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06/03/2025 | CEDH | N°001-242071

CEDH | CEDH, AFFAIRE F.B. c. BELGIQUE, 2025, 001-242071


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE F.B. c. BELGIQUE

(Requête no 47836/21)

ARRÊT


Art 8 • Vie privée • Processus décisionnel, ayant abouti à la cessation de la prise en charge de la requérante en tant que mineure étrangère non accompagnée à l’issue de la procédure d’évaluation de son âge, non entouré de garanties suffisantes • Absence de consentement libre et éclairé de la requérante à la réalisation du triple test osseux • Entretien de la requérante avec un agent du service des tutelles spécialement formé à l’accueil des mineurs n’

ayant eu lieu qu’après la réalisation de tests osseux invasifs • Entretien préalable aurait pu permettre de recher...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE F.B. c. BELGIQUE

(Requête no 47836/21)

ARRÊT

Art 8 • Vie privée • Processus décisionnel, ayant abouti à la cessation de la prise en charge de la requérante en tant que mineure étrangère non accompagnée à l’issue de la procédure d’évaluation de son âge, non entouré de garanties suffisantes • Absence de consentement libre et éclairé de la requérante à la réalisation du triple test osseux • Entretien de la requérante avec un agent du service des tutelles spécialement formé à l’accueil des mineurs n’ayant eu lieu qu’après la réalisation de tests osseux invasifs • Entretien préalable aurait pu permettre de rechercher si le doute sur la minorité de la requérante pouvait être levé par d’autres moyens moins intrusifs et de s’assurer que celle-ci avait reçu toutes les informations nécessaires pour faire valoir valablement ses droits

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

6 mars 2025

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire F.B. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ivana Jelić, présidente,
Erik Wennerström,
Georgios A. Serghides,
Frédéric Krenc,
Alain Chablais,
Artūrs Kučs,
Anna Adamska-Gallant, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière de section,

Vu :

la requête (no 47836/21) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante guinéenne, Mme F. B. (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 septembre 2021,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »),

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par la requérante,

les commentaires adressés par la Ligue des Droits Humains (LDH), la Plate-forme Mineurs en exil et le Centre des droits de l’homme ainsi que celui pour l’étude sociale de la migration et des réfugiés de l’Université de Gand, que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,

la décision de ne pas dévoiler l’identité de la requérante,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 et 11 février 2025,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne la décision de cessation de prise en charge de la requérante en tant que mineure étrangère non accompagnée (MENA) à l’issue de la procédure d’évaluation de son âge. Elle invoque les articles 8, 13 et 14 de la Convention.

EN FAIT

2. La requérante dit être née le 15 janvier 2003 à Conakry en Guinée. Elle réside à Yvoir et est représentée par Me M. de Buisseret, avocate.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

4. La requérante, de confession musulmane et d’origine ethnique peule, indiqua avoir fui son pays d’origine pour échapper aux sévices résultant de son mariage forcé.

5. Le 2 août 2019, elle arriva en Belgique.

1. INTRODUCTION DE LA DEMANDE DE PROTECTION INTERNATIONALE

6. Le 5 août 2019, elle introduisit une demande de protection internationale (DPI), se déclarant mineure âgée de 16 ans, et produisit une copie non légalisée de son acte de naissance.

2. PROCÉDURE D’ÉVALUATION DE L’ÂGE

7. Le jour même, elle fut interrogée par un agent du Bureau « Mineurs et Victimes de la Traite des Êtres Humains » (Bureau MINTEH) de l’Office des étrangers. Lors de cet entretien, l’agent remplit une fiche de signalement « mineur étranger non accompagné », un formulaire pré-imprimé, sur lequel il cocha la case « OUI » dans la rubrique « Doute sur la minorité invoquée » en indiquant comme motif son long trajet de voyage et l’absence de documents d’identité originaux. Il cocha ensuite la case « OUI » concernant la demande d’examen médical ainsi que la case « OUI » signifiant que la personne concernée avait été informée du doute émis. La même case fut cochée s’agissant de la remise d’un document d’information sur le déroulement du test d’âge. Enfin, l’agent entoura la case « NON » attestant de l’absence d’opposition de la requérante à la réalisation du test précité.

8. Selon le Gouvernement, la requérante reçut, lors de cet entretien, un fascicule d’information suivant sur le déroulement du test d’âge et rédigé dans une langue comprise par elle, à savoir le français :

« Un doute est émis sur l’âge que tu déclares

Une autorité compétente de l’État belge pense que tu es peut-être plus âgé que ce que tu déclares et que tu as peut-être plus de 18 ans. Afin d’écarter ce doute, l’État belge va demander à un médecin de donner son avis sur ton âge au moyen du test médical prévu par la loi sur la tutelle des mineurs étrangers du 24 décembre 2002.

Les autorités compétentes pour émettre un doute quant à l’âge que tu déclares sont l’Office des étrangers, le Commissariat général aux réfugiés et apatrides et le service des Tutelles pour les mineurs étrangers.

Le service des Tutelles est l’autorité chargée de faire exécuter un test médical. En fonction des résultats de celui-ci, ce service établira si tu as plus ou moins de 18 ans.

Que va-t-il se passer ?

Lors d’un entretien, un agent de l’État belge, avec l’aide d’un interprète, va t’expliquer en quoi consiste le test médical de détermination de l’âge. Tu pourras lors de cet entretien, poser tes questions et exprimer ton avis à ce sujet.

Un rendez-vous avec un médecin pour un test médical sera organisé par le service des Tutelles le plus rapidement possible. Une voiture viendra te chercher pour t’amener chez le médecin. Cet examen médical peut avoir lieu le jour même de ton arrivée ou dans le jour suivant.

Le centre où tu seras hébergé te préviendra.

Le médecin qui aura réalisé le test médical fera parvenir au service des Tutelles un rapport reprenant les conclusions sur lesquelles se basera la décision du service des Tutelles.

Tu recevras la décision directement ou via ton centre d’hébergement.

Si tu n’es pas d’accord avec celle-ci, il t’est possible d’introduire un recours contre la décision auprès du conseil d’état (Les informations sur la procédure à suivre dans ce cas te seront précisées par écrit lors de la notification de notre décision.) Pour cela tu auras besoin de l’assistance d’un avocat.

En quoi consiste le test médical de détermination de l’âge ?

Le médecin te fera passer une radiographie de la mâchoire, des poignets, et de la clavicule. Il te posera également quelques questions d’ordre général (état de santé, ...). Sur base de l’information apportée par ces différents examens médicaux, le médecin établira un rapport reprenant ses conclusions sur l’âge que tu peux avoir. Le médecin tient compte dans ces conclusions d’une marge d’erreur.

Le service des Tutelles se basera toujours sur la marge d’erreur la plus basse pour prendre sa décision.

Quelles sont les conséquences de la décision du service des Tutelles concernant ton âge ?

Soit tu seras considéré comme mineur et un tuteur te sera désigné. Il te représentera dans toutes les procédures administratives et judiciaires avec l’aide d’un avocat. Il sera chargé aussi de veiller à ton éducation et bien-être général.

Dans le cas contraire, si tu es considéré comme majeur, la prise en charge par le service des Tutelles prendra fin.

Quel type de document peut attester de ton âge ?

Seuls les originaux de passeport ou de carte d’identité peuvent attester de ton âge. »

9. La requérante affirme qu’elle n’a pas été informée, lors de cet entretien, qu’un doute avait été émis sur son âge et qu’elle n’a reçu aucune information ou fascicule sur les tests osseux demandés, notamment sur la possibilité de refuser de se soumettre à ces tests et sur les conséquences éventuelles d’un tel refus.

10. À une date non précisée, elle fut transférée dans un « centre d’observation et d’orientation » de l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (FEDASIL), qui constitue un centre pour mineurs non accompagnés.

11. Le 19 août 2019, la requérante fut conduite par un chauffeur du service des tutelles à l’hôpital universitaire Saint Raphael de Louvain où elle subit un triple test osseux en vue de déterminer son âge. L’examen médical consista en une batterie de trois tests combinant un examen radiographique de la main et du poignet, une radiographie de la clavicule et un scanner des dents. Les experts considérèrent, s’agissant de l’examen de la main et du poignet, qu’il s’agissait d’une personne avec un squelette mature. Quant à l’examen dentaire, ils mentionnèrent un âge de 23,5 ans en retenant la probabilité de 99% que la requérante soit âgée de plus de dix-huit ans. La radiographie des clavicules indiqua un âge moyen de vingt ans, avec une marge d’erreur de deux ans, soit dix-huit ans au minimum. Ils conclurent que l’analyse de l’ensemble des données montrait qu’au jour de l’examen la requérante était âgée de 21,7 ans, avec un écart-type de deux ans.

12. Le 26 août 2019, la requérante fut entendue par un agent du service des tutelles en vue de la détermination de son âge et de son identité.

13. Lors de l’entretien, l’agent en charge de celui-ci a complété le formulaire pré-imprimé avec les réponses de la requérante de la manière suivante :

« En cas de doute sur l’âge : informer sur le test médical

Les résultats du test ont étés expliqués à l’intéressée. La procédure également. Elle ne déclare avoir aucune question.

Documents

Copie d’un jugement supplétif non légalisé + copie non légalisée d’un EAN

Les originaux seraient chez son amie en Allemagne. La sœur de son amie, aurait amené les documents originaux de la Guinée en Allemagne. Quand l’intéressée a quitté l’Allemagne, elle aurait oublié ses documents chez son amie. Son amie lui aurait maintenant envoyé une copie par mail.

Je cite les noms des témoins dans le jugement supplétif mais l’intéressée m’informe qu’elle ne les connaît pas.

Situation Sociale (Histoire du jeune)

Quand as-tu quitté ton pays ?

26/11/2018

Durant ton voyage, dans quelles conditions as-tu vécu ?

Guinée-Maroc (trajet organisé par la tante, elle aurait fait le trajet avec un monsieur qui a tenu le passeport).

Au Maroc est resté chez un ami de sa tante (ne sait pas dire combien de temps, elle est restée). Maroc-Espagne (aurait déclaré la même identité et aurait présenté son extrait d’acte de naissance. Elle serait restée environ 3 ou 4 mois.

Espagne-Allemagne (on a pris ses empreintes). Il n’aurait pas accepté son extrait d’acte de naissance car il n’y aurait pas de photo (donc pas document d’identité). L’intéressée déclare que comme elle était en compagnie d’adulte pour ne pas les séparer on l’aurait mis dans un centre majeur. Elle serait restée 3 mois environ en Allemagne.

Allemagne-Belgique (arrivée : début août 2019)

Situation familiale avant le départ (mère, père, frère(s) ou/et sœur(s), orphelin...)

Vivait avec sa maman, son oncle et la famille de son oncle

Papa décédé (l’intéressée est émue, je n’en demande pas plus)

Depuis quand es-tu séparé de tes parents/de ta famille ?

Depuis son départ

Comment vivais-tu dans ton pays ? Quelles étaient les conditions de vie ? Tes parents travaillent-ils ? Quel niveau de vie avait tes parents ?

Elle s’occupait de toi

As-tu encore des contacts avec tes parents/famille/amis ? (adresse, tel)

Elle n’a aucun contact avec sa famille (l’intéressée est fort émue)

Cursus scolaire

Ne se rappel pas quand elle a commencé l’école. A été à l’école jusqu’en 8ème année (jour où elle a perdu son père). Elle ne serait pas partie longtemps après de la Guinée (ne peut être plus précise). L’intéressée revient en fin d’entretien sur ce point et précise que c’était pendant les vacances de 2018 qu’elle a arrêté l’école.

