sur le bénéfice de l’application rétroactive de la loi pénale plus douce, le Gouvernement avance que ce principe n’est pas absolu et que les juridictions internes ont dégagé plusieurs exceptions à ce principe qui ne lui semblent pas être contraires à l’interprétation donnée par la Cour de l’article 7 de la Convention. Il indique que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (paragraphes 18-19 ci-dessus), les lois temporaires, les lois de circonstances et les arrêtés d’exécution – tels que ceux en cause en l’espèce – échappent au principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce lorsque la modification de la loi a trait à l’incrimination (et non à la peine), à moins que le législateur n’ait clairement manifesté son intention de renoncer à la répression pour des faits commis dans le passé. Tel n’a pas été le cas s’agissant de l’arrêté du Gouvernement flamand litigieux.

31. Le Gouvernement précise que le champ d’application de cette exception concerne les lois qui nécessitent des arrêtés d’exécution pour leur mise en œuvre et dans lesquelles elles confèrent un large pouvoir d’exécution. Dans ces cas, la loi détermine, ajoute-t-il, les principes essentiels et attribue expressément à l’exécutif le pouvoir d’établir par arrêté les règles complémentaires qui doivent permettre la mise en œuvre de ces principes. Le Gouvernement explique que cette technique permet d’adapter sans cesse la législation à l’évolution des besoins de la société au moyen d’une procédure souple. Il indique que la justification de cette exception réside dans le caractère modulable des arrêtés d’exécution et de leur adaptation aux besoins du moment.

32. Le Gouvernement souligne que l’arrêt Scoppola c. Italie (no 2) ([GC], no 10249/03, 17 septembre 2009) concernait une peine plus douce, et non la dépénalisation de certains faits. Selon le Gouvernement, l’article 15 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques limiterait également la portée du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce à la rétroactivité de la peine uniquement.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux applicables

33. La Cour rappelle que la garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation même en temps de guerre ou d’autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, condamnations et sanctions arbitraires (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 77, CEDH 2013, et Yüksel Yalçınkaya c. Türkiye [GC], no 15669/20, § 237, 26 septembre 2023).

34. La Cour rappelle que l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ce principe se traduit par la règle voulant que, si la loi pénale en vigueur au moment de la commission de l’infraction et la loi pénale postérieure adoptée avant le prononcé d’un jugement définitif sont différentes, le juge doit appliquer celle dont les dispositions sont les plus favorables au prévenu (Scoppola, précité, § 109, Avis consultatif relatif à l’utilisation de la technique de « législation par référence » pour la définition d’une infraction et aux critères à appliquer pour comparer la loi pénale telle qu’elle était en vigueur au moment de la commission de l’infraction et la loi pénale telle que modifiée [GC], demande no P16-2019-001, Cour Constitutionnelle arménienne, § 82, 29 mai 2020 (« Avis consultatif P16-2019-001 »), et Jidic c. Roumanie, no 45776/16, § 80, 18 février 2020). Le principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus douce s’applique également dans le contexte d’une réforme concernant la définition de l’infraction (Parmak et Bakır c. Turquie, nos 22429/07 et 25195/07, § 64, 3 décembre 2019, et Avis consultatif P16-2019-001, précité, § 82).

b) Application au cas d’espèce

35. La Cour précise d’emblée que le grief formulé par les requérants au titre de l’article 7 de la Convention ne concerne pas tous les chefs de prévention pour lesquels ils ont été déclarés coupables par les juridictions internes. L’objet de l’affaire devant la Cour concerne uniquement leur condamnation pour avoir réalisé une allée pavée, un sentier en pierre bleue, une terrasse à l’arrière, une terrasse en bois sur le côté, un sentier en brique rouge ainsi qu’un abri de jardin (« les travaux litigieux » ; paragraphe 7 ci‑dessus).

36. La Cour relève aussi que l’applicabilité de l’article 7 de la Convention et la nature pénale de la condamnation des requérants n’ont pas été contestées par le Gouvernement, et la Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement.

37. Il n’est pas non plus contesté par les parties – ni d’ailleurs par les juridictions internes s’étant prononcées en l’espèce – qu’au moment de la commission des faits reprochés aux requérants, soit entre le 15 mars 2008 et le 15 mars 2010, le droit en vigueur exigeait l’obtention d’une autorisation urbanistique pour procéder aux travaux litigieux (paragraphes 12 et 13 ci‑dessus) et qu’au moment de la condamnation des requérants, y compris en première instance par le tribunal correctionnel, l’arrêté de juillet 2010 était en vigueur et prévoyait une exemption pour lesdits travaux (paragraphe 15 ci‑dessus). Il ne fait donc pas de doute que l’application de l’arrêté d’avril 2000 à la procédure pénale engagée contre les requérants, au lieu de l’arrêté de juillet 2010, a joué à leur détriment dans leur condamnation pour avoir réalisé les travaux litigieux.

