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04/05/2021 | CEDH | N°001-209675

CEDH | CEDH, AFFAIRE KERESTECIOĞLU DEMIR c. TURQUIE, 2021, 001-209675


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE KERESTECIOĞLU DEMIR c. TURQUIE

(Requête no 68136/16)

ARRÊT


Art 10 • Liberté d’expression • Levée imprévisible de l’immunité d’une députée par une modification constitutionnelle

STRASBOURG

4 mai 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kerestecioğlu Demir c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Ch

ambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Marko Bošnjak,
Aleš Pejchal,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo,
Saad...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE KERESTECIOĞLU DEMIR c. TURQUIE

(Requête no 68136/16)

ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Levée imprévisible de l’immunité d’une députée par une modification constitutionnelle

STRASBOURG

4 mai 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kerestecioğlu Demir c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Marko Bošnjak,
Aleš Pejchal,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu la requête (no 68136/16) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Filiz Kerestecioğlu Demir (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 novembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») la requête,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mars 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente requête concerne la levée de l’immunité parlementaire de la requérante, fondée selon elle sur ses opinions politiques. L’intéressée se plaint essentiellement d’une atteinte à son droit à la liberté d’expression en raison de la levée de son immunité parlementaire.

EN FAIT

2. La requérante est née en 1961 et réside à Ankara. Elle est représentée par Me A. Akkaya Yazıcıoğlu, avocate à Istanbul.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent.

4. Le 28 juillet 2015, le président de la République fit une déclaration à la presse dans laquelle il soutint que les dirigeants du Parti démocratique des peuples (HDP) auraient à « payer le prix » des actes de terrorisme. Les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

« Je n’approuve pas la dissolution des partis politiques. Cependant, je dis que les dirigeants de ce parti [le HDP] doivent payer le prix. Personnellement, individuellement »

5. Le 29 juillet 2015, tous les députés du HDP, y compris la requérante, soumirent au bureau de la Grande Assemblée nationale de Turquie (« l’Assemblée nationale ») une pétition demandant la levée des immunités des membres de leur groupe parlementaire. Le 3 août 2015, le bureau de l’Assemblée nationale informa la présidence du groupe du HDP que, conformément à l’article 134 du règlement, le simple fait qu’un parlementaire demandait la levée de son immunité parlementaire n’était pas suffisant pour la faire (pour les détails concernant le droit et la pratique internes pertinents concernant l’immunité parlementaire en Turquie, voir l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kart c. Turquie [GC], no 8917/05, §§ 30-33, CEDH 2009 (extraits)).

6. À l’issue du scrutin législatif du 1er novembre 2015, la requérante fut réélue députée à la l’Assemblée nationale en tant que membre du HDP. À ce titre, elle se vit octroyer le bénéfice de l’immunité parlementaire. Ultérieurement, lors des élections parlementaires du 24 juin 2018, elle fut reconduite dans son mandat.

7. Le 18 février 2016, la police d’Istanbul établit un rapport d’enquête à l’attention du procureur de la République d’Istanbul Anadolu (« le procureur de la République »). Selon ce rapport, le 14 février 2016, un groupe de cent femmes avaient organisé une réunion sans notification préalable à Kadıköy (Istanbul). Le rapport indiquait ensuite qu’au fil du temps, le groupe était passé à deux cents personnes. Il commença à scander des slogans tels que « partout est Cizre[1], la résistance est partout », « la guerre maintenant, la paix maintenant », « le massacre est la tradition de l’État », « nous gagnerons par la résistance », et « salutations aux femmes qui résistent à Cizre ». À la suite de ces slogans, un policier avertit le groupe de ne pas scander des slogans provocateurs pour des raisons de sécurité. La requérante contesta cet avertissement. Aux termes du rapport d’expertise publié après l’examen des enregistrements vidéo de l’événement, le policier déclara qu’il voulait justement avertir les gens de ne pas faire l’éloge des terroristes. La requérante argua que le groupe parlait de la résistance à Cizre. Le policier lui demanda ce qui suit : « Qui résiste à Cizre ? ». Par la suite, la requérante déclara qu’elle n’était pas en situation d’en discuter avec le policier. Sur cela, le policier lui dit que « les terroristes résist[ai]ent à Cizre ». La requérante indiqua que c’était l’opinion du policier mais en tant que députée, elle n’était pas dans une situation qui lui permettait d’en discuter avec un policier.

8. Par la suite, le groupe fit une déclaration destinée à la presse. La police donna un avertissement aux manifestants et leur ordonna de se disperser. Sur le refus du groupe d’obéir, les forces de l’ordre dispersèrent le groupe par la force.

9. Le 9 mai 2016, le procureur de la République établit un rapport d’enquête contre la requérante en vue de la levée de l’immunité parlementaire de l’intéressée et le soumit au ministère de la Justice. Cette enquête pénale concernait la participation de l’intéressée à la réunion et à la déclaration destinée à la presse le 14 février 2016.

10. Le 20 mai 2016, l’Assemblée nationale adopta une modification constitutionnelle consistant en l’ajout d’un article provisoire à la Constitution de 1982. Selon cette modification, l’immunité parlementaire, telle que prévue par le second paragraphe de l’article 83 de la Constitution, était levée dans tous les cas de demandes de levée d’immunité transmises aux autorités compétentes avant la date d’adoption de ladite modification. Les parties pertinentes en l’espèce de la motivation de la modification constitutionnelle se lisaient comme suit :

« Alors que la Turquie mène contre le terrorisme la lutte la plus vigoureuse et la plus intense de son histoire, certains députés, avant ou après leur élection, ont fait des discours soutenant moralement le terrorisme, ont apporté un appui et une aide de facto au terrorisme et aux terroristes [et] ont appelé à la violence ; [ces actes] ont suscité l’indignation au sein de l’opinion publique. L’opinion publique en Turquie considère que les députés qui soutiennent le terrorisme et le[s] terroriste[s] et qui appellent à la violence abusent de leur immunité [parlementaire], et elle demande à la Grande Assemblée nationale de Turquie de faire en sorte que ceux qui mènent de telles activités puissent être jugés. Face à une telle demande, on ne peut pas concevoir que l’Assemblée garde le silence. »

11. La modification constitutionnelle concernait au total cent cinquante‑quatre députés de l’Assemblée nationale, laquelle était composée de cinq cent cinquante députés à l’époque des faits, dont cinquante‑neuf membres du CHP (Parti républicain du peuple), cinquante‑cinq du HDP, vingt-neuf de l’AKP (Parti de la justice et du développement) et dix du MHP (Parti d’action nationaliste). Elle visait également un député indépendant.