Tu te rappelles quel âge tu avais quand ton papa est décédé ?

Elle ne se rappelle plus. Par la suite, elle revient sur ce point et dit qu’elle avait 15 ans. Il serait décédé le 1er mai 2018.

Expérience professionnelle

Non

Observation

Éléments physiques

L’intéressée est de taille moyenne, cheveux noir court, yeux bruns.

Comportement

L’intéressée est collaborante et émotive

Conclusion

Élément de l’entretien

L’intéressée est imprécise quant aux informations qu’elle communique. Certaines questions sont également sans réponses puis revient ensuite quelques minutes plus tard sur la question.

L’enquête des documents est-elle nécessaire ? Non

Avis personnel

Il est impossible à déterminer sur un aspect visuel si l’intéressée paraît mineur ou majeur. Une proposition d’âge majeur va être soumise à la hiérarchie pour les raisons suivantes :

* Le test d’âge : majeur
* L’écart entre l’âge déclaré et la marge inférieur du test est de plus de 2 ans
* Pas de document original, simple copie, non légalisé par le Consulat Belge mais pas légalisé non plus par le pays d’origine (il n’y a pas de verso) donc impossible de demander un avis au SPF Affaires Étrangères dans ces conditions. »

14. La requérante explique avoir compris au cours de cet entretien que son âgé était remis en question et que les documents qu’elle avait fournis étaient sans valeur. Elle dit n’avoir pas pu relire le procès-verbal et ne pas en avoir reçu copie.

15. Le 29 août 2019, la requérante transmit au service des tutelles l’original d’un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance, établi au nom de F. B., née le 15 janvier 2003 à Conakry et rendu le 3 mai 2019 par le tribunal de première instance de Conakry lll – Mafanco, ainsi que l’original d’un extrait d’acte de naissance, établi au nom de F. B., née le 15 janvier 2003 à Conakry et délivré le 21 mai 2019 par l’Officier de l’état civil délégué de la commune de Matoto.

16. Le 10 septembre 2019, ces documents furent soumis à l’avis du service public fédéral des Affaires Étrangères dont la réponse du 23 septembre 2019 fut libellée comme suit :

« Objet : demande d’authentification de documents – [F. B.] – Guinée (OE 8890424)

(...)

1. – En référence à VM ci-haut référencé, vous prie de trouver les observations du Poste sur les documents transmis :

a) La requête en jugement supplétif a été introduite, selon l’information disponible, par Mme Safiatou Bah, habilité pour cette démarche (elle est la mère du mineur allégué).

b) La requête a été adressée le 02/05/2019 et le jugement a été rendu le lendemain, révélant l’extrême diligence des autorités guinéennes et l’absence de possibilité de toute enquête fiable sur les déclarations du requérant. Cette situation n’est cependant pas rare.

c) Le jugement supplétif ne semble pas porter de numéro (ou bien est-ce un problème lors du scannage du document ?). La correspondance entre le numéro du jugement supplétif et le numéro repris sur l’extrait du registre de transcription ne peut donc pas être vérifié.

d) Le délai d’appel entre le prononcé du jugement supplétif et la retranscription (supposée) dans le registre de l’état civil de la commune de Matoto est respecté.

e) Le jugement supplétif et la retranscription ont été légalisés par l’autorité compétente (ministère des Affaires étrangères et des guinéens de l’étranger). Néanmoins, la légalisation de l’extrait du registre de transcription est datée du 25/05/2019, qui était un samedi. Ceci est totalement impossible, toutes les administrations étant fermées le samedi.

2. – De ce qui précède et sur la base des informations dont nous disposons, il ressort que les documents présentent une irrégularité majeure (point e). Néanmoins, compte tenu des fraudes massives observées en Guinée sur les documents d’État Civil, il serait nécessaire de combiner un faisceau d’éléments pour pouvoir se prononcer de manière définitive sur l’authenticité des documents. »

3. DÉCISION DE CESSATION DE LA PRISE EN CHARGE DE LA REQUÉRANTE

17. Le 11 septembre 2019, le service des tutelles prit une décision de cessation de plein droit de la prise en charge de la requérante, ainsi motivée :

« (...)

Considérant qu’en date du 5 août 2019, Mademoiselle [F. B.] a déclaré être née le 15 janvier 2003 à Conakry, Guinée ;

Considérant qu’à cette même date, l’Office des étrangers a émis un doute quant à l’âge de l’intéressée ;

Considérant que l’intéressée a été informée quant au déroulement du test médical ;

Considérant l’examen médical réalisé sous le contrôle du service des Tutelles le 19 août 2019 à l’Hôpital Universitaire St-Rafaël (KU Leuven), Faculté de Médecine, Département de Médecine dentaire, Kapucijnenvoer 7, 3000 Leuven, afin de vérifier si l’intéressée est âgée de moins de 18 ans ;

Considérant que la conclusion de l’évaluation de l’âge établit que : « L’analyse de ces données donne à mon avis qu’à la date du 19-08-2019 [F. B.] est âgée de 21,7 ans avec un écart-type de 2 ans. » ;

Considérant qu’en date du 26 août 2019, un entretien a eu lieu entre l’intéressé et un agent du service des Tutelles ;

Considérant qu’en date du 29 août 2019, l’intéressée a transmis au service des Tutelles les originaux des documents suivants (...)

Considérant que, conformément à l’article 30 du Code de droit international privé, même les documents authentiques n’ont pas valeur probante s’ils n’ont pas été légalisés ;

Considérant que les documents précités ne sont pas légalisés tel que prévu par l’article 30 du Code de droit international privé ;

Considérant, que conformément à l’article 28 du Code de droit international privé, la force probante de documents authentiques ne va pas au-delà d’une présomption iuris tantum, c’est-à-dire que la preuve du contraire des faits constatés par l’autorité étrangère peut être apportée par toutes voies de droit ; que l’examen médical constitue une telle voie ;

Considérant que les divergences entre l’examen médical et les documents pris en considération par l’administration pour établir l’âge doivent se situer dans une marge raisonnable par rapport à la limite inférieure de l’examen médical ;

(...)

Considérant que dans le cas d’espèce la différence est de plus de deux ans ce qui constitue un écart qui dépasse le raisonnable ;

Considérant qu’il y a lieu de faire prévaloir le résultat du test d’âge sur la documentation remise par l’intéressée ;

(...)

Décision

Conformément à l’article 8, § 1er, du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002, le service des Tutelles estime que Mademoiselle [F. B.] ne remplit pas les conditions visées à l’article 5 du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelles des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002.

Par conséquent, la prise en charge par le service des Tutelles cesse de plein droit à la date de notification de la présente décision. »

18. Le 16 septembre 2019, cette décision fut notifiée à la requérante.

19. Le 19 septembre 2019, les autorités belges reçurent les informations, accompagnées d’un extrait de la base de données Eurodac, de leurs homologues allemands selon lesquelles la requérante, en transitant par ce pays, s’était présentée comme majeure en indiquant notamment comme date de naissance le 7 mai 2001.

20. Le 28 octobre 2019, l’Office des étrangers modifia l’attestation remise à la requérante concernant l’introduction de sa demande de protection internationale (annexe 26) en substituant la date de naissance du 1er janvier 1997 à celle du 15 janvier 2003.

21. À une date non précisée, la requérante fut transférée à un centre pour majeurs où elle put bénéficier de l’assistance d’un conseil.

4. RECOURS INTRODUIT CONTRE LA DÉCISION DU SERVICE DES TUTELLES

22. Le 15 novembre 2019, la requérante introduisit un recours en suspension et en annulation de la décision du service des tutelles du 11 septembre 2019 devant le Conseil d’État. Elle invoqua des violations des dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, du principe général de respect des droits de la défense et notamment du droit à être entendu, de la législation belge relative aux étrangers et à la tutelle des mineurs non accompagnés, de l’article 8 de la Convention et des articles 3 (« Intérêt supérieur de l’enfant »), 28 et 29 (« Droit à l’éducation ») de la Convention internationale des droits de l’enfant.

23. Ce recours fut accompagné d’attestations établies le 8 novembre 2019 par des professionnels ayant été en contact avec la requérante et justifiant de sa minorité. Ces attestations furent corroborées par les résultats des tests projectifs de dessins réalisés le 12 novembre 2019 par une psychologue, Mme J. C., du centre médical « Le Méridien », situé à Bruxelles.

5. LETTRE DE CONTESTATION ADRESSÉE AU SERVICE DES TUTELLES

24. Par un courrier du 23 décembre 2019, le conseil de la requérante invita le service des tutelles à reconsidérer sa décision concernant la détermination de l’âge. Aucune suite ne semble avoir été réservée à ce courrier.

6. ARRÊTS DU CONSEIL D’ÉTAT

25. Par un arrêt no 247.269 du 10 mars 2020, le Conseil d’État rejeta la demande de suspension formulée par la requérante par la motivation suivante :

« Aux termes de l’article 7, § 1er, du Titre XIII, chapitre 6, de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, « lorsque le service des Tutelles ou les autorités compétentes en matière d’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement ont des doutes concernant l’âge de l’intéressé, il est procédé immédiatement à un test médical par un médecin à la diligence dudit service afin de vérifier si cette personne est âgée ou non de moins de 18 ans ». L’article 3 de l’arrêté royal du 22 décembre 2003 portant exécution du Titre XIII, chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002 dispose quant à lui qu’il est procédé à l’identification du mineur étranger « au moyen de ses documents officiels ou des renseignements obtenus auprès des postes consulaires ou diplomatiques du pays d’origine ou de transit » ou de « tout autre renseignement », ce que constituent entre autres les résultats du test médical. L’alinéa 2 de cette disposition énonce, en outre, que « le test médical visé à l’article 7 du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002 peut notamment comprendre des tests psychoaffectifs ».

L’article 3, alinéa 2, de l’arrêté royal du 22 décembre 2003 précité permet donc mais n’impose pas au médecin de procéder à des tests psycho-affectifs, de sorte que la partie adverse n’est tenue d’expliquer la raison pour laquelle il n’y a pas été recouru. Le choix du contenu du test médical visé à l’article 7 du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002 ne constitue, en outre, pas un acte relevant du champ d’application de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Le premier grief de la troisième branche du moyen n’est, dès lors, pas sérieux.

Ainsi que le relève l’acte attaqué, l’Office des étrangers a émis un doute sur la minorité invoquée par la requérante, doute qui a donné lieu au test médical. C’est, dès lors, à tort que la deuxième branche du moyen reproche au service des Tutelles d’avoir décidé « de faire procéder à des tests osseux ». Le compte rendu de l’entretien du 26 août 2019 indique, par ailleurs, que le service des Tutelles conclut à la majorité de la requérante compte tenu du test d’âge, que l’écart entre l’âge déclaré et la marge inférieure du test est de plus de 2 ans et que les documents produits ne sont pas légalisés. Si la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs impose à une autorité administrative de motiver sa décision en mentionnant les considérations de droit et de fait qui la fondent de manière à permettre à l’administré de comprendre les raisons pour lesquelles elle a été prise, cette législation n’impose nullement à la partie adverse de relater dans la décision attaquée l’analyse effectuée par le service des Tutelles. Il suffit pour qu’une décision soit motivée au sens de la loi du 29 juillet 1991 précitée que, comme en l’espèce, l’autorité administrative ait explicité les raisons pour lesquelles elle a pris celle-ci. La deuxième branche du moyen unique n’est, dès lors, pas sérieuse.