38. La question qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si l’article 7 de la Convention faisait obstacle à l’application par les tribunaux internes de l’arrêté d’avril 2000 au lieu de celle de l’arrêté de juillet 2010.

39. Sur ce point, la Cour note que la cour d’appel a considéré que le fait qu’une exemption était désormais prévue par l’arrêté de juillet 2010 n’enlevait rien au caractère répréhensible des faits commis par les requérants lorsqu’était en vigueur l’arrêté d’avril 2000 (paragraphe 9 ci-dessus). De la même manière, la Cour de cassation a jugé que les faits qui étaient punissables sous l’empire de l’arrêté d’avril 2000 au moment de leur commission restaient punissables, même si ensuite, en vertu de l’arrêté de juillet 2010, ces faits n’étaient plus répréhensibles au moment du prononcé de la décision judiciaire (paragraphe 11 ci-dessus).

40. La Cour constate que, comme le relève le Gouvernement (paragraphe 30 ci-dessus), l’interprétation retenue par les juridictions internes fait l’objet d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce ne s’applique pas aux arrêtés d’exécution pris en vertu d’une loi demeurée inchangée ou ayant maintenu le caractère répréhensible des faits délictueux (paragraphes 18-19 ci-dessus).

41. Cependant, la Cour rappelle que la notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 de la Convention correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention. Cette notion englobe le droit écrit comme non écrit (Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010, Del Río Prada, précité, § 91, et Avis consultatif P16‑2019-001, précité, § 60). La Cour a en effet toujours entendu le terme « loi » dans son acception « matérielle » et non « formelle » ; elle y a inclus aussi bien des textes de rang infralégislatif que des textes réglementaires. En résumé, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 139, CEDH 2008, et les références qui y sont citées).

42. Il en résulte que la notion de « droit » au sens de l’article 7 de la Convention inclut également les arrêtés d’exécution pris par le Gouvernement flamand qui étaient en cause en l’espèce. Dès lors, aux yeux de la Cour, le seul fait que l’exemption d’autorisation urbanistique était prévue par un arrêté d’exécution et non pas par un acte ayant force de « loi » au niveau interne ne suffit pas en tant que tel à justifier la non-application du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, tel qu’il découle de l’article 7 de la Convention.

43. Or, force est de constater que, comme le soulignent les requérants (paragraphe 26 ci-dessus), les arrêtés d’exécution en cause participaient en réalité de la définition de l’infraction. En effet, les décrets concernés, c’est‑à‑dire les « lois » stricto sensu, indiquaient seulement que les constructions sans autorisation urbanistique constituaient une infraction pénale et définissaient les peines applicables (paragraphes 12 et 14 ci-dessus). Lesdits décrets conféraient à l’exécutif le pouvoir de déroger à cette norme en déterminant la liste des travaux ne nécessitant pas une telle autorisation (article 99 § 2 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l’aménagement du territoire et article 4.2.3. du code flamand de l’aménagement du territoire du 26 mai 2009). Les arrêtés d’exécution adoptés en vertu de ces décrets listaient les travaux qui n’étaient pas soumis à une autorisation urbanistique (paragraphes 13 et 15 ci-dessus). Dans cette mesure, les indications contenues dans les arrêtés d’exécution d’avril 2000 et de juillet 2010 étaient déterminantes pour établir l’infraction et la responsabilité pénale des intéressés.

44. Le Gouvernement indique que la non-rétroactivité des arrêtés d’exécution s’explique par leur caractère modulable et leur nécessaire adaptation aux besoins du moment (paragraphe 31 ci-dessus ; voir aussi la jurisprudence de la Cour de cassation, paragraphe 19 in fine ci-dessus). Il avance également que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce n’est pas absolu (paragraphe 30 ci-dessus). Sur ce point, la Cour admet que peuvent exister des situations dans lesquelles une loi temporaire ou de circonstances s’applique en dépit de l’adoption d’une nouvelle « loi » sans méconnaître ce principe (voir, par exemple, Mørck Jensen c. Danemark, no 60785/19, 18 octobre 2022, qui concernait une interdiction d’entrer et de séjourner dans une zone de conflit déterminée, qui, du fait de l’évolution de la situation dans cette zone, avait été levée lorsque l’affaire du requérant fut tranchée). Toutefois, à l’instar des requérants (paragraphe 27 ci-dessus), la Cour observe que les arrêtés d’exécution en cause (paragraphes 13 et 15 ci‑dessus) ne prévoyaient aucune limite quant à leur applicabilité dans le temps, ce qui n’a pas été contesté par le Gouvernement. Il ne s’agissait pas non plus d’une règlementation temporaire qui avait vocation, par sa nature ou son objet, à être appliquée pendant une période de temps limitée (comparer avec Mørck Jensen, précité, § 52).