12. Cette modification constitutionnelle trouvait son origine dans les affrontements en Syrie entre Daesh et les forces d’une organisation liée au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation illégale armée), l’apparition de graves violences en Turquie en 2014 et 2015, à la suite de l’échec des négociations visant à résoudre la question kurde.

13. À différentes dates, quatorze députés appartenant au HDP et un député membre du CHP furent placés en détention provisoire dans le cadre des enquêtes pénales menées contre eux.

14. À une date inconnue, soixante-dix députés saisirent la Cour constitutionnelle d’une action en annulation de la modification constitutionnelle. Ils soutenaient essentiellement que celle-ci devait être considérée comme une « décision parlementaire » prise en vertu de l’article 83 de la Constitution et levant leur immunité liée à leur statut de député. Ils estimaient que la haute juridiction devait contrôler la constitutionnalité de cette « décision » conformément à l’article 85 de la Constitution.

15. Dans son arrêt no 2016/117 rendu le 3 juin 2016, la Cour constitutionnelle rejeta la demande à l’unanimité. Elle releva à cet égard qu’il s’agissait en l’espèce d’une modification constitutionnelle au sens formel du terme, laquelle selon elle ne pouvait pas être considérée comme une décision parlementaire levant l’immunité des intéressés. Elle nota aussi que le contrôle de la modification en question pouvait se faire conformément à la procédure décrite par l’article 148 de la Constitution. Or, selon cette procédure, seul le président de la République ou un cinquième des 550 membres de l’Assemblée nationale peuvent la saisir d’une action en annulation. Après avoir observé qu’en l’espèce cette condition n’avait pas été remplie, elle rejeta la requête des intéressés.

16. Le 8 juin 2016, la modification constitutionnelle fut publiée au Journal officiel. Elle entra en vigueur à cette même date.

17. À la suite de la levée des immunités parlementaires telles que prévues par l’article 83 § 2 de la Constitution, le procureur de la République reprit l’enquête pénale menée contre la requérante. Le 25 octobre 2016, il déposa devant la cour d’assises d’Anadolu un acte d’accusation contre la requérante et requit sa condamnation pour avoir participé à une réunion illégale, telle que réprimée par l’article 28 § 1 de la loi no 2911 relative au déroulement des réunions et manifestations.

18. Le 25 janvier 2018, considérant que la réunion en question était une réunion pacifique, la cour d’assises d’Anadolu acquitta la requérante sans même prendre sa défense.

19. Le 6 février 2018, le procureur de la République d’Istanbul fit appel contre ce jugement.

20. Par un arrêt du 4 mai 2018, la cour d’appel d’Istanbul infirma le jugement du 25 janvier 2018 pour vice de procédure.

21. Le 12 février 2019, après avoir entendu la requérante, la cour d’assises d’Anadolu acquitta l’intéressée.

22. À une date inconnue en février 2019, le procureur de la République d’Istanbul fit de nouveau appel de ce jugement.

23. Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en 2020 que la procédure pénale engagée contre la requérante est toujours pendante devant les juridictions nationales.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

24. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution turque sont exposées dans l’arrêt de la Cour dans l’affaire Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) ([GC], no 14305/17, §§ 131-137, 22 décembre 2020).

25. Aux termes de l’article 148 §§ 1 et 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution, quant à la forme et quant au fond, des lois, des décrets-lois et du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. En ce qui concerne les modifications constitutionnelles, son examen porte exclusivement sur la forme. Le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme des modifications constitutionnelles porte uniquement sur le respect des majorités nécessaires à leur proposition et à leur adoption et de la condition d’après laquelle ils ne peuvent pas être délibérés selon la procédure d’urgence.

26. Dans sa décision d’irrecevabilité Selahattin Demirtaş (no 2016/25189, 17 novembre 2016), appelée à examiner la légalité de la détention provisoire du requérant, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d’accéder aux demandes visant à la levée de l’immunité parlementaire du requérant qui avaient été transmises à l’Assemblée nationale avant la date de son adoption. Elle rejeta donc l’argument de l’intéressé selon lequel son placement et son maintien en détention provisoire n’avaient aucune base légale.

27. L’article 45 de la loi no 6216 établissant la Cour constitutionnelle et ses règles de procédure se lit comme suit :

« 1) Toute personne s’estimant lésée par la puissance publique dans l’un de ses droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et les Protocoles que la Turquie a ratifiés peut former un recours devant la Cour constitutionnelle.

2) Le recours individuel ne peut être introduit qu’après l’épuisement des voies de recours administratives et judiciaires prévues par la loi pour l’acte, la voie de fait ou la négligence dénoncés.