S’agissant des critiques très générales mettant en cause la fiabilité de l’examen médical sur lequel se fonde l’acte attaqué, et pour lequel il n’est pas requis qu’un médecin spécialisé différent intervienne en fonction de la nature du test ou qu’une équipe pluridisciplinaire soit consultée, la loi ne traite que d’un « test médical » alors que la requérante a fait l’objet de plusieurs examens radiographiques, ce qui a permis de croiser les résultats obtenus pour pouvoir évaluer au plus juste son âge réel. Il résulte de l’expertise médicale que l’examen a consisté en une batterie de trois tests combinant un examen radiographique de la main et du poignet, une radiographie de la clavicule et une orthopantomographie. Après un examen clinique qui, lui-même, a donné une première impression d’un âge supérieur à dix-huit ans, les experts ont considéré, pour ce qui concerne l’examen de la main et du poignet, qu’il s’agissait d’une personne avec un squelette mature. Pour l’examen orthopantomographique, les experts mentionnent un âge de 23,5 ans, en retenant une probabilité de 99% que la requérante soit âgé de plus de dix- huit ans. Enfin, la radiographie des clavicules indique un âge moyen de vingt ans, avec une marge d’erreur de deux ans, soit dix-huit ans au minimum. Les experts arrivent ainsi à la conclusion générale que selon leur estimation, la requérante est âgée de 21,7 ans avec un écart-type de deux ans. La requérante ne soutient pas que les médecins qui ont procédé au test médical auraient émis le moindre doute quant au fait qu’elle a plus de dix-huit ans et n’établit pas davantage qu’ils n’auraient pas pris en considération les limites et les marges d’erreur de chacun de tests pris individuellement lors de l’élaboration de leur conclusion. Elle n’explique pas davantage la norme de droit ou le principe qui interdirait à la partie adverse d’avoir recours à de tels tests osseux dans le cadre du test médical visé à l’article 7 du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002. Les critiques générales contenues dans la troisième branche du moyen ne sont, dès lors, pas sérieuses.

Contrairement à ce que soutient la requérante dans la première branche du moyen, la requérante a été entendue après la réalisation du test médical. Le compte-rendu de cet entretien qui s’est déroulé le 26 août 2019 mentionne que les résultats du test et la procédure lui ont alors été expliqués et qu’elle a déclaré n’avoir aucune question. Au cours de cet entretien, la requérante a, selon cette pièce du dossier administratif, déposé la copie d’un jugement supplétif non légalisé et la copie non légalisée d’un extrait d’acte de naissance. La requérante a, dès lors, eu l’occasion de faire valoir les éléments qu’elle souhaitait invoquer tant lors de cette audition au cours de laquelle les résultats lui ont été expliqués que pendant les deux semaines qui se sont écoulées entre cette audition et l’adoption de l’acte attaqué. La première branche du moyen n’est, dès lors, pas sérieuse.

La requérante se prévaut d’un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance et d’un extrait d’acte de naissance dont il n’est pas contesté qu’ils ne sont pas légalisés, ce qui implique, comme le relève l’acte attaqué, que conformément à l’article 30 du Code de droit international privé, ces documents n’ont pas de valeur probante. De même et comme l’indique également l’acte attaqué, conformément à l’article 28 du Code de droit international privé, la force probante de documents authentiques ne va pas au-delà d’une présomption iuris tantum, c’est-à-dire que la preuve contraire des faits constatés par l’autorité étrangère peut être apportée par toutes voies de droit, comme par exemple par le test médical prévu par l’article 7 précité.

Si le service des Tutelles devait, dès lors, procéder à l’examen du dossier en tenant compte des documents communiqués par la requérante, rien ne l’obligeait à les considérer comme plus fiables que l’examen médical réalisé, ni à les faire prévaloir sur les résultats de celui-ci.

Contrairement à ce qu’expose la requérante dans la cinquième branche du moyen qui manque, dès lors, en fait, les documents produits par la requérante ont été soumis à l’avis du poste consulaire belge compétent. Son avis indique notamment que « les documents présentent une irrégularité majeure » et souligne que des fraudes massives sont observées en Guinée sur les documents de l’état civil.

La quatrième branche du moyen qui reproche également à la partie adverse de ne pas avoir demandé un avis au consulat belge n’est, dès lors, pas davantage sérieuse. Il ne peut être reproché à la partie adverse de ne pas avoir sollicité cet avis avant la réalisation du test médical, la requérante n’ayant produit les documents litigieux qu’après la réalisation de celui-ci. Par ailleurs, si la quatrième branche du moyen reproche également à la partie adverse l’absence d’un entretien personnel avec le service des Tutelles et l’absence de demande d’avis au personnel du centre ou des assistants sociaux ou du tuteur avant la réalisation du test médical, ni l’article 3 de l’arrêté royal du 22 décembre 2003 précité, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire ou principe général de droit n’impose à la partie adverse de demander l’avis des assistants sociaux ou du personnel du centre d’orientation et d’observation ou d’organiser un entretien personnel autre que celui qui s’est déroulé à l’Office des étrangers et au cours duquel la requérante a, d’une part, reçu un document l’informant du déroulement du test d’âge et n’a, d’autre part, pas manifesté d’opposition à la réalisation de ce test. Les informations mentionnées sur le site internet du SPF Justice dont se prévaut la requérante dans le cadre de cette branche du moyen ne constituent pas une règle de droit dont la violation peut être invoquée devant le Conseil d’État. La quatrième branche du moyen n’est, dès lors, pas sérieuse.

Il suit aussi de ce qui précède que la partie adverse ayant pu valablement considérer que la requérante était âgée de plus de 18 ans, la sixième branche du moyen fondée sur le présupposé d’un âge inférieur à 18 ans manque en droit.

Le moyen unique n’est pas sérieux.

Une des conditions prescrites par l’article 17, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, pour que la suspension de l’exécution d’une décision administrative puisse être ordonnée n’est pas remplie. La demande de suspension ne peut donc être accueillie. »

26. Le 12 avril 2020, la requérante sollicita la poursuite de la procédure.

27. Par un arrêt no 250.665 du 25 mai 2021, le Conseil d’État rejeta le recours en annulation de la requérante en ces termes :

« La requérante soutient être née le 15 janvier 2003 de telle sorte qu’elle a atteint l’âge de dix-huit ans le 15 janvier 2021.

Selon l’article 5 du chapitre 6 du titre XIII de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, la tutelle prévue à l’article 3, § 1er, alinéa 1er, de la même loi s’applique à toute personne de moins de dix-huit ans. En conséquence, en cas d’annulation de l’acte attaqué, la requérante ne pourra pas obtenir sa reprise en charge par le service des Tutelles dès lors qu’elle a, selon ses propres déclarations, plus de dix-huit ans. Il en résulte que la requérante ne dispose pas de l’intérêt requis à obtenir l’annulation de l’acte attaqué.

Les considérations formulées à l’audience selon lesquelles la requérante justifie d’un intérêt au recours dès lors qu’une école secondaire a accepté de l’inscrire sur la base de ses déclarations et en raison de l’introduction d’un recours devant le Conseil d’État et qu’elle a, dès lors, intérêt à faire établir qu’elle a bien l’âge qu’elle a déclaré sont, à cet égard, dépourvues de toute pertinence. La présente procédure n’a, en effet, pas pour objet d’établir l’âge de la requérante ou de se prononcer sur la véracité de ses déclarations, mais bien d’examiner la légalité de la décision mettant fin de plein droit à sa prise en charge par le service des Tutelles du SPF Justice. Or, l’intérêt direct à obtenir l’annulation de cette décision a disparu dès lors qu’en raison de la date de naissance dont se prévaut la requérante, une telle annulation ne pourrait lui permettre d’obtenir sa reprise en charge par le service des Tutelles.

Le recours est dès lors irrecevable. »

7. AUTRES ÉLÉMENTS PERTINENTS

28. La requérante put s’inscrire dans un établissement scolaire et y poursuivre sa scolarité nonobstant la décision de cessation de prise en charge du 11 septembre 2019. Elle est actuellement en dernière année de l’enseignement secondaire.

29. Le 20 septembre 2022, la requérante, accompagnée de son avocate et d’une personne de confiance, sa psychologue, fut entendue par le Commissariat général aux réfugiés et apatrides.

30. Le 24 octobre 2022, la requérante fut reconnue réfugiée par le Commissariat général aux réfugiés et apatrides.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. DROIT INTERNE
1. Loi-programme « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » du 24 novembre 2002

31. Le Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002 constitue la législation relative à la tutelle des mineurs étrangers non accompagnée (« Loi Tutelle »). Ses dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Article 5

« La tutelle prévue à l’article 3, § 1er, alinéa 1er, s’applique à toute personne :

. de moins de dix-huit ans,

. non accompagnée par une personne exerçant l’autorité parentale ou la tutelle en vertu de la loi applicable conformément à l’article 35 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé,

. ressortissante d’un pays non-membre de l’Espace économique européen,

. et étant dans une des situations suivantes :

soit, avoir demandé la reconnaissance de la qualité de réfugié;

soit, ne pas satisfaire aux conditions d’accès au territoire et de séjour déterminées par les lois sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Article 5/1

Sans préjudice de l’article 5, la tutelle prévue à l’article 3, § 1er, alinéa 1er, s’applique à toute personne :

. de moins de dix-huit ans ;

. ressortissante d’un pays membre de l’Espace économique européen ou de la Suisse ;

. non accompagnée par une personne exerçant l’autorité parentale ou la tutelle en vertu de la loi applicable conformément à l’article 35 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé ;

. non munie d’un document légalisé attestant que la personne exerçant l’autorité parentale ou la tutelle a donné l’autorisation de voyager et de séjourner en Belgique ;

. non inscrite au registre de la population ;

. et étant dans une des situations suivantes :

soit avoir demandé un titre de séjour provisoire sur la base de l’article 61/2, § 2, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ;

soit se trouver en situation de vulnérabilité.

Article 6

1. Toute autorité qui a connaissance de la présence, à la frontière ou sur le territoire, d’une personne

. qui paraît être âgée, ou qui déclare être âgée, de moins de 18 ans, et

. qui paraît se trouver dans les autres conditions prévues à l’article 5 ou 5/1,

en informe immédiatement le service des Tutelles ainsi que les autorités compétentes en matière d’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement, et leur communique toute information en sa possession sur la situation de l’intéressé.

2. Dès qu’il a reçu cette information, le service des Tutelles prend la personne concernée en charge et :

1o procède à son identification, vérifie le cas échéant son âge et si elle réunit les autres conditions prévues par l’article 5 ou l’article 5/1 ;

2o si elle est mineure, lui désigne immédiatement un tuteur ;

3o prend contact avec les autorités compétentes en vue de son hébergement pendant la durée des deux opérations précitées. L’hébergement du mineur a lieu dans le respect des dispositions légales qui régissent l’accès au territoire.

3. En cas d’extrême urgence dûment motivée, et après signalement comme prévu au § 1er, le service des Tutelles peut, d’initiative ou à la demande des autorités compétentes en matière d’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement, ou des autorités compétentes en matière d’accueil et d’hébergement, désigner un tuteur provisoire en vue de prendre en charge une personne qui paraît ou déclare remplir les conditions prévues à l’article 5 ou 5/1, mais qui n’est pas encore définitivement identifiée.

Le Roi fixe, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, le montant des indemnités allouées au tuteur provisoire.

La tutelle provisoire prend fin dans les cas visés aux articles 23 et 24, ou s’il apparaît que cette personne ne remplit pas les conditions visées à l’article 5 ou 5/1.

