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08/07/2021 | CEDH | N°001-210852

CEDH | CEDH, AFFAIRE MAESTRI ET AUTRES c. ITALIE, 2021, 001-210852


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MAESTRI ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes no 20903/15 et 3 autres –

voir liste en annexe)

ARRÊT


Art 6 (pénal) • Procès équitable • Omission de la cour d’appel d’ordonner une nouvelle audition des inculpés avant d’infirmer leur acquittement en première instance • Obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité • Une renonciation au droit d’être présent aux débats n’équivaut pas une re

nonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel • Possibilité de faire des déclarations spontanées au cou...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MAESTRI ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes no 20903/15 et 3 autres –

voir liste en annexe)

ARRÊT

Art 6 (pénal) • Procès équitable • Omission de la cour d’appel d’ordonner une nouvelle audition des inculpés avant d’infirmer leur acquittement en première instance • Obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité • Une renonciation au droit d’être présent aux débats n’équivaut pas une renonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel • Possibilité de faire des déclarations spontanées au cours des débats non conforme aux standards de la Cour • Le droit de l’accusé à être le dernier à parler distinct de son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal

STRASBOURG

8 juillet 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Maestri et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Péter Paczolay,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,

Vu :

les requêtes (nos 20903/15, 20973/15, 20980/15 et 24505/15) dirigées contre la République italienne et dont sept ressortissants de cet État, Mme Cristina Maestri (« la requérante ») et MM. Giovanni Robusti, Denis Maero, Francesco Robastro, Antonino Bedino, Celestino Giletta et Gianfranco Taricco (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’équité de la procédure pénale et de déclarer irrecevables les requêtes pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 juin 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Dans ces requêtes, les requérants reprochent, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, à la juridiction d’appel de ne pas avoir ordonné de nouvelle audition des témoins à charge et de ne pas avoir entendu en personne les requérants et la requérante avant de renverser le verdict d’acquittement prononcé en première instance à leur égard.

EN FAIT

2. Les requérants et la requérante ont été représentés devant la Cour par Me A. Saccucci. La liste des intéressés, comportant aussi des renseignements personnels, figure en annexe.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. D’Ascia.

4. Les requérants et la requérante furent impliqués avec d’autres personnes dans une procédure pénale relative à un détournement du régime des quotas laitiers qui avait été introduit par le règlement (CEE) no 856/84.

5. Les requérants Robusti, Maero, Robastro et Bedino étaient accusés d’avoir créé plusieurs sociétés coopératives de production laitière, nommées Savoia, dont ils étaient membres des organes de contrôle et d’administration, et de les avoir gérées de manière frauduleuse dans le but de permettre aux sociétaires de dépasser les quotas laitiers imposés par le règlement CEE sans pour autant verser à l’État les contributions dues en cas de dépassement. En outre, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 119 de 1993 qui avait modifié les règles comptables du régime des quotas laitiers, lesdits requérants avaient créé une société financière intermédiaire, la « FGR spa », poursuivant le même but frauduleux. Les requérants Giletta et Taricco, producteurs de lait et sociétaires des sociétés coopératives, étaient accusés d’avoir participé au système frauduleux en tant que membres des conseils d’administration des sociétés. La requérante, Mme Maestri, avait quant à elle exercé les fonctions de comptable pour lesdites sociétés.

6. Les requérants et la requérante furent inculpés des délits d’association de malfaiteurs et de fraude aggravée et furent renvoyés en jugement devant le tribunal de Saluzzo le 18 mai 2007.

7. Au cours des débats, le tribunal interrogea plusieurs témoins, parmi lesquels les fonctionnaires des organismes de contrôle du respect du régime des quotas laitiers qui avaient enquêté sur les comptes des sociétés, ainsi qu’un maréchal des carabiniers, M., qui avait été chargé des investigations dans le cadre de la procédure pénale. Les experts désignés par le parquet et par les inculpés, qui avaient déposé des rapports d’expertise, furent entre autres auditionnés. Le tribunal entendit également les requérants et la requérante, ainsi que les autres accusés.

8. Par un jugement du 15 juillet 2009, le tribunal acquitta les six requérants pour le délit d’association de malfaiteurs et les condamna pour le délit de fraude aggravée. La requérante fut, elle, acquittée pour les deux chefs d’inculpation.

9. Le tribunal affirma que l’ensemble des éléments de preuve recueillis démontrait que les requérants avaient à différents titres participé à la mise en œuvre d’un système frauduleux complexe visant à contourner la réglementation des quotas laitiers ainsi que l’obligation de verser à l’État des contributions en cas de dépassement. Il se référa en particulier aux témoignages de plusieurs coïnculpés et à ceux des fonctionnaires de l’autorité de contrôle du respect du régime des quotas laitiers, lesquels avaient rapporté que les organes d’administration des sociétés coopératives Savoia avaient toujours refusé de fournir des explications sur leur comptabilité, entravant ainsi toute activité de contrôle. Quant aux modalités opérationnelles, le tribunal affirma que le rapport déposé par l’expert désigné par le parquet, C., avait bien mis en évidence les détails de l’organisation comptable frauduleuse adoptée par les coopératives. Ces modalités avaient d’ailleurs été confirmées par les déclarations dudit expert C. et du maréchal M. Le tribunal affirma que tous les éléments constitutifs du délit de fraude avaient été prouvés. Quant à l’élément moral dudit délit, en particulier, le tribunal indiqua qu’il ressortait tout d’abord implicitement des modalités comptables artificieuses mises en place et qu’il pouvait également être déduit des déclarations de Cr. et de T., des producteurs de lait coïnculpés dans le procès qui avaient déclaré avoir décidé d’adhérer aux sociétés coopératives Savoia dans le but d’éviter de s’acquitter des obligations fiscales découlant du régime des quotas laitiers.