3) Un recours individuel ne peut être introduit directement contre les actes législatifs et les actes administratifs à caractère général ; les décisions de la Cour constitutionnelle et les actes exclus du contrôle judiciaire au regard de la Constitution ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un recours individuel. »

28. L’article 28 § 1 de la loi no 2911 relative au déroulement des réunions et manifestations est ainsi libellé :

« Les personnes qui organisent et dirigent des manifestations illégales et celles qui y participent sont punies d’une peine allant d’un an et six mois à trois ans d’emprisonnement, à moins que les faits constituent une infraction sanctionnée par une peine plus lourde. »

2. L’AVIS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LA DÉMOCRATIE PAR LE DROIT

29. Les 14 et 15 octobre 2016, lors de sa 108e session plénière, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise ») adopta son avis relatif à la modification constitutionnelle en vertu de laquelle le principe d’inviolabilité parlementaire ne s’appliquait pas aux affaires visant des parlementaires qui étaient pendantes à la date de l’adoption de la modification. Les parties pertinentes de cet avis sont exposées dans l’arrêt de la Cour dans l’affaire Selahattin Demirtaş (no 2) (précité, § 161).

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

30. La requérante dénonce la levée de son immunité parlementaire, qui selon elle était fondée sur ses opinions politiques, en ce qu’elle aurait porté atteinte à ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion. Elle allègue à cet égard une violation des articles 9, 10, 11 et 18 de la Convention.

31. Au regard de sa jurisprudence actuelle et de la nature du grief présenté par la requérante, la Cour considère que les questions soulevées en l’espèce peuvent appeler un examen uniquement sous l’angle de l’article 10 de la Convention. La Cour examinera donc la présente espèce sous l’angle de l’article 10, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

1. Sur la recevabilité
1. L’exception d’irrecevabilité relative à la qualité de victime

a) Thèse des parties

1. Le Gouvernement

32. Le Gouvernement argue que l’article 34 de la Convention ne permet pas aux individus de se plaindre in abstracto d’une législation simplement parce qu’ils estiment qu’elle est contraire à la Convention. Il précise à cet égard que cette disposition ne permet pas aux particuliers de prétendre que la législation viole leurs droits par elle-même, en l’absence d’une mesure d’application individuelle. Accepter le contraire équivaudrait, selon le Gouvernement, à accepter l’actio popularis, qui est contraire à la Convention.

33. Le Gouvernement soutient qu’en l’espèce la requérante ne démontre aucunement de quelle manière la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 a eu un effet sur ses droits garantis par l’article 10 de la Convention. En conséquence, le Gouvernement estime que la requérante ne peut pas se prétendre victime de la violation alléguée de cette disposition.

2. La requérante

34. La requérante conteste l’argument du Gouvernement et prétend qu’elle remplit les conditions requises pour se voir reconnaître la qualité de « victime » directe d’une violation de l’article 10 de la Convention étant donné que ses droits sont directement visés par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016. Elle affirme qu’à la suite de cette modification, elle a fait l’objet d’une poursuite pénale injustifiée, engagée pour avoir exercé ses droits en tant que parlementaire.

35. La requérante soutient que, depuis la modification constitutionnelle, elle était en péril, car ses actions ou propos pouvaient faire l’objet de poursuites pénales. Plusieurs enquêtes pénales avaient été engagées contre elle entre août 2016 et mai 2018 pour des motifs similaires, tels que sa participation à des réunions pacifiques ou ses discours critiquant le gouvernement.

b) Appréciation de la Cour

36. La Cour rappelle que l’article 34 de la Convention n’autorise pas à se plaindre in abstracto de violations de la Convention. Celle-ci ne reconnaît pas l’actio popularis, ce qui signifie qu’un requérant ne peut se plaindre d’une disposition de droit interne, d’une pratique nationale ou d’un acte public simplement parce qu’ils lui paraissent enfreindre la Convention. Pour qu’un requérant puisse se prétendre victime, il faut qu’il produise des indices raisonnables et convaincants de la probabilité de réalisation d’une violation en ce qui le concerne personnellement ; de simples suspicions ou conjectures sont insuffisantes à cet égard (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 101, CEDH 2014).

37. La Cour observe qu’en l’espèce, en application de la modification constitutionnelle du 20 mai 2016, les députés visés par cette disposition, y compris la requérante, ont perdu la protection constitutionnelle qui était prévue avant ladite modification par le deuxième paragraphe de l’article 83 de la Constitution en ce qui concernait les demandes de levée de l’immunité soumises au Parlement. En raison de cette modification, l’Assemblée nationale n’était plus tenue de procéder à un examen individualisé des cas des députés visés, y compris la requérante, et cela au détriment des droits des parlementaires reconnus par la Constitution (Selahattin Demirtaş (no 2) [GC], no 14305/17, § 268, 22 décembre 2020).

38. À la suite de la modification constitutionnelle litigieuse, le procureur de la République d’Istanbul Anadolu a poursuivi l’enquête pénale menée contre la requérante et a engagé une action pénale et requis la condamnation de l’intéressée pour avoir participé à une réunion apparemment pacifique, laquelle est toujours pendante devant les juridictions nationales.

39. Dans ces conditions, la Cour estime que la requête introduite par la requérante ne peut pas être considérée comme une actio popularis et qu’il y a suffisamment d’indices raisonnables et convaincants de la probabilité de réalisation d’une violation concernant la requérante personnellement en raison de la modification constitutionnelle.

40. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la requérante peut se prétendre victime d’une violation de la Convention en raison de la levée de son immunité parlementaire par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016. Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement.

2. L’exception d’irrecevabilité relative au non-exercice du recours individuel devant la Cour constitutionnelle

a) Thèse des parties

1. Le Gouvernement

41. Le Gouvernement évoque la jurisprudence de la Cour selon laquelle les requérants doivent introduire un recours individuel devant la Cour constitutionnelle avant de saisir la Cour d’une requête individuelle. Se référant notamment aux conclusions de la Cour dans sa décision Uzun c. Turquie ((déc.), no 10755/13, 30 avril 2013), il reproche à la requérante de ne pas avoir épuisé le recours individuel devant la Cour constitutionnelle.

