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08/06/2023 | CEDH | N°001-225029

CEDH | CEDH, AFFAIRE URGESI ET AUTRES c. ITALIE, 2023, 001-225029


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE URGESI ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 46530/09)

ARRÊT


Art 6 § 1 (civil) • Défaut d’impartialité de la cour d’appel ayant statué dans le cadre d’une procédure d’application de mesures de prévention • Juge rapporteur du collège ayant statué sur l’application des mesures de prévention, auparavant procureur dans le cadre d’un procès pénal en appel • Questions soumises à l’examen de ce juge dans chacune des deux procédures, à l’égard de tous les requérants, essentiellement les mêmes ou, à tout le

moins, strictement connexes • Craintes des intéressés objectivement justifiées • Cour de cassation n’ayant pas remédi...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE URGESI ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 46530/09)

ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Défaut d’impartialité de la cour d’appel ayant statué dans le cadre d’une procédure d’application de mesures de prévention • Juge rapporteur du collège ayant statué sur l’application des mesures de prévention, auparavant procureur dans le cadre d’un procès pénal en appel • Questions soumises à l’examen de ce juge dans chacune des deux procédures, à l’égard de tous les requérants, essentiellement les mêmes ou, à tout le moins, strictement connexes • Craintes des intéressés objectivement justifiées • Cour de cassation n’ayant pas remédié à ce défaut de la procédure

STRASBOURG

8 juin 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Urgesi et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Marko Bošnjak, président,
Péter Paczolay,
Alena Poláčková,
Lətif Hüseynov,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,

Vu la requête (no 46530/09) dirigée contre la République italienne et dont huit ressortissants de cet État, M. Roberto Urgesi, M. Vincenzo Albano, M. Giuseppe Florio, Mme Lucia Boccuni, Mme Assunta Esposito, Mme Maria Fanelli, M. Ciro Florio et Mme Filomena Spinelli (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 17 août 2009,

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant le droit à une audience publique et à l’impartialité des juges et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

Vu les observations des parties,

Vu les déclarations du gouvernement défendeur invitant la Cour à rayer la requête du rôle pour autant qu’elle concerne le grief fondé sur l’article 6 de la Convention relativement à une absence d’audience publique, ainsi que les réponses des requérants à ces déclarations,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 mai 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la publicité des audiences tenues dans le cadre d’une procédure d’application de mesures de prévention ainsi que l’impartialité de la cour d’appel ayant statué dans le même contexte.

EN FAIT

2. La liste des requérants, ressortissants italiens résidant à Tarente, figure en annexe. Ils ont été représentés par Me L. Esposito, avocat à Tarente.

3. Le Gouvernement a été représenté par ses coagents, Mmes P. Accardo et M. G. Civinini.

1. La procédure pénale

4. Par un arrêt du 18 juillet 2000, le tribunal de Tarente condamna une partie des requérants, à savoir MM. Urgesi, Albano et G. Florio (désignés aux numéros 1 à 3 dans la liste en annexe), dans un procès dénommé affaire « Cahors », qui concernait plusieurs activités délictueuses commises par une association de malfaiteurs œuvrant dans les Pouilles. Il leur était reproché des faits d’usure, ainsi que, concernant M. Urgesi, l’appartenance à une association de malfaiteurs et, concernant MM. Albano et G. Florio, leur appartenance à une association de type mafieux et des faits d’extorsion, notamment.

5. Au cours de la procédure d’appel, M. Florio conclut une transaction pénale, qui fut homologuée par la section détachée de Tarente de la cour d’appel de Lecce le 3 juillet 2002. Par cet arrêt, la cour d’appel ordonna également la confiscation de certains des biens de l’intéressé.

6. Le procès en appel de MM. Albano et Urgesi se déroula en audience publique, et leur condamnation fut confirmée par un arrêt rendu par ladite cour d’appel le 21 février 2003. Elle devint définitive à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2009.

7. U.M. exerçait la fonction de procureur lors desdites procédures d’appel. À ce titre, il conclut la transaction passée avec M. G. Florio et demanda la confirmation des condamnations de MM. Albano et Urgesi.

2. La procédure pour l’application des mesures de prévention

8. Le 27 septembre 2000, le parquet de Tarente avait par ailleurs engagé contre les mêmes requérants une procédure en vue de l’application de mesures de prévention prévues par les lois no 1423 du 27 décembre 1956 (la « loi no 1423/1956 ») et no 575 du 31 mai 1965 (la « loi no 575/1965 »).

9. Par une ordonnance déposée au greffe le 24 juin 2002, le tribunal de Tarente spécialisé dans l’application des mesures de prévention décida de soumettre les requérants désignés sous les numéros 1 à 3 à une mesure de surveillance spéciale de police. Il ordonna également la confiscation de biens appartenant à ceux-ci ainsi qu’aux requérants figurant en annexe sous les numéros 4 à 8, à savoir, selon le cas, leurs épouses, parents et frères.

10. Les mesures de prévention se fondaient, concernant MM. Albano et G. Florio, essentiellement sur des indices de commission par eux de l’infraction d’appartenance à une association de type mafieux, au sens de l’article 1 de la loi no 575/1965, et concernant M. Urgesi, sur des indices de commission d’autres délits, notamment l’usure, au sens de l’article 14 de la loi no 55 du 19 mars 1990. Le tribunal se référa principalement à l’arrêt rendu en première instance dans l’affaire « Cahors », citant d’autres charges pendantes et à des condamnations antérieures des intéressés.

11. Quant aux requérants désignés en annexe sous les numéros 4 à 7, la confiscation de leurs biens découlait du constat, opéré aussi par le biais de présomptions, que des avoirs formellement enregistrés à leur nom appartenaient en réalité aux requérants désignés sous les numéros 1 à 3.

12. À des dates non précisées, les requérants interjetèrent appel de ladite ordonnance.

13. Le collège de la cour d’appel de Lecce qui fut appelé à statuer sur le recours se composait d’un président, du juge U.M., qui siégeait en tant que rapporteur, et d’un troisième juge.

14. Lors d’une audience du 11 octobre 2004, des parties à la procédure demandèrent à U.M. de s’abstenir, en vertu de l’article 36 § 1 h) du code de procédure pénale (« CPP »), de connaitre de l’affaire, arguant qu’il avait précédemment exercé la fonction de représentant du ministère public dans l’affaire « Cahors » et que les faits objet de la procédure pénale et ceux en cause dans la procédure d’application de mesures de prévention étaient essentiellement les mêmes.