La tutelle provisoire devient définitive lorsque la personne concernée remplit les conditions visées à l’article 5 ou 5/1.

4. Dans la mesure du possible, le service des Tutelles procède prioritairement et sans délai à la désignation soit d’un tuteur provisoire pour une personne qui paraît remplir les conditions prévues à l’article 5 ou 5/1 mais qui n’est pas encore définitivement identifiée, soit d’un tuteur pour une personne qui remplit effectivement les conditions prévues à l’article 5, dès lors que la personne concernée est susceptible de faire l’objet d’une décision prise en vertu des articles 3 et 74/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Le service des Tutelles communique par toute voie, y compris par voie électronique ou par téléphone, les coordonnées du tuteur provisoire ou du tuteur au ministre compétent ou à son délégué.

[...]

Article 7

1. Lorsque le service des Tutelles ou les autorités compétentes en matière d’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement ont des doutes concernant l’âge de l’intéressé, il est procédé immédiatement à un test médical par un médecin à la diligence dudit service afin de vérifier si cette personne est âgée ou non de moins de 18 ans.

Le test médical est réalisé sous le contrôle du service des Tutelles.

Les frais relatifs à ce test médical sont à charge de l’autorité qui l’a sollicité. Si le service des Tutelles fait procéder d’initiative à ce test, les frais sont à sa charge.

2. Si le test médical établit que l’intéressé est âgé de moins de 18 ans, il est procédé conformément à l’article 8.

Si le test médical établit que l’intéressé est âgé de plus de 18 ans, la prise en charge par le service des Tutelles prend fin de plein droit. Le service des Tutelles en informe immédiatement l’intéressé, les autorités compétentes en matière d’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement, ainsi que toute autre autorité concernée.

3. En cas de doute quant au résultat du test médical, l’âge le plus bas est pris en considération.

Article 8

1. Lorsque le service des Tutelles estime établi que la personne dont elle assume la prise en charge se trouve dans les conditions prévues à l’article 5 ou l’article 5/1, il procède immédiatement à la désignation d’un tuteur.

2. La désignation du tuteur est immédiatement communiquée à ce dernier ; ainsi qu’aux autorités compétentes en matière d’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement et à toute autre autorité concernée.

Le mineur reçoit, sans délai, communication de l’identité du tuteur ainsi qu’une information sur le régime de tutelle.

3. Seules les personnes figurant sur la liste visée à l’article 3, § 2, 6o, peuvent être désignées en qualité de tuteur. »

2. Arrêté royal du 22 décembre 2003

32. L’article 3 de l’arrêté royal du 22 décembre 2003 portant exécution du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002 est libellé comme suit :

« 1. Le service des Tutelles procède à l’identification du mineur étranger non accompagné et à la vérification de ses déclarations au sujet de son nom, de sa nationalité et de son âge, au moyen de ses documents officiels ou des renseignements obtenus auprès des postes consulaires ou diplomatiques du pays d’origine ou de transit, ou de tout autre renseignement, pour autant que cette demande de renseignements ne mette pas en danger le mineur ou sa famille se trouvant dans le pays de transit et/ou d’origine.

2. Le test médical visé à l’article 7 du Titre XIII, Chapitre 6 « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002 peut notamment comprendre des tests psychoaffectifs. »

3. Code de droit international privé

33. Les articles pertinents de la loi du 16 juillet 2004 portant le code de droit international privé sont libellés comme suit :

« Reconnaissance et force exécutoire des actes authentiques étrangers

Art. 27. § 1er. Un acte authentique étranger est reconnu en Belgique par toute autorité sans qu’il faille recourir à aucune procédure si sa validité est établie conformément au droit applicable en vertu de la présente loi, en tenant spécialement compte des articles 18 et 21.

L’acte doit réunir les conditions nécessaires à son authenticité selon le droit de l’État dans lequel il a été établi.

L’article 24 est, pour autant que de besoin, applicable.

Lorsque l’autorité refuse de reconnaitre la validité de l’acte, un recours peut être introduit devant le tribunal de première instance, sans préjudice de l’article 121, conformément à la procédure visée à l’article 23.

(...)

Force probante des actes authentiques étrangers

Art. 28. § 1er. Un acte authentique étranger fait foi en Belgique des faits constatés par l’autorité étrangère qui l’a établi, s’il satisfait à la fois :

1o aux conditions de la présente loi régissant la forme des actes ; et

2o aux conditions nécessaires à son authenticité selon le droit de l’État dans lequel il a été établi.

Les constatations faites par l’autorité étrangère sont écartées dans la mesure où elles produiraient un effet manifestement incompatible avec l’ordre public.

§ 2. La preuve contraire des faits constatés par l’autorité étrangère peut être apportée par toutes voies de droit.

(...)

Légalisation

Art. 30. § 1er. Une décision judiciaire étrangère ou un acte authentique étranger doit être légalisé pour être produit en Belgique en intégralité ou en extrait, en original ou en copie.

La légalisation n’atteste que la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont l’acte est revêtu.

§ 2. La légalisation est faite :

1o par un agent diplomatique ou consulaire belge accrédité dans l’État où la décision ou l’acte a été rendu ou établi ;

2o à défaut, par un agent diplomatique ou consulaire de l’État étranger qui représente les intérêts de la Belgique dans cet État ;

3o à défaut, par le ministre des Affaires étrangères.

§ 3. Le Roi détermine les modalités de la légalisation. »

4. Recours devant le Conseil d’État

34. L’article 14 § 1er des lois coordonnées sur le Conseil d’État régit les recours en annulation pouvant être introduits contre des actes adoptés par des autorités administratives, tandis que l’article 17 permet au Conseil d’État de suspendre l’exécution d’un tel acte dans l’attente d’un arrêt statuant sur le fond de l’affaire lorsqu’un ou des « moyens sérieux » susceptibles prima facie de justifier l’annulation sont invoqués.

5. Autres documents pertinents
1. Avis de l’Ordre des médecins

35. Le 20 février 2010, le Conseil national de l’Ordre des médecins a rendu un avis concernant les tests de détermination d’âge des mineurs étrangers non accompagnés (a129015), dont les parties pertinentes indiquent ce qui suit :

« Les rayons X constituent un rayonnement ionisant qui peut comporter un risque pour la santé. Dans le cas présent, ce risque est minime si les règles de bonne pratique sont respectées.

Une irradiation ne peut être pratiquée qu’avec prudence, surtout lorsque le sujet est jeune. Elle doit être la plus faible et la plus brève possible et être conforme aux directives de radioprotection. Elle ne doit pas être répétée inutilement.

L’interprétation d’une radiographie n’est pas une méthode infaillible pour déterminer l’âge d’une personne.

Cette interprétation requiert une expertise spécifique.

La technique de la détermination de l’âge osseux permet uniquement de déterminer l’âge du squelette ; la concordance avec l’âge civil du sujet est une appréciation diagnostique.

Différents facteurs (ethnique, génétique, endocrinien, socio-économique, nutritionnel, médical...) peuvent influencer la croissance d’un individu.

Les tables de maturation osseuse servant de références sont établies sur base d’une population déterminée, les plus utilisées reposent sur des populations blanches occidentales. Pour que la référence soit pertinente, le sujet auquel elles sont appliquées doit appartenir à la même population.

Les critères dentaires dépendent notamment des origines ethniques, du niveau socioéconomique et nutritionnel de l’individu.

En outre, une difficulté réside dans la reproductibilité de l’interprétation des examens entre les différents experts.

L’estimation contient toujours un facteur d’imprécision, et ne peut dès lors aboutir qu’à fournir un intervalle de fiabilité. Le doute doit toujours profiter à la personne qui se déclare mineure.

L’exposition aux rayons ionisants n’est justifiée éthiquement que si elle offre plus d’avantages que d’inconvénients.

Le Service de tutelle doit mettre en balance l’intérêt de la détermination approximative de l’âge avec le risque, même très faible, que sa réalisation nuise à la santé de l’individu.

Le Conseil national considère, pour les raisons exprimées ci-avant, que les autres indices permettant de déterminer l’âge de l’individu ne doivent pas être négligés.

En tout état de cause, le test ne peut être réalisé sans le consentement de la personne, qui doit avoir reçu les informations nécessaires concernant la finalité du test, ses contre-indications et les risques inhérents.

Cette information doit être donnée dans un langage clair et compréhensible, le cas échéant par l’intermédiaire d’un interprète.

Le consentement doit être donné expressément.

L’assistance d’un tuteur ou d’une personne de référence est importante à ce stade de la procédure pour la personne concernée, bien que la loi-programme du 24 décembre 2002 prévoie que la désignation du tuteur intervient lorsque le statut de M.E.N.A. de la personne est établi, sauf extrême urgence.

L’examinateur doit disposer du temps nécessaire et des conditions propices à la réalisation d’un test de qualité (...) »

36. Le 14 octobre 2017, le Conseil national de l’Ordre des médecins a rendu un autre avis sur le même sujet (a159004) :

« Le Conseil national de l’Ordre des médecins fait suite à votre demande relative aux tests osseux de détermination d’âge auxquels sont soumis les mineurs étrangers non accompagnés en cas de doute concernant leur âge.

1o/ Le Conseil national de l’Ordre des médecins maintient l’avis qu’il a rendu en date du 20 février 2010, intitulé Tests de détermination d’âge des mineurs étrangers non accompagnés, Bulletin du Conseil national no 129.

(...)

3o/ Le médecin chargé d’évaluer l’âge d’une personne doit avoir une compétence professionnelle suffisante dans le domaine soumis à son appréciation et garder son indépendance et sa pleine liberté professionnelle.

Une évaluation fine nécessite des compétences qui relèvent de spécialités médicales différentes : endocrinologie pédiatrique, radiologie pédiatrique, stomatologie, odontologie et pédopsychiatrie.

Il est nécessaire d’en faire la synthèse, ce qui pourrait être fait au mieux par ces spécialistes réunis en collège ou par un coordinateur qui pourrait être un médecin légiste.

L’évaluation à laquelle il est procédé doit être faite sur la base d’informations pertinentes, avec méticulosité et objectivité. Le respect de la dignité de la personne et de son droit à l’autodétermination est fondamental ; il doit faire l’objet d’une attention particulière face à un patient vulnérable.

Le contact physique avec le demandeur, dont son examen clinique, permet d’affiner l’estimation qui, à défaut, souffre d’une marge d’erreur plus importante qui doit être prise en compte.

Les conclusions du médecin doivent être prudentes et nuancées. Elles doivent préciser la nature des tests et examens cliniques effectués, les références utilisées, les personnes qui y ont procédé, les résultats obtenus, la marge d’erreur et les conclusions en termes d’évaluation de l’âge qui en ont résulté.

Le dossier constitué par le médecin doit être complet et précis. La personne concernée ou son représentant y ont accès. Le Conseil national rappelle à cet égard son avis du 20 février 2016, intitulé Accès au dossier médical des mineurs étrangers non accompagnés, Bulletin du Conseil national no 152. »

2. Conseil consultatif « Tests médicaux de détermination d’âge »

37. Le Conseil consultatif « Tests médicaux de détermination d’âge » a été mis en place en juin 2019. Il est composé d’experts médicaux impliqués dans les tests d’âge et d’un représentant du service des tutelles. Il a pour mission de rédiger un nouveau protocole relatif à la réalisation des tests d’âge, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et des aspects éthiques associés à la détermination de l’âge, dans le but d’uniformiser les rapports médicaux et la prise en charge des jeunes. Le rapport dressé à la suite de sa première réunion du 15 octobre 2021 précise ce qui suit :

« 3.1 Consentement éclairé

[Le représentant du service des tutelles] signale que les personnes qui se présentent pour un test de détermination d’âge sont informées par l’Office des étrangers du déroulement et de l’objectif du contrôle. Si nécessaire, il est fait appel à un interprète. Des brochures d’information sont disponibles et un film d’animation informatif est en cours de préparation. Le consentement de la personne au test de détermination d’âge programmé est alors demandé verbalement. Le consentement n’est pas donné par écrit. Le test médical de détermination d’âge est également réexpliqué dans les centres d’accueil.