10. Concernant le délit d’association de malfaiteurs, le tribunal affirma tout d’abord, pour ce qui était de l’élément moral du délit, que la finalité de permettre aux sociétaires des coopératives de produire des quantités de lait excédant les quotas laitiers ne constituait pas en soi une infraction pénale et que par conséquent, elle ne pouvait pas représenter l’élément intentionnel du délit. De plus, selon le tribunal, on ne pouvait pas considérer que les requérants avaient eu le projet général de commettre une pluralité de délits, puisqu’il était apparu que la seule finalité poursuivie par les inculpés avait été celle de se livrer à des fraudes fiscales. Quant à l’élément matériel, le tribunal affirma que le comportement reproché aux accusés dans l’acte d’accusation, à savoir la création des sociétés, n’impliquait pas en soi la constitution d’une organisation à caractère criminel ayant pour but de commettre plusieurs délits.

11. Enfin, le tribunal examina la position de la requérante et affirma que celle-ci n’avait pas pris une part active à la gestion des sociétés coopératives et de la société financière puisqu’elle avait exercé des fonctions de simple comptable et qu’elle s’était bornée à s’acquitter de ses obligations contractuelles en tenant la comptabilité conformément aux instructions données par les administrateurs des sociétés. Le tribunal estimait qu’elle devait donc être acquittée pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle.

12. Les requérants et la requérante ainsi que le parquet interjetèrent appel. Ce dernier demanda entre autres que les inculpés fussent condamnés également pour le délit d’association de malfaiteurs. La requérante assista aux audiences devant la cour d’appel tandis que les requérants, qui avaient été cités à comparaître conformément à l’article 601 du code de procédure pénale (voir paragraphe 27 ci-dessous), ne s’y présentèrent pas et furent déclarés contumax. Les avocats des requérants et de la requérante furent entendus par la cour d’appel.

13. Par un arrêt du 30 juin 2011, la cour d’appel de Turin réforma partiellement le jugement de première instance. Tout en confirmant la condamnation des requérants pour le délit de fraude aggravée, la cour d’appel fit droit à l’appel du ministère public ; elle affirma que le tribunal avait motivé de manière sommaire et superficielle l’acquittement des inculpés pour le délit d’association de malfaiteurs et ajouta qu’elle estimait que les éléments constitutifs du délit étaient prouvés. Elle indiqua tout d’abord que l’acte d’accusation ne reprochait pas seulement aux requérants d’avoir constitué les sociétés coopératives Savoia et, ensuite, la société financière FGR spa – comme le tribunal l’avait selon elle affirmé à tort – mais également de les avoir dès le départ utilisées pour échapper aux obligations fiscales découlant du régime des quotas laitiers. Or, pour la cour d’appel, ce comportement constituait précisément le cœur de la fraude reprochée aux requérants et devenait aussi l’élément clé d’une organisation dont le but était celui de commettre, par ce même comportement, une série indéfinie de fraudes. À cet égard, la cour d’appel affirma que le tribunal n’avait pas tenu compte dans son examen de la globalité des faits et des agissements reprochés aux accusés dans l’acte d’accusation, mais seulement d’une partie d’entre eux.

14. En outre, pour ce qui était de l’élément moral du délit, la cour d’appel se référa à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière et affirma que l’intention de commettre une série indéfinie de fraudes pouvait constituer l’élément intentionnel du délit d’association de malfaiteurs. Elle ajouta qu’à cet égard, le tribunal avait eu tort d’affirmer que seule l’intention de commettre une série de délits différents pouvait constituer l’élément moral de ladite infraction. Cela étant, la cour d’appel affirma que les requérants Robusti, Maero, Robastro et Bedino avaient fait office de promoteurs et d’organisateurs du système des sociétés coopératives et de la société financière et qu’ils étaient par conséquent sans aucun doute responsables du délit d’association de malfaiteurs. Quant aux requérants Giletta et Taricco, la cour d’appel a estimé qu’ils avaient participé à l’organisation puisqu’ils avaient fait partie des conseils d’administration des sociétés coopératives. La cour d’appel fit référence à ses conclusions concernant l’élément moral du délit de fraude et ajouta que, bien que n’étant pas juristes, les accusés ne pouvaient pas ne pas avoir compris que si l’activité des sociétés avait été légale, la mise en place d’un système comptable complexe et opaque n’aurait pas été nécessaire.