15. Le 12 octobre 2004, le juge U.M. sollicita du président de la cour d’appel l’autorisation de s’abstenir, faisant valoir, au titre des « raisons sérieuses d’opportunité » visées par la norme précitée, que la demande du parquet tendant à l’application de mesures de prévention et la décision du tribunal portant confiscation des biens se fondaient essentiellement sur les faits en cause dans l’affaire « Cahors », dans le cadre de laquelle, agissant en qualité de procureur, il avait invité la cour d’appel à confirmer l’arrêt de condamnation rendu par le tribunal.

16. Le 27 octobre 2004, le président de la cour d’appel rejeta la demande au motif que les circonstances de l’espèce ne relevaient d’aucun des cas d’abstention prévus par la loi.

17. Par un décret du 16 novembre 2007, déposé au greffe le 26 novembre 2007, la cour d’appel confirma la décision du tribunal de Tarente du 24 juin 2002. Elle considéra notamment que la dangerosité des trois premiers requérants était établie au regard, principalement, des condamnations qui avaient été prononcées à leur endroit en première instance et en appel dans l’affaire « Cahors ».

18. Pour ce qui concerne MM. Albano et G. Florio, la cour d’appel jugea en particulier que la condition tenant à l’existence d’indices concernant l’infraction de participation à une association de type mafieux était remplie en l’espèce. À cet égard, elle indiqua ce qui suit :

« [Elle conclut à l’existence] d’indices sérieux, sinon désormais probants, [...] quant à leur participation à l’association criminelle de type mafieux dirigée par la famille S., participation pour laquelle ils ont été accusés dans le procès pénal no 8070/95, [dit de] « Cahors », et condamnés en première et deuxième instance, de sorte qu’aucune autre considération n’est nécessaire, bien que le tribunal ait également énuméré en détail toutes les autres condamnations et charges en cours relatives à chaque prévenu. »

19. Quant à M. Urgesi, la cour rappela la condamnation prononcée contre lui en appel dans le procès « Cahors », et statua comme suit :

« compte tenu des condamnations pénales et charges en cours [...] ainsi que de cette dernière condamnation, qui est extrêmement significative, peut être constatée la dangerosité sociale qualifiée visée à l’article 14 de la loi 55/90 ».

20. Les requérants se pourvurent en cassation, plaidant à titre principal la nullité du décret de la cour d’appel à raison de la présence du juge U.M. au sein de la formation de jugement. À titre subsidiaire, ils excipèrent d’une inconstitutionnalité des dispositions de droit interne pertinentes, arguant que celles-ci ne prévoyaient pas, parmi les causes de nullité d’un jugement, le défaut d’impartialité d’un juge ayant exercé auparavant les fonctions de représentant du ministère public dans un procès dirigé contre les mêmes personnes et portant sur les mêmes faits que le jugement considéré. Ils demandèrent en outre que l’affaire fût examinée en audience publique.

21. Par un arrêt du 18 février 2009, déposé au greffe le 23 mars 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Pour ce qui est du moyen tiré d’un défaut d’impartialité de la cour d’appel, elle considéra, d’une part, que les réquisitions d’un procureur ne préjugeaient en rien de l’issue d’une affaire et, d’autre part, que les appréciations effectuées respectivement dans le cadre des procédures pénale et de prévention portaient sur des objets distincts, à savoir la responsabilité pénale des prévenus pour la première et leur dangerosité sociale pour la seconde, et elle jugea en conséquence qu’aucun problème d’incompatibilité ne se posait entre le rôle de procureur dans le procès pénal et celui de juge dans la procédure de prévention.

22. La procédure relative à l’application de mesures de prévention se déroula en chambre du conseil, conformément au droit interne en vigueur à l’époque des faits.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Dispositions en matière de mesures de prévention

23. La loi no 1423/1956, en vigueur à l’époque des faits, prévoyait que les mesures de prévention personnelles, telle la surveillance spéciale de police, s’appliquaient à l’égard de « personnes dangereuses pour la sécurité et pour la moralité publiques ».

24. Son article 1 disposait en particulier que lesdites mesures de prévention s’appliquaient aux individus présentant une « dangerosité simple » (pericolosità generica), c’est-à dire principalement aux personnes suivantes :

« 1) [les] personnes dont on peut estimer, sur la base d’éléments factuels, qu’elles se livrent habituellement à des activités délictueuses ;

2) [les] personnes dont on peut estimer, compte tenu de leur conduite et de leur train de vie, et sur la base d’éléments factuels, qu’elles vivent habituellement, fût-ce en partie, de gains d’origine délictueuse ; [...]

25. La loi no 575/1965 a élargi le champ d’application des mesures en question aux individus soupçonnés d’appartenir à des associations de type mafieux (« dangerosité qualifiée » – pericolosità qualificata).

26. En outre, l’article 2 ter de la loi no 575/1965 telle que modifiée en 1982 a introduit la mesure de prévention patrimoniale de confiscation des biens. Dans sa partie pertinente en l’espèce, la disposition se lit comme suit :

« le tribunal, même d’office, ordonne par décision motivée la saisie des biens dont la personne contre laquelle la procédure a été engagée dispose directement ou indirectement, quand il y a lieu d’estimer, sur la base d’indices suffisants, telle que la disproportion considérable entre le train de vie et les revenus apparents ou déclarés, que ces biens constituent le profit d’activités illicites ou son remploi. En application de la mesure de prévention, le tribunal ordonne la confiscation des biens saisis dont la provenance légitime n’a pas été démontrée (...) ».

27. L’article 19 de la loi no 152 du 22 mai 1975 prévoit que les dispositions relatives aux mesures de prévention contenues dans la loi no 575/1965 s’appliquent également aux individus présentant une « dangerosité simple ». Cependant, selon l’article 14 de la loi no 55 du 19 mars 1990, qui a été modifié à plusieurs reprises avant d’être abrogé en 2008, l’application des mesures patrimoniales était restreinte, à l’époque des faits, aux individus soupçonnés d’avoir commis certains délits, parmi lesquels l’usure et l’extorsion.

28. Aux termes des articles 4 de la loi no 1423/1956 et 3 ter de la loi no 575/1965, les décisions relatives à l’application de mesures de prévention peuvent être contestées devant la cour d’appel. Les décisions de la cour d’appel ne peuvent quant à elles donner lieu qu’à un pourvoi pour violation de la loi.

29. Quant au déroulement des audiences, les articles 4 de la loi no 1423/1956 et 2 ter de la loi no 575/1965 prévoyaient que la décision des juridictions statuant sur de telles mesures était prise en chambre de conseil. Par un arrêt no 93 du 8 mars 2010, la Cour constitutionnelle a toutefois déclaré lesdites dispositions inconstitutionnelles dans la mesure où elles ne permettaient pas aux intéressés de demander la tenue d’une audience publique devant le tribunal et la cour d’appel.

