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20/06/2024 | CEDH | N°001-234263

CEDH | CEDH, AFFAIRE TEMPORALE c. ITALIE, 2024, 001-234263


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TEMPORALE c. ITALIE

(Requête no 38129/15)

ARRÊT


Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Traitement adéquat du requérant en prison pour ses problèmes de santé physique et mentale

Art 38 • Obligation de fournir toutes facilités nécessaires • Gouvernement ayant transmis les informations requises ultérieurement au délai imparti mais avant que la Cour ne statue sur la recevabilité et le fond, ce qui lui a permis d’examiner l’affaire

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STR

ASBOURG

20 June 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. I...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TEMPORALE c. ITALIE

(Requête no 38129/15)

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Traitement adéquat du requérant en prison pour ses problèmes de santé physique et mentale

Art 38 • Obligation de fournir toutes facilités nécessaires • Gouvernement ayant transmis les informations requises ultérieurement au délai imparti mais avant que la Cour ne statue sur la recevabilité et le fond, ce qui lui a permis d’examiner l’affaire

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

20 June 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Temporale c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Marko Bošnjak, président,
Alena Poláčková,
Krzysztof Wojtyczek,
Lətif Hüseynov,
Ivana Jelić,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière de section,

Vu :

la requête (no 38129/15) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Antonio Temporale (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 4 août 2015,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne le maintien du requérant en détention et la qualité des soins qui lui ont été administrés en prison. L’intéressé affirme que, malgré des rapports médicaux attestant la gravité de ses pathologies, il n’a pas bénéficié en détention des soins médicaux qui lui étaient nécessaires et il a vu de ce fait son état de santé se dégrader progressivement. Il estime que sa vie a ainsi été mise en danger et que de telles conditions de détention étaient inhumaines et dégradantes, et il invoque à cet égard les articles 2 et 3 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1955. Il a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire et est représenté par Mes M. Di Dona, avocate à Trentola-Ducenta, et L. Serino, avocat à Rome.

3. Le Gouvernement est représenté par son agente, Me E. Spatafora.

1. le contexte

4. Le requérant, invalide à 100 % et bénéficiaire d’une allocation d’aide à la personne, souffre d’une psychose délirante chronique pour laquelle il est suivi depuis 1997 par le service de santé mentale compétent (Centro di salute mentale, « CSM »). Il présente en outre de nombreux problèmes de santé physique.

5. Le requérant fit l’objet de plusieurs procédures pénales et d’un suivi psychiatrique complexe. Il ressort des documents produits devant la Cour qu’il avait été, antérieurement aux faits qui sont à l’origine de la présente affaire, interné dans un hôpital psychiatrique judiciaire une première fois au début des années 2000 pour une période de trois ans, puis à nouveau entre 2010 et 2012 pour une période d’environ un an. En 2014, il fut hospitalisé pendant deux semaines au service psychiatrique de l’hôpital d’Aversa.

6. Le 5 mars 2015, le juge des investigations préliminaires (giudice per le indagini preliminari, « GIP ») de Naples ordonna la détention provisoire du requérant, soupçonné d’association mafieuse, de détention illégale d’armes et de trafic de drogues. Le 18 mars suivant, en exécution de l’ordonnance, le requérant fut arrêté et placé en détention à la prison (casa circondariale) de Secondigliano (Naples).

2. La demande d’assignation à domicile et celle formulée au titre de l’article 39 du règlement de la Cour

7. Le 7 mai 2015, le représentant du requérant demanda au GIP de Naples, aux fins de l’article 299 du code de procédure pénale, d’ordonner une expertise sur l’état de santé du requérant et sur la compatibilité de cet état avec la détention en milieu carcéral et, le cas échéant, de remplacer la mesure de détention provisoire en prison par une assignation à domicile. À l’appui de sa demande, le requérant fournit un rapport d’expertise privé où il était indiqué qu’il ne bénéficiait pas d’un suivi adéquat, en particulier pour ses troubles mentaux, rénaux et thyroïdiens, et que son état de santé nécessitait une aide permanente.

8. Le GIP de Naples prit en compte les observations cliniques effectuées par le service de santé de la prison. Il y était établi que le requérant avait besoin d’une aide permanente et que son état de santé était médiocre, mais qu’il faisait l’objet d’un suivi permanent et que les soins nécessaires lui étaient fournis. À la lumière de ces observations, le juge estima qu’il n’était pas utile de nommer un expert judiciaire et, par une décision du 20 juillet 2015, il rejeta la requête. Le requérant fit appel.

9. Le 4 août 2015, le requérant introduisit la présente requête par laquelle il appelait la Cour à inviter le Gouvernement, en vertu de l’article 39 du règlement, à mettre fin à sa détention en prison. La Cour demanda au Gouvernement de lui faire savoir de quels soins et de quelle assistance le requérant bénéficiait et notamment, par une lettre du 17 août 2015, de lui présenter un rapport rédigé par un expert judiciaire. Les réponses que le Gouvernement adressa à la Cour les 14 et 25 août se fondaient sur les rapports établis par les médecins de la prison : à ce stade, aucune expertise ne fut effectuée. Le 4 septembre 2015, la Cour débouta le requérant de sa demande d’application d’une mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement.

10. Le 18 janvier 2016, le tribunal de Naples rejeta l’appel formé par le requérant contre la décision du GIP. Le tribunal se fonda sur une expertise rendue entretemps par les Drs P. et B. (paragraphe 12 ci-dessous). Le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle le débouta le 18 mars 2016.

3. La procédure pénale devant le tribunal de Santa Maria Capua Vetere

11. Entretemps, le 16 décembre 2015, dans le cadre de la procédure pénale qu’il menait contre le requérant, le tribunal de Santa Maria Capua Vetere avait ordonné que l’intéressé fît l’objet d’une expertise médicale apte à permettre d’évaluer si son état de santé était compatible avec la détention et si les soins qu’il recevait étaient adéquats.

12. Le 29 décembre 2015, un rapport d’expertise fut remis par les Drs P. et B. Tout en constatant que les troubles mentaux du requérant étaient, grâce aux traitements pharmacologiques mis à sa disposition, compatibles avec la détention en prison, ils suggéraient que l’intéressé fît l’objet d’entretiens psychiatriques fréquents. Quant aux pathologies physiques dont souffrait le requérant, ils notaient que les thérapies dont il bénéficiait étaient pour l’essentiel adéquates ; seuls les contrôles de la fibrillation atriale devaient à leur avis être intensifiés. À l’audience du même jour, les experts confirmèrent ces conclusions et recommandèrent, quant à la fibrillation atriale, des examens mensuels et une réévaluation de la thérapie pharmacologique. À l’égard de la perte de poids du requérant, ils affirmèrent que si l’intéressé ne mangeait pas, c’était pour des raisons psychologiques : selon eux, le requérant estimait en effet qu’une perte de poids pourrait faciliter sa libération. À la même audience, ils ajoutèrent que les difficultés que l’intéressé disait rencontrer pour se nourrir et la dyspepsie dont il se plaignait pouvaient aussi découler d’un problème à la vésicule biliaire. En tout état de cause, le requérant souffrait selon eux d’une malnutrition légère qui ne leur semblait pas pouvoir entraîner des conséquences graves ; il ne leur paraissait pas nécessaire pour lors de procéder à une nutrition artificielle, et ils suggérèrent simplement l’administration d’une alimentation semi-liquide et de compléments. Enfin, ils indiquèrent que les difficultés que rencontrait le requérant pour se déplacer ne s’expliquaient pas par des causes physiques mais découlaient plutôt de ses troubles mentaux.