(...)

Selon [le représentant du service des tutelles], il est vraiment exceptionnel qu’une personne concernée refuse le test de détermination d’âge. Les membres du conseil consultatif déclarent que sinon, ces personnes ne se présenteraient de toute façon pas à l’hôpital pour le test de détermination d’âge. »

38. Dans son avis rendu au terme de leurs discussions, les membres du Conseil consultatif ont indiqué ce qui suit :

« 3.1 Consentement éclairé

Les membres du conseil consultatif conviennent que le consentement oral est suffisant. [Les membres du groupe] déclarent qu’un film informatif doit certainement aussi mettre en évidence l’exécution pratique de l’imagerie, en expliquant à la personne concernée qu’elle doit rester allongée ou debout sans bouger pendant l’imagerie. »

2. DROIT INTERNATIONAL

39. Il est renvoyé à la partie « Droit et pratique internationaux » de l’arrêt Darboe et Camara c. Italie, no 5797/17, §§ 57-94, 21 juillet 2022. Seuls les documents qui ne figurent pas dans cet arrêt sont reproduits ci-dessous.

1. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies

40. Dans ses Observations finales concernant le rapport de la Belgique valant cinquième et sixième rapports périodiques (CRC/C/BEL/CO/5-6) du 28 février 2019, le Comité des droits de l’enfant a précisé ce qui suit :

« Enfants non accompagnés

41. Le Comité se félicite des mesures prises pour faire face aux arrivées d’enfants non accompagnés, en particulier de la procédure visant à mettre en place une « solution durable » qui respecte l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné, qu’il ait ou non fait une demande d’asile, et de l’extension de la tutelle aux enfants non accompagnés originaires de l’Espace économique européen. Il est toutefois préoccupé par les informations selon lesquelles :

a) L’examen en trois phases utilisé pour déterminer l’âge des enfants non accompagnés est intrusif et peu fiable, et la procédure de recours n’est pas efficace ;

(...)

42. Se référant à son observation générale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, le Comité recommande à l’État partie :

a) D’élaborer un protocole standard relatif aux méthodes de détermination de l’âge qui soit pluridisciplinaire, fondé sur des données scientifiques, respectueux des droits des enfants et qui ne soit utilisé qu’en cas de doute sérieux quant à l’âge avancé par l’intéressé et compte tenu des pièces justificatives ou autres disponibles, et de garantir l’accès à des mécanismes de recours efficaces ; ... »

2. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

41. Le 14 décembre 2022, le Comité des Ministres a adopté une Recommandation CM/Rec(2022)22 sur les principes des droits de l’homme et lignes directrices en matière d’évaluation de l’âge dans le contexte de la migration, qui énonce notamment ce qui suit :

« (...)

Estimant que des lignes directrices, fondées sur les principes fondamentaux en matière de droits de l’homme, devraient inspirer la pratique des États membres et contribuer à développer encore dans les États membres les lois, les politiques et les pratiques qui garantissent les droits de l’enfant dans le contexte de l’évaluation de l’âge,

Recommande aux gouvernements des États membres de prendre ou de renforcer, dans leur législation ou dans leur pratique, toutes les mesures qu’ils jugent nécessaires en vue de mettre en œuvre les principes et les lignes directrices suivants :

1. en matière d’évaluation de l’âge dans le contexte de la migration, le principe fondamental qui sous-tend tous les autres principes est le respect de la dignité de chaque enfant en tant qu’être humain et titulaire de droits. Les lois, les procédures et les pratiques relatives à l’évaluation de l’âge devraient se fonder sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales des enfants ;

2. les États devraient veiller à ce que les personnes soumises à une procédure d’évaluation de l’âge soient présumées mineures tant que cette procédure n’indique pas le contraire ;

3. les États devraient disposer d’un processus d’évaluation de l’âge clairement établi, qui obéisse à une approche pluridisciplinaire combinant des connaissances, des méthodes et des pratiques fondées sur des preuves, et qui soit centré sur l’enfant ;

4. un examen médical visant à évaluer l’âge ne devrait être pratiqué que si des doutes raisonnables subsistent quant à l’âge estimé de la personne une fois que les autres mesures de l’approche pluridisciplinaire ont été exploités, avec le consentement éclairé de la personne et dans le respect des principes de la proportionnalité et de l’intérêt supérieur de l’enfant ;

5. un cadre clair réglementant l’orientation vers une procédure d’évaluation de l’âge, la mise en œuvre du processus et de la procédure d’évaluation de l’âge ainsi que le processus de prise de décisions devraient être en place, complétés si nécessaire par des instructions et des consignes supplémentaires ;

6. l’évaluation de l’âge devrait être réalisée par des professionnels désignés, conformément aux obligations et aux normes professionnelles pertinentes, et une formation professionnelle adéquate devrait être assurée à toutes les personnes responsables de l’évaluation de l’âge et des procédures afférentes ;

7. la décision sur l’évaluation de l’âge résultant de la procédure pluridisciplinaire devrait être notifiée à la personne, d’une manière adaptée aux enfants et, le cas échéant, au parent, tuteur ou représentant légal, et contenir des informations sur les motifs juridiques et factuels de la décision, éléments probants à l’appui, et des informations sur les voies de recours effectives. La décision devrait pouvoir faire l’objet d’un réexamen ou d’un recours devant une autorité indépendante ;

8. le droit de l’enfant à la vie privée et familiale devrait être garanti dans le cadre du traitement des données à caractère personnel aux fins de l’évaluation de l’âge ;

9. les États sont encouragés à promouvoir la recherche, les échanges de bonnes pratiques et la coopération afin de garantir des procédures d’évaluation de l’âge respectueuses des droits de l’homme ;

Invite les gouvernements des États membres à traduire et à diffuser aussi largement que possible le texte de cette recommandation, l’annexe et le rapport explicatif auprès de l’ensemble de leurs autorités et agents compétents, de même qu’auprès des professionnels, y compris les acteurs non gouvernementaux ; »

3. DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

42. Les 10 avril et 14 mai 2024, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, respectivement, une réforme portant refonte complète du système européen d’asile et de migration de l’Union européenne.

43. Le règlement UE 2024/1348 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE dispose en son article 25 « Évaluation de l’âge des mineurs » :

« 1. Lorsque, sur la base des déclarations du demandeur, de preuves documentaires disponibles ou d’autres éléments pertinents, des doutes existent quant à la question de savoir si le demandeur est mineur, l’autorité responsable de la détermination peut entreprendre une évaluation pluridisciplinaire, incluant une évaluation psychosociale, qui est effectuée par des professionnels qualifiés, afin de déterminer l’âge du demandeur dans le cadre de l’examen d’une demande.

L’évaluation de l’âge ne doit pas se fonder uniquement sur l’apparence physique ou le comportement du demandeur. Aux fins de l’évaluation de l’âge, les documents disponibles sont considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire, et les déclarations des mineurs sont prises en considération.

2. Lorsque des doutes subsistent quant à l’âge d’un demandeur à l’issue de l’évaluation pluridisciplinaire, il peut être procédé à des examens médicaux, comme mesure de dernier recours, afin de déterminer l’âge du demandeur dans le cadre de l’examen d’une demande. Lorsque le résultat de l’évaluation de l’âge visée au présent paragraphe n’est pas concluant en ce qui concerne l’âge du demandeur, ou comporte une tranche d’âge inférieure à 18 ans, les États membres présument que le demandeur est mineur.

3. Tout examen médical réalisé aux fins visées au paragraphe 2 est le moins invasif possible et est réalisé dans le plein respect de la dignité de la personne. Il est réalisé par des professionnels de la santé ayant de l’expérience et une expertise en matière d’estimation de l’âge.

Lorsque le présent paragraphe s’applique, les résultats de l’examen médical et de l’évaluation pluridisciplinaire sont analysés conjointement, de manière à pouvoir obtenir les résultats les plus fiables possible.

4. Lorsqu’elle fait procéder à des examens médicaux afin d’évaluer l’âge d’un demandeur, l’autorité compétente veille à ce que les demandeurs, leurs parents, l’adulte qui, selon le droit ou la pratique de l’État membre concerné, en est responsable, leur représentant ou la personne visée à l’article 23, paragraphe 2, point a), soient informés, préalablement à l’examen de leur demande de protection internationale, dans une langue qu’ils comprennent et d’une manière adaptée aux enfants et à leur âge, de la possibilité que leur âge soit évalué au moyen d’un examen médical. Cela comprend notamment des informations sur la méthode d’examen, les conséquences possibles que les résultats de cet examen médical pourraient avoir pour l’examen de la demande, et sur la possibilité et les conséquences d’un refus de la part du demandeur de subir un tel examen médical. Tous les documents relatifs à l’examen médical sont versés au dossier du demandeur.

5. Un examen médical visant à évaluer l’âge des demandeurs n’est réalisé que si les demandeurs, leurs parents, l’adulte responsable visé au paragraphe 4 du présent article, leur représentant ou la personne visée à l’article 23, paragraphe 2, point a), y consentent après avoir reçu les informations mentionnées au paragraphe 4 du présent article.

6. Le refus des demandeurs, de leurs parents, de l’adulte responsable visé au paragraphe 4 du présent article, de leur représentant ou de la personne visée à l’article 23, paragraphe 2, point a), qu’un examen médical soit réalisé en vue de l’évaluation de l’âge n’empêche pas l’autorité responsable de la détermination de prendre une décision sur la demande de protection internationale. Un tel refus ne peut être considéré que comme une présomption réfragable que le demandeur n’est pas mineur.

7. Un État membre peut reconnaître les décisions relatives à l’évaluation de l’âge prises par d’autres États membres lorsque les évaluations de l’âge ont été effectuées en conformité avec le droit de l’Union. »

44. Ledit Règlement 2024/1348 s’appliquera à partir du 12 juin 2026. Il est précisé par ailleurs que les demandes de protection internationale introduites avant le 12 juin 2026 demeurent régies par la directive 2013/32/UE (sur les dispositions pertinentes de cette dernière, voir Darboe et Camara, précité, § 77).

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

45. La requérante se plaint d’une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée résultant de la décision de cessation de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée adoptée à la suite de la procédure d’évaluation de son âge. Elle invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur la recevabilité

46. Les parties s’accordent à considérer que l’article 8 trouve à s’appliquer et que le présent litige se rapporte au droit de la requérante au respect de sa vie privée. La Cour considère également, au vu de l’objet du présent grief, que l’article 8 trouve à s’appliquer.