30. La législation relative aux mesures de prévention personnelles et patrimoniales a été rassemblée en un seul texte par le décret législatif no 159 du 6 septembre 2011 (« code antimafia »).

2. Dispositions en matière d’impartialité des tribunaux

31. Aux termes de l’article 36 CPP, un juge a le devoir de s’abstenir notamment s’il se trouve soit dans l’une des situations d’incompatibilité prévues à l’article 34 CPP en raison d’autres fonctions exercées par lui au cours de la même procédure (article 36 § 1 g) CPP), soit dans le cas visé à l’article article 36 § 1 c) CPP concernant des opinions exprimées en dehors de l’exercice de ses fonctions, soit enfin en cas de « sérieux motifs d’opportunité » (article 36 § 1 h) CPP).

32. La déclaration d’abstention doit être présentée au président du tribunal ou de la cour d’appel compétents sur le fond de l’affaire. Le président statue sur la demande par décret. Compte tenu de la nature administrative et non pas juridictionnelle de la procédure d’abstention, aucun recours n’est prévu par le droit interne contre ledit décret (voir, entre autres, Cour de cassation, ordonnance no 734 de 2000 et Cour de cassation, arrêt no 33356 de 2008).

1. Exercice préalable de fonctions de juge

33. L’expression dans le cadre d’une autre procédure d’opinions relatives aux faits objet de l’instance en cause ne constitue pas, en principe, un motif d’abstention, l’article 36 CPP visant notamment les cas d’opinions exprimées en dehors de l’exercice des fonctions et les cas de « sérieux motifs d’opportunité » (paragraphe 31 ci-dessus),

34. Toutefois, par un arrêt no 113 de 2000, la Cour constitutionnelle a estimé que l’article 36 § 1 h) CPP devait être interprété comme incluant la situation dans laquelle un défaut d’impartialité découle de l’exercice par un juge de fonctions qu’il a assurées dans le cadre d’une autre procédure.

35. Par ailleurs, selon la Cour de cassation, c’est en principe la demande de récusation, et non pas un pourvoi en cassation sur le fond, qui constitue, dans ce cas, la voie de droit appropriée pour faire valoir un manque d’impartialité objective (voir les références dans l’affaire Morabito c. Italie (déc.), no 21743/07, 27 avril 2010).

36. La demande de récusation doit être présentée au cours de la phase initiale de la procédure, au moment des vérifications relatives à la participation des parties (article 38 § 1 CPP).

37. Le juge peut être récusé par l’une des parties notamment dans le cas prévu à l’article 36 § 1 g) CPP (article 37 § 1 a) CPP) et dans le cas d’opinions indûment exprimées (« opinioni indebitamente espresse ») à propos des faits objet de l’accusation (article 37 § 1 b) CPP). Par conséquent, aux termes des dispositions pertinentes du CPP, l’expression par un juge, dans le cadre d’une autre procédure, d’opinions quant aux faits objet de l’instance en cause ne constitue pas non plus, en principe, un motif de récusation (voir notamment, Cour de cassation, arrêt no 3044 de 1997).

38. Toutefois, par un arrêt no 283 de 2000, la Cour constitutionnelle a déclaré l’article 37 § 1 inconstitutionnel en ce qu’il ne prévoyait pas la possibilité de récuser un juge appelé à décider de la responsabilité pénale d’un accusé alors qu’il s’était exprimé auparavant en sa qualité de juge dans le cadre d’une autre procédure, qu’elle fût pénale ou non, à propos des faits et personnes concernés. Ledit arrêt a été rendu au sujet d’une affaire dans laquelle un juge avait précédemment statué sur l’application de mesures de prévention à l’égard des mêmes individus que ceux dont il était appelé à se prononcer sur la responsabilité pénale.

39. En outre, dans un arrêt no 1634 de 2015, la Cour de cassation a constaté l’existence d’un conflit de jurisprudence concernant l’applicabilité des dispositions relatives à la récusation à la procédure portant sur l’application de mesures de prévention. Selon un premier courant jurisprudentiel, considéré comme majoritaire, lesdites dispositions constituent des normes exceptionnelles prévues spécifiquement pour le procès pénal, et elles ne peuvent dès lors s’appliquer aux procédures de prévention. L’arrêt cite, au titre des décisions retenant cette analyse, les arrêts no 807 de 1989, no 22960 de 2008, no 2821 de 2009, no 15834 de 2009 et no 35555 de 2013. Selon le second courant, développé à partir de 2008, les dispositions relatives à la récusation des juges sont également applicables à la procédure de prévention, eu égard à la nature juridictionnelle de celle-ci. La Cour de cassation cite, comme s’inscrivant dans cette ligne jurisprudentielle, les arrêts no 3278 de 2009 et no 32077 de 2014, auxquels peuvent être ajoutés les arrêts no 32492 de 2015 et no 15979 de 2016, qui ont été mentionnés par le Gouvernement dans la présente procédure.

40. Le conflit en question a été récemment résolu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt no 25951, déposé au greffe le 6 juillet 2022, par lequel elle s’est prononcée en faveur de l’applicabilité aux procédures de prévention des dispositions relatives à la récusation dans les cas où un juge a déjà exprimé, dans le cadre d’une autre procédure, de prévention ou pénale, une opinion relativement aux faits et aux personnes en cause. L’arrêt se fonde notamment sur la considération que la dangerosité d’un individu peut être établie, aux fins de l’application de mesures de prévention, principalement au regard d’opinions exprimées quant à sa responsabilité pénale.

2. Exercice préalable de fonctions de procureur

41. L’article 34 § 3 CPP envisage les cas d’exercice successif des fonctions de magistrat du parquet et de juge, et prévoit que tout magistrat ayant exercé la fonction de procureur ne peut siéger en tant que juge dans une instance relative à la même procédure.

EN DROIT

1. SUR LA DÉCLARATION UNILATÉRALE CONCERNANT L’ABSENCE D’UNE AUDIENCE PUBLIQUE

42. Le 16 janvier 2018, le Gouvernement a formulé une déclaration unilatérale relative au grief fondé sur l’article 6 de la Convention concernant l’absence de publicité des audiences qui se sont tenues dans le cadre de la procédure de prévention. Il a en outre invité la Cour à rayer cette partie de la requête du rôle, conformément à l’article 37 de la Convention.

43. Le 13 février 2018, les requérants ont informé la Cour qu’ils souscrivaient aux termes de la déclaration, à condition qu’elle fût rendue publique.