13. Le 5 janvier 2016, le requérant demanda de nouveau, sur le fondement de l’article 299 du code de procédure pénale, que sa détention fût remplacée par une mesure d’assignation à résidence. À l’appui de sa requête, il produisit une expertise selon laquelle il souffrait de pathologies – en particulier d’une dysphagie avec perte de poids, d’une fibrillation atriale et d’une psychose – qui ne pouvaient pas être traitées de manière adéquate en prison.

14. Le 12 janvier 2016, le tribunal de Santa Maria Capua Vetere, prenant acte de l’expertise précitée, rejeta l’instance. Il accueillit toutefois les arguments du requérant selon lesquels le traitement de certaines de ses pathologies était inadapté, et il ordonna aux autorités pénitentiaires de se conformer aux indications des experts, en particulier relativement à la fibrillation atriale et à la nutrition du requérant, et de rendre compte chaque mois de l’état de santé de l’intéressé.

15. Dans le cadre de la même procédure, le tribunal de Santa Maria Capua Vetere ordonna deux autres expertises qui concernaient non pas directement les soins dispensés au requérant ou la compatibilité de son état avec la détention, mais la question de savoir si l’intéressé pouvait participer au procès, et qui visaient à déterminer quel était son état psychologique au moment du délit (capacità di intendere e volere) et à évaluer sa dangerosité pour la société.

16. La première expertise fut rendue par le Dr R. le 26 janvier 2016. Le médecin confirma le diagnostic de psychose chronique et conclut que le requérant n’était pas capable de participer au procès. Elle précisait dans son rapport que le requérant bénéficiait d’un traitement pharmacologique et faisait l’objet d’un suivi permanent. Elle ajoutait aussi que, bien qu’une thérapie psychologique soit souvent envisagée en pareil cas, une telle mesure pouvait ne pas être indiquée à l’égard d’un patient de 60 ans présentant une pathologie chronique.

17. La deuxième expertise fut rendue par le Dr D. le 2 mars 2016. Le médecin constata que le requérant était suivi et que la thérapie dont il bénéficiait paraissait efficace. Il observa cependant que le dernier examen psychiatrique datait du 30 octobre 2015, et il suggéra que de tels examens fussent plus fréquents et qu’un soutien psychologique fût fourni au requérant. Il conclut que le requérant était capable de participer au procès.

18. Le 3 novembre 2016, les médecins de l’hôpital de Naples constatèrent que l’état de santé du requérant était mauvais et qu’il était souvent alité. Le 1er décembre 2016, le tribunal de Santa Maria Capua Vetere sollicita en conséquence une nouvelle expertise.

19. Le 12 décembre 2016, un rapport d’expertise fut rendu par le Dr F. Celle-ci constata que le requérant était constamment suivi pour ses troubles physiques et mentaux et confirma la compatibilité de son état de santé avec la détention en prison. Elle souligna, dans les conclusions de son rapport, la nécessité de poursuivre la surveillance médicale du requérant, notamment pour la fibrillation atriale et les troubles psychiatriques, sous la forme d’entretiens psychologiques et d’examens sanguins. Lors d’une audience tenue le 16 décembre 2016, l’experte, interrogée par l’avocat du requérant, informa aussi le tribunal que le requérant avait besoin d’une assistance permanente et qu’il était aidé par des codétenus.

20. Il ressort d’un rapport du service de santé de la prison en date du 18 janvier 2017 que l’état de santé du requérant était alors mauvais, et que les pathologies de l’intéressé, même compte tenu du recours qui était fait à des services de santé internes et externes, étaient difficiles à traiter en prison.

21. À une date non précisée, le requérant demanda à nouveau à bénéficier, pour des raisons de santé, d’une mesure de substitution en remplacement de la détention provisoire. Cette fois, le parquet rendit une opinion favorable à cet égard. Par une ordonnance du 27 janvier 2017, le tribunal, se fondant sur l’expertise la plus récente et sur le rapport établi par les services pénitentiaires et constatant, en particulier, que le requérant avait besoin de recourir à des services externes et d’être constamment assisté, conclut que l’état de santé de l’intéressé était incompatible avec la détention. Il ordonna en conséquence le remplacement de la détention provisoire par une mesure d’interdiction de quitter la ville de résidence (obbligo di dimora).

22. Les parties n’ont fourni aucune information sur l’issue des procédures pénales décrites ci-dessus. Cependant, il ressort du dossier que le requérant, qui par le passé avait fait l’objet de plusieurs poursuites (paragraphe 5 ci-dessus), fut à un certain moment condamné à une peine de détention.

23. Le requérant demeura en prison jusqu’au 16 août 2017, date à laquelle l’assignation à résidence lui fut accordée en exécution d’une décision du tribunal de l’application des peines de Naples. Il sortit de prison le lendemain. Par la suite, il bénéficia d’une libération anticipée, de sorte que sa peine se trouva purgée le 18 octobre 2018.

4. L’état de santé du requérant et les soins reçus par lui en prison

24. Au moment de son entrée en prison en 2015, le requérant, alors âgé de 59 ans, souffrait déjà depuis longtemps d’une forme de psychose chronique avec troubles anxieux. Invalide à 100 % du fait de cette pathologie, il avait besoin, pour les gestes de la vie quotidienne, d’une assistance permanente. Il souffrait par ailleurs de fibrillation atriale chronique, d’hypothyroïdie, de dysphagie et de dysphonie par suite d’une paralysie de l’hémilarynx droit, de varicocèle, d’une hypertrophie de la prostate et de calculs biliaires. Il se déplaçait à l’aide de cannes ou, pour les trajets plus longs, en fauteuil roulant.

25. Le 18 mars 2015, jour de son entrée en prison, le requérant fut conduit aux urgences pour une crise d’angoisse. À cette occasion, il fut examiné par un psychiatre et subit un électrocardiogramme et des analyses sanguines, qui confirmèrent les diagnostics de trouble anxieux, de fibrillation atriale chronique et de varicocèle. Les médecins de l’hôpital recommandèrent en conséquence des contrôles psychiatriques et cardiologiques réguliers et, pour la varicocèle, une intervention chirurgicale.