15. Concernant la position de la requérante, Mme Maestri, la cour d’appel observa que plusieurs témoins entendus par le tribunal, notamment le maréchal M. et C., l’expert désigné par le parquet, avaient décrit avec précision le rôle actif que celle-ci avait joué dans la gestion des sociétés. Il en était ressorti que la requérante s’était directement occupée de la comptabilité des sociétés coopératives et de la société financière, dès leur création et pendant plusieurs années, de manière autonome et dans le cadre d’une relation de confiance avec les promoteurs de ce système illicite. Pour la cour d’appel, il s’ensuivait que la requérante avait joué un rôle actif dans l’organisation illicite et qu’elle devait être condamnée aussi bien pour le délit d’association de malfaiteurs que pour celui de fraude.

16. Les requérants et la requérante se pourvurent en cassation. Ils reprochaient entre autres à la cour d’appel d’avoir décidé une reformatio in pejus du jugement du tribunal sans ordonner de nouvelle audition des témoins à charge. Ils alléguaient en outre que cette juridiction d’appel avait omis de les entendre personnellement avant de décider de les condamner.

17. Par un arrêt du 24 octobre 2014, la Cour de cassation rejeta le recours des requérants. Elle affirma que le juge d’appel était tenu d’ordonner une nouvelle audition des témoins s’il estimait nécessaire de réévaluer leur crédibilité et de procéder à un nouvel établissement des faits. Or en l’espèce, selon la haute juridiction, la cour d’appel de Turin n’avait pas interprété différemment les déclarations des témoins, dont le récit des faits n’avait jamais été mis en doute. En outre, pour ce qui était de l’obligation d’entendre les requérants en personne, la Cour de cassation affirma que la possibilité pour l’accusé de faire des déclarations spontanées à tout moment au cours des débats (article 494 du code de procédure pénale – CPP) et le droit d’être le dernier à prendre la parole dans les débats (article 523 du CPP) garantissaient de manière suffisante les droits de la défense des accusés.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. Le cadre juridique et la pratique internes en matière de reformatio in pejus des décisions d’acquittement prononcées en première instance sont décrits dans l’arrêt Lorefice c. Italie, no 63446/13, §§ 26-28, 29 juin 2017.

19. En particulier, l’arrêt no 27620 de l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation italienne (« la Cour de cassation), déposé au greffe le 6 juillet 2016, a énoncé le principe selon lequel le juge d’appel ne pouvait pas infirmer un jugement d’acquittement sans avoir au préalable ordonné, même d’office, aux termes de l’article 603, alinéa 3, du CPP, l’audition des témoins dont les déclarations ont été décisives (ibidem, § 28). Dans ledit arrêt, la haute juridiction italienne a affirmé que ce principe trouvait à s’appliquer également aux témoins assistés, aux coaccusés – dans le même procès ou dans une procédure connexe – et à l’accusé en personne, dont le juge d’appel devait également ordonner l’audition dès lors que leurs déclarations avaient été décisives pour l’acquittement (point 8.3). Selon cet arrêt, l’éventuel refus de déposer signifié par l’accusé était sans effet sur la recevabilité de l’appel.

20. Par l’arrêt no 46210 du 2 octobre 2019, la Cour de cassation a par ailleurs rappelé le principe selon lequel le juge d’appel qui entendait réformer un verdict d’acquittement et qui ordonnait la réouverture de l’instruction en application de l’article 603 du CPP devait également ordonner l’audition de l’accusé en personne dès lors que ses déclarations recueillies en première instance étaient considérées comme décisives.

21. L’article 208 du code de procédure pénale (CPP) est consacré à l’audition (esame) des parties. Il dispose que l’accusé dans le procès ne peut être auditionné par le juge que s’il en fait la demande ou s’il y consent.

22. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’absence de l’accusé à la première audience ne vaut pas en soi renonciation par l’intéressé à être auditionné par le juge d’appel. En effet, la volonté de l’accusé de ne pas être entendu par le juge ne peut être envisageable qu’une fois que l’audition a été ordonnée et elle ne vaut que pour l’audience lors de laquelle celle-ci doit avoir lieu (arrêt no 12544 du 16 février 2016).

23. L’article 494 du CPP concerne les déclarations spontanées (dichiarazioni spontanee) livrées par l’accusé lors du procès. Il est ainsi libellé :

« Une fois l’exposé introductif de l’affaire terminé, le président informe l’accusé qu’il a le droit, à tout moment au cours des débats, de faire les déclarations qu’il estime opportunes, à condition qu’elles se réfèrent à l’objet de l’inculpation et qu’elles n’entravent pas l’instruction à l’audience (istruzione dibattimentale). »

24. La Cour de cassation a affirmé dans son arrêt no 51983 du 6 décembre 2016 que le juge d’appel qui entendait réformer un verdict d’acquittement sur la base d’une interprétation différente des déclarations spontanées livrées par l’inculpé au sens de l’article 494 du CPP n’était pas obligé de renouveler l’audition de l’intéressé conformément à l’article 603, alinéa 3, du CPP. Selon la Cour de cassation, lesdites déclarations spontanées, contrairement aux dépositions formulées par l’accusé au cours de son audition (esame), relèvent en effet du libre choix de l’inculpé, ne constituent pas des moyens de preuve acquis selon le principe du contradictoire – faute de la possibilité d’adresser des questions à l’intéressé – et ne sauraient donc être obtenues d’office sans porter atteinte au droit de l’inculpé de se taire ainsi qu’à ses droits de la défense.