44. Le 27 septembre 2018, le Gouvernement a transmis à la Cour une déclaration unilatérale modifiée, en vue d’accorder aux requérants le remboursement du montant dû à titre d’impôt relativement aux frais de la procédure. La déclaration prévoyait ceci :

Le Gouvernement italien reconnaît que les requérants ont subi la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, selon la jurisprudence bien établie de la Cour (arrêt du 13 novembre 2007, Bocellari et Rizza c. Italie, requête n. 399/02 ; arrêt du 8 juillet 2008, Perre et autres c. Italie, no 1905/05 ; arrêt du 5 janvier 2010, Bongiorno et autres c. Italie, no 4514/07) en raison du fait qu’à l’époque où s’est déroulée la procédure, les requérants n’avaient pas la possibilité de solliciter une audience publique devant les chambres spécialisées des tribunaux et des cours d’appel.

Le Gouvernement italien désirant réparer la violation, offre, à côté du constat de violation, les frais de la procédure à hauteur de 600 € plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par les requérants.

Ce montant sera payé dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour rendue conformément à l’article 37 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif des sommes en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire.

Le Gouvernement italien estime que la reconnaissance de la violation et l’offre du montant des frais de la procédure constituent un redressement adéquat, au sens de l’arrêt Rizza et Bocellari, conformément à la décision du 13 mai 2014, Frascati c. Italie, no 5382/08 et du 22 septembre 2016 Pesce c. Italie no 39272/08.

Le Gouvernement italien estime en outre qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête, car par l’arrêt n. 93 du 12 mars 2010, la Cour Constitutionnelle italienne, sur la base de l’article 6 § 1 de la Convention comme appliqué par la Cour dans les arrêts susmentionnés, a déclaré l’illégitimité constitutionnelle des dispositions relatives à la procédure pour l’application des mesures de prévention personnelles et patrimoniales (art. 4 L. n. 1423/1956 et 2 ter L. 575/1965), en tant qu’elles n’accordent pas aux intéressés le droit de demander le déroulement de la procédure en audience publique.

Par conséquent, le Gouvernement italien invite respectueusement la Cour à dire qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de cette partie de la requête et à la rayer du rôle conformément à l’article 37 de la Convention.

45. Le 27 octobre 2018, les requérants ont fait savoir à la Cour qu’ils considéraient que le Gouvernement n’avait pas fourni d’assurances quant à la publicité de la déclaration, et qu’en conséquence ils n’acceptaient pas les termes de celle-ci.

46. La Cour rappelle que l’article 37 § 1 c) de la Convention lui permet de rayer une affaire du rôle si :

« (...) pour tout (...) motif dont [elle] constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête ».

Ainsi, en vertu de cette disposition, la Cour peut rayer des requêtes du rôle sur le fondement d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si les requérants souhaitent que l’examen de leur affaire se poursuive (voir, en particulier, l’arrêt Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, §§ 75‑77, CEDH 2003‑VI).

47. La Cour a établi, dans un certain nombre d’affaires dirigées contre l’Italie, la nature et l’étendue de l’obligation, pour l’État défendeur, de reconnaître aux justiciables le droit de solliciter une audience publique dans le cadre des procédures relatives à l’application de mesures de prévention (entre autres, Bocellari et Rizza c. Italie, no 399/02, 13 novembre 2007, Perre et autres c. Italie, no [1905/05](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%221905/05%22%5D%7D), 8 juillet 2008, Bongiorno et autres c. Italie, no 4514/07, 5 janvier 2010, Leone c. Italie, no [30506/07](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2230506/07%22%5D%7D), 2 février 2010 et Capitani et Campanella c. Italie, no [24920/07](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2224920/07%22%5D%7D), 17 mai 2011). Dans lesdites affaires, lorsque la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, elle a considéré que le constat de violation constituait une satisfaction équitable suffisante au regard du préjudice moral subi par les requérants (Frascati c. Italie (déc.), no 5382/08, § 20, 13 mai 2014, et Cacucci et Sabatelli c. Italie (déc.), no 29797/09, § 12, 25 août 2015).

48. Eu égard à la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu’au montant proposé pour frais et dépens – qu’elle considère raisonnable –, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la partie de la requête en cause (article 37 § 1 c)).

49. En outre, eu égard à la réforme législative intervenue au niveau interne (paragraphe 29 ci-dessus), qui rend peu probable la répétition de cas semblables, et, surtout, à l’existence d’une jurisprudence européenne claire et abondante sur la question soulevée par ce grief, la Cour conclut que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 in fine).

50. Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, cette partie de la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).

51. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rayer la requête du rôle pour autant qu’elle concerne le grief fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’absence d’audience publique.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION quANT À L’IMPARTIALITé de la cour d’appel

52. Les requérants se plaignent d’un défaut d’impartialité de la cour d’appel ayant statué sur l’application de mesures de prévention, en raison de la présence en son sein d’un magistrat, U.M., qui avait auparavant exprimé, en qualité de procureur, une opinion sur la responsabilité pénale de certains d’entre eux dans le cadre du procès pénal relatif à l’affaire « Cahors ». Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

1. Sur la recevabilité
1. Les arguments des parties

53. Le Gouvernement excipe d’un non-épuisement des voies de recours internes, reprochant aux requérants de ne pas avoir introduit de demande de récusation en application de l’article 37 § 1 CPP. Il expose que dans l’arrêt no 283 rendu en 2000, la Cour constitutionnelle a reconnu la possibilité de récuser un juge à raison d’opinions exprimées par lui dans le cadre d’une autre procédure (paragraphe 38 ci-dessus), et il considère que, partant, les requérants auraient pu obtenir la récusation du juge U.M. du fait de sa participation antérieure, en qualité de procureur, au procès pénal de l’affaire « Cahors ».

54. Il soutient à cet égard que pareille récusation trouvait à s’appliquer dans le cadre des procédures de prévention, arguant que la Cour de cassation a statué en ce sens dans trois arrêts – no 3278 de 2009, no 32492 de 2015 et no 15979 de 2016. Quant à l’absence de jurisprudence relative à des opinions exprimées antérieurement dans l’exercice de la fonction de procureur, et non pas de juge, il l’explique par la rareté d’une telle situation.

55. Le Gouvernement estime enfin que les incertitudes jurisprudentielles identifiées par la Cour de cassation dans l’arrêt no 1634 de 2015 (paragraphe 39 ci-dessus) ne sont pas de nature à rendre ladite voie de recours ineffective.