26. À son entrée en prison, les diagnostics et thérapies déjà en cours furent confirmés et l’intéressé fut placé à l’infirmerie centrale de la prison (infermeria centrale). Il ressort de son dossier médical que le requérant continua alors à bénéficier de soins et à faire l’objet d’examens médicaux fréquents, même si les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si cette prise en charge était suffisante et adéquate.

27. Ainsi, en ce qui concerne tout d’abord ses troubles mentaux, le requérant fut soumis entre le 20 mars et le 17 août 2015 à des examens psychiatriques mensuels. Après cette dernière date, de nouvelles visites psychiatriques eurent lieu les 30 octobre 2015, 7 mars 2016, 9 mai 2016, 16 juin 2016 et 23 septembre 2016. L’intéressé continua en outre à suivre une thérapie pharmacologique qui connut diverses mises à jour et qu’il acceptait sans difficulté, à l’exception d’une brève période du mois de mai 2016 au cours de laquelle il refusa de s’y soumettre. Aucun soutien psychologique ne semble avoir été apporté au requérant par ailleurs.

28. La fibrillation atriale du requérant donna lieu à des examens cardiologiques le 21 mai 2015, le 20 août 2015 et le 28 septembre 2015. À la suite du rapport des Drs P. et B. (paragraphe 12 ci-dessus), le requérant fut examiné le 1er février 2016, et son traitement fut modifié à cette occasion ; de nouveaux examens eurent lieu les 25 février, 1er mars, 17 mars, 13 mai, 5 juillet, 27 septembre et 4 octobre 2016.

29. Pour ses problèmes thyroïdiens, le requérant fut soumis le 20 mai 2015 à une échographie qui révéla des signes de nodules et de calcifications, mais à l’occasion d’un examen de contrôle effectué le 1er septembre 2015, aucune anomalie ne fut discernée, et lors d’analyses sanguines en date du 15 septembre 2015, aucun marqueur tumoral ne fut détecté. De nouveaux examens furent ensuite réalisés le 21 septembre 2015 et les 5 février, 20 mai, 22 juillet, 21 octobre et 16 décembre 2016.

30. Quant aux problèmes urologiques du requérant, et en particulier à la varicocèle (décrite dans plusieurs rapports médicaux comme non pathologique ou légère), il ressort de documents portés au dossier qu’ils donnèrent lieu le 29 juin 2015 à un examen du requérant par un spécialiste et qu’à cette occasion, de nouveaux contrôles lui furent prescrits, ainsi qu’un traitement. L’intéressé fut soumis à de nouveaux examens échographiques le 25 août 2015 et le 14 janvier 2016, et il fut examiné par un spécialiste les 27 février, 14 juin et 9 août 2016. Il apparaît toutefois que l’intervention chirurgicale qui avait été recommandée lors de l’hospitalisation du requérant le 18 mars 2015 n’a jamais été effectuée.

31. Pour ses problèmes abdominaux et rénaux, le requérant fut soumis à plusieurs examens et à des échographies abdominales, qui établirent l’existence de kystes aux reins et au foie. En septembre 2015, il fut hospitalisé pour une colique abdominale et une gastrite.

32. Il ressort enfin des rapports médicaux que le requérant présentait des troubles de la déglutition et qu’il avait besoin d’être alimenté sous forme semi-liquide. Le poids du requérant (qui n’est pas noté dans son dossier médical, mais est mentionné dans tous les rapports envoyés à l’autorité judiciaire à partir de mai 2015), varia de 76 kg (mesure du 29 avril 2015) à 78,4 kg (mesure du 12 mai 2015) puis à 65,3 kg (mesure du 8 octobre 2015) avant de remonter à 74,3 kg (mesure du 18 février 2016). Le 23 septembre 2015, le requérant fut soumis à un examen nutritionnel. Fut envisagée une consultation auprès du service d’alimentation qui, finalement, n’eut pas lieu. Aux mois de novembre 2016 et de janvier 2017, l’intéressé fut de nouveau hospitalisé pour des troubles de la déglutition, mais il refusa de se soumettre à un nouvel examen du larynx.

33. Au cours de sa détention, le requérant fut également soumis à des analyses sanguines régulières, à un contrôle neurologique et à un contrôle de la vue ; il fut hospitalisé du 12 au 14 août 2015 à la suite d’une chute ayant occasionné un traumatisme crânien ; et les rapports médicaux évoquent enfin deux autres chutes sans conséquences graves.

34. Au regard des nombreuses pathologies dont il était atteint, le requérant fut d’abord placé à l’infirmerie centrale de la prison (infermeria centrale). Devant son refus d’y demeurer, le personnel de santé autorisa le 11 avril 2015 son transfert vers une cellule ordinaire, avant de demander, le 23 avril 2015, qu’il fût de nouveau placé à l’infirmerie, où il fut transféré cinq jours plus tard. Le 30 juin 2015, le requérant fut transféré au centre diagnostique et thérapeutique (centro diagnostico terapeutico ; « CDT ») de la prison, où il demeura jusqu’à sa mise en liberté. Il était assisté, pour les gestes de la vie quotidienne, par un codétenu (piantone).

35. Selon les informations fournies par le Gouvernement, le CDT – qui devint au cours de l’année 2015 le service d’assistance intensive (servizio di assistenza intensiva ; « SAI ») – se compose de quatre unités comportant chacune un médecin présent quatre heures par jour et six jours sur sept. Il assure en outre, 24 heures sur 24, la présence d’un médecin de garde et la prestation de soins infirmiers. Au sein du SAI, les détenus peuvent bénéficier d’examens relevant de plusieurs spécialités, y compris la cardiologie, la psychiatrie et l’urologie.

36. De façon générale enfin, il ressort des rapports médicaux que l’état de santé global du requérant était médiocre et rendait nécessaires des contacts constants avec des services externes. Dans l’un de ces rapports, on peut lire notamment ce qui suit : « on ne peut pas exclure, vu la complexité des pathologies dont souffre [le patient détenu], des aggravations qui pourraient mettre sa vie en danger ». Il est à noter, toutefois, que cette affirmation a été contestée par un responsable des services de santé pénitentiaires dans un rapport du 25 janvier 2016 : selon ce rapport, le requérant souffrait de troubles chroniques qui n’étaient « ni complexes ni concurrents » et qui ne présentaient aucun danger pour sa vie.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Les conditions d’application d’une mesure de détention provisoire

37. Les conditions d’application d’une mesure de précaution (misura cautelare) dans le cadre d’une procédure pénale sont énoncées aux articles 272 et suivants du code de procédure pénale (« CPP »). En particulier, une mesure de détention provisoire (custodia cautelare) peut être appliquée en présence de graves indices de culpabilité et d’un risque concret que l’administration de la preuve soit compromise, que l’inculpé prenne la fuite ou que de graves délits soient commis.