42. Le Gouvernement indique que l’article 45 § 3 de la loi no 6216 établissant la Cour constitutionnelle et ses règles de procédure (« la loi no 6216 ») dispose que les actes du Parlement ne peuvent être contestés par un recours individuel devant la Cour constitutionnelle. Cependant, il ajoute que, dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’un requérant prouve que les mesures générales sont susceptibles de le viser personnellement, la Cour constitutionnelle peut déclarer recevable un tel recours et examiner le bien-fondé de celui-ci.

43. Dans ce contexte, le Gouvernement renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Büyük Birlik Partisi et Saadet Partisi (no 2014/8843, 10 décembre 2015). Dans ladite affaire, les requérants, deux partis politiques, se plaignaient d’une violation de leur droit à des élections libres en raison du changement de la législation qui prévoyait les modalités d’octroi de l’aide financière aux partis politiques. Le Gouvernement indique que la Cour constitutionnelle a conclu que le grief des partis requérants était recevable et a examiné le bien-fondé de celui-ci. Selon le Gouvernement, cette jurisprudence démontre que le recours individuel exercé devant la haute juridiction constitutionnelle était une voie de recours que la requérante devait épuiser avant de saisir la Cour d’une requête individuelle.

2. La requérante

44. La requérante argue qu’il appartient au Gouvernement de prouver que le requérant n’a pas utilisé une voie de recours qui était à la fois effective et disponible. Se référant à la jurisprudence de la Cour selon laquelle un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, elle ajoute que rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs.

45. La requérante affirme que les faits exposés dans l’affaire Büyük Birlik Partisi et Saadet Partisi citée par le Gouvernement ne sont pas comparables à ceux de la présente cause. Elle précise qu’aux termes de l’article 45 § 3 de la loi no 6216, un recours individuel formé devant la Cour constitutionnelle ne peut être introduit directement contre les actes législatifs et les actes administratifs à caractère général. En outre, elle allègue qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’une personne ne peut pas introduire un recours individuel contre une disposition de la Constitution. Elle souligne à cet égard que dans sa décision Musa Kaya (no 2014/19397, 25 mars 2015), qui concernait l’interdiction de vote des prisonniers, la Cour constitutionnelle a déclaré une requête irrecevable ratione materiae dans la mesure où la restriction imposée au requérant était directement fondée sur une disposition de la Constitution.

46. En outre, se référant aux décisions rendues à la suite des recours individuels introduits devant la Cour constitutionnelle par plusieurs députés du HDP, qui ont été mis en détention provisoire à la suite de la modification constitutionnelle, notamment la décision d’irrecevabilité Selahattin Demirtaş (no 2016/25189, 17 novembre 2016), la requérante indique que la haute juridiction constitutionnelle a estimé que la levée des immunités parlementaires prévue par l’article 20 provisoire était conforme à la Constitution. Selon elle, le recours individuel qu’elle aurait introduit n’aurait pu aboutir à une décision différente. Il n’était donc ni adéquat ni effectif.

b) Appréciation de la Cour

47. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, qui doivent être à la fois relatives aux violations incriminées, disponibles et adéquates (Selahattin Demirtaş (no 2), précité, § 205). Elle réaffirme également qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, notamment, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999‑V, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 74, 25 mars 2014, et Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, § 85, 9 juillet 2015). Cette charge de preuve une fois acquittée, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, qu’il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Molla Sali, précité, § 89).

48. En l’occurrence, la Cour observe qu’aux termes de l’article 45 § 3 de la loi no 6216, un recours individuel formé devant la Cour constitutionnelle ne peut être introduit directement contre les actes législatifs. Autrement dit, une personne qui soutient qu’elle est lésée par une loi, y compris les lois constitutionnelles, comme en l’espèce, ne peut pas directement saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel. En effet, le deuxième paragraphe de la loi susmentionnée prévoit que le recours individuel peut être introduit pour l’acte, la voie de fait ou la négligence dénoncés.

49. La Cour relève qu’il ressort également de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que les actes législatifs ne peuvent pas faire l’objet d’un recours individuel devant la Cour constitutionnelle étant donné que les lois ne peuvent pas, selon la haute juridiction, violer les droits des individus à moins qu’elles aient été appliquées par un autre acte (Ali Kemal Renklioğlu, no 2012/171, § 16, 12 février 2013). Dans ce contexte, une personne ne peut saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel contre un acte législatif, mais elle peut introduire un recours contre un acte, une action ou une négligence appliquant l’acte législatif (voir la jurisprudence de la Cour constitutionnelle Süleyman Erte, no 2013/469, § 17, 16 avril 2013, et Serkan Acar, no 2013/1613, § 37, 2 octobre 2013).

50. En l’espèce, la Cour observe que le Gouvernement, se référant à la décision de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Büyük Birlik Partisi et Saadet Partisi (précitée), soutient que, dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’un requérant prouve que les mesures générales sont susceptibles de le viser personnellement, la Cour constitutionnelle peut déclarer recevable le recours individuel formé par le requérant et examiner le bien-fondé de celui-ci. Or la Cour observe que, dans l’affaire susmentionnée, la Cour constitutionnelle a expressément indiqué que la voie de recours individuel n’était pas prévue pour alléguer l’inconstitutionnalité d’une réglementation. En effet, aux paragraphes 35 et 36 de sa décision, la haute juridiction a précisé qu’elle ne pouvait être saisie d’un recours individuel contre une loi. Les requérants doivent donc introduire leurs recours contre les actes, les actions ou les négligences dans le contexte de l’application de l’acte législatif. Comme les partis requérants soulevaient leurs griefs en raison de l’acte appliquant la loi, la Cour constitutionnelle a estimé qu’ils pouvaient se prétendre victime d’une violation alléguée.

51. La Cour observe qu’en l’espèce, la requérante allègue avant tout que la levée de son immunité parlementaire par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 a violé son droit à la liberté d’expression. Dans ce contexte, elle se plaint directement d’une disposition constitutionnelle, laquelle a, selon elle, constitué une violation de l’article 10 de la Convention. À ce titre, la Cour relève qu’un recours individuel exercé devant la Cour constitutionnelle ne pouvait pas aboutir pour un tel grief et le Gouvernement n’a fourni aucune décision interne indiquant le contraire.