56. Les requérants demandent le rejet de l’exception soulevée par le Gouvernement. Citant les arrêts de la Cour de cassation no 2821 de 2008 et no 15834 de 2009, ils font valoir que la jurisprudence majoritaire concluait à l’inapplicabilité des dispositions relatives à la récusation aux procédures de prévention, et ils soutiennent par conséquent que celle-ci n’était pas un recours suffisamment certain.

57. Les requérants arguent par ailleurs de la particularité du cas d’espèce, exposant que la situation en cause ne relève pas de la jurisprudence citée par le Gouvernement, laquelle, selon eux, concerne seulement le cas de magistrats ayant préalablement occupé, dans le cadre de la procédure antérieure, les fonctions de juge, et non pas de procureur.

2. L’appréciation de la Cour

58. La Cour rappelle que l’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 71-73, 25 mars 2014).

59. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Vučković et autres, précité, § 74, et Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, §§ 85 et 88, 9 juillet 2015). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Vučković et autres, précité, § 74, et Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV).

60. En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible, tant en théorie qu’en pratique, à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Vučković et autres, précité, § 77, et Akdivar et autres, précité, § 68).

61. La Cour a aussi affirmé que la disponibilité du recours dont se prévaut le Gouvernement, y compris sa portée et son champ d’application, doit être exposée avec clarté et confirmée ou complétée par la pratique ou la jurisprudence (Gherghina, décision précitée, § 88, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, §§ 117 et 120, 10 septembre 2010). Celle-ci doit être bien établie et antérieure à la date d’introduction de la requête (Dimitar Yanakiev c. Bulgarie (no 2), no 50346/07, §§ 53 et 63, 31 mars 2016, Gherghina, décision précitée, § 88, et Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, §§ 110‑112, CEDH 2006-VII).

62. La Cour rappelle que, en principe, les questions concernant l’impartialité d’un juge doivent être soulevées dans le cadre d’un recours en récusation (voir, par exemple, Contrada c. Italie (no 2), no 7509/08, § 91, 11 février 2014). En outre, elle note que le Gouvernement indique, sans être contredit par les requérants, qu’à partir de l’arrêt no 283 rendu par la Cour constitutionnelle en 2000, la jurisprudence établissait clairement que les juges pouvaient être récusés à raison de leur participation à une procédure distincte. Cependant, le point de savoir si la voie de recours en question pouvait également être exercée dans le cadre d’une procédure de prévention est sujet à débat entre les parties.

63. La Cour estime tout d’abord que la question doit être examinée au moment où les requérants auraient dû introduire ladite demande de récusation, c’est-à-dire en 2004 (paragraphe 36 ci-dessus).

64. À cette époque, en vertu de l’arrêt no 283 susmentionné, la récusation concernait des juges appelés à statuer sur la responsabilité d’un accusé alors qu’ils s’étaient déjà exprimés, dans le cadre d’une autre procédure, au sujet des mêmes faits et des mêmes personnes. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, l’arrêt en question n’indiquait aucunement que le recours pût être exercé au cours d’une procédure de prévention. En effet, il portait sur une affaire dans laquelle un juge s’était prononcé relativement à l’application de mesures de prévention avant d’être ultérieurement chargé d’évaluer la responsabilité pénale des prévenus, c’est-à-dire sur une situation inverse de celle en cause dans le cas d’espèce (paragraphe 38 ci-dessus).

65. En outre, il ressort des arrêts cités par les parties que la question en cause n’a donné lieu à un conflit jurisprudentiel qu’à partir de 2008, aucune décision intervenue avant cette date n’ayant considéré que les dispositions relatives à la récusation s’appliquaient aux procédures de prévention (paragraphe 39 ci-dessus).

66. Eu égard à la charge qui incombe au Gouvernement quant à la preuve de l’effectivité et de la disponibilité du recours qu’il invoque, la Cour constate que les arrêts qu’il cite à l’appui de l’exception soulevée sont tous postérieurs à 2004. Par conséquent, elle relève que le Gouvernement n’a fourni aucun élément propre à prouver que, à la date où les requérants auraient dû introduire la demande de récusation, ce recours pouvait prospérer également dans le cadre de procédures de prévention.

67. À cela s’ajoute qu’en l’espèce, le président de la cour d’appel a rejeté la demande d’abstention présentée par le juge U.M. au motif que les dispositions législatives pertinentes étaient inapplicables en l’espèce (paragraphe 16 ci-dessus). Pareille affirmation a certainement renforcé la conviction des requérants qu’une demande de récusation aurait été manifestement vouée à l’échec.

68. Compte tenu des considérations qui précèdent, et sans préjudice de l’appréciation du caractère effectif dudit recours au regard de la jurisprudence développée au cours des années suivantes, la Cour estime qu’en 2004, la récusation de juges en application de l’article 37 § 1 CPP dans le cadre d’une procédure de prévention n’avait pas un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisée aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention.

69. Par ailleurs, la Cour note que la procédure en cause concernait l’application de mesures de prévention personnelles et patrimoniales (voir paragraphe 9 ci-dessus) et que les parties ne contestent pas l’applicabilité de l’article 6 de la Convention à cette procédure. À cet égard, la Cour a déjà estimé que l’article 6 s’applique aux procédures portant sur les mesures de prévention sous son volet civil, qu’il s’agisse d’une mesure de confiscation, compte tenu de son objet « patrimonial » (Bongiorno et autres, précité, § 34), ou d’une mesure personnelle telle que la surveillance spéciale de police (De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 155, 23 février 2017).

70. La Cour rejette donc l’exception de non-épuisement des voies de recours internes et, constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, elle le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Les arguments des parties

71. Les requérants se plaignent d’un défaut d’impartialité de la cour d’appel ayant statué sur l’application de mesures de prévention à leur endroit, à raison de la participation de U.M, en qualité de juge rapporteur, à la formation de jugement. Ils exposent que l’arrêt de la cour d’appel, d’une part, se fondait sur les mêmes faits que ceux ayant donné lieu au procès pénal dit « Cahors », dans le cadre duquel U.M. avait exercé, en appel, la fonction de procureur et, d’autre part, qu’il prévoyait la confiscation des mêmes biens que ceux en cause dans ledit procès pénal. Les requérants rappellent en outre que U.M. a estimé opportun de s’abstenir eu égard à ces circonstances, le président de la cour d’appel ayant cependant rejeté la demande qu’il avait formulée en ce sens.