47. Elle réitère à ce titre que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III), qui recouvre l’intégrité physique et psychologique de la personne et peut donc englober de multiples aspects de l’identité d’un individu, tels l’identification et l’orientation sexuelle, le nom, ou des éléments se rapportant au droit à l’image (S. et Marper c. Royaume‑Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 66, CEDH 2008). L’article 8 protège en outre un droit à l’épanouissement personnel et celui de nouer et de développer des relations avec autrui et avec le monde extérieur (voir, par exemple et avec les références qui s’y trouvent citées, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003-III, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 95, 25 septembre 2018, et Milićević c. Monténégro, no 27821/16, § 54, 6 novembre 2018). L’obligation des États de protéger ce droit est d’autant plus importante lorsque sont en jeu, comme en l’espèce, les relations personnelles d’un mineur non accompagné dans un contexte de migration qui le rend particulièrement vulnérable (Darboe et Camara, précité, § 123).

48. La Cour rappelle que l’âge d’une personne est un moyen d’identification personnelle et que la procédure d’évaluation de l’âge d’un individu se déclarant mineur ainsi que les garanties procédurales y afférentes sont essentielles pour garantir à l’intéressé tous les droits découlant de son statut de mineur (Darboe et Camara, précité, § 124). Les garanties de l’article 8 trouvent d’autant plus à s’appliquer quand une telle procédure implique, comme en l’espèce, la réalisation de tests médicaux sur la personne concernée (Pindo Mulla c. Espagne [GC], no 15541/20, § 138, 17 septembre 2024).

49. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé et ne se heurte par ailleurs à aucun des autres motifs visés à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) La requérante

50. La requérante se plaint des conséquences sur les différents volets de sa vie privée de la décision de cesser sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée adoptée par le service des tutelles à la suite de la procédure d’évaluation de l’âge dont elle critique le déroulement. Elle rappelle qu’étant mineure sans tuteur ni avocat, elle a été directement auditionnée par un homme, sans avoir été préparée à cet entretien. Elle explique ensuite qu’elle ne s’attendait pas à devoir répondre à autant de questions et ne comprenait pas les enjeux de cet entretien, à savoir qu’il pouvait donner lieu à l’émission d’un doute sur sa minorité, craignant simplement qu’au terme de l’entretien elle puisse être renvoyée dans son pays d’origine. Elle ajoute qu’elle considérait la nécessité de se soumettre à des tests osseux comme étant une étape obligatoire pour se voir attribuer un centre d’accueil. Selon elle, ni lors de l’entretien initial ni par la suite, son attention n’a été appelée sur les enjeux de la procédure, sur la faculté qui lui était offerte de refuser de se soumettre à ces tests et sur les conséquences de son éventuel refus. Elle insiste ainsi sur ce qu’à aucun moment de la procédure, elle n’a reçu des informations correctes qui lui auraient permis de donner son consentement. Elle conteste avoir reçu une brochure explicative et relève que son consentement n’avait pas été recueilli par écrit avant les tests. Elle indique que le seul document qu’on lui a demandé de signer était le résultat des tests, ce qu’elle a refusé de faire. Elle explique que ce n’est que lors de l’entretien du 26 août 2019 qu’elle a enfin compris que sa minorité avait été remise en cause. Elle se plaint qu’à aucun moment de la procédure il n’avait été tenu compte de sa vulnérabilité et indique que tous les éléments en attestant, qu’elle a pu produire par la suite et après avoir eu accès à un conseil, ont été purement et simplement ignorés par l’ensemble des autorités.

51. Elle relève par ailleurs que la procédure applicable ne faisait peser sur les autorités aucune obligation de s’assurer que le jeune avait compris qu’il avait la possibilité de refuser de se soumettre aux tests ainsi que les conséquences qui pouvaient en résulter. Selon la requérante, un jeune qui n’est assisté lors de cet étape ni d’un tuteur ni d’un avocat se trouve dans une position de faiblesse face à un adulte dans un pays inconnu.

52. La requérante reproche ensuite aux autorités de ne pas lui avoir proposé d’alternatives aux tests osseux alors qu’il était possible de recueillir l’avis du personnel du centre de transit où elle se trouvait, tout comme il était possible de la soumettre aux tests psychologiques prévus par l’alinéa 2 de l’article 3 de l’arrêté royal du 22 décembre 2003. Elle reproche en outre au service des tutelles de ne pas avoir effectué une vérification, par l’intermédiaire du consulat belge sur place, de la légalisation par le ministère des Affaires étrangères guinéen de son acte de naissance et du jugement supplétif. Elle se réfère à l’article 3 de l’arrêté royal précité, dont l’alinéa 1er dispose que celle-ci peut se faire au moyen des documents officiels ou des renseignements obtenus auprès des postes consulaires ou diplomatiques du pays d’origine ou de transit, de tout autre renseignement, pour autant qu’une telle demande ne mette pas en danger le mineur ou sa famille se trouvant dans le pays de transit ou d’origine. Elle considère que cette possibilité aurait dû être utilisée dans son cas puisqu’elle ne fuyait pas son pays d’origine en raison d’une crainte des autorités mais bien en raison des risques résultant de son mariage forcé. Elle en conclut que le recours à des tests osseux n’était pas nécessaire, compte tenu de l’existence d’autres moyens disponibles pour évaluer son âge. Selon elle, ces autres moyens étaient tout aussi fiables que les tests osseux.

53. Elle renvoie à ce titre à l’étude réalisée par la Plateforme « Mineurs en exil » reproduisant un extrait de la Résolution du Parlement européen du 12 septembre 2013 remettant en cause la fiabilité des tests osseux ainsi qu’aux recommandations du Conseil de l’Ordre des médecins (paragraphe 35 ci‑dessus). Elle souligne en particulier que selon l’Ordre des médecins, la fiabilité de ces tests est compromise par le fait que le référentiel utilisé est l’ossature d’un individu caucasien et qu’ils ne prennent pas en compte les autres facteurs, tels que l’ethnie et l’environnement, ce qui conduit à la surestimation de l’âge. Elle rappelle que de nombreuses instances ont critiqué l’effet nuisible de ces tests, du fait de l’utilisation des rayons X, ainsi que leur caractère invasif.

54. La requérante estime que l’ingérence n’était pas nécessaire dans une société démocratique et était disproportionnée à l’objectif poursuivi, à savoir l’évaluation de son âge, puisqu’au lieu de recourir aux autres moyens autorisés par la législation belge, le service des tutelles a choisi le triple test osseux, potentiellement nuisible pour la santé des jeunes concernés et vivement critiqué pour son manque de fiabilité.

b) Le Gouvernement

55. Le Gouvernement combat la thèse de la requérante selon laquelle les tests litigieux avaient été réalisés sans son consentement. Il explique à ce titre que la personne à l’égard de laquelle les autorités émettent un doute quant à sa minorité est informée à plusieurs reprises du déroulement de l’examen médical, de sa finalité et de ses conséquences. Il indique qu’au moment où le doute est émis, l’agent de l’Office des étrangers fournit ces informations à la personne concernée et lui remet une brochure dans une langue qu’elle comprend et rédigée dans un langage accessible aux jeunes (paragraphe 8 ci‑dessus). Il se réfère à la fiche de signalement de l’Office des étrangers, dont il ressort, de l’avis du Gouvernement, que cette procédure a bien été suivie dans le cas de la requérante puisque ce document contient les mentions nécessaires concernant le doute émis, la remise du document d’information sur le déroulement du test d’âge et indique qu’elle n’a formulé aucune objection.

56. Le Gouvernement explique que le déroulement du test est à nouveau expliqué au jeune par les assistants sociaux du centre d’observation et d’orientation de FEDASIL, un centre spécialisé dans l’accueil des mineurs, dans lequel celui-ci réside jusqu’à ce qu’une décision définitive sur sa minorité soit prise. Il indique que, bien que le personnel de ces centres ne soit pas obligé de transmettre son rapport au service des tutelles, il peut néanmoins signaler les personnes présentant des vulnérabilités particulières (par exemple, victime de la traite, etc.), auquel cas un tuteur provisoire leur est désigné dès le début de la procédure d’identification. Il souligne que le centre n’a fait aucun signalement particulier concernant la requérante. Il explique que la personne est ensuite conduite au test par un chauffeur du service des tutelles afin d’assurer un encadrement correct, cet accompagnateur ayant la faculté d’arrêter le processus en cas d’une quelconque objection puisqu’il est loisible au jeune de se rétracter à tout moment de la procédure. Il souligne qu’aucune objection n’a été formulée par la requérante au cours des deux semaines qui ont suivi l’entretien initial ni lors de la réalisation du test osseux. Il estime que toutes les garanties sont dès lors bien mises en place pour empêcher que des tests ne soient réalisés sans le consentement de la personne concernée.

57. Quant à l’argument de la requérante selon lequel il y avait une obligation de facto de se soumettre au triple test osseux, le Gouvernement souligne que le refus de s’y soumettre n’aurait pas eu de conséquences néfastes sur le dossier de celle-ci puisque la procédure prévoit que dans ce cas, elle aurait été reçue en entretien au service des tutelles qui se serait alors basé sur les éléments du dossier à sa disposition, à savoir le rapport d’entretien du 26 août 2019 et les documents produits par elle. Il en conclut qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la requérante, rappelant que les tests litigieux étaient entourés d’un ensemble des garanties et qu’ils n’ont pas été pratiqués contre son gré (voir, en comparaison et a contrario, Acmanne et autres c. Belgique, no 10435/83, décision de la Commission du 10 décembre 1984, Décisions et rapports 40, p. 251).

58. Si toutefois la Cour vient à considérer qu’il y a eu une ingérence, le Gouvernement indique que celle-ci était prévue par l’article 7 de la Loi Tutelle tout en admettant que la loi ne précise pas de quel test médical il s’agit puisqu’elle n’indique que celui-ci doit être effectué par un médecin et sous le contrôle du service des tutelles, qui peut donc déterminer le choix du test médical à réaliser. Il précise à cet égard que le service des tutelles fait systématiquement procéder à un examen médical appelé « triple test osseux ».

59. Le Gouvernement considère ensuite que l’ingérence en question poursuivait un but légitime, à savoir la nécessité de différencier les personnes mineures des personnes majeures en vue de la protection des premières, notamment en leur garantissant un hébergement sécurisé et séparé des adultes.

60. Il poursuit en indiquant que la mesure en question était « nécessaire dans une société démocratique ». Il souligne, d’une part, que les tests psychoaffectifs sont moins fiables que les tests osseux. Il se réfère à ce titre au Guide pratique d’EASO sur l’évaluation de l’âge selon lequel les méthodes non médicales fondées sur l’observation de l’apparence physique et du comportement sont soumises à l’arbitraire et sont peu précises. Il indique, d’autre part, que les autorités belges ont choisi de ne pas recourir à des méthodes plus intrusives, telles que l’exploration de la maturité sexuelle. Il considère que les tests osseux constituaient ainsi l’option la plus fiable en l’état actuel de la science. Il explique que la Belgique a choisi de faire effectuer un test médical et non de se fier à des critères subjectifs.

61. Se référant à l’avis de l’Ordre des médecins (paragraphe 35 ci-dessus), le Gouvernement indique que les autorités qui pratiquent ces tests prennent toutes les précautions nécessaires et utilisent des doses de radiation aussi faibles que possibles, en respectant le principe ALARA (as low as reasonably achievable).

62. Le Gouvernement donne ensuite les détails techniques des trois tests osseux et précise que tous les résultats sont recoupés pour permettre au médecin de formuler une conclusion définitive, par laquelle un âge osseux est déterminé avec une marge d’erreur (l’écart-type). Il explique que le service des tutelles retient toujours l’âge le plus bas, tel que calculé en fonction de la marge d’erreur comprise dans la conclusion finale du rapport médical et que tout doute est interprété en faveur de la minorité. Il rappelle qu’en l’occurrence, le résultat du triple test osseux a clairement établi la majorité de la requérante, aucun des tests ne concluant séparément à la minorité et l’estimation la plus basse se situant à 19,7 ans, bien loin de l’âge déclaré par celle-ci.