52. La Cour conclut dès lors qu’il y avait des circonstances spéciales libérant la requérante de son obligation d’épuiser la voie de recours individuel devant la Cour constitutionnelle. Il convient donc de rejeter cette exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

3. L’exception d’irrecevabilité relative à l’article 35 § 2 b) de la Convention

a) Thèse des parties

1. Le Gouvernement

53. Le Gouvernement indique qu’en juin 2016 le HDP a déposé une plainte auprès du Comité des droits de l’homme des parlementaires de l’Union interparlementaire (« le Comité de l’UIP ») au nom de cinquante‑cinq députés du HDP, dont la requérante. Il précise que les intéressés se plaignaient tout d’abord du non-respect de leur immunité parlementaire, qu’ils alléguaient également une violation de leur droit à la liberté d’expression et à la liberté d’association en raison des enquêtes et procédures pénales engagées contre eux, et qu’ils se plaignaient de la mise en détention provisoire de certains d’entre eux, ainsi que du manque d’équité des procédures pénales. Par la suite, le Comité de l’UIP aurait rédigé plusieurs rapports et le Conseil directeur de l’UIP aurait adopté des décisions concernant cette affaire. Le Gouvernement estime donc que la requérante a ainsi soumis ses griefs à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au sens de l’article 35 § 2 b) de la Convention, à savoir le Comité de l’UIP.

2. La requérante

54. Se référant aux critères énoncés dans la décision de la Cour dans l’affaire Fédération hellénique des syndicats des employés du secteur bancaire c. Grèce (no 72808/10, §§ 32-45, 6 décembre 2011), la requérante argue que la procédure mise en place par l’UIP ne répond pas à la définition d’une « autre instance internationale d’enquête ou de règlement ».

b) Appréciation de la Cour

55. La Cour rappelle qu’elle a récemment examiné dans l’affaire Selahattin Demirtaş (no 2) si le Comité de l’UIP pouvait être considéré comme « une autre instance internationale d’enquête ou de règlement » et elle a conclu qu’il ne pouvait pas être considéré comme offrant une procédure judiciaire ou quasi judiciaire similaire à celle mise en place par la Convention (ibidem, §§ 179-190).

56. En l’occurrence, la Cour ne voit aucune raison pour s’écarter de cette jurisprudence. Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement.

57. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèse des parties

a) La requérante

58. La requérante soutient que la levée de son immunité parlementaire, laquelle a conduit à sa poursuite pénale, en raison de son discours lors d’une réunion publique, constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Elle fait valoir qu’une ingérence, au sens de l’article 10 § 2, doit être prévue par la loi et être nécessaire dans une société démocratique. Dans ce contexte, il n’est pas suffisant que l’ingérence trouve sa base en droit interne, mais le droit interne doit être compatible avec les standards de la Convention. En effet, la loi doit être accessible et prévisible dans ses effets. Ainsi, conformément à la prééminence du droit, elle doit fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire.

59. La requérante soutient que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016, laquelle a ensuite donné lieu à une procédure pénale, n’était pas prévisible au regard de la jurisprudence de la Cour. À cet égard, elle se réfère aux conclusions de la Commission de Venise selon lesquelles cette modification constituait « une utilisation abusive de la procédure de modification de la Constitution ».

b) Le Gouvernement

60. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a eu aucune ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression de la requérante. Dans ce contexte, il indique que les autorités publiques n’ont aucunement limité les activités politiques de l’intéressée. En outre, il ajoute que l’enquête pénale contre la requérante avait été engagée avant la modification constitutionnelle et que les autorités auraient pu, éventuellement, poursuivre cette procédure même en l’absence de la modification constitutionnelle, une fois que la protection de son immunité parlementaire aurait pris fin. D’après le Gouvernement, la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 n’a donc rien changé dans la situation de la requérante.

61. Le Gouvernement note que, dans son arrêt du 3 juin 2016, la Cour constitutionnelle avait estimé que l’affaire dont elle était saisie concernait une modification constitutionnelle au sens formel du terme, entraînant la levée de l’inviolabilité pour des députés, y compris pour la requérante, à l’égard desquels une demande en ce sens avait été soumise aux autorités compétentes avant la date d’adoption de la modification. Dans ces conditions, statuant sur les recours individuels portant sur la légalité de la détention provisoire subie par certains députés, la haute juridiction avait conclu que la détention des intéressés ne pouvait être considérée comme dépourvue de fondement juridique ou contraire à la Constitution. Le Gouvernement rappelle dans ce contexte que, dans son arrêt de chambre du 20 novembre 2018 rendu dans l’affaire Selahattin Demirtaş (no 14305/17), la Cour, rappelant qu’il appartenait en premier lieu aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, a estimé que ni l’interprétation ni l’application du droit interne par la Cour constitutionnelle n’apparaissaient arbitraires ou manifestement déraisonnables. Selon lui, il n’y a aucune raison de s’écarter de la conclusion de la Cour. Il invite donc la Cour à conclure qu’il n’y avait pas de problème à l’égard de la prévisibilité de la levée de l’immunité parlementaire de la requérante par la modification constitutionnelle, laquelle a été adoptée conformément à la procédure prévue par la Constitution.

62. Le Gouvernement argue que les procédures spéciales prescrites dans la Constitution et au règlement de l’Assemblée nationale donnent au législateur le droit de changer la Constitution, étant une institution formée de la manifestation démocratique de la volonté du peuple. La levée de l’inviolabilité n’est pas une exception. Celle-ci a été adoptée par une modification constitutionnelle, laquelle était accessible, claire et prévisible. En conséquence, l’ingérence, si elle existe, a été prévue par la loi au sens de l’article 10 § 2 de la Convention.