38. L’article 275 du CPP énonce les dispositions applicables dans les cas où des raisons de santé s’opposent à la détention provisoire. Les paragraphes 4 bis, 4 ter et 4 quinques prévoient notamment ce qui suit :

« La détention provisoire en prison ne peut être appliquée ou maintenue quand l’inculpé souffre (...) d’une maladie particulièrement grave dont résulte un état de santé incompatible avec la détention et, en tout cas, impossible à traiter de manière adéquate dans le cadre d’une détention en prison.

Dans le cas prévu par le paragraphe 4 bis, si les exigences de précaution sont particulièrement graves et que la détention provisoire dans une structure médicale pénitentiaire ne soit pas possible sans préjudice pour la santé de l’inculpé ou des autres détenus, le juge applique la mesure de l’assignation à résidence dans une maison de soins (...).

La détention provisoire ne peut être appliquée ou maintenue s’il est établi, par un service de santé pénitentiaire ou externe, que la maladie est à un stade tellement avancé qu’elle ne réagit plus aux traitements. »

39. Par ailleurs, aux termes de l’article 309 du CPP, la décision ordonnant le placement en détention provisoire peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal compétent (richiesta di riesame), et une décision défavorable du tribunal peut à son tour être contestée par l’intéressé dans le cadre d’un pourvoi en cassation (article 311 du CPP).

40. La personne concernée peut en outre demander à tout moment la levée de la mesure de détention et sa mise en liberté (richiesta di revoca). La demande en ce sens est adressée au juge qui mène la procédure au stade considéré. En particulier, l’article 299 du CPP prévoit, au paragraphe 1, que les mesures provisoires sont immédiatement révoquées lorsque les conditions de leur application ne sont plus remplies, y compris en raison de la survenance de faits. En outre, au paragraphe 4 ter, il énonce ce qui suit :

« 4-ter. À tous les stades et degrés de la procédure, lorsqu’il n’est pas en mesure de statuer sur la base des éléments disponibles, le juge ordonne, même d’office et sans formalité, des vérifications sur l’état de santé ou d’autres conditions ou qualités personnelles de l’accusé. Les vérifications doivent être effectuées dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle la demande a été reçue par le juge. Si la demande de révocation ou de remplacement de la mesure de détention provisoire est fondée sur l’état de santé visé à l’article 275, paragraphe 4 bis, ou si cet état de santé est signalé par le service de santé de la prison, ou si le juge en a connaissance d’une autre manière, le juge, s’il n’estime pas, sur la base des éléments disponibles, devoir faire droit à la demande, ordonne immédiatement, et en tout cas au plus tard dans le délai prévu au paragraphe 3 [cinq jours à compter de la date de la demande], les vérifications médicales nécessaires, en désignant un expert, au sens des articles 220 et suivants, qui doit tenir compte de l’avis du médecin de la prison et faire rapport dans les cinq jours ou, en cas d’urgence, au plus tard dans les deux jours qui suivent l’examen. ...

Une décision négative du juge peut être contestée par l’intéressé dans le cadre d’un appel formé devant le tribunal compétent en vertu de l’article 310 du CPP, et la décision rendue par le tribunal peut à son tour faire l’objet d’un pourvoi en cassation en vertu de l’article 311 du CPP.

2. Le traitement médical des détenus

41. L’article 11 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (la « loi sur l’administration pénitentiaire ») prévoit que tout établissement pénitentiaire dispose d’un service médical et pharmaceutique offrant aux détenus les soins nécessaires. En vertu du paragraphe 4 dudit article, lorsque s’imposent des soins ou des examens spécialisés qui ne peuvent être effectués par le service médical de l’établissement, les détenus concernés sont conduits, sur autorisation de l’autorité judiciaire, dans des hôpitaux civils ou des structures sanitaires externes.

42. Depuis une réforme introduite par la loi no 419 du 30 novembre 1998, le service de santé pénitentiaire relève non plus de l’administration pénitentiaire mais du service de santé national.

43. Aux termes de l’article 42 de la loi sur l’administration pénitentiaire, les détenus peuvent demander leur transfert vers une autre prison, entre autres pour des raisons de santé. Les modalités de mise en œuvre d’un tel transfert sont régies par les articles 83 et 85 du décret présidentiel no 230 du 30 juin 2000.

3. Les recours en matière de conditions de détention

44. L’article 69 § 6 b) et l’article 35 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire, telle que modifiée par les décrets-lois no 146 du 23 décembre 2013 et no 92 du 28 juin 2014, prévoient la possibilité pour les personnes détenues d’adresser au juge de l’application des peines (magistrato di sorveglianza) une réclamation juridictionnelle pour se plaindre du « non-respect par l’administration pénitentiaire des dispositions contenues dans [ladite] loi, entraînant une atteinte grave à l’exercice des droits de la personne détenue ». Lorsque le juge accueille la réclamation, il ordonne à l’administration de redresser la situation dans un certain délai. La décision du juge de l’application des peines est susceptible d’un appel devant le tribunal de l’application des peines et d’un pourvoi en cassation.

45. Si l’administration ne se conforme pas aux indications du juge dans le délai imparti, l’intéressé ou son représentant peut demander que le juge ordonne l’exécution forcée de la décision. Le juge peut, le cas échéant, nommer à cette fin un commissaire ad acta.

46. L’article 35 ter de la loi sur l’administration pénitentiaire prévoit par ailleurs un recours compensatoire permettant aux personnes concernées de se plaindre de conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention. Un tel recours consiste à demander au juge de l’application des peines une compensation prenant la forme soit d’une réduction de peine d’un jour pour dix jours de détention dans des conditions contraires à l’article 3, soit, si la peine qui reste à purger ne permet pas d’appliquer une telle réduction, d’un dédommagement d’un montant de 8 euros par jour de détention dans des conditions contraires à l’article 3. Lorsqu’elle intervient après la libération, la demande en ce sens peut être adressée au juge civil.

EN DROIT

1. SUR LA RECEVABILITé
1. Sur les exceptions soulevées par le Gouvernement
1. Arguments des parties

a) Le Gouvernement

47. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il estime en effet que le requérant disposait, pour soulever ses griefs et obtenir leur redressement, des deux moyens ci-après exposés, circonstance qui le priverait par ailleurs de la qualité de victime.

48. Il explique ainsi que le requérant pouvait et devait, avant d’introduire sa requête devant la Cour, contester la décision du GIP du 20 juillet 2015 en appel, puis éventuellement en cassation, sur le fondement des articles 310 et 311 du code de procédure pénale (paragraphe 8 ci-dessus).

49. Il affirme en second lieu que le requérant aurait dû demander à l’administration pénitentiaire son transfert dans une prison mieux équipée, conformément aux articles 83 et 85 du décret présidentiel no 230 du 30 juin 2000, et, en cas de refus ou de nouvelle violation de ses droits, exercer le recours prévu par les dispositions combinées des articles 69 § 6 b) et 35 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire.