45. Enfin, comme le font également valoir les requérants (paragraphe 28 ci-dessus), la jurisprudence de la Cour de cassation telle qu’elle a été appliquée dans le cas d’espèce aboutit à la situation paradoxale que les requérants ont été condamnés, outre l’amende pénale, à détruire les constructions litigieuses sans toutefois qu’aucune disposition légale ne leur interdise de procéder, au moment de leur condamnation, aux mêmes travaux sans autorisation urbanistique préalable, puisque ces travaux n’étaient plus soumis à une telle autorisation.

46. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les requérants ont été déclarés coupables de faits qui n’étaient plus punissables au moment de leur condamnation, de sorte que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce a été méconnu.

47. Partant, il y a eu violation de l’article 7 de la Convention.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

48. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

49. Les requérants demandent 42 348,72 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’ils estiment avoir subi. Ils avancent que découlent de la violation de l’article 7 de la Convention les dommages matériels suivants : une perte de la valeur des travaux effectués, les coûts de la démolition de ces constructions ainsi que la valeur de leur reconstruction.

50. Le Gouvernement sollicite le rejet de cette demande au motif que le dommage matériel allégué résulte entièrement des constructions que les requérants ont érigées en infraction à la réglementation urbanistique.

51. En ce qui concerne la perte alléguée de la valeur des travaux effectués, la Cour constate que les factures fournies sont toutes datées d’avant la condamnation pénale des requérants et correspondent aux coûts des travaux initiaux litigieux. Lesdits coûts ne résultent aucunement de la violation constatée. Du reste, les requérants n’établissent pas, devant la Cour, avoir démoli puis reconstruit les constructions en cause à la suite de leur condamnation pénale, à l’exception d’une facture datée du 31 juillet 2017 qui mentionne la destruction de l’allée pavée à titre gratuit. Partant, la Cour rejette la demande formulée au titre du dommage matériel.

2. Frais et dépens

52. Les requérants réclament 8 846,88 EUR au titre des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes ainsi que de la procédure menée devant la Cour, soit un quart de la totalité des frais supportés, ce qui correspondrait selon eux à la proportion des frais et dépens relatifs à la violation de l’article 7 de la Convention.

53. Le Gouvernement sollicite le rejet de la demande au motif que l’article 7 de la Convention n’a été invoqué ni devant la cour d’appel ni devant la Cour de cassation.

54. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 146, 25 septembre 2018). En l’espèce, la Cour note la multitude des griefs invoqués par les requérants tant au cours de la procédure interne que devant la Cour et qui ont tous, à l’exception du grief relatif à l’article 7 de la Convention, été rejetés par les juridictions internes et/ou la Cour. Aussi, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants conjointement la somme de 5 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme. Ainsi qu’il a été demandé, le montant alloué est à verser directement sur le compte bancaire du représentant des requérants (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 288, 15 décembre 2016, et Denisov, précité, § 148).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit que Mme Rita Cecilia De Mits, héritière de M. Norbert Wulffaert, a qualité pour poursuivre la présente procédure en ses lieu et place ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention ;
4. Dit :

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, sur le compte bancaire de leur représentant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2025, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth Ivana Jelić
Greffière Présidente

Appendix

Liste des requérants

Requête no 76634/16

No

|

Prénom NOM

|

Année de naissance/

d’enregistrement

|

Nationalité

|

Lieu de résidence

---|---|---|---|---

1.

|

Yves Jeannine WULFFAERT

|

1976

|

belge

|

Eeklo

2.

|

Norbert Karel WULFFAERT

|

1941

Décédé en 2020

|

belge

|

Eeklo

3.

|

WULFFAERT BEHEER NV

|

2000

|

belge

|

Eeklo

Héritier(e) de

|

Nom

---|---

Norbert Karel WULFFAERT

Décédé en 2020

|

Rita Cecilia DE MITS

née en 1943


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-244006
Date de la décision : 10/07/2025
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 7 - Pas de peine sans loi (Article 7-1 - Rétroactivité);Dommage matériel - demande rejetée (Article 41 - Dommage matériel;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : WULFFAERT ET WULFFAERT BEHEER NV
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : Boullart, Sven

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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