63. Le Gouvernement estime que le test médical a établi une forte présomption de majorité de la requérante et que celle-ci n’a fourni aucun élément fiable permettant de la renverser. Il précise que son entretien avec le service des tutelles mené par un assistant social spécialement formé à l’audition des mineurs n’a pas non plus permis de conclure à sa minorité. Il rappelle que la décision de pratiquer un test médical en vue de la détermination de l’âge de la requérante a été prise puisque celle-ci n’avait pas soumis de documents d’identité légalisés conformément à l’article 30 du code de droit international. Il rappelle également que non seulement elle n’en a pas présenté par la suite non plus, les documents authentiques fournis postérieurement au service des tutelles n’étant toujours pas légalisés, les doutes quant à leur véracité ont été corroborés par la réponse du SPF des Affaires étrangères qui a relevé des irrégularités (paragraphe 16 ci-dessus).

64. Dans ses dernières observations, le Gouvernement indique que la requérante s’était déclarée majeure et avait indiqué une autre date de naissance dans un autre pays de l’Union européenne par lequel elle avait transité (paragraphe 19 ci-dessus). Il précise également que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, c’est bien le consulat belge en Guinée qui a émis des doutes sur ses documents d’identité, et non l’administration centrale des Affaires étrangères.

65. Il conclut en indiquant que la décision du service des tutelles a été prise à l’issue d’une procédure permettant à la requérante de faire valoir tous les éléments pertinents qu’elle souhaitait pour l’évaluation de son âge mais que ceux-ci ont été écartés, eu égard au doute sérieux émis par l’administration compétente combiné avec l’écart de plus de deux ans entre l’estimation la plus basse du triple test osseux et l’âge figurant dans les documents non légalisés produits par l’intéressée.

2. Observations des tiers intervenants

66. Les tiers intervenants, à savoir la Ligue des droits humains, la Plate‑forme Mineurs en exil et le Centre des droits de l’homme ainsi que celui pour l’étude sociale de la migration et des réfugiés de l’Université de Gand, considèrent que le processus d’évaluation de l’âge, tel que prévu par la législation belge et appliqué par le service des tutelles, est exempt de garanties procédurales exigées par l’article 8 de la Convention. Ils se réfèrent à ce titre à l’impossibilité pour le mineur concerné de faire valoir valablement ses droits durant cette phase, notamment en raison de l’absence de nomination d’un tuteur ou d’une assistance par un conseil spécialisé. Ils critiquent également l’absence de décisions motivées, en particulier celle sur le doute émis sur la minorité, et le difficile accès aux informations par la personne concernée.

67. Ils reprochent ensuite aux autorités belges le recours systématique et immédiat aux tests osseux pour déterminer l’âge des personnes concernées, une méthode qu’ils jugent être intrusive et peu fiable. Les tiers intervenants citent à l’appui de cette affirmation les préoccupations exprimées en la matière par différentes instances internationales. Or, selon eux, les résultats de ces tests sont considérés par les autorités comme déterminant dans l’établissement de l’âge des mineurs déclarés au détriment des documents d’identité, qu’ils soient authentiques ou légalisés, et d’autres méthodes, plus respectueuses de l’intérêt supérieur de l’enfant, pourtant prévues par la législation belge.

68. Les tiers intervenants estiment que ce système est contraire à l’article 8 de la Convention, notamment compte tenu des conséquences graves que la décision sur sa majorité ainsi prise emporte pour le jeune concerné puisque non seulement le service des tutelles met fin à sa prise en charge en tant que MENA mais que les autorités modifient unilatéralement son identité en lui attribuant une date de naissance fictive correspondant à un âge majeur, et qu’il se voit alors condamné à poursuivre la procédure ainsi que sa vie muni d’une identité qui n’est pas la sienne.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

69. La Cour rappelle que les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, par exemple, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 113, CEDH 2012 ; Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006-XII).

70. Elle souligne l’importance des procédures d’évaluation de l’âge dans le contexte migratoire. Les législations interne, européenne et internationale protectrices des droits des enfants ne deviennent applicables qu’à partir du moment où ceux-ci sont reconnus comme tels. L’établissement de la minorité d’une personne est donc la première étape vers une reconnaissance de ses droits et la mise en place de tous les dispositifs de prise en charge nécessaires. En effet, si un mineur est reconnu à tort comme étant adulte, des mesures portant gravement atteinte à ses droits peuvent être prises à son égard (Darboe et Camara, précité, § 125).

71. La Cour réitère à ce titre que le souci légitime des États de déjouer les tentatives de contournement des restrictions à l’immigration ne doit pas priver les mineurs étrangers, de surcroît non accompagnés, de la protection liée à leur état. Il y a donc la nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration des États (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 81, CEDH 2006-XI).

72. En même temps, la Cour admet que les autorités nationales se trouvent devant une tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil en raison des difficultés résultant parfois du dysfonctionnement des services d’état civil de certains pays d’origine des migrants et des risques de fraude qui y sont associés. Lorsque les informations soumises donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit ou pour écarter d’éventuelles objections pertinentes quant à l’authenticité des documents par lui produits. Les autorités nationales sont en principe mieux placées pour établir les faits sur la base des preuves recueillies par elles ou produites devant elles et il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. Il en est de même à l’égard de la décision de pratiquer un examen médical des enfants (Mugenzi c. France, no 52701/09, §§ 47 et 51, 10 juillet 2014, avec d’autres références).

73. La Cour rappelle que si l’évaluation par les autorités nationales de l’âge d’une personne peut constituer une mesure nécessaire en cas de doute sur sa minorité, le principe de présomption de minorité implique que la procédure d’évaluation s’accompagne de garanties procédurales suffisantes (Darboe et Camara, précité, §§ 153-154).

b) Application au cas d’espèce

1. Sur l’existence d’une ingérence

74. Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la requérante au motif que celle-ci a valablement consenti au triple test osseux et que la décision sur sa majorité a été prise au terme d’un processus entouré de toutes les garanties nécessaires prévues par la législation.

75. La requérante conteste avoir disposé de toutes les facilités nécessaires lui permettant de donner son consentement libre et éclairé à la réalisation desdits tests, dont les résultats se sont révélés déterminants dans la décision entraînant la fin de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée.

76. La Cour relève que la question de savoir si la requérante a valablement consenti à la réalisation du triple test osseux est contestée entre les parties. Elle note en outre que les griefs de la requérante ne se limitent pas à la validité de son consentement à la réalisation de ce test mais porte sur l’ensemble de la procédure d’évaluation de l’âge qui a abouti à la décision de cessation de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée. La Cour observe que cette décision l’a privée de l’ensemble des droits découlant de ce statut et estime en conséquence qu’elle est constitutive d’une « ingérence » dans l’exercice du droit de la requérante au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention.

2. Sur la légalité de l’ingérence

77. La Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties que l’ingérence repose sur une base légale, à savoir le Chapitre 6 du Titre XIII « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés » de la loi-programme du 24 décembre 2002, et en particulier sur son article 7, qui prévoit qu’en cas de doutes concernant l’âge d’un étranger se déclarant mineur, il est procédé « immédiatement » à un test médical, dont le résultat, s’il conclut à la majorité, entraîne de plein droit la fin de la prise en charge de la personne concernée par le service des tutelles (paragraphe 31 ci-dessus).

3. Sur l’existence d’un but légitime

78. Le Gouvernement soutient que l’ingérence en question poursuivait un but légitime, à savoir la nécessité de différencier les migrants mineurs des personnes majeures dans la même situation en vue de la protection spéciale des premières en leur assurant notamment un hébergement séparé des adultes.

79. La Cour note que la mesure litigieuse a été prise dans le cadre du contrôle de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire de l’État belge. Elle a déjà reconnu l’intérêt légitime des États de déterminer l’âge d’un ressortissant étranger entrant sur leur territoire, compte tenu des conséquences que cet âge implique sur l’application du régime de protection spéciale des mineurs étrangers non accompagnés, une catégorie des personnes les plus vulnérables de la société (paragraphe 70 ci-dessus).

80. Elle accepte dès lors que l’ingérence en question relevait de l’application d’une réglementation, dont l’objectif est de garantir une protection particulière aux migrants mineurs et peut donc se rattacher à des objectifs de la défense de l’ordre et de la sûreté publique ainsi que de protection des droits et libertés d’autrui, constituant des buts légitimes, au regard du second paragraphe de l’article 8 de la Convention.

4. Sur la nécessité de l’ingérence

81. En l’espèce, la Cour relève qu’à son arrivée en Belgique, la requérante a introduit une demande de protection internationale, en présentant une copie de son acte de naissance non légalisée justifiant de sa minorité. Elle a été placée, dans le respect de la présomption de minorité, dans un centre pour mineurs, où elle est restée pendant toute la procédure d’évaluation de l’âge. Ceci conduit d’emblée à distinguer sur ce point la présente affaire de l’affaire Darboe et Camara (précité, § 150) où la Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention en raison du placement du requérant, s’étant présenté comme mineur à son arrivée en Italie et reconnu comme tel par la suite, dans un centre de détention pour adultes surpeuplé pendant plus de quatre mois à l’issue d’une procédure d’évaluation de l’âge exempte de garanties procédurales suffisantes.

82. La Cour relève ensuite qu’à la suite de l’introduction de sa demande de protection internationale, la requérante a été entendue par un agent de l’Office des étrangers. Lors de cet entretien, l’agent a émis des doutes sur la minorité de la requérante. Relevant notamment l’absence de documents d’identité originaux, il l’a immédiatement orientée vers la réalisation d’un test médical consistant en une radiographie de la main et du poignet, une radiographie de la clavicule ainsi qu’en un scanner des dents. Ce triple test, effectué à l’hôpital universitaire Saint Raphael de Louvain, a conclu que la requérante était âgée de 21,7 ans, avec un écart type de deux ans (paragraphe 11 ci-dessus).

83. Ce n’est qu’après la réalisation de ce test que la requérante a été auditionnée par un agent du service des tutelles auquel elle a notamment présenté des copies d’autres documents d’identité, complétés quelques jours plus tard par l’envoi des originaux (paragraphes 13 et 15 ci‑dessus) et dont l’authenticité a été ultérieurement mise en doute par les autorités belges (paragraphe 16 ci-dessus).

84. Au terme de ces évaluations, le service des tutelles a rendu, le 11 septembre 2019, une décision de cessation de prise en charge de la requérante en tant que mineure étrangère non accompagnée (paragraphe 17 ci-dessus). Cette décision se fonde sur les résultats du test médical ainsi que sur l’absence de documents légalisés au sens de l’article 30 du code de droit international privé. Le service des tutelles a considéré que la divergence de plus de deux ans entre la limite inférieure de l’examen médical et les documents fournis dépassait la marge raisonnable et que dans ces conditions, il y avait lieu de faire prévaloir le résultat du test d’âge sur la documentation remise par l’intéressée (ibid).

85. Au vu de ce qui précède, il n’appartient pas à la Cour, en tant que juridiction internationale, de se prononcer sur la question de savoir si la requérante était mineure à la date de son arrivée en Belgique (Darboe et Camara, précité, § 131). La Cour prend note à cet égard d’autres éléments invoqués par le Gouvernement qui sont apparus postérieurement à l’adoption de la décision de cessation de prise en charge du 11 septembre 2019 et qui tendent à conforter les doutes préalablement émis par les autorités. Elle relève ainsi que la requérante avait déjà été enregistrée antérieurement comme majeure auprès des instances d’asile en Allemagne (paragraphe 19 ci-dessus). Elle prend également note des doutes émis le 23 septembre 2019 par le SPF Affaires étrangères sur l’authenticité des documents produits par la requérante (paragraphes 16 et 83 ci-dessus).