25. L’article 523 du CPP définit l’ordre de prise de parole des parties à l’audience à la suite de l’admission des preuves, à savoir d’abord le ministère public, ensuite le défenseur de la partie civile puis celui de la personne civilement responsable et enfin celui de l’accusé. Les parties peuvent ensuite répliquer une seule fois. Selon le dernier alinéa dudit article, « l’accusé et son défenseur doivent en tout cas avoir la parole les derniers s’ils en font la demande, sous peine de nullité ». Conformément à l’article 602 § 4 du CPP, ladite disposition trouve à s’appliquer également aux débats devant la juridiction d’appel.

26. L’article 597 § 1 du CPP décrit l’étendue de la compétence (cognizione) du juge d’appel :

« 1. En deuxième instance, le juge n’a le pouvoir de se prononcer [la cognizione del procedimento] que sur [limitatamente] les points de la décision auxquels se référent les moyens d’appel.

2. Lorsque l’appel a été interjeté par le ministère public :

a) si l’appel concerne un jugement de condamnation, le juge d’appel peut, dans les limites de la compétence du juge de première instance, donner aux faits une qualification juridique plus grave, modifier la nature ou augmenter le quantum de la peine, révoquer des bénéfices, appliquer des mesures de sûreté si nécessaire et adopter toute décision imposée ou prévue par la loi ;

b) si l’appel concerne un jugement d’acquittement, le juge peut prononcer une condamnation et adopter les décisions visées à la lettre a) ou acquitter l’accusé pour un motif différent de celui invoqué dans le jugement attaqué ;

c) s’il confirme le jugement de première instance, le juge d’appel peut appliquer, modifier ou exclure, dans les cas déterminés par la loi, les peines accessoires et les mesures de sûreté.

3. Lorsque l’appel a été interjeté par l’accusé, le juge ne peut pas infliger une peine plus sévère, appliquer une mesure de sûreté nouvelle ou plus lourde, acquitter l’accusé pour un motif moins favorable que celui invoqué en première instance ou révoquer des bénéfices ; il est seulement en droit, dans les limites visées à l’alinéa 1), de donner aux faits une qualification juridique plus grave à condition que les limites de la compétence du juge de première instance ne soient pas outrepassées. »

27. En application de l’article 601 du CPP, le président de la cour d’appel ordonne sans retard la citation à comparaître de l’accusé, que l’appel soit interjeté par l’accusé ou par le ministère public. L’acte de citation est considéré comme nul et doit être réitéré si l’accusé n’est pas correctement identifié.

EN DROIT

1. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

28. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un seul arrêt.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29. Les requérants et la requérante reprochent à la cour d’appel de Turin d’avoir prononcé leur condamnation sans les avoir entendus directement et sans avoir examiné les témoins à charge. Ils y voient une violation de l’article 6 de la Convention.

Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

1. Sur la recevabilité

30. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond
1. Les arguments des parties

31. Les requérants et la requérante affirment que la cour d’appel de Turin les a condamnés pour le délit d’association de malfaiteurs, pour lequel ils avaient été acquittés en première instance, après qu’elle eut donné une interprétation différente des déclarations des témoins qui avaient été entendus par le tribunal. Ils ajoutent que cette juridiction a renversé l’intégralité du verdict du tribunal concernant la requérante, la condamnant pour la première fois non seulement pour le délit d’association de malfaiteurs mais également pour l’infraction de fraude.

32. Selon les requérants et la requérante, même si la crédibilité des témoins à charge n’a pas été directement mise en cause dans le procès, la cour d’appel avait l’obligation de les entendre directement avant de donner une nouvelle interprétation de leurs déclarations et d’utiliser ces déclarations pour fonder leur condamnation. Ils avancent que parmi les témoins à charge figuraient également des experts.

33. Les requérants et la requérante soutiennent en outre que la cour d’appel a notamment examiné l’existence de l’élément intentionnel de l’infraction d’association de malfaiteurs à la lumière des déclarations des témoins et, également, de leurs propres témoignages devant le tribunal. Ils précisent que toutefois ni les témoins ni eux-mêmes n’ont été directement interrogés par la juridiction d’appel. Ils exposent que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, l’examen de la cour d’appel s’est fondé sur des éléments factuels et qu’il concernait des questions présentant une complexité notable qui aurait appelé une appréciation directe des éléments à charge.

34. Concernant l’argument du Gouvernement selon lequel ils auraient renoncé à la possibilité de demander à être entendus en personne par la cour d’appel, les intéressés indiquent que, selon la jurisprudence de la Cour, les États sont tenus en la matière par l’obligation positive d’ordonner d’office la production de preuves orales, même en l’absence d’une demande des intéressés. En outre, les requérants estiment que la possibilité pour un accusé d’être le dernier à prendre la parole, évoquée dans l’arrêt de la Cour de cassation, n’est pas suffisante pour garantir le respect du droit à un procès équitable.