50. Selon le Gouvernement, la seconde voie (celle d’un recours devant le juge de l’application des peines) aurait permis à l’intéressé de se plaindre de ses conditions de détention, tandis qu’en empruntant la première (celle d’une demande adressée au GIP), le requérant aurait pu appeler les autorités à statuer sur le maintien ou non de la mesure de détention. À l’appui de l’argument selon lequel un tel recours était effectif, le Gouvernement cite l’arrêt no 43722 de 2015 de la Cour de cassation selon lequel ledit recours permet aux détenus qui l’exercent de présenter non pas seulement des griefs de surpeuplement carcéral, mais aussi des demandes relatives à leurs conditions de santé.

b) Le requérant

51. Le requérant explique que s’il a introduit sa requête devant la Cour avant d’avoir exercé contre la décision du GIP du 20 juillet 2015 tous les recours disponibles, c’est en raison de l’urgence qu’il y avait pour lui à obtenir sa libération ou son transfert et parce que le GIP avait de toute façon refusé d’ordonner une expertise. Il fait observer qu’il a, entretemps, poursuivi la procédure devant le tribunal et devant la Cour de cassation.

52. Quant au recours prévu par les articles 69 § 6 b) et 35 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire, le requérant soutient qu’il n’était pas accessible en l’espèce au motif qu’il ressort selon lui de la jurisprudence interne – et notamment de l’arrêt de la Cour de cassation no 32470 de 2015 – qu’un tel recours ne permet pas de contester une décision de l’administration portant refus d’une hospitalisation au sens de l’article 11 de la même loi. Il argue en outre que les retards constatés selon lui dans les décisions des juges de l’exécution des peines rendaient ce recours ineffectif.

2. Appréciation de la Cour

53. En ce qui concerne le premier des recours invoqués par le Gouvernement à l’appui de son exception de non-épuisement, la Cour note que le requérant a attaqué la décision du GIP de Naples du 20 juillet 2015 devant le tribunal de Naples et devant la Cour de cassation, et que cette dernière l’a débouté par une décision du 18 mars 2016 (paragraphes 8 et 10 ci-dessus). La Cour estime donc que l’argument avancé à cet égard par le Gouvernement a perdu de sa pertinence étant donné qu’elle tolère, de toute manière, que le dernier échelon des recours internes soit atteint après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité de celle-ci (Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 90, 19 décembre 2018).

54. Quant à la non-utilisation du recours prévu par les articles 69 § 6 b) et 35 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si, en l’espèce, une telle voie offrait au requérant un recours accessible et effectif aux fins de dénonciation de traitements médicaux inadéquats, l’exception du Gouvernement devant en toute hypothèse être rejetée pour les raisons qui suivent.

55. Il convient de rappeler que, si une personne a plusieurs recours internes à sa disposition, elle est en droit, aux fins de l’épuisement des voies de recours internes, d’en choisir un susceptible d’aboutir au redressement de son grief principal. En d’autres termes, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 177, 25 juin 2019 ; voir aussi, récemment, Narbutas c. Lithuanie, no 14139/21, § 164, 19 décembre 2023).

56. En l’espèce, le requérant a introduit sur le fondement de l’article 299 du CPP deux demandes de levée de la mesure de détention qui le visait (paragraphes 7 et 13 ci-dessus). Or, s’il est vrai que le recours expressément propre à faire contrôler le caractère adéquat des soins fournis aux détenus est – comme l’indique le Gouvernement – celui que prévoient les articles 69 § 6 b) et 35 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire, les dispositions de l’article 299, paragraphe 4 ter, qui se réfèrent à l’article 275 du CPP (paragraphe 40 ci-dessus), ainsi que les décisions adoptées dans le cas d’espèce montrent qu’une demande introduite sur le fondement de l’article 299 du CPP permet elle aussi aux juridictions internes d’examiner de telles questions et d’ordonner le cas échéant l’adoption de mesures supplémentaires (paragraphes 8 et 14 ci-dessus). Au demeurant, le Gouvernement n’a ni affirmé ni démontré que le recours prévu par l’article 299 du CPP fût ineffectif à cet égard.

57. La Cour considère donc que pour autant que le requérant se plaint d’avoir reçu en prison des soins insuffisants, la voie prévue par l’article 299 du CPP constituait un recours préventif adéquat, et elle estime que l’intéressé n’était pas tenu d’engager aussi la procédure prévue par les articles 69 § 6 b) et 35 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire (voir aussi Provenzano c. Italie, no 55080/13, §§ 103-106, 25 octobre 2018).

58. La Cour rejette donc l’exception de non-épuisement et, pour les mêmes raisons, l’exception de défaut de qualité de victime soulevées par le Gouvernement.

2. Sur le grief tiré de l’article 2 de la Convention

59. Le requérant se plaint que son maintien en détention malgré de graves problèmes de santé et un défaut de soins adéquats ont mis sa vie en danger. Il invoque l’article 2 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...). »

60. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 104, 31 janvier 2019). La Cour a en outre souligné à plusieurs reprises que l’article 2 de la Convention s’applique, dans certaines circonstances, même si la victime alléguée n’est pas décédée (voir, par exemple, Fenech c. Malte, no 19090/20, § 103, 1er mars 2022, et Aftanache c. Roumanie, no 999/19, §§ 48-50, 26 mai 2020).

61. En l’espèce, la Cour relève qu’un des rapports médicaux relatifs à l’état de santé du requérant atteste qu’il existait un risque que les pathologies de l’intéressé connussent une aggravation propre à mettre sa vie en danger (paragraphe 36 ci-dessus). Ce rapport n’établit toutefois aucun lien entre une absence de traitement médical en prison et l’existence d’un tel risque, lequel paraît plutôt une conséquence de l’évolution naturelle des pathologies du requérant. Il n’y a donc aucune preuve que le maintien en détention et le défaut de traitement dont le requérant se plaint et le risque vital qu’il allègue aient été liés.

62. Dans ces circonstances, la Cour ne relève aucun élément qui lui permette de dire que la détention du requérant ou l’absence alléguée de soins ont mis en danger la vie de l’intéressé d’une manière incompatible avec les exigences de l’article 2 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

3. Sur les autres griefs

63. Constatant que les autres griefs ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

2. SUR LE FOND
1. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

64. Le requérant se plaint d’avoir subi un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à raison de son maintien en détention, lequel l’aurait empêché de bénéficier de la prise en charge thérapeutique que requérait son état de santé physique et mental. La disposition invoquée par le requérant est ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Arguments des parties

a) Le requérant

65. Le requérant se plaint d’avoir été maintenu en détention alors qu’il était reconnu invalide à 100 % et qu’il souffrait de nombreuses pathologies. Il explique, en particulier, que les autorités n’ont pas prêté attention à ses problèmes thyroïdiens, aux indices de néoplasie qu’il présentait, ni à sa dysfonction rénale. Il ajoute qu’il perdait du poids et peinait à manger. Il argue que de manière générale la nécessité où il se trouvait d’être assisté en permanence pour les gestes de la vie quotidienne était incompatible avec le régime carcéral.