63. Le Gouvernement soutient que l’ingérence, si elle existe, poursuivait plusieurs buts légitimes tels que la protection de la réputation et des droits d’autrui, comme ceux de l’Assemblée nationale et des députés. Elle visait également la protection du principe de l’égalité devant la loi et de l’État de droit. En outre, elle était destinée à maintenir l’autorité du Parlement et la confiance du peuple dans l’institution démocratique de l’État. En effet, le Gouvernement indique qu’il était, à l’époque des faits, inacceptable aux yeux du public que l’inviolabilité parlementaire destinée à l’origine à protéger les députés à s’acquitter de leurs fonctions était transformée en un privilège personnel. Dans ce contexte, le Gouvernement souligne qu’à cette époque, les députés étaient considérés comme intouchables malgré la gravité de leurs actes liés au terrorisme. Afin de surmonter cette réaction du public, l’Assemblée nationale a décidé d’apporter une dérogation temporaire au principe d’inviolabilité parlementaire.

64. Quant à la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement argue que la levée des immunités parlementaires et les procédures applicables à cet égard restent dans les limites de la marge d’appréciation nationale. Il souligne qu’à partir de l’année 2015, la Turquie était confrontée aux plus violents attentats terroristes de son histoire. Des membres du PKK avaient creusé des tranchées et avaient établi des barricades dans plusieurs villes de l’est et du sud-est de la Turquie afin d’empêcher l’entrée des forces de sécurité. Selon celles-ci, les terroristes avaient apporté un grand nombre d’armes et d’explosifs dans la région. D’après le Gouvernement, à ce moment crucial, plusieurs députés du HDP ont montré leur soutien au terrorisme. Dans ce contexte, il en a résulté un sentiment d’indignation dans toute la nation. L’opinion publique voyait que ceux qui avaient été élus par leurs votes et payés par leurs impôts soutenaient les actes de terrorisme en méprisant les souffrances des victimes de terrorisme et en menaçant les forces de sécurité qui menaient une lutte légitime contre le terrorisme. En conséquence, la portée de l’inviolabilité parlementaire est devenue un sujet de débat constitutionnel dans le pays. L’Assemblée nationale a réagi et modifié la Constitution afin de répondre aux demandes de ceux qui ont élu ses membres. Dans ce contexte, le Gouvernement ajoute que le Parlement a profité de cette occasion pour procéder à une modification générale et impersonnelle, sans se concentrer uniquement sur les infractions liées au terrorisme.

65. Le Gouvernement note qu’après la modification constitutionnelle du 20 mai 2016, la requérante a continué de participer à de nombreuses activités politiques en tant que députée. Selon lui, ce fait prouve que sa liberté d’expression n’a pas été entravée par cette modification constitutionnelle. En outre, eu égard à l’issue de la procédure pénale engagée contre la requérante, le Gouvernement estime que la modification constitutionnelle ne peut être considérée comme ayant eu un effet dissuasif qui a constitué une contrainte réelle sur les activités de la requérante protégées par son droit à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

66. À titre liminaire, la Cour rappelle que l’objet d’une affaire devant elle demeure délimitée par les faits tels qu’exposés par un requérant. Si la Cour venait à se prononcer sur la base des faits non visés par le grief, elle statuerait au-delà de l’objet de l’affaire et outrepasserait sa compétence en tranchant des questions qui ne lui auraient pas été « soumises », au sens de l’article 32 de la Convention (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 123, 20 mars 2018). Il va sans dire que la Cour ne peut recourir au principe jura novit curia pour rendre un arrêt où elle statuerait au-delà (ultra petita) ou en dehors (extra petita) de ce qui lui a été soumis (ibidem § 125). Dès lors, l’objet d’une affaire « soumise » à la Cour dans l’exercice du droit de recours individuel est délimité par le grief soumis par le requérant. La Cour ne peut pas se prononcer sur la base de faits non visés par le grief car cela reviendrait à statuer au-delà de l’objet de l’affaire ou, autrement dit, à trancher des questions qui ne lui auraient pas été « soumises » au sens de l’article 32 de la Convention (ibidem, § 126). C’est en se fondant sur ces considérations que la Cour examinera les circonstances de l’espèce. À cet égard, elle relève que, pour étayer ses allégations, la requérante se réfère à des faits non visés par les griefs soumis à la Cour dans son formulaire de requête, comme la poursuite pénale engagée à son encontre. Au vu des principes jurisprudentiels susmentionnés, la Cour souligne qu’elle limitera son appréciation aux seuls faits dont il est tiré griefs, à savoir la levée de l’immunité parlementaire de la requérante par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 au regard des droits garantis par l’article 10 de la Convention, sans examiner les détails de la procédure pénale engagée contre la requérante.

67. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence concernant la liberté d’expression des parlementaires, tels qu’ils ont été exposés dans son arrêt Selahattin Demirtaş (no 2) (précité, §§ 242-245). Dans ladite affaire, la Cour avait indiqué qu’il ressortait de la motivation de la modification constitutionnelle que celle-ci était prévue car, « [a]lors que la Turquie [menait] contre le terrorisme la lutte la plus vigoureuse et la plus intense de son histoire, certains députés, avant ou après leur élection, [avaient] fait des discours soutenant moralement le terrorisme », ce qui avait « suscité l’indignation au sein de l’opinion publique » (voir le paragraphe 10 ci-dessus). La modification constitutionnelle avait donc pour but de limiter le discours politique des parlementaires touchés par celle-ci (ibidem, § 246). Elle avait également constaté que la combinaison de plusieurs mesures, y compris la levée de l’immunité parlementaire du requérant par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016, s’analysait en une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression découlant de l’article 10 de la Convention (ibidem, § 247). À la lumière de cette jurisprudence, la Cour estime que la levée de l’immunité parlementaire de la requérante par le biais de la modification constitutionnelle en question constitue en soi une ingérence dans l’exercice du droit de la requérante tel que protégé par l’article 10 de la Convention.

68. Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une telle ingérence doit être « prévue par la loi », poursuivre l’un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l’article 10 et être « nécessaire dans une société démocratique » (Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 121, 17 mai 2016).

69. En ce qui concerne la prévisibilité de la modification constitutionnelle du 20 mai 2016, la Cour rappelle les constatations suivantes de l’arrêt de Grande Chambre dans l’affaire Selahattin Demirtaş (no 2) (références omises) :

« 264. (...) la Cour estime que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 pose en elle-même un problème de prévisibilité. Le second paragraphe de l’article 83 de la Constitution, dans sa version non modifiée, prévoit l’inviolabilité parlementaire, qui met les élus du peuple à l’abri de toute arrestation, détention ou procédure judiciaire pendant leur mandat parlementaire, sauf autorisation de l’Assemblée nationale. Il s’agit là d’une protection temporaire, ce qui veut dire qu’une procédure pénale peut suivre son cours normal après l’expiration du mandat d’un parlementaire.

265. Le deuxième paragraphe de l’article 83 de la Constitution ne prévoit que deux exceptions au principe d’inviolabilité parlementaire : i) les cas de flagrant délit ; et ii) les cas indiqués à l’article 14 de la Constitution, à condition que les poursuites pénales aient été entamées avant les élections. Étant donné que la situation du requérant ne relevait d’aucune de ces exceptions, sans la modification constitutionnelle les autorités nationales auraient dû demander la levée de l’immunité parlementaire de l’intéressé pour pouvoir engager une procédure pénale contre lui.

266. La Constitution turque prévoit des garanties procédurales contre les demandes relatives à la levée de l’immunité d’un parlementaire. Selon le deuxième paragraphe de l’article 83 de la Constitution, un député ne peut être arrêté, interrogé, détenu ou jugé que lorsque l’Assemblée nationale prend une décision de lever l’immunité parlementaire. À cette fin, l’Assemblée nationale doit procéder à un examen individualisé de la situation du député concerné, lui assurant ainsi la possibilité de se défendre devant le Parlement. En outre, aux termes de l’article 85 de la Constitution, le député concerné ou un autre député peuvent faire appel auprès de la Cour constitutionnelle contre une décision de l’Assemblée nationale de lever une immunité, dans un délai de sept jours à compter de la date de la décision. La Cour constitutionnelle doit se prononcer sur cet appel dans un délai de quinze jours. Elle peut annuler la décision du Parlement si elle estime que celle-ci est contraire à la Constitution, à la loi ou au règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

267. Aux termes de la modification constitutionnelle, la disposition contenue dans la première phrase du deuxième paragraphe de l’article 83 de la Constitution, qui prévoit qu’aucun député accusé d’avoir commis un délit avant ou après les élections ne peut être arrêté, interrogé, détenu ou jugé sans décision de l’Assemblée nationale, ne s’applique pas aux députés visés, dont le requérant. C’est donc le cadre législatif normal qui est applicable, sans que les parlementaires en question bénéficient d’un statut privilégié par rapport aux citoyens ordinaires. Ainsi, comme la Cour constitutionnelle l’a dit dans son arrêt no 2016/117 rendu le 3 juin 2016, les parlementaires concernés n’ont pas de droit d’appel contre cette modification, dont le contrôle de constitutionnalité n’est possible que suivant la procédure décrite à l’article 148 de la Constitution.

268. Aux termes du préambule général de la modification constitutionnelle, l’objet de celle-ci est de répondre à l’indignation du public concernant les déclarations de certains députés soutenant émotionnellement et moralement le terrorisme, l’appui et l’aide que certains députés apportent à des membres d’organisations terroristes et les appels à la violence lancés par certains députés. De plus, dans son avis sur la suspension du deuxième paragraphe de l’article 83 de la Constitution, la Commission de Venise relève qu’à l’issue de cette modification les déclarations à caractère politique des députés sont devenues passibles de sanctions pénales, sans que les intéressés puissent bénéficier des garanties constitutionnelles prévues aux articles 83 et 85 de la Constitution. En effet, en raison de cette modification, l’Assemblée nationale n’était plus tenue de procéder à un examen individualisé des cas des députés visés, et cela au détriment des droits des parlementaires reconnus par la Constitution. Aux yeux de la Cour, la modification en question a créé une situation imprévisible pour les députés concernés.

269. En outre, la Cour considère, toujours à l’instar de la Commission de Venise, qu’il s’agissait en l’espèce d’une modification ad hoc, ponctuelle et ad hominem sans précédent dans la tradition constitutionnelle turque. Il ressort de la motivation de la modification constitutionnelle que celle-ci visait expressément certaines déclarations spécifiques de députés, surtout ceux de l’opposition. À ce propos, la Cour a déjà dit que les lois visant uniquement des individus donnés sont contraires à l’état de droit. En effet, après l’adoption de cette modification, l’Assemblée nationale a, d’un côté, conservé le régime de l’immunité tel qu’établi par les articles 83 et 85 de la Constitution et, de l’autre, rendu ce régime inapplicable à l’égard de certains députés identifiables en utilisant une formulation générale et objective. Dans ce contexte, la Cour souscrit pleinement au constat clair de la Commission de Venise selon lequel il s’agit là d’une « utilisation abusive de la procédure de modification de la Constitution ». Aux yeux de la Cour, eu égard à la pratique et à la tradition parlementaires turques, un député ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que, au cours de son mandat parlementaire, une telle procédure fût introduite, affaiblissant par là même la liberté d’expression des membres de l’Assemblée nationale.

270. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la condition de prévisibilité se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la législation pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité. Or, en l’espèce, eu égard au libellé des deux premiers paragraphes de l’article 83 de la Constitution et à l’interprétation ou plutôt à l’absence d’interprétation de cette disposition par les juridictions nationales, la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression du requérant n’était pas « prévue par la loi » en ce qu’elle ne répondait pas à l’exigence de prévisibilité, car lorsqu’il défendait une opinion politique l’intéressé pouvait légitimement s’attendre à bénéficier du cadre juridique constitutionnel en place offrant la protection de l’immunité pour le discours politique et des garanties procédurales constitutionnelles. »

70. En l’occurrence, la Cour observe que par une pétition du 29 juillet 2015, tous les députés du HDP, y compris la requérante, ont demandé la levée de leurs immunités parlementaires. Cela étant, le 3 août 2015, le bureau de l’Assemblée nationale a signalé que le simple fait qu’un député demandait la levée de son immunité parlementaire n’était pas suffisant pour la faire. En conséquence, la Cour estime que la pétition en question ne peut pas changer son raisonnement relatif à la levée de l’immunité parlementaire de la requérante à l’issue de la modification constitutionnelle du 20 mai 2016.

71. Partant, en soulignant l’analyse faite par la Grande Chambre, en particulier le paragraphe 269 de l’arrêt, la Cour souscrit au raisonnement et à la conclusion de la Grande Chambre qui sont également pertinents pour la requérante. Elle conclut donc à la violation de l’article 10 de la Convention.

72. Cette conclusion rend inutile l’examen de la question de savoir si les ingérences poursuivaient un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l’article 10 et étaient « nécessaires dans une société démocratique ».

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

73. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

74. La requérante demande 40 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi.

75. Le Gouvernement estime cette somme excessive et incompatible avec la jurisprudence de la Cour.

76. La Cour octroie à la requérante 5 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

2. Frais et dépens

77. La requérante réclame 7 920 EUR pour les frais et dépens engagés par elle dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et 11 700 EUR pour ceux qu’elle a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. À l’appui de ses demandes, l’avocate de la requérante fournit deux relevés détaillés indiquant le temps consacré par elle à cette affaire, soit 132 heures pour les procédures nationales dont le tarif horaire s’élève à 60 EUR et 117 heures pour la procédure devant la Cour dont le tarif horaire est de 100 EUR.

78. Le Gouvernement conteste la nécessité de ces dépenses et le caractère raisonnable de leur montant. Dans ce contexte, il précise que la partie requérante n’a présenté aucun document ou justificatif de paiement à l’appui de ces demandes.

79. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de sa jurisprudence et des documents dont elle dispose, la Cour juge raisonnable d’octroyer 4 000 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Elle rejette par contre la demande relative aux frais et dépens engagés aux fins de la procédure menée devant les juridictions nationales dans la mesure où ils concernent la procédure pénale suivie contre la requérante qui ne fait pas l’objet de la présente requête.

3. Intérêts moratoires

80. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

1. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
2. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mai 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithJon Fridrik Kjølbro
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Saadet Yüksel.

J.F.K.
S.H.N.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE LA JUGE YÜKSEL

(Traduction)

1. M’appuyant principalement sur les motifs exposés dans mon opinion partiellement dissidente jointe à l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, 22 décembre 2020), je me dissocie respectueusement de la conclusion et de la méthode adoptées par la majorité en ce qui concerne la prévisibilité de l’ingérence dans les droits garantis à la requérante par l’article 10 de la Convention, à savoir la levée de son immunité parlementaire par l’effet de la modification constitutionnelle du 20 mai 2016.

2. À cet égard, je tiens à rappeler mon opinion selon laquelle la modification constitutionnelle a simplement changé la procédure qui régissait la levée des immunités des députés au sujet desquels des rapports d’enquête avaient déjà été soumis au Parlement à la date de son adoption, entraînant ainsi effectivement un changement dans la portée des garanties procédurales prévues en la matière. Je maintiens donc les doutes que j’avais exprimés, à savoir que le respect de ces garanties procédurales et la prévisibilité de la modification constitutionnelle levant l’immunité parlementaire sont deux questions distinctes, pour les raisons exposées en détail dans mon opinion séparée jointe à l’arrêt Demirtaş (précité).

3. En outre, je me dissocie respectueusement de la méthode suivie par la majorité pour aborder l’affaire car elle ne tient pas compte des circonstances particulières sous l’angle de l’exigence de prévisibilité. En particulier, la majorité n’a pas procédé à une appréciation individuelle du fait que la requérante en l’espèce avait présenté une pétition demandant la levée des immunités des membres de son groupe parlementaire (paragraphe 5 de l’arrêt). Premièrement, je tiens à souligner que cet élément n’avait pas été pris en compte ni examiné par la Grande Chambre dans l’affaire Demirtaş (précitée). Deuxièmement, même si cet élément pertinent avait été analysé, au vu des paragraphes 269 et 270 de l’arrêt Demirtaş, je doute fort que la requérante puisse être considérée comme une députée qui ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’une telle procédure fût introduite.

4. À mon sens, l’acceptation catégorique de la prévisibilité et l’application formaliste d’une telle approche en l’espèce risqueraient de ne pas bien cadrer avec les circonstances particulières de l’espèce et ne seraient pas non plus justifiées.

* * *

[1] En août 2015, des gouverneurs locaux imposèrent des couvre-feux dans certaines villes du sud-est de la Turquie, y compris Cizre. L’objectif déclaré de ces mesures était de nettoyer les tranchées creusées par les membres des organisations terroristes et de les débarrasser des explosifs qui y avaient été enterrés, ainsi que de protéger les civils des actes de violence. Les forces de sécurité menèrent des opérations dans les zones concernées par le couvre-feu, où ils utilisèrent des armes lourdes.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-209675
Date de la décision : 04/05/2021
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{général} (Article 10-1 - Liberté d'expression);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : KERESTECIOĞLU DEMIR
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : AKKAYA YAZICIOĞLU A.

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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