35. Le Gouvernement affirme que les conclusions de la cour d’appel se sont appuyées sur l’établissement des faits tel qu’il avait été dressé par le tribunal à la lumière des déclarations des témoins. Il ajoute que la crédibilité de ces derniers n’a d’ailleurs à aucun moment été mise en doute. Il expose que le tribunal avait condamné les six requérants pour l’infraction de fraude car il considérait que l’ensemble des éléments de preuve à sa disposition avait démontré que les intéressés avaient agi dans le but de détourner le régime des quotas laitiers et de se soustraire aux obligations fiscales y relatives. Concernant la question de savoir si le système des sociétés Savoia et FGR constituait une organisation de type criminel, la seule, selon le Gouvernement, sur laquelle le tribunal et la cour d’appel aient statué de manière différente, les déclarations des témoins étaient selon lui manifestement dénuées de pertinence.

36. En réponse aux requérants qui allèguent ne pas avoir été entendus en personne par la cour d’appel, le Gouvernement argue que le procès en appel s’est déroulé selon une procédure orale et publique. Il indique que les requérants auraient par conséquent eu tout le loisir de solliciter auprès de la cour d’appel l’autorisation de s’exprimer et de présenter leurs arguments en défense aux termes de l’article 494 du CPP.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

37. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

38. Lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve, y compris des témoignages décisifs qu’elle s’apprête à interpréter pour la première fois d’une manière défavorable à l’accusé (Dan c. Moldova, no 8999/07, § 30, 5 juillet 2011, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, et Lorefice c. Italie, no 63446/13, § 36, 29 juin 2017)

39. La Cour a en outre affirmé que même dans l’hypothèse d’une cour d’appel dotée de la plénitude de juridiction, l’article 6 n’implique pas toujours le droit à une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaître en personne. En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d’appel, eu égard notamment aux questions qu’elle avait à trancher et à leur importance pour l’appelant (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 62, CEDH 2006‑XII). Il se peut également que l’accusé ait renoncé sans équivoque à son droit de participer à l’audience d’appel (voir, entre autres, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 48 et 51, 26 avril 2016). Il n’en reste pas moins que lorsque la juridiction d’appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut statuer à ce sujet sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui souhaite prouver qu’il n’a pas commis l’acte constituant prétendument une infraction pénale (voir, entre autres, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII, Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 27, 10 mars 2009, Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 38, 22 novembre 2011, et Ghincea c. Roumanie, no 36676/06, §§ 40-41, 9 janvier 2018). À cet égard, il existe un lien étroit avec la jurisprudence établie de la Cour qui dispose que toute personne accusée devrait, en règle générale, être entendue par le tribunal qui doit statuer sur sa culpabilité (Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande, no 38797/17, § 33, 16 juillet 2019). Compte tenu de l’enjeu pour l’accusé, la question est celle de savoir si la cour d’appel pouvait, aux fins d’un procès équitable, examiner correctement les questions dont elle était saisie sans se livrer à une appréciation directe de la preuve fournie par l’accusé ou le témoin en personne (ibidem, § 35).

40. En outre, la jurisprudence de la Cour portant sur cette question, considérée dans son ensemble et dans son contexte, opère une distinction entre les cas dans lesquels une juridiction d’appel ayant infirmé un acquittement sans entendre directement le témoignage sur lequel l’acquittement était fondé a effectivement procédé à une nouvelle appréciation des faits, et les situations dans lesquelles la juridiction d’appel n’était en désaccord avec l’instance inférieure que sur l’interprétation d’une question de droit et/ou sur son application aux faits déjà établis (voir Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, §§ 36 et 37 et la jurisprudence citée).

41. Dans certaines affaires, la Cour a ainsi conclu à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention après avoir constaté que la juridiction de recours avait condamné les requérants après avoir revu l’interprétation d’une question purement juridique et sans être revenue sur les faits tels que prouvés en première instance (Bazo González c. Espagne, no 30643/04, § 36, 16 décembre 2008, Keskinen et Veljekset Keskinen Oy c. Finlande, no 34721/09, § 39, 5 juin 2012, Leș c. Roumanie (déc.), no 28841/09, §§ 18‑22, 13 septembre 2016, et Dumitrascu c. Roumanie, no 29235/14, 15 septembre 2020).

42. La Cour rappelle en outre que lorsque l’appréciation directe du témoignage de l’accusé est nécessaire compte tenu des principes précités, la juridiction d’appel est tenue de prendre des mesures positives à cette fin, même si le requérant n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant cette juridiction et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond (Botten, précité, § 53, et Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 38).

43. En revanche, un requérant ne saurait se plaindre d’une violation de son droit à un procès équitable s’il a renoncé expressément et de manière non équivoque à son droit d’être entendu par la cour d’appel, pour autant qu’il a eu la possibilité de présenter tous ses arguments en défense (Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, §§ 48 et 62, 1er décembre 2020). La Cour rappelle à cet égard le principe selon lequel ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable (Hermi, précité, § 73, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 décembre 2018).