72. Le Gouvernement soutient que l’objet de la procédure de prévention est plus large que celui du procès pénal. À l’appui de son affirmation, il argue que le tribunal de première instance a examiné l’entière « carrière criminelle » des trois premiers requérants, et que par ailleurs l’application de mesures de prévention à leur égard s’est fondée sur un examen détaillé de leur patrimoine et de leurs sources de revenu. Il relève en outre que les biens qui ont été confisqués en application desdites mesures différaient de ceux qui avaient fait l’objet d’une confiscation par décision du juge pénal.

73. Le Gouvernement se réfère enfin à une note du président de la cour d’appel qui affirme, tout d’abord, que la responsabilité pénale de G. Florio ayant fait l’objet d’une transaction pénale, U.M. n’a pris part à aucun débat le concernant, ensuite, que la fonction de procureur a été assurée par plusieurs magistrats lors du procès pénal dirigé contre MM. Albano et Urgesi et, enfin, que les autres requérants n’étant pas intéressés par la procédure pénale, aucune question relative à l’impartialité de la cour d’appel ne pouvait se poser à leur égard.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

74. La Cour renvoie aux principes bien établis relatifs aux critères d’appréciation de l’impartialité d’un tribunal, tels qu’ils ont été résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal ([GC], nos 55391/13 et 2 autres, §§ 145-149, 6 novembre 2018). Plus particulièrement, la Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, et qu’elle peut s’apprécier de diverses manières. En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est‑à‑dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

75. La Cour rappelle que, pour ce qui est de la démarche subjective, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 47, série A no 154). Quant à la démarche objective, lorsqu’elle est appliquée relativement à une juridiction collégiale elle conduit à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel membre de celle-ci, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause son impartialité. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Micallef, précité, § 96, et Morel c. France, no 34130/96, § 42, CEDH 2000‑VI).

76. L’appréciation objective porte principalement sur des situations d’ordre fonctionnel, où la conduite personnelle du juge n’est pas en cause mais où, par exemple, l’exercice par la même personne de différentes fonctions dans le cadre du processus judiciaire, ou des liens hiérarchiques ou autres avec un autre acteur de la procédure, suscitent des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité du tribunal (Kyprianou, précité, § 121).

77. En outre, ladite appréciation varie suivant les circonstances de la cause. Le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier, en soi, des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l’étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l’appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l’appréciation finale. Il importe que cette appréciation intervienne avec le jugement et s’appuie sur les éléments produits et débattus à l’audience (Marina c. Roumanie, no 50469/14, § 38, 26 mai 2020, Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, § 85, CEDH 2014 (extraits), et Morel, précité, § 45).

78. La Cour doit donc vérifier si, compte tenu de la nature et de l’étendue des fonctions exercées par le juge dont l’impartialité est en cause, celui-ci a fait preuve, ou a pu légitimement apparaître comme ayant fait preuve, d’un parti pris quant à la décision à rendre sur le fond. Cela serait notamment le cas si les questions qu’il a eu successivement à traiter sont « les mêmes » où « analogues » (Marina, précité, § 43, Fazlı Aslaner c. Turquie, no 36073/04, § 32, 4 mars 2014, Morel, précité, § 47 ; a contrario, Kleyn et autres c. Pays‑Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 200, CEDH 2003‑VI).

79. La Cour a jugé, dans un certain nombre d’affaires mettant en cause deux procédures n’ayant pas exactement le même objet, que les questions de fait ou de droit soumises à l’examen des juges étaient, dans les espèces considérées, si strictement connexes que les doutes des requérants quant à l’impartialité de ceux-ci pouvaient passer pour objectivement justifiés (voir par exemple Stoimenovikj et Miloshevikj c. Macédoine du Nord, no 59842/14, § 37, 25 mars 2021, Fazlı Aslaner, précité, § 34, et Indra c. Slovaquie, no 46845/99, §§ 51-53, 1er février 2005). Toutefois, il ne suffit pas, à cet égard, que les deux procédures en cause tirent leur origine du même contexte factuel, les questions qu’elles sont appelées à trancher pouvant être en substance différentes (voir Pasquini c. Saint-Marin, no 50956/16, §§ 145‑150, 2 mai 2019, Sproge c. Lettonie (déc.), no 7407/06, §§ 34-35, 20 octobre 2015, Mugliett v. Malta (déc.), no 46661/12, §§ 29-30, 28 May 2013, et Steulet c. Suisse, no 31351/06, §§ 40-41, 26 avril 2011).

80. La Cour rappelle aussi que le fait qu’un requérant ait été jugé par un magistrat ayant lui-même exprimé des doutes quant à sa propre impartialité dans le procès peut poser un problème du point de vue de l’apparence d’équité et d’impartialité de la procédure (Paixão Moreira Sá Fernandes c. Portugal, no 78108/14, § 87, 25 février 2020, et Rudnichenko c. Ukraine, no 2775/07, § 118, 11 juillet 2013). Pareille situation ne suffit toutefois pas, en soi, à emporter violation de l’article 6 § 1 de la Convention, les doutes du requérant quant à l’impartialité du juge devant être objectivement justifiés dans les circonstances de la cause (Meng c. Allemagne, no 1128/17, § 52, 16 février 2021, et Dragojević c. Croatie, no 68955/11, §§ 120-122, 15 janvier 2015).

81. Pour ce qui concerne les situations dans lesquelles un juge a préalablement exercé la fonction de procureur, la Cour rappelle qu’il serait excessif d’écarter du siège tout ancien magistrat du parquet dans chaque affaire ayant précédemment été examinée par le ministère public, quand bien même le magistrat en question n’aurait pour sa part jamais eu à en connaitre. Ainsi, le simple fait qu’un juge ait figuré auparavant parmi les membres du parquet ne constitue pas une raison de redouter un manque d’impartialité dans son chef (Paunović c. Serbie, no 54574/07, §§ 41, 3 décembre 2019, et Jerino’ Giuseppe c. Italie (déc.), no 27549/02, 2 septembre 2004).

82. Cependant, si un juge se trouve saisi d’une affaire qu’il a déjà traitée dans le cadre de ses attributions au sein du parquet, les justiciables peuvent légitimement craindre qu’il n’offre pas assez de garanties d’impartialité (Piersack c. Belgique, 1er octobre 1982, § 30, série A no 53).