86. En l’occurrence, la Cour examinera conformément à l’article 19 de la Convention si les autorités nationales ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention à l’égard de la requérante, tenant compte de la marge d’appréciation dont elles disposent dans les processus d’évaluation de l’âge des personnes migrantes qui se revendiquent mineures.

87. À cette fin, la Cour note en premier lieu que les parties sont en désaccord sur le point de savoir si la requérante a été dûment informée de ses droits dans le cadre de la réalisation du test osseux. Elles s’accordent toutefois sur le fait que le test médical en question ne peut être réalisé sans le consentement de la personne concernée et que ce consentement doit être donné expressément (voir également en ce sens les avis du Conseil national de l’Ordre des médecins, paragraphes 35 et 36 ci-dessus). Le Gouvernement explique qu’afin de satisfaire à cette exigence, la personne se voit remettre un fascicule spécial expliquant en termes simples et dans une langue qu’elle comprend le déroulement des tests médicaux (paragraphe 8 ci-dessus). La remise du fascicule à l’intéressé et l’absence de son opposition à la pratique de ces tests sont actées dans le formulaire pré-imprimé par l’agent en charge de l’entretien lors duquel le doute sur la minorité de la personne est émis (paragraphe 7 ci‑dessus). Aucune signature de la personne concernée n’est cependant requise pour attester de la remise dudit fascicule ni sur le formulaire pré-imprimé pour attester de l’exactitude des réponses retranscrites.

88. Aux yeux de la Cour, la communication de ces informations est d’autant plus importante lorsque, comme en l’espèce, la personne concernée, toujours présumée mineure non accompagnée et demanderesse de protection internationale, n’est assistée ni d’un représentant ni d’un conseil lors de la phase d’évaluation de l’âge.

89. La Cour n’estime cependant pas nécessaire de trancher la question de savoir si la requérante a effectivement reçu les informations concernant le triple test osseux puisque, même à supposer que le fascicule en question lui eût effectivement été remis, elle ne peut que constater que celui-ci ne mentionne pas la nécessité de son consentement, le document n’indiquant que la possibilité d’« exprimer [son] avis sur le sujet » ainsi que la possibilité, en cas de désaccord, de contester la décision finale devant le Conseil d’État (paragraphe 8 ci-dessus). La décision de cessation de prise en charge de la requérante en tant que mineure étrangère non accompagnée ne mentionne pas davantage l’existence du consentement de la requérante et se limite à indiquer que celle-ci a été informée du déroulement du test médical (paragraphe 17 ci‑dessus).

90. La Cour réitère à cet égard l’importance du consentement libre et éclairé des patients à la réalisation d’un acte médical et rappelle que l’absence de ce consentement peut s’analyser en une atteinte à leur intégrité physique mettant en jeu les droits protégés par l’article 8 de la Convention (Pindo Mulla, précité, §§ 138-139). La Cour ne perd pas de vue qu’il s’agit en l’occurrence d’un examen médical pratiqué à des fins non médicales. Elle estime cependant que cette circonstance n’a guère d’incidence sur l’application des principes dégagés par sa jurisprudence dans la mesure où est également en jeu le principe de l’autonomie personnelle qui est au cœur de l’article 8 de la Convention (idem, § 137). À ce titre, elle relève le caractère invasif des tests médicaux pratiqués en vue de l’évaluation de l’âge consistant, en l’espèce, en une triple radiographie (paragraphe 11 ci-dessus).

91. En deuxième lieu, la Cour relève qu’il a été procédé immédiatement aux tests osseux à la suite des doutes émis sur la minorité de la requérante par un agent de l’Office des étrangers (paragraphe 7 ci-dessus). Le droit belge prévoit en effet expressément que ces tests sont effectués « immédiatement » en cas de doute concernant l’âge de l’intéressé (paragraphe 31 ci-dessus).

92. Or, la Cour souligne que, compte tenu de leur caractère invasif en l’espèce, il convient de ne pratiquer les examens médicaux qu’en dernier ressort si les autres moyens permettant de lever le doute sur l’âge de l’intéressé n’ont pas abouti à des résultats concluants (voir en ce sens également paragraphe 41 ci-dessus). Elle rappelle en effet que, pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, l’existence d’une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but doit être exclue (Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 183, CEDH 2012, et Saint-Paul Luxembourg S.A. c. Luxembourg, no 26419/10, § 44, 18 avril 2013).

93. En l’espèce, force est de constater que l’entretien de la requérante avec un agent du service des tutelles spécialement formé à l’accueil des mineurs n’a eu lieu qu’après la réalisation des tests osseux. Ce n’est que lors de cet entretien que la requérante a notamment été interrogée sur son état civil, sur sa situation familiale, sur ses conditions de vie dans son pays d’origine ainsi que sur sa scolarité. Or, un entretien préalable avec un agent du service des tutelles aurait pu, le cas échéant, permettre, d’une part, de rechercher si le doute sur la minorité de la requérante pouvait être levé par d’autres moyens moins intrusifs et, d’autre part, permettre au professionnel qualifié de s’assurer que celle-ci a reçu toutes les informations nécessaires pour faire valoir valablement ses droits.

94. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la fiabilité des tests osseux, laquelle a été abondamment discutée par les parties et les tiers intervenants, et reste largement débattue. Dans le cas d’espèce, elle observe, sans qu’elle ait à se prononcer sur ce point ni sur la minorité ou non de la requérante, que le processus décisionnel qui a abouti à la décision de cessation de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée n’a pas été entouré de garanties suffisantes au regard de l’article 8 de la Convention.

95. Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

2. SUR la violation alléguée de l’article 13 combiné à l’article 8 de la convention

96. La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours interne effectif pour faire valoir son grief tiré de l’article 8 de la Convention. Elle invoque l’article 13 de la Convention qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

97. Se référant à l’arrêt SA Patronale hypothécaire c. Belgique (no 14139/09, 17 juillet 2018), le Gouvernement estime que le recours devant le Conseil d’État constitue un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention. Il considère qu’en l’espèce, le Conseil d’État ne s’est pas borné, dans le cadre du recours en suspension, à vérifier de manière abstraite les conditions dans lesquelles l’autorité administrative avait statué mais a examiné, un à un et de manière détaillée, les arguments de la requérante. Il estime que l’arrêt rendu sur la demande en suspension est dûment motivé et que chaque aspect contesté de la décision du service des tutelles a ainsi été revu par le Conseil d’État.

2. La requérante

98. La requérante soutient que le recours en annulation et en suspension devant le Conseil d’État ne constituait pas un recours effectif puisqu’il ne permettait pas de mettre fin aux violations alléguées. Elle considère que le recours en légalité était inadapté à la situation litigieuse puisqu’il ne permet pas au Conseil d’État d’examiner le fond du dossier, son intervention ayant été limitée à la question de savoir si la décision prise par l’administration était légale et respectait les exigences de motivation.

99. Dans ses observations du 19 mai 2022, postérieures à la communication de la requête, la requérante soulève au titre de l’article 13 de la Convention deux autres griefs, le premier concernant l’absence d’effet suspensif des recours portés devant le Conseil d’État et le deuxième portant sur l’irrecevabilité du recours en annulation pour perte d’intérêt.

2. Appréciation de la Cour

100. L’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne permettant d’examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir un redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Darboe et Camara, précité, §§ 193-195).

101. Se référant à la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 8 (paragraphe 95 ci-dessus), la Cour considère en l’espèce que la requérante avait un grief défendable à faire valoir au titre de l’article 13 de la Convention. Elle relève qu’à la suite de la notification de la décision de cessation de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée, la requérante a introduit deux recours auprès du Conseil d’État, à savoir un recours en suspension et un recours en annulation.

102. La requérante invoque un manque d’effectivité des recours en cause en raison de la portée prétendument limitée du contrôle exercé par le Conseil d’État. Cependant, la Cour a déjà jugé que ce contrôle répond a priori aux exigences de l’article 6 de la Convention (SA Patronale hypothécaire, précité, §§ 44 et 50, et European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique, nos 1269/13 et 4 autres, § 62, 11 juillet 2023) et partant à celles de l’article 13 (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 88, série A no 52 ; SA Patronale hypothécaire, précité, § 28). Ainsi, la Cour considère que le seul fait que le Conseil d’État exerce un contrôle de légalité n’est pas, en soi, contraire à cette dernière disposition. Elle note en l’espèce que la requérante a pu former un recours en suspension qui, s’il avait prospéré, aurait pu conduire à la suspension des effets de la décision du 11 septembre 2019 contestée par la requérante.

103. Dans ces conditions, la Cour considère que ce grief doit être déclaré irrecevable comme étant manifestement mal fondé en application de l’article 35 § 3 (a) de la Convention.

104. S’agissant des griefs formulés par la requérante dans ses observations du 19 mai 2022 (paragraphe 99 ci-dessus), la Cour constate que ces griefs sont nouveaux et n’ont été présentés que postérieurement à la communication de la requête au Gouvernement, en dehors du délai prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit qu’ils doivent être déclarés irrecevables pour tardiveté en application de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, D.C. c. Belgique, no 82087/17, §§ 58-65, 30 mars 2021).

105. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 COMBINÉ À L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

106. Enfin, la requérante se plaint d’avoir été discriminée au motif qu’elle n’a pas pu bénéficier, contrairement aux autres migrants mineurs d’âge non accompagnés, des dispositions et du régime favorable mis en place par les législations belges et européennes pour les MENA. Elle invoque l’article 14 combiné à l’article 8 de la Convention.

107. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, relevant que ce grief n’a pas été soulevé au niveau interne par la requérante. Il ajoute qu’en toute hypothèse, la différence entre le régime appliqué à la requérante, considérée comme majeure, et le régime appliqué aux MENA repose sur l’âge, qui est un critère objectif.

108. La Cour note que dans la mesure où les arguments de la requérante devraient être compris comme critiquant la décision de cessation de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée, elle a déjà répondu à cette argumentation sur le terrain de l’article 8 de la Convention, sans se prononcer cependant sur la question de savoir si la requérante aurait dû être considérée comme mineure par les autorités.

109. La Cour constate que ce grief tiré de l’article 14 de la Convention est formulé en des termes généraux et n’est pas étayé. Elle relève, avec le Gouvernement, que l’admission au régime MENA se fonde sur un critère objectif qui est l’âge de l’intéressé. Elle rappelle avoir conclu plus haut que l’existence d’un dispositif permettant de différencier les migrants mineurs des personnes majeures dans la même situation poursuivait un but légitime et répondait à la nécessité d’offrir une protection spéciale aux premiers (paragraphes 78-80 ci-dessus).

110. Dans ces conditions, la Cour considère que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 § 3 (a) et 4 de la Convention. Il n’y a donc pas lieu d’examiner l’objection du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

111. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

112. La requérante demande 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi.

113. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

114. Statuant en équité, la Cour octroie 5 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

2. Frais et dépens

115. La requérante n’a présenté aucune demande pour les frais et dépens éventuellement engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Partant, il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief tiré de l’article 8 de la Convention recevable et la requête irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 mars 2025, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth Ivana Jelić
Greffière Présidente


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