44. Enfin, les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour doit rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev, précité, § 39).

b) Application de ces principes aux cas d’espèce

1. Concernant les requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15

45. La Cour observe pour commencer que le tribunal de Saluzzo a condamné pour fraude aggravée les six requérants des requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15 après avoir entendu plusieurs témoins. Selon le juge de première instance, les déclarations des témoins et les autres preuves recueillies avaient démontré que les intéressés avaient créé les sociétés coopératives Savoia puis la FGR et/ou y avaient adhéré dans le but de ne pas verser à l’État les contributions dues en cas de dépassement des quotas laitiers imposés par le règlement (CEE) no 856/84. En revanche, le tribunal a considéré que le système de sociétés en cause ne constituait pas une association de malfaiteurs punie par le code pénal et a acquitté les requérants pour ce chef d’inculpation.

46. La Cour observe ensuite que la cour d’appel de Turin avait la possibilité, en tant qu’instance d’appel, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 30 juin 2011. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, après s’être livrée à une appréciation de la responsabilité des intéressés. Pour ce faire, elle avait la possibilité d’ordonner la réouverture de l’instruction au sens de l’article 603 du CPP.

47. La Cour note que la cour d’appel, tout en confirmant la condamnation des requérants pour l’infraction de fraude aggravée, a également constaté leur culpabilité pour le délit d’association de malfaiteurs, infirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point. La cour d’appel s’est référée à la jurisprudence de la Cour de cassation et a affirmé que l’élément moral de cette dernière infraction n’était pas seulement l’intention de commettre une série de délits de divers types – comme le tribunal l’avait affirmé selon elle à tort – mais aussi l’intention de commettre une pluralité d’infractions du même type, à savoir en l’espèce une série indéfinie de fraudes. En outre, l’élément matériel du délit d’association de malfaiteurs était, selon la cour d’appel, foncièrement lié à celui sanctionné par le tribunal sous la qualification de fraude, à savoir la constitution des sociétés Savoia et FGR et leur utilisation à des fins de fraude fiscale. À cet égard, la cour d’appel a pointé du doigt une lecture incomplète de l’acte d’accusation de la part du tribunal (paragraphe 13 ci-dessus).

48. La Cour estime que pour condamner pour la première fois les requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel n’a ni procédé à un nouvel établissement des faits ni donné une nouvelle interprétation des déclarations des témoins, mais qu’elle a effectué une appréciation différente des éléments constitutifs de l’infraction. La Cour observe que l’existence des faits reprochés aux requérants a été établie par le tribunal sur la base des pièces écrites du dossier et des déclarations des témoins – dont la crédibilité n’a pas été contestée par les parties – et qu’elle a entraîné dès la première instance la condamnation des intéressés pour le délit de fraude. Le fait que la cour d’appel ait donné une nouvelle qualification juridique aux faits déjà établis par le tribunal de première instance et qu’elle soit arrivée à une conclusion différente quant à l’existence des éléments constitutifs de l’infraction d’association de malfaiteurs, en plus de celle de fraude, ne saurait infirmer en soi cette conclusion (Dumitrascu, précité, § 36).

49. Selon la Cour, on ne saurait dès lors considérer qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge la cour d’appel ait restreint les droits de la défense des requérants en l’espèce. D’ailleurs, les intéressés n’ont pas apporté d’éléments de nature à laisser penser qu’une nouvelle audition desdits témoins aurait été utile dans l’appréciation des points en question.

50. La Cour doit maintenant déterminer si les questions dont la cour d’appel se trouvait saisie pouvaient effectivement se résoudre, aux fins d’un procès équitable, sans une appréciation directe des témoignages livrés en personne par les requérants.

51. Concernant tout d’abord le rôle de la cour d’appel et la nature des questions dont elle avait à connaître, la Cour note d’emblée qu’en vertu de l’article 597 du CPP cette juridiction est compétente pour rendre un nouveau jugement sur le fond après avoir examiné l’affaire en fait et en droit et avoir procédé à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence des intéressés. Dans les limites des moyens d’appel présentés par les parties, elle peut décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve en vertu de l’article 603 du CPP. En outre, elle peut modifier la qualification juridique des faits et alourdir la mesure ou le type de la peine infligée. La procédure ordinaire devant la cour d’appel est dès lors une procédure régie par les mêmes règles qu’un procès sur le fond et elle est menée par une juridiction dotée de la plénitude de juridiction.

52. La Cour observe ensuite qu’en réformant le verdict du tribunal et en statuant sur la question de la culpabilité des requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel a également examiné les intentions des intéressés et s’est prononcée pour la première fois sur des circonstances subjectives les concernant, affirmant notamment que ceux-ci ne pouvaient pas ignorer, malgré leur méconnaissance des questions juridiques, que l’activité des sociétés Savoia et FGR était illégale (paragraphe 13 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité des requérants (Igual Coll précité, § 35, et Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 52, 10 avril 2012). La Cour rappelle que lorsque l’inférence d’un tribunal a trait à des éléments subjectifs, il n’est pas possible de procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l’intention de l’accusé par rapport aux faits qui lui sont imputés (Lacadena Calero, précité, § 47).