66. Il soutient en outre, en renvoyant à cet égard à l’expertise des Drs P. et B. (paragraphe 12 ci-dessus), que sa fibrillation atriale n’était pas traitée de manière adéquate et que ses exigences alimentaires n’étaient pas respectées.

67. Le requérant explique enfin que le régime de détention ne permettait pas un suivi adéquat de ses troubles psychiatriques. Il en veut pour preuve la circonstance qu’il n’aurait bénéficié d’examens psychiatriques que de manière occasionnelle et qu’aucune mesure n’aurait été prise devant son refus, maintenu une semaine durant, de prendre les médicaments qui lui étaient prescrits. Selon le requérant, si un traitement adéquat de ses troubles mentaux était impossible en prison, c’est principalement parce que le personnel sanitaire interne n’a pas autorité pour ordonner un traitement médical forcé lorsqu’une telle mesure s’avère nécessaire. Le requérant ajoute qu’il n’y a eu aucune amélioration ou stabilisation de ses troubles mentaux, et il renvoie à cet égard à l’expertise effectuée par le Dr R. (paragraphe 16 ci‑dessus), selon laquelle il n’était pas capable de participer consciemment à son procès.

b) Le Gouvernement

68. Le Gouvernement, de son côté, soutient que le requérant a bénéficié, grâce aux traitements mis en œuvre au sein de l’infirmerie et du SAI et au recours, lorsque les circonstances le nécessitaient, à des services externes, d’un suivi adéquat pour les pathologies qu’il présentait.

69. En particulier, le Gouvernement fait valoir que le requérant était placé au SAI, un service qui était équipé pour le traitement des détenus souffrant de problèmes de santé et qui offrait une assistance infirmière et médicale 24 heures sur 24 ; que les difficultés que rencontrait le requérant pour se déplacer ne découlaient d’aucune pathologie physique mais seulement des troubles psychiatriques que présentait l’intéressé ; et enfin que celui-ci était de toute manière assisté par un codétenu (piantone) pour les gestes de la vie quotidienne.

70. En ce qui concerne les contrôles médicaux dont bénéficiait le requérant, le Gouvernement affirme que l’intéressé faisait l’objet d’une surveillance médicale constante et qu’il était fréquemment conduit à l’hôpital pour y être examiné par des spécialistes ; qu’il a rapidement repris du poids ; et que, de manière générale, les pathologies dont il souffrait étaient traitées de manière adéquate. Selon le Gouvernement, la dégradation de l’état de santé du requérant à la suite de laquelle les autorités ont finalement pris la décision de faire bénéficier l’intéressé d’une mesure alternative ne résultait pas d’un manquement de l’État mais correspondait à l’évolution normale des maladies du requérant.

71. À l’égard, enfin, des troubles mentaux de l’intéressé, le Gouvernement rappelle que le requérant était suivi par des psychiatres ; il ajoute que le personnel sanitaire avait bel et bien la possibilité de proposer la mise en œuvre d’un traitement médical forcé, et que si une telle décision n’a pas été prise, c’est simplement parce qu’elle ne s’est jamais avérée nécessaire.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

72. Les principes généraux pertinents en l’espèce ont été exposés dans l’arrêt Rooman c. Belgique ([GC], no 18052/11, §§ 141-148, 31 janvier 2019).

73. En particulier, pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3 de la Convention, la Cour prend en considération plusieurs éléments.

74. Un premier élément est l’état de santé de la personne concernée et l’effet des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution. La Cour a jugé que les conditions de détention ne doivent en aucun cas soumettre la personne privée de liberté à des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier, à l’avilir et à briser éventuellement sa résistance physique et morale. Elle a reconnu à ce sujet que les détenus atteints de troubles mentaux sont plus vulnérables que les détenus ordinaires, et que certaines exigences de la vie carcérale les exposent davantage à un danger pour leur santé, renforcent le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité, et sont forcément source de stress et d’angoisse. Une telle situation entraîne la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (W.D. c. Belgique, no 73548/13, §§ 114 et 115, 6 septembre 2016, et Rooman, précité, § 145).

75. Un deuxième élément est le caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention. Cette question est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés. En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive, que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée, et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes. Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi. En outre, les soins dispensés en milieu carcéral doivent être appropriés, c’est-à-dire d’un niveau comparable à celui que les autorités de l’État se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population. Toutefois, cela n’implique pas que soit garanti à tout détenu le même niveau de soins médicaux que celui des meilleurs établissements de santé extérieurs au milieu carcéral (Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, 23 mars 2016, et Rooman, précité, § 147). Dans l’hypothèse où la prise en charge ne serait pas possible sur le lieu de détention, il faut que le détenu puisse être hospitalisé ou transféré dans un service spécialisé (Rooman, précité, § 148).

76. La Cour a également précisé qu’il est essentiel pour un détenu souffrant d’une maladie grave d’être soumis à un examen de son état de santé par un spécialiste de la pathologie en question afin que puisse lui être délivré le traitement approprié (Wenner c. Allemagne, no 62303/13, § 56, 1er septembre 2016, et Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 115, CEDH 2001‑III). En cas d’avis médicaux divergents sur le traitement approprié à l’état de santé du détenu, les autorités pénitentiaires et les juridictions nationales peuvent devoir, pour s’acquitter de leur obligation positive découlant de l’article 3, solliciter l’avis d’un expert médical spécialisé (Wenner, précité, § 57, et Xiros c. Grèce, no 1033/07, § 87, 9 septembre 2010).

77. Quant à l’appréciation des preuves à cet égard, la Cour, sensible à la nature subsidiaire de sa mission, a rappelé à maintes reprises qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur des questions relevant exclusivement du champ de l’expertise médicale (Wenner, précité, § 58, et Amirov c. Russie, no 51857/13, § 89, 27 novembre 2014). Toutefois, eu égard à la vulnérabilité des personnes placées en détention, une fois que le requérant a fourni un commencement de preuve d’un traitement relevant du champ d’application de l’article 3 de la Convention, c’est au Gouvernement qu’il incombe d’apporter des éléments crédibles et convaincants pour démontrer que le requérant a reçu des soins médicaux complets et appropriés en détention (Kondrulin c. Russie, no 12987/15, §§ 56 et 57, 20 septembre 2016, et Wenner, précité, § 58).

78. Un troisième élément consiste à examiner si le maintien en détention d’une personne malade est justifié au regard de son état de santé. Certes, la Convention n’impose aucune « obligation générale » de libérer un détenu pour raisons de santé, même s’il souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner. Il n’en demeure pas moins qu’à cet égard la Cour a reconnu la possibilité que, dans des conditions d’une particulière gravité, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale commande que soient prises des mesures de nature humanitaire (Bamouhammad c. Belgique, no 47687/13, § 123, 17 novembre 2015 ; voir également Gülay Çetin c. Turquie, no 44084/10, § 102, 5 mars 2013).