83. La Cour rappelle en outre que selon les principes généraux relatifs à l’impartialité des juridictions collégiales, il convient de prendre en compte des éléments tels que le nombre de magistrats concernés par pareille prise de position ainsi que leur rôle au sein de la formation de jugement. À cet égard, si les organes de la Convention ont déjà rejeté des griefs similaires en prenant en compte la faible proportion de juges concernés au sein d’une formation collégiale où les décisions sont prises à la majorité, la Cour a conclu à la violation du droit à un tribunal impartial dans un certain nombre d’affaires en prenant en considération à la fois la proportion élevée de magistrats concernés et les fonctions de président ou de rapporteur exercées par ces derniers au sein de la formation collégiale (Fazlı Aslaner, précité, §§ 37-40). En outre, dans des nombreux affaires, la Cour a affirmé que la circonstance qu’un manque d’impartialité ne concernait que l’un des membres d’une formation collégiale n’était pas déterminante dans la mesure où le secret des délibérations ne permet pas de connaître l’influence réelle d’un juge au sein du collège (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 89, CEDH 2015, Karrar c. Belgique, no 61344/16, § 36, 31 août 2021 et jurisprudence y citée).

84. Enfin, un constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention ne peut être fondé sur le manque allégué d’indépendance ou d’impartialité d’un organe juridictionnel si la décision rendue a été soumise au contrôle subséquent d’un organe judiciaire doté de la plénitude de juridiction et offrant les garanties de l’article 6 (Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 65, 25 septembre 2018), une juridiction supérieure pouvant, en pareilles circonstances, redresser les défauts de la procédure de première instance (Kyprianou, précité, § 134).

b) Application au cas d’espèce

85. En l’espèce, les craintes des requérants quant à un défaut d’impartialité de la cour d’appel de Lecce tiennent au fait que U.M., juge rapporteur du collège ayant statué sur l’application des mesures de prévention, avait auparavant assuré le rôle de procureur dans le cadre du procès pénal en appel de l’affaire « Cahors ».

86. La Cour observe d’emblée que les requérants ne mettent pas en cause l’impartialité subjective des juges de la cour d’appel. Elle estime dès lors qu’il convient d’examiner le grief sous le seul angle de l’exigence d’impartialité objective.

87. La Cour considère que, à la lumière des principes précités, le fait que la problématique de l’impartialité affectait un seul membre d’une formation de trois juges n’est pas déterminant (voir Morice, précité, § 89). En tout état de cause, et sans se prononcer dans l’abstrait sur l’impact de la participation d’un juge ne remplissant aucun rôle particulier au sein de la formation, force est de constater qu’en l’espèce U.M. exerçait la fonction de juge rapporteur, de sorte que sa participation était davantage susceptible de mettre en cause l’impartialité du collège (voir Fazlı Aslaner, précité, § 39. Elle doit donc vérifier si les doutes des requérants quant à son impartialité étaient objectivement justifiés.

88. De l’avis de la Cour, un premier élément de réponse réside dans le fait que U.M. a lui-même exprimé des doutes quant à sa propre impartialité en présentant une demande d’abstention (paragraphe 15 ci-dessus), pareille requête pouvant affecter l’apparence d’impartialité de la cour d’appel.

89. En outre, la Cour constate que les deux procédures en cause concernaient tantôt les mêmes questions, tantôt des questions suffisamment connexes pour justifier des craintes quant à un défaut d’impartialité.

90. En particulier, dans le cadre du procès pénal relatif à l’affaire « Cahors », le parquet – dont faisait partie U.M. – a conclu avec G. Florio une transaction pénale ayant pour objet la responsabilité de celui-ci concernant plusieurs délits, dont notamment celui d’association mafieuse. La cour d’appel, par un arrêt du 3 juillet 2002, a homologué la transaction, tout en prononçant la confiscation de certains des biens de l’intéressé (paragraphe 5 ci-dessus). Quant à M. Albano, le parquet a demandé la confirmation de sa responsabilité concernant, entre autres, l’infraction d’association mafieuse, et l’intéressé a vu sa condamnation confirmée en appel, par un arrêt du 21 février 2003 (paragraphe 6 ci-dessus).

Or, l’application de mesures de prévention à l’égard de ces deux requérants se fondait sur la dangerosité « qualifiée » prévue par la loi no 575/1965, laquelle vise, à ce titre, les individus soupçonnés d’appartenir à des associations de type mafieux.

La Cour note que la cour d’appel, statuant sur les mesures de prévention, a d’abord examiné s’il existait des indices sérieux de la participation de MM G. Florio et Albano à une association mafieuse, alors que, dans le cadre du procès pénal, U.M. les avait poursuivis pour ce même délit. La Cour estime donc que les questions soumises à l’appréciation de U.M. dans chacune des deux procédures étaient essentiellement les mêmes pour ce qui concerne ces deux requérants (paragraphe 78 ci-dessus).

91. Quant à M. Urgesi, dans le procès « Cahors », le parquet a demandé la confirmation de sa responsabilité concernant les délits d’association de malfaiteurs et d’usure, infractions pour lesquelles il a été condamné, par un arrêt de la cour d’appel du 21 février 2003 (paragraphe 6 ci-dessus).

L’application de mesures de prévention à son égard reposait sur l’article 14 de la loi no 55/1990, lequel renvoie à l’article 1 de la loi no 1423/1956. Une des questions principales que la cour d’appel était appelée à trancher était donc celle de savoir si, sur la base d’éléments factuels, on pouvait estimer que l’intéressé se livrait habituellement aux activités délictueuses visées par la norme précitée – parmi lesquelles figurait l’infraction d’usure – ou qu’il vivait habituellement des gains de celles-ci (paragraphes 24 et 27 ci-dessus).

Compte tenu du fait que U.M. a poursuivi M. Urgesi pour le délit d’usure dans le cadre du procès pénal, et que sa condamnation de ce chef a finalement pesé de manière déterminante dans la décision d’application de mesures de prévention à son endroit (paragraphe 19 ci-dessus), la Cour considère que les questions soumises au magistrat étaient strictement connexes (paragraphe 79 ci-dessus).

92. La Cour prend note des observations du Gouvernement quant à l’objet de la procédure de prévention, lequel était selon lui plus large que celui de la procédure pénale en ce que, au vu des considérations du tribunal ayant statué en première instance, il incluait l’entière « carrière criminelle » des prévenus ainsi que l’examen de questions patrimoniales et portait sur d’autres biens que ceux qui avaient fait l’objet d’une confiscation dans le cadre du procès « Cahors ».

Toutefois, la Cour n’est pas convaincue par cet argument. Elle rappelle tout d’abord que la cour d’appel de Lecce s’est fondée de manière déterminante sur les condamnations prononcées en première instance et en appel dans le procès « Cahors » pour ordonner les mesures de prévention litigieuses (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). Quant aux autres points débattus dans la procédure de prévention, la Cour estime que ceux-ci ne remettent pas en cause le caractère déterminant de la première question examinée par les juges internes, c’est-à-dire l’évaluation des indices existant quant à la commission par les intéressés des délits en cause.