53. Compte tenu de l’étendue de l’examen effectué par la cour d’appel et de l’enjeu pour les requérants, la Cour estime que les questions devant être examinées par la cour d’appel appelaient une appréciation directe des déclarations des accusés (voir, a contrario, Kamasinski, §§ 107-108, et Hermi, précité, § 86).

54. La Cour doit donc établir si les intéressés ont eu en l’espèce une possibilité adéquate d’être entendus et d’exposer en personne leurs propres arguments en défense devant la cour d’appel.

55. Elle note tout d’abord que les requérants, qui avaient participé aux débats en première instance et qui étaient représentés par les avocats de leur choix, ont décidé de ne pas se présenter aux audiences devant la cour d’appel bien qu’ils fussent cités à comparaître en leur qualité d’accusés conformément aux règles de procédure du droit italien (paragraphes 12 et 27 ci-dessus). Il s’ensuit que les intéressés ont renoncé de manière non équivoque à leur droit de prendre part aux audiences devant la cour d’appel (voir, mutatis mutandis, Hermi, précité, § 98).

56. S’agissant de la question de savoir si l’absence des intéressés aux audiences, en plus de constituer une renonciation au droit d’assister aux débats, constituait également une renonciation de leur part au droit d’être entendus par la juridiction d’appel, la Cour a récemment affirmé que le fait qu’un accusé ait renoncé à son droit de participer à l’audience n’exempte pas en soi la juridiction d’appel qui procède à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, de l’obligation qui est la sienne d’évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui proclame son innocence et qui n’a pas explicitement renoncé à prendre la parole (Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 33, et voir, a contrario, Lamatic, précité, § 45). Dans ces circonstances, il appartient aux autorités judiciaires d’adopter toutes les mesures positives propres à garantir l’audition de l’intéressé, même si celui-ci n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant la juridiction d’appel et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond (voir, parmi d’autres, Botten, précité, § 53, Ghincea, précité, § 48, et Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 38).

57. À cet égard, la Cour note avec intérêt que la Cour de cassation italienne s’est exprimée d’une manière conforme aux principes susmentionnés lorsqu’elle a affirmé que le fait d’être contumax à l’audience ne pouvait pas être interprété comme une renonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel pour autant que le juge n’avait pas ordonné d’audition et qu’une audience à cet effet n’avait pas été fixée (paragraphe 21 ci-dessus). En effet, en droit italien, la citation à comparaître à la première audience ordonnée aux sens de l’article 601 du CPP ne correspond pas à une convocation du juge en vue d’être entendu. A cet égard, la Cour ne peut que constater que la requérante de la requête no 20903/15, bien que présente à l’audience, ne fut pas pour autant auditionnée par la cour d’appel (voir paragraphe 12 ci-dessus).

58. Il s’ensuit qu’on ne saurait affirmer que les requérants ont explicitement renoncé en l’espèce à leur droit d’être entendus par la cour d’appel, étant donné que, même selon le droit interne, une telle renonciation aurait été possible uniquement si une audition avait été ordonnée et seulement si les intéressés n’y avaient pas consenti ou s’ils ne s’étaient pas présentés à l’audience fixée pour l’audition.

59. Par ailleurs, il ressort des observations du Gouvernement qu’aurait été ouverte aux requérants le loisir de se prévaloir de l’article 494 du CPP, décrite comme une possibilité adéquate pour les accusés présents à l’audience d’être entendus par la cour d’appel. A cet égard, la Cour observe que les déclarations spontanées régies par ladite disposition relèvent du libre choix de l’inculpé, lequel a la possibilité de s’exprimer librement à tout moment sans que ni le juge ni les autres parties au procès puissent lui poser de questions, en vertu du droit de l’accusé de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Or la Cour n’est pas convaincue que la possibilité pour l’accusé de faire de telles déclarations puisse satisfaire l’obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité. Elle considère qu’il est déraisonnable d’avancer que pour assurer sa défense un accusé prendra la parole de sa propre initiative et choisira de s’exprimer sur des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance. La Cour a déjà eu l’occasion d’observer qu’un accusé n’a aucun intérêt à demander que les éléments de preuve relatifs à des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance soient réévalués par le juge d’appel (Cipleu c. Roumanie, no 36470/08, § 39, 14 janvier 2014, et Ghincea, précité, § 41). Elle rappelle encore une fois qu’il appartient à la juridiction d’appel de prendre des mesures positives à ces fins (paragraphe 56 ci-dessus).

60. Sur ce dernier point, la Cour observe que la Cour de cassation a affirmé que le juge d’appel qui s’apprête à infirmer un jugement d’acquittement et qui, pour ce faire, ordonne la réouverture de l’instruction en application de l’article 603 du CPP ainsi que l’audition des témoins (dans la procédure de l’« esame ») est également tenu d’ordonner l’audition de l’accusé en personne dès lors que les déclarations de celui-ci sont décisives (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, la cour d’appel avait tout le loisir de rouvrir l’instruction et d’ordonner l’audition des requérants afin de leur offrir une possibilité adéquate de s’exprimer à propos notamment de l’élément intentionnel du délit d’association de malfaiteurs, question qui revêtait une importance cruciale pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité pour ladite infraction.