79. La Cour a en outre souligné que, même s’il ne lui appartient pas de se prononcer dans l’abstrait sur la manière dont les juges nationaux auraient dû trancher les demandes de libération des détenus, la question de savoir si l’autorité judiciaire compétente a pris suffisamment en compte tous les éléments revêt une importance particulière dans le cadre de l’article 3 de la Convention (Raffray Taddei c. France, no 36435/07, § 60, 21 décembre 2010). Lorsque les autorités nationales décident de placer et de maintenir en prison une personne souffrant de graves problèmes de santé, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques découlant de son infirmité et peser les conséquences de l’emprisonnement, si nécessaire à l’aide d’une expertise médicale (Jeanty c. Belgique, no 82284/17, §§ 106 et 109, 31 mars 2020, et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 56, 2 décembre 2004).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

1. Sur l’état de santé du requérant et le régime de sa détention

80. La Cour note d’emblée que le requérant souffre depuis longtemps de plusieurs problèmes de santé physique et mentale et qu’il a été reconnu invalide à 100 % en raison de ses troubles psychiatriques (paragraphe 4 ci‑dessus). Selon les informations et documents fournis par les parties, les troubles mentaux de l’intéressé ne se sont pas intensifiés, mais ses pathologies physiques se sont aggravées, ou du moins sont devenues plus difficiles à traiter au cours de sa détention (paragraphes 18-20 ci-dessus).

81. En l’absence d’indications claires quant aux causes de cette aggravation et, de façon plus générale, quant aux conséquences qu’ont pu avoir sur l’état de santé du requérant les modalités d’exécution de la mesure de détention qui le visait, la Cour examinera si les pathologies de l’intéressé pouvaient être traitées de manière adéquate en prison et s’il a effectivement reçu les soins nécessaires.

82. La Cour observe par ailleurs que la détention du requérant s’est faite au sein de l’infirmerie puis du SAI, et que l’intéressé n’a connu le régime ordinaire que pendant une période d’environ deux semaines, et à sa propre demande (paragraphes 34 et 35 ci-dessus).

2. Sur le maintien en détention du requérant

83. La Cour note tout d’abord que les experts judiciaires nommés par les juridictions internes s’accordaient à dire que le traitement des pathologies du requérant en milieu carcéral était possible du fait de la présence de plusieurs spécialistes au sein même de la prison et de la possibilité d’un recours occasionnel à des services externes (paragraphes 12 et 18 ci-dessus).

84. Elle observe en outre que, dès que le service de santé pénitentiaire eut signalé, en janvier 2017, qu’il était devenu difficile de traiter en prison les pathologies du requérant, les tribunaux internes ont ordonné la libération de l’intéressé (paragraphes 20 et 21 ci-dessus).

85. Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités internes ont examiné de manière adéquate la question de la poursuite ou non de la détention du requérant (Normantowicz c. Pologne, no 65196/16, §§ 96-99, 17 mars 2022 ; voir aussi Gengoux c. Belgique, no 76512/11, § 59, 17 janvier 2017).

86. La Cour ne perd pas de vue le fait que, comme le Gouvernement l’a indiqué dans sa lettre du 23 janvier 2023, le requérant est demeuré en prison après l’ordonnance de libération du 27 janvier 2017 et jusqu’au 16 août 2017 (paragraphe 23 ci-dessus). Elle note toutefois que le requérant non seulement ne s’est pas plaint de cette circonstance, mais n’en a pas même informé la Cour, et elle considère en conséquence que cette période est exclue du champ de son examen.

87. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, jusqu’au mois de janvier 2017, les conditions de santé du requérant n’étaient pas d’une gravité telle qu’elles imposassent sa libération et qu’en conséquence son maintien en détention n’était pas en soi incompatible avec l’article 3 de la Convention. Reste cependant à examiner la question de la qualité des soins qui ont été dispensés à l’intéressé (Helhal c. France, no 10401/12, § 55, 19 février 2015).

3. Sur le caractère adéquat des soins

88. De manière générale, la Cour note qu’il ressort des documents fournis par les parties que le requérant a bénéficié de plusieurs examens et thérapies qui ont été le plus souvent considérés comme suffisants par les experts nommés par les juridictions internes.

89. En ce qui concerne plus particulièrement les pathologies physiques du requérant, elle observe qu’il a été soumis à des contrôles réguliers pour ses problèmes thyroïdiens, urologiques, abdominaux et rénaux (paragraphes 29‑31 ci-dessus). À cet égard, elle note également que le rapport rendu le 29 décembre 2015 par les Drs P. et B. attestait le caractère adéquat de ces soins (paragraphe 12 ci-dessus), et que ce constat a ensuite été confirmé par le rapport établi en décembre 2016 par le Dr F. (paragraphe 19 ci-dessus).

90. Quant aux difficultés d’alimentation du requérant, la Cour observe que le poids de l’intéressé a été constamment contrôlé, que le requérant a été examiné par un nutritionniste et qu’il a reçu une alimentation semi-liquide, circonstances qu’il ne conteste d’ailleurs pas. Il ressort aussi de son dossier médical qu’après avoir perdu du poids au cours des premiers mois de sa détention, le requérant en a repris en 2016, et a refusé par la suite de faire l’objet à cet égard de nouveaux contrôles (paragraphe 32 ci-dessus). En outre, s’il est vrai que l’examen par le service d’alimentation a été effectué tardivement, le rapport d’expertise de décembre 2015 a indiqué, au bout du compte, qu’une telle mesure n’était pas nécessaire (paragraphe 12 ci-dessus).

91. La Cour reconnaît qu’à la lumière des considérations contenues dans le premier rapport d’expertise, la fibrillation atriale du requérant ne paraît pas avoir été initialement traitée de manière adéquate (paragraphe 12 ci-dessus). Elle note toutefois qu’après que les Drs P. et B. eurent rendu leur expertise, les autorités ont suivi leurs recommandations en procédant à des contrôles cardiologiques plus fréquents et en modifiant le traitement du requérant à cet égard (paragraphe 28 ci-dessus). L’intéressé ne conteste pas le caractère adéquat des soins cardiologiques qu’il a reçus après cette date, et il n’apparaît pas que les retards initiaux dans la mise en place des contrôles aient causé une quelconque aggravation de cette pathologie.

92. Enfin, en ce qui concerne le défaut allégué de mise à disposition du requérant d’une assistance, la Cour note que l’intéressé a été placé tout au long de sa détention, à l’exception d’une période d’environ deux semaines, à l’infirmerie ou au SAI, où – selon les informations fournies par le Gouvernement et que le requérant n’a pas contestées – il disposait non seulement de l’assistance d’un codétenu pour les gestes de la vie quotidienne, mais aussi d’une assistance infirmière et médicale accessible 24 heures sur 24 (paragraphe 35 ci-dessus).