93. La Cour n’est pas davantage convaincue par les arguments du Gouvernement selon lesquels, dans le procès « Cahors », U.M. aurait exercé la fonction de procureur conjointement avec d’autres magistrats et n’aurait participé à aucun débat relativement à la culpabilité de G. Florio, la condamnation de celui-ci ayant découlé d’une transaction pénale. Elle observe en effet que dans le cadre de ladite transaction, le parquet s’est livré à un examen des circonstances factuelles de l’affaire et qu’il a estimé que le requérant était pénalement responsable, de sorte que l’absence en l’espèce de débat, mené en audience publique, quant à la culpabilité de l’intéressé ne saurait être considérée comme décisive (voir, mutatis mutandis, Mucha c. Slovaquie, no 63703/19, §§ 53-55, 25 novembre 2021). Quant au partage de la fonction de procureur avec d’autres membres du parquet, le fait que U.M. a joué un rôle dans les poursuites menées contre les requérants suffit pour conclure qu’il s’était exprimé auparavant sur leur responsabilité pénale (voir Jhangiryan c. Arménie, nos 44841/08 et 63701/09, § 101, 8 octobre 2020).

94. Reste à examiner la position des requérants désignés en annexe sous les numéros 4 à 8, qui n’étaient ni parties au procès « Cahors », ni accusés d’un quelconque délit. À cet égard, la Cour note que leurs biens ont été confisqués sur la base du constat de l’appartenance de ceux-ci aux trois premiers requérants (paragraphe 11 ci-dessus). Il en résulte que ladite confiscation se fondait sur l’appréciation qui avait été portée sur les indices de commission par les premiers requérants des délits en cause et, donc, sur des questions sur lesquelles U.M. s’était déjà exprimé dans le procès « Cahors ».

95. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que les questions soumises à l’examen de U.M. dans chacune des deux procédures étaient, à l’égard de tous les requérants, essentiellement les mêmes ou, à tout le moins, strictement connexes, et qu’ainsi les craintes des intéressés quant à un défaut d’impartialité de la cour d’appel de Lecce pouvaient passer pour objectivement justifiées.

96. La Cour rappelle, enfin, qu’une juridiction supérieure ou suprême peut bien entendu, dans certains cas, redresser les défauts de la procédure (voir Ramljak c. Croatie, no 5856/13, § 40, 27 juin 2017, et Kyprianou, précité, § 134). Cependant, elle note qu’en l’espèce la Cour de cassation n’a pas connu du fond de l’affaire et a rejeté le moyen de recours relatif à l’impartialité de la cour d’appel (paragraphe 21 ci-dessus), de sorte qu’elle n’a pas remédié au défaut d’impartialité de celle-ci (voir Meng, précité, § 64).

97. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la cour d’appel de Lecce ayant statué sur l’application des mesures de prévention aux requérants n’était pas un tribunal impartial. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

98. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

99. Les requérants MM. Urgesi, Albano et G. Florio sollicitent une indemnisation du dommage moral qu’ils estiment avoir subi du fait de l’application d’une mesure de surveillance spéciale de police à leur endroit :

. M. Urgesi demande 146 000 euros (EUR) ;

. M. Albano demande 116 800 EUR ;

. M. G. Florio demande 146 000 EUR.

100. Les autres requérants réclament, à titre principal, la réouverture du procès d’appel. À titre subsidiaire, ils sollicitent les sommes suivantes au titre de dommage matériel :

. Mme Boccuni demande la somme de 20 000 EUR, correspondant à la valeur des biens confisqués ;

. Mme Esposito demande la restitution des biens confisqués ou, à titre subsidiaire, la somme de 300 000 EUR ;

. Mme Fanelli demande la restitution des biens confisqués ou, à titre subsidiaire, la somme de 350 000 EUR ;

. M. C. Florio demande la restitution des biens confisqués ou, à titre subsidiaire, la somme de 23 600 EUR ;

. Mme Spinelli demande la restitution des biens et des sommes confisqués ou, à titre subsidiaire, la somme de 166 120 EUR.

101. Ils ne réclament aucune somme au titre de frais et dépens.

102. Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants, estimant que les sommes réclamées sont dépourvues de tout lien de causalité avec le défaut d’impartialité allégué. Il soutient, en outre, que la participation du juge U.M. au procès « Cahors » n’a entrainé concrètement aucun préjudice pour ceux-ci.

103. La Cour observe qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’impartialité de la cour d’appel de Lecce qui a découlé de la participation du juge U.M à la formation de jugement ayant statué sur les mesures de prévention concernant les requérants. Cependant, elle ne peut pas spéculer sur ce qu’aurait été l’issue d’une procédure conforme à l’article 6 § 1. Elle n’aperçoit donc pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette en conséquence les demandes formées par les requérants à ce titre.

104. En ce qui concerne la demande de réouverture du procès, la Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à mettre en œuvre dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention à la lumière des circonstances particulières de la cause (voir, entre autres, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005‑IV). Dans ce contexte, la Cour rappelle avoir néanmoins affirmé que lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’un procès qui n’a pas satisfait aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, par exemple, Maestri et autres c. Italie, nos 20903/15 et 3 autres, § 72, 8 juillet 2021).

105. Par ailleurs, la Cour octroie à chaque requérant qui a présenté une demande de ce chef – requérants désignés en annexe sous les numéros 1 à 3 – la somme de 2 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur concernant le grief fondé sur l’article 6 § 1 quant à l’absence d’audience publique et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements ainsi pris ;
2. Décide de rayer du rôle cette partie de la requête conformément à l’article 39 de la Convention ;
3. Déclare le grief fondé sur l’article 6 § 1 relativement à un défaut d’impartialité de la cour d’appel de Lecce recevable ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à MM. Urgesi, Albano et G. Florio, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) chacun, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata Degener Marko Bošnjak
Greffière Président

Appendix

Liste des requérants

No

|

Prénom NOM

|

Année de naissance

|

Note

---|---|---|---

1.

|

Roberto URGESI

|

1962

|

2.

|

Vincenzo ALBANO

|

1953

|

3.

|

Giuseppe FLORIO

|

1965

|

4.

|

Lucia BOCCUNI

|

1964

|

épouse de Roberto Urgesi

5.

|

Assunta ESPOSITO

|

1967

|

épouse de Giuseppe Florio

6.

|

Maria FANELLI

|

1953

|

épouse de Vincenzo Albano

7.

|

Ciro FLORIO

|

1967

|

frère de Giuseppe Florio

8.

|

Filomena SPINELLI

|

1943

|

mère de Giuseppe Florio


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