61. En revanche, pour ce qui est de l’argument avancé par la Cour de cassation consistant à dire que le fait que l’accusé soit le dernier à prendre la parole suffirait (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour a déjà affirmé à maintes reprises que, si le droit de l’accusé à être le dernier à parler revêt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal (Constantinescu, précité, § 58, et Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008).

62. Vu l’ensemble de la procédure suivie, le rôle de la cour d’appel et la nature des questions à trancher, la Cour conclut que le fait que la condamnation pour le délit d’association de malfaiteurs soit intervenue sans que les requérants aient pu exposer lors d’une audition (esame) devant la cour d’appel leurs arguments concernant des faits déterminants pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité n’est pas, sauf renonciation de leur part, compatible avec le principe du procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

2. Concernant la requête no 20903/15

63. La Cour observe que, contrairement aux requérants des requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15, Mme Maestri a été acquittée en première instance pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle. Le tribunal a considéré que les déclarations des témoins et les autres pièces du dossier avaient démontré que la requérante s’était contentée de tenir la comptabilité des sociétés en suivant les directives des administrateurs et qu’elle n’avait donc pas joué de rôle actif dans l’activité des sociétés Savoia et FGR.

64. La Cour note également que la cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et qu’elle s’est écartée de l’avis du tribunal au sujet de l’interprétation de ces mêmes déclarations. La cour d’appel a prononcé la culpabilité de la requérante après s’être convaincue que les témoignages de M. et de C., en particulier, lesquels avaient décrit dans le détail les tâches qu’accomplissait l’intéressée, avaient permis de démontrer que celle-ci avait joué un rôle proactif dans la gestion des sociétés (paragraphe 14 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, il ne fait aucun doute que les questions que la cour d’appel de Turin avait à trancher avant de décider d’infirmer le verdict d’acquittement et de condamner l’intéressée ne pouvaient, aux fins d’un procès équitable, être examinées de manière appropriée sans appréciation directe des témoignages à charge de M. et C., compte tenu notamment de la valeur probante de ceux-ci.

65. Elle observe par ailleurs que la requérante, bien que présente aux audiences, n’a pas été auditionnée par la cour d’appel et qu’elle a donc été privée, à l’instar des requérants, de la possibilité d’exposer ses propres arguments sur des questions de faits déterminants pour l’appréciation de sa culpabilité (voir paragraphes 59-62 ci-dessus).

66. La Cour considère dès lors qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge et de la requérante en personne avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont celle-ci avait bénéficié en première instance, la cour d’appel a sensiblement restreint les droits de la défense de l’intéressée.

67. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que, considérée dans son ensemble, la procédure pénale visant la requérante a été inéquitable.

3. Conclusion

68. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans les présentes requêtes.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

70. Les requérants réclament la somme de 50 000 euros (EUR) chacun pour dommage moral. Ils demandent également que leur condamnation pour le délit d’association de malfaiteurs soit annulée, considérant que seule l’annulation constituerait une réparation adéquate de la violation de la Convention.

71. Le Gouvernement s’y oppose.

72. En ce qui concerne la mesure générale spécifique demandée par les requérants, la Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à mettre en œuvre dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention à la lumière des circonstances particulières de la cause (voir, entre autres, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV). Dans ce contexte, la Cour rappelle avoir néanmoins déjà affirmé que lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’un procès qui n’a pas satisfait aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée.

73. Par ailleurs, la Cour octroie à chaque requérant 6 500 EUR pour dommage moral.

2. Frais et dépens

74. Les requérants réclament des sommes calculées sur la base du barème national pour le remboursement des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.

75. Le Gouvernement s’y oppose.

76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, les requérants n’ayant produit aucune facture ni note d’honoraires, la Cour rejette la demande formulée par eux à ce titre.

3. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à chaque requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juillet 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

{signature_p_2}

Renata DegenerKsenija Turković
GreffièrePrésidente


Annexe


Liste des affaires

No

|

Requête No

|

Nom de l’affaire

|

Introduite le

|

Requérant

Année de naissance

Lieu de résidence

|

Représenté par

---|---|---|---|---|---

1

|

20903/15

|

Maestri c. Italie

|

24/04/2015

|

Cristina MAESTRI

1962

Viadana

|

Me Andrea SACCUCCI

2

|

20973/15

|

Bedino et autres

c. Italie

|

24/04/2015

|

Antonino BEDINO

1966

Scarnafigi

Celestino GILETTA

1951

Cavallerleone

Francesco ROBASTO

1946

Moretta

Gianfranco TARICCO

1956

Fossano

|

Me Andrea SACCUCCI

3

|

20980/15

|

Robusti c. Italie

|

24/04/2015

|

Giovanni ROBUSTI

1951

Torre de’ Picenardi

|

Me Andrea SACCUCCI

4

|

24505/15

|

Maero c. Italie

|

14/04/2015

|

Denis MAERO

1972

Saluces

|

Me Andrea SACCUCCI


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-210852
Date de la décision : 08/07/2021
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MAESTRI ET AUTRES
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SACCUCCI A.

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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