93. La Cour note enfin que – comme elle a déjà eu l’occasion de le faire observer – dès qu’il eut été signalé, par des rapports des services de santé pénitentiaires, que l’état de santé du requérant était mauvais et qu’il était difficile de lui fournir en prison des soins adéquats, les tribunaux internes ont ordonné un complément d’expertise et, par la suite, la libération de l’intéressé (paragraphes 18-21 ci-dessus).

94. Elle estime donc qu’en ce qui concerne les pathologies physiques du requérant, les autorités internes ont offert à l’intéressé des soins adéquats, et qu’elles ont réagi avec la diligence requise au moment de l’aggravation de son état de santé.

95. En ce qui concerne les troubles psychiatriques du requérant, la Cour note que dans le formulaire de requête l’intéressé se plaignait en général que ces troubles étaient incompatibles avec son maintien en prison et qu’ils ne faisaient pas l’objet d’un suivi adéquat, mais n’évoquait pas de défaillances spécifiques à cet égard. Par la suite, dans les observations soumises après la communication de la requête au Gouvernement défendeur, le requérant a allégué que les examens psychiatriques avaient été occasionnels et que la réaction à son refus de prendre les médicaments prescrits avait été inadéquate (paragraphe 67 ci-dessus).

À cet égard, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire qu’elle se penche sur la question de savoir si les circonstances ainsi alléguées constituent de simples précisions ou mises à jour factuelles du grief initialement soumis à elle ou des griefs nouveaux, puisque en tout état de cause elles ne font apparaître aucune violation de l’article 3 de la Convention.

En fait, contrairement à ce qu’affirme l’intéressé, les examens auxquels il a été soumis ne paraissent pas avoir été seulement occasionnels : ils ont eu lieu selon un rythme mensuel de mars à août 2015 et, s’il est vrai que le requérant n’a ensuite été examiné qu’une fois au cours d’une période de quelques mois, les examens ont par la suite repris de façon régulière. Le requérant bénéficiait d’une thérapie qu’à l’exception d’une brève période il acceptait de suivre, et ses conditions de santé mentale ont été constamment décrites comme relativement stables. Quant au fait que malgré les recommandations des Drs D. et F. le requérant ne bénéficiait pas d’un soutien psychologique, la Cour relève que le Dr R. a noté dans son rapport d’expertise que, bien qu’une thérapie psychologique soit souvent envisagée, une telle mesure pouvait ne pas être indiquée à l’égard d’un patient de 60 ans présentant une pathologie chronique (voir, respectivement, les paragraphes 16, 17 et 19 ci-dessus).

96. Certes, la Cour note avec préoccupation que les entretiens psychiatriques ont connu une suspension presque totale pendant quelques mois, et que le requérant ne bénéficiait pas d’un soutien psychologique. Elle observe cependant qu’il en est allé sur ce point comme à l’égard du traitement de la fibrillation atriale : dès lors que les rapports psychiatriques ont indiqué que des contrôles psychiatriques plus fréquents étaient nécessaires, le requérant a été examiné, et a continué à être suivi avec une certaine régularité dans les mois suivants (paragraphe 27 ci-dessus).

97. Enfin, contrairement aux allégations du requérant, rien n’indique que son état de santé nécessitât un traitement médical forcé, étant donné qu’en général il suivait la thérapie qui lui était prescrite (paragraphe 27 ci-dessus).

98. À la lumière des remarques qui précèdent et eu égard, notamment, à la diligence manifestée par les autorités italiennes dans l’évaluation de l’état de santé physique et mentale du requérant, la Cour estime que, considéré dans sa globalité, le traitement auquel l’intéressé a été soumis n’a pas atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.

99. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

2. Sur la violation alléguée de l’article 38 de la Convention

100. Le requérant allègue que le Gouvernement n’a pas fourni les informations demandées par la Cour et, notamment, n’a pas transmis un rapport établi par un expert judiciaire indépendant relativement à son état de santé et à la question de savoir si un tel état était compatible avec les conditions dans lesquelles il était détenu (paragraphe 9 ci-dessus).

101. La Cour estime approprié d’analyser cette question sous l’angle de l’obligation procédurale découlant de l’article 38 de la Convention, lequel est rédigé :

« La Cour examine l’affaire de façon contradictoire avec les représentants des parties et, s’il y a lieu, procède à une enquête pour la conduite efficace de laquelle les Hautes Parties contractantes intéressées fourniront toutes facilités nécessaires. »

102. Les principes généraux concernant l’obligation de coopération des États ont été résumés dans l’affaire Janowiec et autres c. Russie ([GC], nos 55508/07 et 29520/09, §§ 202-216, CEDH 2013). En particulier, tout document demandé doit être produit dans les meilleurs délais, et en tout état de cause dans le respect de l’échéance fixée par la Cour, un retard substantiel et inexpliqué pouvant conduire celle-ci à juger non convaincantes les explications de l’État défendeur (Janowiec, précité, § 203).

103. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a, dès le stade de l’examen de la requête présentée en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour (paragraphe 9 ci-dessus) puis à nouveau au moment de la communication de la requête le 4 septembre 2015, prié le Gouvernement de :

« déposer un rapport établi par un expert judiciaire indépendant appelé à se prononcer sur les points suivants :

­– l’état de santé du requérant (d’un point de vue physique et psychologique/psychiatrique) ;

– la compatibilité de l’état de santé du requérant avec les conditions de détention actuelles ;

– si le maintien du requérant dans ces conditions met en danger la vie du requérant. »

104. Le Gouvernement a d’abord refusé de fournir un tel document, en arguant que la désignation d’un expert judiciaire relevait de la compétence de l’autorité judiciaire et qu’une demande en ce sens constituerait une ingérence inadmissible de l’exécutif dans un procès en cours, et en faisant observer par ailleurs que le personnel de santé de la prison ne dépendait pas de l’administration pénitentiaire, si bien que les rapports établis par les médecins de la prison devaient, selon le Gouvernement, être tenus pour indépendants et fiables. Par la suite, le 10 février 2016, le Gouvernement a déposé le rapport rédigé par les Drs P. et B. (paragraphe 12 ci-dessus).

105. La Cour observe que s’il est vrai que le Gouvernement n’a pas transmis les informations requises dans le délai qu’elle lui avait imparti, il a ultérieurement donné suite à sa demande en lui faisant parvenir avant qu’elle ne statue sur la recevabilité et le fond le rapport des Drs P. et B., ce qui lui a permis d’examiner l’affaire (voir, mutatis mutandis, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 343, CEDH 2011 (extraits)).

106. Dans ces conditions, la Cour conclut que le Gouvernement n’a pas manqué en l’espèce aux obligations résultant pour lui de l’article 38 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les griefs soulevés au sens des articles 3 et 38 de la Convention recevables et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit que l’État défendeur n’a pas manqué à ses obligations découlant de l’article 38 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juin 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth Marko Bošnjak
Greffière Président


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